sexta-feira, 22 de janeiro de 2021

parte 5

  

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27 1

 

leur. Il est né selon la chair pour vous faire

naître selon l'esprit ; il est né de la femme afin

que vous ne fussiez plus simplement le fils de la

femme 1. »

 

Si surprenante que puisse paraître cette doc

trine de notre exaltation surnaturelle, elle n'en

est pas moins une vérité de foi, enseignée par le

prince des apôtres en termes si clairs, si for-

mels, si explicites, qu'ils ne laissent pas lieu au

plus léger doute. « Par Jésus-Christ, dit-il. Dieu

ncus a communiqué les grand-es et précieuses

grâces qu'il avait promises, vous rendant par là

participants de la natm-e divine : Ut per hœc effir-

ciamini divinœ consortes naturœ-. )> Cette partici-

pation de la nature et de la vie de Dieu n'est

autre que la grâce sanctifiante, en sorte que le

don qui nous justifie, nou^ déifie en même

temps, et que la justification est une vraie déifi-

cation.

 

C'est ce que déclare sans ambages le grand

 

 

 

1. « Quod si ambigis de iis quse ad tuum spectant haao-

rera, de illius (Verbi se. divini) humilitate disce credere

€tiain quLe super tuam dignitatem dicuntur. Quantum

enim ad cogitationes bominum spectat, multo est diffî-ciliws

Deum hominem fieii, quam horainem Dei filium conse-

crari. Cum ergo audi^is quod Filius Dei filius sit et David

et Abrahse, dubitare jam desiae quod et tu, qm filius es

Ad«&, futurus sis filius Dei. Non eniai frustra nec vaae ad

tantam humilitatem ipse descendit, sed ut nos ex huiniln

sublimaret. Natus est enim secundum camem, ut tu nas-

cercris spiritu : natus est ex muliere, ut tu desineres

lUius esse muixris. » (S. Joan. Chrys., Ji-oadL n in Matth.

a. a.)

 

2. II Petr., I, 4.

 

 

 

272 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

éveque d'Hippone.' Commentant ces paroles du

psalmiste : « J'ai dit : Vous êtes des dieux et les

fils du Très-Haut », il s'exprime de la manière

suivante : « Celui qui nous justifie est le même

qui nous déifie : Qal aaiem jasiificat, ipse deijî-

cai, parce qu'en nous justifiant, il nous fait en-

fants de Dieu... Or, si nous sommes enfants de

Dieu, nous sommes par là même des dieux, ron

sans doute par le fait d'une génération naturelle,

mais par une grâce d'adoption. Unique, en ef'et,

est le Fils de Dieu, un seul Dieu avec le Père,

Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ... Les

autres qui deviennent dieux le deviennent par sa

grâce ; ils ne naissent pas de sa substance pour

être ce qu'il est, mais ils arrivent jusqu'à lui par

un bienfait de sa libéralité i. »

 

Nul ne s'étonnera dès lors d'entendre les saints

Docteurs déclarer que la justification est le chef-

d'œuvre de la puissance divine. Saint Thomas,

 

 

 

I . « Videte in eodem psaîmo quibus dicat : Ego dixi, dii

estis, et Jîlil Excelsi omnes. Manifestum est ergo, quia homi-

nes dixit deos, ex gratia sua deificatos, non de substantia

sua natos. lUe enim justificat, qui per semetipsum non ex

alio justus est; et ille deificat, qui per seipsum non alte-

rius participatione Deus est. Qui autem justificat, ipse dei-

ficat, quia justificando filios Dei facit. Dédit enim potesta-

tem filios Dei fieri (Joan., i, 12). Si filii Dei facti sumus, et

dii facti sumus : sed hoc gratiae est adoptantis, non naturae

generantis. Unicus enim Dei Filius Deus et cum Pâtre unus

Deus, Dominus et Salvator noster Jésus Christus, in princi-

pio Verbum et Verbum apud Deum, Verbum Deus. Ceteri

qui fiunt dii, gratia ipsius fiunt, non de substantia ejus

nascuntur ut hoc sint quod ille, sed ut per beneficium per-

veniant ad eum, et sint cohœredes Ghristi. » (S. Aug., in

Ps. xux, n. a.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27S

 

toujours si exact dans ses appréciations, ne

craint pas d'affirmer qu'elle est supérieure à la

création elle-même, sinon quant au mode d'agir,

au moins quant à l'effet produit ; car lacté créa-

teur, quoique exclusivement divin par sa nature,

n'aboutit en définitive qu'à la production dune

substance sujette à changement, tandis que la

justification a pour terme la participation à la

nature divine, et qu'elle fait d'un pécheur un être

divin, un fils de Dieu, un héritier de la béati-

tude éternelle 1. En parlant de la sorte, Fangé-

lique Docteur ne faisait que reproduire la pen-

sée de saint Augustin, qui avait dit lui-même

huit siècles auparavant : « Justifier un pécheur

est une plus grande chose que de créer le ciel

et la terre ; car le ciel et la terre passeront, mais

la justification et le salut des prédestinés ne pas-

seront pas 2. »

 

 

 

1. « Opus aliquod potest dîci magnum dupliciter : una

modo ex parte modi agendi, et sic maximum opus est opus

cieationis, in quo ex nihilo fit aliquid ; alio modo potest

dici opus magnum propter magnitudinem ejus quod fit,

et secundum hoc majus opus est justificatio impii, quae

terminatur ad bonum aeternum dîvinae participationis,

quam creatio cœli et terrae, quae terminatur ad bonum

naturae mutabilis. » (S. Th., I' II", q. cxin, a. 9.)

 

2. « Prorsus majus hoc esse dixerim (nempeutexinjusto

justus fiât), quam est cœlum et terra, et quaecumque cer-

nuntur in cœlo et in terra. Cœlum enim et terra traiisibit,

praedestinatorum autem... salus et justificatio permanebit. »

(S. Aug , in Joan. tract, lxxu, n. 3.)

 

 

 

I

 

 

 

MAM. SAINT-S8PKIT. — if

 

 

 

74 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

 

 

II

 

 

 

Essayons de pénétrer plus avant dans la con-

naissance de ces magnifiques secrets et de scru-

ter, autant du moins que la chose est possible

ici bas, le mystère de notre déification par la

grâce.

 

Et d'abord, comment s'opère cette déification?

Par quel procédé merveilleux se fait l'inoculation

de la vie de Dieu k la créature raisonnable ? Elle

s'accomplit régulièrement par le baptême et

constitue une génération véritable ayant pour

terme une vraie naissance.

 

C'est cette nouvelle génération dont il est si

-souvent fait mention dans les saintes Lettres,

cette seconde naissance tant célébrée par les

Pères et rappelée pour ainsi dire sans cesse dans

la sainte Liturgie : génération incomparablement

supérieure à la première, puisque, au lieu d'une

vie naturelle et humaine, elle nous transmet une

vie surnaturelle et divine ; naissance admirable

qui fait de chacun de nous « cet homme nouveau

dont parie l'Apôtre, créé selon Dieu dans la jus-

tice et la sainteté véritable * » : génération toute

spirituelle et pourtant véritable, dont le principe

n'est ni la chair, ni le sang, ni la volonté de

l'homme', mais le libre vouloir de Dieu : volun-

 

 

 

I. « Indaite novum hominem, qui secundum Deum crea-

tus est in justitia et sanrtitate veritaiis. » (Ephes., iv, 24,)

 

a. « Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis,

neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. » (Joan..

 

f. t3.)

 

 

 

lA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27S

 

tarie genuit nos verbo veriiatis^; naissance mys-

térieuse qui provient non d'une semence sujette

à corruption, mais d'une semence incorruptible

par la parole de Dieu : Renaii non ex semine cor-

ruptibili, sed mcorruptibili per verbum Dei^; géné-

ration et naissance aussi indispensables pour

vivre de la vie de la grâce que la génération et

la naissance charnelles pour vivre de la vie de la

nature. Car c'est la vérité même qui a dit :

« Quiconque ne renaît de l'eau et de l'Esprit-

Saint ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est

né de l'Esprit est esprit s. » Et le concile de

Trente dit de son côté : « Ce n'est qu'à la condi-

tion de renaître en Jésus-Christ que Ton peut

être justifié, puisque cette seconde naissance est

le fruit delà grâce qui justifie'. »

 

Mais quelle est au fond la nature de cet élément

divin et régénérateur que le baptême dépose

dans nos âmes et qui fait de nous des êtres déi-

formes? En quoi consiste ce principe radical de

vie surnaturelle qu'un sacrement nous commu-

nique et que d'autres signes sacrés sont destinés

 

 

 

1. Jac, I, i8.

 

2. I Petr., I, 23.

 

3. « Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu sancto, non

potest introire in regnum Dei. Quod natum est ex carne,

caro est, et quod natum est ex Spiritu, spiritas est. » (Joan.,

m, 5-6.)

 

4. « Nisi in Christo renascerentur (homines), nunquam

justificarentur ; cum ea renascentia per meritum passionis

ejus gratia, qua ^usti fiunt, iUi&tribuatur. » (Trtd., sess- vi,

c. 3.)

 

 

 

^76 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

à entretenir, à développer et à ressusciter si

nous avons le malheur de le perdre? Et puisque

ce don précieux, cause formelle de notre justi-

fication et de notre déification, n'est autre que la

grâce sanctifiante, qu'est-ce que la grâce qui

nous sanctifie?

 

Notre -Seigneur et Rédempteur Jésus -Christ

daigna s'en expliquer lui-même un jour en faveur

d'une pécheresse qu'il voulait convertir. Nous

avons nommé la Samaritaine. Seulement, au lieu

d'une définition savante, qui serait restée forcé-

ment incomprise, le bon Maître profita de la

circonstance où se trouvait cette femme, qui

venait faire sa provision d'eau matérielle au puits

de Jacob, pour lui parler de la grâce sous l'em-

blème d'une eau mystérieuse, possédant d'admi-

rables propriétés. Il commença par lui demander

a boire, car, dit le texte sacré, il était fatigué de

la marche et c'était l'heure où la chaleur du jour

est plus accablante; puis, voyant cette femme

étonnée d'une pareille demande, parce que les

Juifs n'avaient pas de rapports avec les Samari-

tains, il ajouta : « Si vous connaissiez le don de

Dieu ! Si scires donum Dei ! Si vous connaissiez

le don de Dieu, et si vous saviez qui est celui

pui vous demande à boire, qeut-être l'auriez-vous

prié vous-même, et il vous aurait donné une eau

vive^. »

 

Donum Dei, le don de Dieu. Voilà bien, en

en'et, la vraie notion de la grâce. C'est un don.

 

 

 

1. « Si scires donum Dei, et quis est qui dicit jtibi : Da

mihi bibere, tu forsitan petisses ab eo, et dedisset tibi aquam

\i\ain. » (Joan., n, 10.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 277

 

par conséquent quelque chose de gratuit, quel-

que chose qui nous est accordé sans aucun droit

ni mérite de notre part. Il est vrai que tout ce

que nous avons, tout ce que nous sommes,

notre corps, notre âme, nos facultés, nos actes,

nos biens extérieurs, tout, en un mot, nous

vient de Dieu et peut être appelé un don de sa

libéralité, suivant la parole de l'Apôtre : or Qu'a-

vez- vous que vous n'ayez reçu? Quid hahes quod

non accepisti^? » Mais si toute chose, toute perfec-

tion est, dans un sens vrai, un don de Dieu, ce

n'est pas le don de Dieu. Le don de Dieu par

excellence, celui devant lequel tous les autres

s'effacent, c'est la grâce. La grâce, en effet, est

le plus précieux, le plus magnifique, le plus

nécessaire, le plus gratuit de tous les dons.

 

Mais pourquoi la grâce est-elle comparée à

l'eau? Parce qu'elle produit spirituellement tous

les effets de l'élément liquide dans l'ordre maté-

riel. L'eau purifie, rafraîchit, désaltère et féconde.

Elle purifie ce qui est souillé, et lui rend sa

netteté, son lustre, sa beauté première : symbole

de la purification intime opérée par la grâce,

qui non seulement fait disparaître les souillures

produites par le péché et rend à l'âme son éclat

naturel, mais ajoute encore à sa beauté native

un charme incomparable, qui ravit le cœur de

Dieu et lui arrache ces paroles : « Vous êtes

toute belle, ô ma bien-aimée, il n'y a point de

tache en vous ". »

 

 

 

I. I Cor., IV, 7.

 

a. « Tota pulchra es, arnica mea, et macula non est in

te. » (Gant., iv, 7.)

 

 

 

278 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

L'eau tempère la chaleur, elle rafraîchit Tat-

mosphère qu'un soleil brûlant avait convertie en

fournaise, elle soulage nos membres fatigués :

symbole de la grâce, cette rosée céleste qui

amortit l'ardeur des passions et diminue peu à

peu, sans toutefois parvenir à l'éteindre complè-

tement ici-bas, la fièvre de la concupiscence.

 

L'eau désaltère et calme la soif • image de la

grâce, qui étanche la soif inextinguible du cœur

humain. Créé pour le bonheur, l'homme y tend

sans cesse avec une avidité insatiable, et il n'est

rien qu'il ne mctle en œuvre pour y parvenir.

Mais trop souvent, hélas ! il cherche le bonheur

dans les biens terrestres et périssables, dans les

jouissances sensibles, qui ne font qu'irriter sa

soif, au lieu de lapaiser. C'est ce que Notre-

Seigneur voulait donner à entendre à la Samari-

taine quand, lui montrant Teau matérielle, figure

des biens fugitifs de ce monde, il lui disait :

(( Quiconque boit de cette eau aura encore soif;

mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai

n'aura plus jamais soif*. »

 

Mais que signifie cette expression d'eau vive,

aqaam vivam*, employée par le Sauveur pour

désigner la grâce?

 

On donne ordinairement, dit saint Augustin,

le nom d'eau vive, par opposition à l'eau sta-

gnante des citernes ou des marais, à celle qui

 

 

 

1. « Omnis qui bibit ex aqua hac, sitiet iterum : qui

autem biberit ex aqua quam ego dabo ei. non sitiet in aeter-

nuni. M (Joan.. iv, i3.)

 

2. Joan., IV, 10.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 279

 

jaillit de terre, qui coule, qui se meut, tout

en demeurant en communication avec sa source,

et qui offre ainsi l'apparence de la vie. Si cette

eau, quoique provenant d'une fontaine, est

recueillie dans un réservoir, si son cours est

interrompu, si elle est séparée de sa source, elle

ne peut plus porter le nom d'eau vive'. Or,

quelle est la source de la grâce, sinon l'Esprit-

Saint? Si donc elle est appelée une eau vive,

c'est, suivant la réflexion de saint Thomas, parce

qu'elle ne se sépare pas de son principe, c'est-à-

dire <ie l'Esprit-Saint, qui habite dans le cœur

des vrais fidèles 2.

 

Une dernière propriété de l'eau, que nous ne

pouvons passer sous silence, c'est sa merveil-

leuse fécondité. Où l'eau abonde, la terre se

couvre d'un riche manteau de verdure, les ger-

mes se développent, les fleurs éclosent comme

par enchantement, les fruits se multiplient, les

récoltes se succèdent nombreuses et variées ; là

où elle est absente, tout se dessèche, tout lan-

guit, tout meurt; c'est le désert avec ses sables

arides, avec sa triste monotonie. Elément indis-

 

 

 

I. « Viva aqua dicitur vulgo illa quae de fonte exit. Illa

enîm quae colligitur de pluvia in lacunas ant cisternas, aqua

viva non dicitur. Et si de fonte manaverit, et inloco aliquo

collecta steterit, nec ad se illud unde manabat admiserifc,

sed interrupto meatu, tanquam a fontis tramite sépara ta

fuerit; non dicitur aqua viva : sed illa aqua viva dicitur,

quae manans excipitur. » (S. Aug., In Joan., tract, xv, n. 12.)

 

a. « Hujusmodi autem flumina (de quibus mentio fît in

Joanne vu, 38) sunt aquae vivae, quia sunt continuatae suo

priikcipio, scilicet Spiritui saacto InbabitaatL » (S. Th., Iti

Joan.^ VII, lect. 5.)

 

 

 

28o NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

pensable de toute vie physique, l'eau est une

admirable figure de la grâce, avec laquelle notre

âme produit une riche moisson de vertus et de

mérites, mais sans laquelle la vertu laissée à ses

seules ressources est radicalement incapable de

produire aucun fruit de salut, et demeure à

jamais stérile pour le ciel.

 

Ce n'est pas que la nature même déchue ne

puisse, par ses propres forces, produire quelque

bien de l'ordre naturel ; mais ces actions humai-

nes, ces vertus d'un ordre inférieur, semblables

aux eaux de la vallée, n'ont pas en elles-mêmes

la puissance de s'élever jusqu'au ciel. Seules les

œuvres et les vertus chrétiennes, qui procèdent

de la grâce et reçoivent leur impulsion de

l'Esprit-Saint, peuvent porter l'âme jusqu'aux

hauteurs de la céleste Jérusalem; descendues des

montagnes éternelles, elles remontent comme

d'elles-mêmes à leur point de départ. Voilà

pourquoi Notre-Seigneur disait en parlant de la

grâce : « L'eau que je donnerai deviendra dans

celui qui la recevra une fontaine d'eau vive

rejaillissant jusque dans l'éternité'. »

 

« Que j'aime, disait sainte Thérèse, cet endroit

de l'Evangile ! dès ma plus tendre enfance, sans

comprendre comme maintenant le prix de ce que

je demandais, je suppliais très souvent le divin

Maître de me donner de cette eau admirable ; et

partout où j'étais, j'avais toujours un tableau qui

me représentait ce mystère, avec ces paroles

 

 

 

I. « Aqua, quam ego dabo ei, flet in eo fonsaquae salien-

tis in vitam aeternam. » (Joan., nr, i4.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 28 1

 

écrites au bas : Domine, da inihi hanc aquam :

Seigneur, donnez-moi de cette eau^. »

 

Purifier, rafraîchir, désaltérer, c'est le propre

de la grâce médicinale : grattas iiaturam sanantis'^,

comme l'appelle saint Thomas ; élever nos facul-

tés et nos actes au-dessus des exigences et des

forces de la nature, rendre nos œuvres méritoires

de la vie éternelle, devenir en nous le principe

d'une vie supérieure et divine, est le fruit de la

grâce proprement surnaturelle, gratiœ elevantis.

 

Dans l'état de justice originelle, la grâce

n'avait pas à produire la première sorte d'effets,

car la purification suppose la souillure, le besoin

de rafraîchissement est l'indice d'un excès de

chaleur, et la soif, quand elle est ardente, est

une souffrance qui peut devenir très vive. Or,

dans l'état d'innocence, il n'y avait ni souillure,

ni désordre, ni peine. La grâce n'avait donc pas

alors à guérir une nature qui n'était point

malade, à rétablir un équilibre qui n'avait pas

été rompu, à réparer des ruines qui n'existaient

pas encore; son rôle dans cet ordre de choses

se bornait à prévenir. Mais, après la chute, la

grâce est d'abord un remède destiné à guérir nos

blessures, un bain salutaire où nous devons

nous plonger pour nous purifier, un tonique

puissant dont la vertu doit rendre à notre âme

les forces morales que le péché lui avait enlevées.

Dans les deux états, l'état présent de déchéance

comme dans celui d'innocence, la grâce sancti-

 

 

 

1. vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, ch. xxx.

 

2. S. Th.^ I' II", q. cix, a. 3. — Cf. etiam, aa. a et 9.

 

 

 

282 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

fiante est la \Taie forme de la sainteté, la cause de

lîotre déification, le principe de la vie surnatu-

relle et divine, bref, elle est celte source d'eau

vive qui rejaillit jusque dans l'éternité : fons aquae

salientis in vitam œtemam^.

 

 

 

III

 

 

 

Expliquer la nature de la grâce par ses effets

est le procédé, sinon le plus profond, du moins

le plus populaire, disons, le seul vraiment popu-

laire, parce qu'il est à la portée de toutes les

intelligences; voilà pourquoi Notre-Seigneur y

eut recours dans la circonstance que nous

venons de rappeler. ?>ui pourtant ne trouvera

mauvais que des chrétiens d'élite, des hommes

instiniits, des théologiens, cherchent à pénétrer

plus avant dans l'intime des choses. A ceux qui,

mus non par une vaine curiosité, mais par le

désir louable de mieux connaître les bienfaits de

Dieu, nous demanderaient ce quest, en elle-

même, la grâce sanctifiante, nous répondrons^

avec l'Ecole, que c'est un don surnaturel et per-

manent, inhérent à notre âme, une participation

de la nature et de la vie divine, qui fait de

l'homme un juste et un enfant de Dieu.

 

C'est un don surnaturel, c'est-à-dire tellement en

dehors et au-dessus des exigences et des aspirations

de la nature, qu'il ne saurait appartenir à aucun

 

 

 

I. Joan., IV, i4.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 283

 

être créé ni comme constitutif ou portion inté-

grante de son essence, ni comme développement

normal de ses facultés, et ne lui est dû à aucun

titre '. La grâce est donc quelque chose d'essen-

tiellement gratuit, un surcroît divin par lequel

la nature se trouve non seulement fortifiée et

perfectionnée dans sa propre sphère, mais encore

agrandie et élevée à une sphère supérieure.

 

De plus, c'est un don permanent. A l'inverse

de la grâce actuelle, qui est un secours qui passe,

une illumination de l'intelligence, une impulsion

donnée à la volonté, bref, une motîori transi-

toire destinée à nous faire produire un acte supé-

rieur aux forces de la nature, la grâce propre-

ment dite ou sanctifiante est un don stable et

permanent, qui, reçu dans l'essence même de

rame, devient en elle comme une seconde nature

d'un ordre transcendant, un principe dévie sur-

naturelle, la racine fixe d'actes méritoires. Il ne

convenait pas, en effet, comme l'observe l'angé-

lique Docteur, que nous fussions moins bien

pourvus dans l'ordre de la grâce que dans celui

de la nature, qu'il y eût ici un principe stable d'o-

pération, des formes, des puissances toujours pré-

sentes et pretes pour l'action, tandis que là tout

 

 

 

I. <( I>onum gratige excedit omnem facultatem naturae

creatœ, cum nihil aliud sit quam quœdam participatio

naturae divinge, quae excedit omnem aliam naturain. »

(S. Th., I' II", q. cxii, a. i.) — Hinc prop. 21 damnata in

Baio : « Humanae naturae sublimatio et exaltatio in con-

sortium divinae naturae débita fuit integritati primée con-

ditionis, et proinde naturalis dicenda est, et non supernatu-

ralis. »

 

 

 

284 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

se bornerait à un secours actuel élevant nos

facultés et les appliquant à une action détermi-

née pour disparaître avec elle ^

 

Mais, bien que la grâce joue dans l'ordre sur-

naturel le rôle de l'âme dans celui de la nature,

bien qu'elle soit un principe de vie, une semence

divine', suivant l'expression de saint Jean,

laquelle demeure en nous pour nous préserver

du péché et nous faire porter des fruits de sanc-

tification et de salut ; ce serait se tromper que

de la considérer comme un être subsistant en

lui-même, une sorte de substance ou du moins

d'élément substantiel que Dieu surajouterait à

notre âme, car, suivant la remarque de saint

Thomas, la substance d'un être se confond avec

sa nature 3. Or, la grâce est quelque chose d'es-

 

 

 

1. « Non est conveniens quod Deus minus provideat his

quos diligit ad supernaturale bonum habendum, quam

creaturis quas diligit ad bonum naturale habendum. Crea-

turis autem naturalibus sic prosidet, ut non solum moveat

eas ad actus naturales, sed etiam largiatur eis formas et vir-

tutes quasdam, quae sunt principia actuum, ut secundum

seipsasinclinentur ad hujusmodi motus; et sic motus qui-

bus a Deo moventur, fiunt creaturis connaturaleset faciles,

secundum illud Sap., viii, i : Et disponit omnia suaviter.

Multo igitur magis illis quos movet ad consequendum

bonum supernaturale œternum, infundit aliquas formas,

seu qualitates supernaturales, secundum quas suaviter et

prompte ab ipso moveantur ad bonum œternum conse-

quendum; et sic donum gratiae qualitas quaedam est. »

(S. Th., I» II", q. ex, a. 2.)

 

2. I Joan., III, 9.

 

3. « Omnis substantia vel est ipsa natura rei, cujus est

substantia, vel est pars naturae; secundum quem modum,

materia vel forma substantia dicitur. » (S. Th., l'II", q. ex,

a. 2, ad a.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 285

 

sentiellement supérieur non seulement à la

nature humaine, mais à toute nature créée et

créable. Elle ne saurait donc être ni une subs-

tance ni une forme substantielle i.

 

Reste qu'elle soit un accident surnaturel, une

forme non subsistante 2, une qualité d'ordre

divin inhérente à notre âme, suivant la notion

que nous en donne le Catéchisme du Concile de

Trente, une sorte de lumière, de splendeur,

comme un reflet de la beauté de Dieu tombant

sur les âmes et les rendant toutes belles et toutes

resplendissantes^. De là cette parole de saint

Thomas : « Ce qui est en Dieu substantiellement

existe sous forme d'accident dans l'âme qui par-

ticipe à la bonté divine : Id qaod subslanlialiter

est in Deo, accidentaliter fit in anima participante

divinam boniiatem" . » C'était exprimer en d'autres

termes ce qu'avait déjà dit le chef du Collège

Apostolique, quand il appelait la grâce une par-

ticipation de la nature divine 5.

 

Mais en quoi consiste cette participation?

Serait-ce, comme le veulent certains théologiens,

une simple participation morale consistant dans

une rectitude de volonté, en vertu de laquelle

 

 

 

I. '(Et quia gratia est supra naturam humanam, non

potest esse quod sit substantia aut forma substantialis; sed

est forma accidentalis ipsius animae. » (Ibid.)

 

3, « Gratia est... forma accidentalis ipsius animae. » (Ibid.).

 

3. « Gratia est qualitas divina in anima inhaerens, veluti

splendor quidam et lux, quae animas pulchriores et splen-

didiores reddit. » {Catech. Rom., part. II. c. n, n. 5o.)

 

4. S. Th., V II", q. ex, a. 3, ad 2.

 

5. « Maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per

haec efiBciamini divin» consortes naturae. » (II Petr., i, 4.)

 

 

 

286 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

l'homme se détourne du mal, accomplit fidèle-

ment les commandements diyins, et mène une

conduite droite, juste et sainte, de même que

Dieu est saint dans toutes ses voies?

 

S'il en était ainsi, notre déification serait pure-

ment nominale, et nous ne serions les enfants de

Dieu que d'une manière métaphorique, comme

on appelle fils d'Abraham ceux qui imitent la

foi de ce patriarche sans cependant descendre

de lui, et fils de Satan, les imitateurs de sa ma-

lice. Aussi d'autres théologiens — et ce sont

tout à la fois les plus nombreux et les plus

recommandables par le savoir et par la vertu, —

considérant d'une part que, loin de surfaire ses

dons et d'employer, quand il en parle, un lan-

gage hyperbolique, à l'instar des hommes qui

exaltent en termes magnifiques des présents sou-

vent chétifs, Dieu reste toujours au-dessous de

la réalité; et se rappelant, d'autre part, les

témoignages si formels par lesquels l'Esprit-

Saint déclare, ici, par la bouche de saint Pierre,

que la grâce est un don très grand et très pré-

cieux, maxima et pretiosa nobis promissa, qui nous

rend participants de la nature divine, ut per hœc

efficiamini divinœ consories nalarœ^ \ là, par l'or-

gane de saint Jean, que nous sommes les enfants

5e Dieu, non pas seulement de nom, mais en

réalité : fili'i Del nominamur et sumas\ éXaid nés

de lui : ex Deo naii surd'^, croient à une comniu-

 

 

 

I. II Petr.,i, 4.

7. I Joan., III, I

,H. Joan., I, i3.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 287

 

nication réelle, physique, formelle de la nature

divine ; non pas sans doute à une communica-

tion semblable à celle par laquelle Dieu le Père

transmet à son Fils unique sa propre substance,

mais à une communication analogique de la

nature divine par une certaine participation de

ressemblance, qui consiste dans un don créé,

distinct de cette nalîire, dont il est cependant la

vivante imagée

 

Telle est également la doctrine des Pères, o 11

est faux, dit saint Cyrille d'Alexandrie, que nous

ne puissions être un avec Dieu sinon par un

accord de volonté. Car, au-dessus de cette union,

il en est une autre plus sublime et de beaucoup

supérieure, qui s'opère par une communication

de la divinité à l'homme, lequel, tout en conser-

vant sa propre nature, est transformé pour ainsi

dire en Dieu ; de même que le fer plongé dans

le feu devient igniforme, et, tout en demeurant

du fer, semble changé en feu. Voilà le mode

d'union à Dieu par la réception en eux et la par-

ticipation de la divinité que Notre-Seigneur

demande pour ses disciples. » — « Par là Dieu

transforme en quelque sorte en lui-même les

âmes humaines, en imprimant, en gravant en

elles une image et une ressemblance de sa subs-

tance'^. »

 

 

 

1 . « Gratia quse est accidens, est qugedam similituda

diviiiitatis participata in homioe. » (S. Th., 111, q. n, a. lo,

ad 1. — Cf. etiam I* II*«, q. cxii, a. i.)

 

2. « Falsum est discipulos non posse esse unum cum Deo,

nisi voluntatis concordia. Nam supra illa, est unitas illorum

cuni Deo per quamdam Deitatis conformitatem, qtia parti-

 

 

 

288 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Cette comparaison du fer incandescent revêtu

des propriétés du feu, celle également du cristal

éclairé par un rayon de soleil et changé soudain

en un foyer lumineux dont on a peine à soute-

nir l'éclat, se retrouvent fréquemment sur les

lèvres des Pères, lorsqu'ils exposent aux fidèles

le mystère de notre déification surnaturelle. Ce

qu'ils se proposent en recourant à ces analogies,

c'est de nous donner à entendre que la grâce

nous rend vraiment déiformes, qu'elle embellit

et transforme les âmes d'une façon non moins

merveilleuse et non moins profonde que ne le

font la lumière et le feu pour les corps sur les-

quels s'exerce leur activité ; mais ils ne préten-

dent point que le mode d'opération soit identique

de part et d'autre. Car il y a un rayonnement

véritable du feu au fer ; le premier communique

au second une partie de sa chaleur et de

son éclat, tandis que Dieu ne communique

rien de lui-même, de sa substance ou de ses

 

 

 

cipatione divinitatis eis communicata, in Deum (utita dixe-

rim) transeunt atque transferunlur, servata suae naturae

veritate : perinde alque ferrum ignitum et candens, per

ignls communionem fit igniforme, videturque, sablata

ferri substantia, omnino esse ignis. Et hujusmodi unione,

petit Domirius no^ter discipulos esse unum in Deo, ut sci-

licet ei inserantur et intime conjungantur, per Deitatis in

se susceptionem atque participationem. » — « Unio cum

Deo non aliter in quoquam esse potest quam per Spiritus

sancti participationem, propriam nobis sanctificationem

inserentis... Idcirco transformans in seipsum quodammodo

hominum animas, divinam eis similitudinem imprimit, et

5upremae omnium substantiae eflîgiem insculpit. » (S. Cyr.

Alex., in Joan., 1. xi.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 289

 

perfections aux créatures, pas plus dans l'ordre

surnaturel que dans celui de la nature.

 

 

 

iV

 

 

 

Mais alors, en quoi consiste donc cette parti-

cipation à la nature divine, ce consoviiam naturae

divinae qui est la grâce?

 

Pour saisir parfaitement cette réponse, que le

lecteur A^euille bien se reporter par la pensée

à ce qui a été dit dans un chapitre précédent ^

pour montrer comment tout être créé est une

participation de l'être incréé, toute perfection

créée une participation de la perfection infinie,

non pas une émanation, non pas un écou-

lement d'une réalité existant en Dieu et qui

passerait partiellement au dehors, mais une

reproduction par mode de similitude ou d'image

de ce qui est en Dieu. Puis donc que la grâce

est une entité réelle et physique, et non une

simple dénomination extérieure ou une faveur

extrinsèque de Dieu, comme le prétendaient les

protestants, dont l'assertion a été frappée d'ana-

thème par le concile de Trente, il en résulte

qu'elle est, comme toute autre perfection véri-

table, une participation réelle, disons, pour plus

de clarté, une imitation physique mais finie

d'une perfection qui se trouve en Dieu à l'état

infini.

 

 

 

s. Ch. Il, p. 35. et ss.

 

HAB. 8AINT-MPRIT. — IQ

 

 

 

290 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Elle en est m^me une participation formelle.

Pour bien comprendre le sens de cette expres-

sion, il faut se rappeler la manière dont les

perfections créées existent en Dieu. Comme il

ne peut rien y avoir de bon dans un effet qui ne

se retrouve dans sa cause, et que Dieu est la

cause efficiente universelle de tout ce qui existe,

il est manifeste que les perfections des :oréatures

doivent toutes préexister en lui. Mais toutes ne

s'y trouvent pas de la même façon.

 

11 est, €n effet, certaines perfactions dont le

concept n'implique aucun défaut : telle la science,

qui est une connaissance des choses par ;le«rs

causes ; la justice, qui rend à chacun ce qui lui

est dû, etc., etc. ; il en est d'^autres, au contraire^

comme la vie organique, la faculté de raison-

ner, etc., qui sont essen-tiellement mêlées d'im-

perfection :; iîar, si c'est chose excellente de pos-

séder en soi le principe de ses mouvements^ en

revanche, dépendre nécessairement de la malière

daas l'exercice de son activité est uae grjive

défectuosité; de même, si c'est le privilège fort

appréciable de l'être raisonnahle de pouvoir

atteindre la vérité,, par contre, m'y arriver que

par de longs circuits^ à l'aide de déductions

pénibles et multipliées, est Uin signe d'imperfec-

tion. Aussi l'ange, plus parfait que nous, ne

raisonne pas ; il voit, il lit dans le principe tou-

tes les conclusions qui y sont contenues. Ainsi

en est-il, à plus forte raison, de Dieu.

 

Les perfections de cette seconde catégorie,

appelées mixtes par les philosophes, ne sauraient

exister formellement en Dieu, c'est-à-dire suivant

leur raison spécilique, mais seulement d'une

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVIKD 2^1

 

façon plus éminente. Ains-i la raison n'existe pas

en Dieu comme, faculté; discursive, elle ne s'y ren-

contre qui^à l'état plus parfait de pure intelli-

gence.

 

Quant aux perfections proprement et stricte-

ment dites, rien ne s'oippose à ce qu'elles soient

formellement en Dieu. Or, la grâce est de ce

nombre, car elle n'implique aucune imperfec-

tion : nullanv in sui ratione imper f ce tionem impor-

tât^. Donc la grâce est une participation d'une

perfection qui se trouve formellement en Dieu ;

non pas de quelqu'une de ces perfections qui

peuvent être naturellement communiquées aux

créatures, comme l'être, la vie, Tintelligence,

mais d'une perfection surnaturelle et propre à

Dieu en tant qu'élevé au dessus, de toute créa-

ture existante ou possible; nan pas même d*une

perfection surnaturelle quelconque, par exemple

de la connaissance que Dieu a de lui-même et

de l'amour qu'il se porte — c'es;t le propre de

la; foi et de la charité, — - mais mne participatiîon,

une iîîiitati'oe de cette perfection primtordiale

et foncière qui, suivant notre manière de con-

cevoir, est la racipe, la source, le principe

des opérations et des attributs divins; bref, elle

est une participation formelle de la nature divine

elle-même*.

 

 

 

1. S. Th., I'' U", q. CXI, a. a, ad 3.,

 

2. « Sicut per potentiam intellecUvam îiomo participât

cognltionem. diviaana per virtutem fidei^ et secundum

potentiam voluntatis amorem divinum per virtutem ehari-

tatis ; ita etiam per naturam animae participât secmndum

 

 

 

2g 2 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Et il faut bien qu'il en soit ainsi; car, dit

saint Thomas en s'appuyant sur l'autorité de

saint Denys, si, pour être en état de produire

des opérations spirituelles , il est nécessaire

d'avoir une nature spirituelle ; et, à parler uni-

versellement, si l'on ne peut exercer les opéra-

tions d'une nature sans participer à cette

nature, comment agir divinement sinon à la

condition de posséder, au moins par participa-

tion, la nature divine'? Or, la grâce a précisé-

ment pour effet d'élever notre âme à un être

divin qui la rend apte aux opérations propres à

Dieu- : opérations qui consistent à se connaître,

à se voir tel qu'il est en lui-même, à s'aimer

d'un amour béatifique.

 

Si donc Dieu veut, dans sa bonté infinie, nous

mettre en état d'exercer d'une manière con natu-

relle de semblables opérations, s'il veut que nous

puissions un .jour le voir, l'aimer, comme il se

voit et s'aime lui-même, le posséder, jouir de lui,

et trouver dans cette possession et cette jouis-

sance notre suprême félicité, il faut qu'il nous

communique une participation de sa propre

 

 

 

quamdam similitudinem naturam divinam per quamdam

regenerationem, sive recreationem. » (S. Th., I' II", q. ex,

 

a. 4.)

 

I. « Non polest aliquis habere spiritualem operationem,

nisi prius esse spirituale accipiat ; sicut nec operationem ali-

cujus naturae nisi prius habeat esse in nalura illa. » (S. Th.,

De Verit., q. xxvii, a. 2.)

 

3. « Ipsam essentiam animas in quoddam divinum esse

elevans, ut idonea sit ad divinas operationes. » (S. Th.,

Sent., 1. II, dist. xxvi, q. i, a. 5.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 298

 

nature. De là ces paroles de saint Cyrille : « Puis-

que nous avons une même opération avec Dieu,

c'est une nécessité que nous participions à sa

nature : Eamdem opcrationem connaturaliter ha-

bentes, necesse est ejusdrm esse naturœK »

 

Voilà ce qu'est en elle-même la grâce qui nous

sanctifie, une participation réelle, physique, for-

melle, de la nature de Dieu ; c'est sa vie intime

gratuitement communiquée aux créatures raison-

nables ; c'est le commencement, l'ébauche, l'au-

rore de la vie éternelle : quœdam inchoatio gloriœ

in nobisK En parlant de la sorte, saint Thomas

n'était que l'écho du grand Apôtre, qai avait dit

depuis longtemps : « La grâce de Dieu, c'est la

vie éternelle, ici-bas dans son germe, là-haut

dans son plein épanouissement : Gratia Dei vita

œierna^. »

 

Ce germe peut sembler petit, cette ébauche

imparfaite, cette aurore bien peu lumineuse;

cependant, c'est la vérité que la grâce de la voie

contient virtuellement tout le bonheur du ciel,

qu'elle nous communique la substance des biens

que nous espérons, qu'avec elle, en un mot, et

par elle, le ciel est déjà dans nos cœurs. La

gloire, en effet, ne sera pas un état substantiel-

lement différent de celui de la grâce ; il n'en

sera que l'apogée, la consommation, le plein

développement. « Ce sera le chêne au lieu du gland,

la moisson au lieu de la semence, le plein midi

 

 

 

1. S. Cyril. Alex., Thesaur., 1. II, c. n.

 

2. S. Th., Il- II*% q. XXIV, a. 3, ad 2.

 

3. Rom., VI, 23.

 

 

 

5 9.4 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACB

 

au lieu de? L'auhei- » ; mai5, dès cette' vie;, l'œuvre

de notre déification est commencée, et nous pos-

sédons avec l'Esprit-Saint les arrhes de notre

béatitude.

 

Ah ! si nous savions le don de Dieu ! si nous

comprenions le prix de la grâce! avec quelles

ardentes supplications nous redirions, nous

aussi, la parole de la Samaritaine : « Seigneur,

donnez-moi de cette eau! Dontine, da miki kanc

aqaam * / » Et parce que nous portons ce trésor

dans des vases Iragiles' et, qu'il suffît d'un faux

pas pour tout compromettre, avec quelle sollici-

tude nous éviterions tout ce qui pourrait nous

exposer à le perdre ! Avec quel empressement

nous nous hâterions de le recouvrer après l'avoir

perdu ! Comme nous nous efîorcerions de l'aug-

menter par nos mérites ! Comme elle nous pa-

raîtrait simple, évidente, lumineuse, la parole de

l'angélique Docteur affirmant que le plus petit

atome de grâce vaut plus que l'univers entier '^ 1

 

 

 

Et pourtant nous n avons paas encore dit com-

piètement,. — qui pourrait le faire? — à peine

 

 

 

I. M«f' Gay, Sermons d'Avent.

a. Joan., iv, i5.

 

3. « Habemus thesaurum istum in vasîs fictilibus. » (II

'^or.,iv, 7.)

 

4. « Bonum gratiae unius majusesl qiiatmborium; nalurae

iotius universi. » (S. Th., l' II", q. cxiii, a. 9, ad 2.). i

 

 

 

liA GflACE ET LA. NATURE DITINE »9^5

 

avons-nous effleure ce que l'Apôtre appelle les

insondables ridiesses du Cîirist : investigabiles

divitias Chri»ti^. Cette grâce, qui paraît une fin si

précieuse, n'est qu*un moyen ; ce but n'est qu'un

point de départ. En A^ersanl dans T'âme du chré-

tien ce don merveilleux qui le puTifie, le justifie,

le change en une nouvelle créature, «n un être

déiforme objet des divines complaisances. Dieu

ne fait que le préparer à un don plus sublime

encore, à une déification plus complète.

 

Si grand, en effet, si suréminent que soit en

lui-ïnême le bien de la grâce, il n'est cependant

pas le dernier terme de l'amour divin ici-^bas, ni

la plus haute effusion du cœur de Dîeu ; <ie n'est

qu'une préparation au bien «uprème, un ache-

minement au don par excellence, une disposition

préalable K la commbunication de l'Esprit-Saint

venant en personne dans l'âme juste en compa-

gnie du Père et du Fils, et s'unissant à elle d'une

manière ineffable comme objet de sa connais-

sance et de son amour. Nous mettre en posses-

sion de 'Dieu, ici-bas d'une manière réelle <juoi-

que obscure, en attendant l'heure on nous pour-

rons ^le contempler face à face, voilà >le dernier

fond de la grâce et ce qui en fait en définitive

tout le prix.

 

L'œuvre de notre déification comprend donc

un double élément : l'un créé, servant en quelque

sorte de lien, de trait d'auiion entre Dieu et l'âme,

et disposant celle-ci à la possession des personnes^

 

 

 

I. Ephes., III, «8.

 

 

 

296 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

divines, c'est le rôle de la grâce M l'autre incréé,

constituant comme le couronnement de notre

perfection, le terme de nos aspirations, le bien

dont la jouissance même initiale est déjà un

avant-goût du ciel : et c'est Dieu lui-même se

donnant à nous, s'unissant à nous, venant habi-

ter dans nos cœurs, suivant la parole du divin

Maître : « Si quelqu'un m'aime... mon Père

l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous établi-

rons en lui notre séjour*. »

 

Aussi les théologiens distinguent-ils deux sortes

de participation à la nature divine — duplex na-

turœ divinœ consortium : — l'une, formelle et ana-

logique, par laquelle Dieu nous fait communier

à sa nature par une certaine participation de res-

semblance avec lui, per quamdam similitadinis

paiiicipalionem* \ l'autre, terme et but de la pre-

mière, consistant dans une intime union de nos

âmes avec Dieu. Saint Denys a résumé cet ensei-

gnement dans une formule aussi brève qu'expres-

sive : « Notre déification, dit-il, consiste dans

une assimilation et une union à Dieu aussi par-

faite que possible : Est autem hœc deificatio, ad

Deum, quanta fier i potest, assimilatio et unio^. »

 

Cette union, comparée dans la sainte Écriture

 

 

 

I. « Gratia gratum faciens disponit animam ad habendam

divinam personam. » (S. Th., I, q. xliii, a. 3, ad a.)

a. Joan., xiv, aS.

 

3. « Necesse est quod solus Deus deificet, communicando

consortium divinae naturse per qaamdam similitudinis par-

ticipa tionem, sicut impossibile est quod aliquid igniat nisi

solus ignis. » (S. Th., !• II*^, q. cxii, a. i.)

 

4. S. Dionys., Hierarch. eccles., c. i, n. 3.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 297

 

à celle de l'époux et de l'épouse, est désignée

par les mystiques sous le nom de mariage spiri-

tuel. C'est dire combien elle est étroite, douce et

féconde.

 

Union étroite, intime, profonde, dépassant

inexprimablement celle qui existe entre l'homme

et la femme, car la nature n'est que l'ombre de

la grâce. D'une part, en effet, il n'y a que rap-

prochement des corps ; de l'autre, il y a compé-

nétration de l'âme par Dieu. Et s'il est vrai de

dire des époux humains qu'ils sont deux dans

une même chair, erunt duo in carne una^, l'Apôtre

déclare qu'en adhérant à Dieu par l'amour, l'âme

juste devient un même esprit avec lui : Qui adliœ-

rei Domino, unus spiritus ejjîciiur^.

 

Union pleine de douceur et de suavité. Com-

parée à cette union sainte, l'union matrimoniale

n'est que froideur et amertume. Ici, le contente-

ment est court, le plaisir bas et grossier; là, tout

est grand, élevé, durable : c'est la gloire, c'est la

pureté, c'est la tendresse, ce sont d'ineffables

délices que la langue humaine est incapable

d'exprimer, et le cœur de l'homme trop étroit

pour les contenir.

 

Enfin union féconde, d'où naissent les saintes

pensées, les affections généreuses, les entreprises

hardies, et tout cet ensemble d'œuvres parfaites

désignées sous le nom de béatitudes et de fruits du

Saint-Esprit.

 

Commencée sur la terre, cette union bénie ne

 

 

 

I. Gen.. II, 24.

a. I Cor., VI. 17.

 

 

 

298 NOTRE JUSTIFICA.TIQN PAR h\ CUBAGE

 

ge consommera qu'au ciel. Déjà san-s doute, sui-

vant la parole de l'Apôtre, l'âme sainte est fiancée

au Christ' ; déjà elle est l'épouse de T Esprit-Saint,

qui lui a donné la foi comme un anneau sym-

bole de leur alliance 2, l'a revêtue de la grâce et

de la charité comme d'une robe brochée d'or 3,

l'a ornée de ses dons et des vertus infuses en

guise de pierres précieuses *, et s'es4i donné lui-

même, quoique d'une manière obscure, comme

gage de l'éternelle félicité. Reste maintenant que

l'Epoux divin achève son œuvre et concède à son

épouse cette dot ineffablement riche qui s'appelle

la vision, la compréhension, la fruition : la vision

qui doit succéder à la foi, la compréhension qui

lui fera saisir ce bien souverain qu'elle poursui-

vait ici-bas avec de si ardents désirs, la fruition

enfin qui consommera sa béatitude^.

 

Alors prendra fin ce travail de transforiïiatioin

surnaturelle qui constitue comme la trame de la

vie du chrétien en ce monde, l'assimilation divine

étant désormais parfaite. Déifiée dans son essence

par la grâce, dans son intelligence par la lumière

de gloire, dans sa volonté par la charité con-

sommée, l'âme contemplera sans voiles, et pos-

sédera daus la plénitude de la joie Celui qui est

la vérité subsistante et le bien souverain. C'est

 

 

 

1. « Despondi vos uni viro virginem casCam exhibera

Christo. » «'Il Cor., xi, 2.)

 

2. « Ann.ilo suo subarrhavit me. » (Ex ofïîc. S. Agnetis.)

 

3. « Induit me Dominas cyrlade auro conlexta. > (Ibid.)

 

4. « Circumdedit me vernoiitibus et coriiscantibus gem-

«nis. » (Ibid.)

 

5. S. Th., I, q. x«, a. 7, ad i. — Supplem., q. xcv, a. 6.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIYINE 299

 

au moment où Dieu nous apparaîtra ainsi dans

tout l'éclat de sa gloire que nous lui serons plei-

nement semblables, parce que nous le verrons

tel qu'il est : Sciinus quoniam, cum apparuerit,

similes ei erimus : quoniam videbimus eum sicuti

est^. Nous vivrons de sa vie, nous partagerons

.sa béatitude^ car la vie de Dieu consiste à se

«connaître et à s'aimer, sa béatitude à jouir de lui-

même. Alors sera réalisé le souhait que formait

l'Apôtre, quand il écrivait aux Ephésiens : « Je

fléchis les genoux devant le Père de Notre-Sei-

gneur Jésus-Christ... afin que vous soyez remplis

de toute la plénitude de Dieu : Ut impleamini in

omnem plenitudinem Dei^. »

 

 

 

1. IJoan., in, 2.

a. Ephes., m, M9.

 

 

 

CHAPITRE m

 

 

 

Notre filiation divine adoptive. — Analo-

gies et dissemblances entre l'adoption

divine et les adoptions humaines. —

Incomparable grandeur et dignité du

chrétien.

 

 

 

Devenus par la grâce sanctifiante participants

de la nature divine, divinœ consortes naturœ^,

nous sommes, par le fait même, élevés à la di-

gnité incomparable de fils adoptifs de Dieu avec

droit à l'héritage paternel *. Cette vérité, que

tout chrétien devrait avoir sans cesse devant les

yeux et qu'il ne saurait trop approfondir, parce

que là sont nos titres de noblesse dans le présent,

et nos gages de félicité pour l'avenir, se trouve

consignée à toutes les pages du Nouveau Testa-

ment. « C'est pour nous racheter de la servitude

 

 

 

I. II Petr., I. 4.

 

a. « Per gratiam homo consors factus naturae divinae

adoptatur in filium Dei, cui debetur haereditas ex ipso jure

cdoptionis, secundum illud (Rom., vui, 17) : Si filii et hœ-

redes. » (S. Th., I' II", q. cxiv, a. 3.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 3oi

 

delà loi, dit l'Apôtre, et pour nous communiquer

l'adoption des enfants, que Dieu a envoyé son

Fils, né de la femme sous le règne de la loi'. »

— (( Et parce que nous sommes ses enfanîs, il a

envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils pour

nous inspirer des sentiments de filiale confiance

envers le Père céleste*. » Aussi « ce divin Esprit

rend-il lui-même témoignage à notre esprit que

nous sommes enfants de Dieu s. »

 

Pour bien nous convaincre qu'il ne s'agit point

ici d'une simple dénomination extérieure, d'un

titre purement honorifique, mais d'une filiation

très réelle, qui est une participation à la filiation

même du Christ, l'apôtre saint Jean n'hésite pas

à dire : « Voyez quel amour le Père nous a témoi-

gné en nous accordant non seulement le titre,

mais encore la qualité véritable d'enfants de

Dieu : Videte qaalem caritatem dédit nobis Pater,

ut filii Dei nominemur et simus^. » Et comme ravi

d'admiration en présence de tant de grandeur :

v< Oui, mes bien-aimés, répète-t-il, nous sommes

dès à présent les enfants de Dieu ; mais ce que

nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous

savons que quand Dieu se montrera, nous serons

semblables à lui, parce que nous le verrons tel

 

 

 

1. « Misit Deus Filium suum, factum ex muliere, factura

sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret, ut adoptionem

filiorum reciperemus. » (Gai., iv, 4-5.)

 

2. « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii

sui in corda vestra clamantem : Abba, Pater. » (Ibid., 6.)

 

3. « Ipse enim Spiritus testimonium reddit spiritui nos-

tro, quod sumus filii Dei. » (Rom., vra, i6.)

 

4- I Joan., m. i.

 

 

 

3o2 NOTRE FlUA.TïO^' DIVIKE AJDOPTIVE

 

qu'il est. Quiconque a cette espérance se sanxîtÉfiev

comme il est saint lui-même i. »

 

Les saints Pères célèbrent à Fenvi ce glorieux

titre d'enfants de Dieu, ils en exaltent les préro-

gatives, ils en redisent avec foi et amour les

précieux avantages. Ecoutez le grand évêque

d'Hippone : << Quelle ne serait pas, dit-il, la joie

d'un étranger, de quelqu'un qui ne connaîtrait

pas ses parents, et qui serait dans la misère, la

peine et les labeurs, si ^n venait lui dire t-out à

coup : Vous êtes fils d'un sénateur, votre pèr^

jouit d'une immense fortune qui vous est desti-

née, et je viens vous ramener à lui. Quels trans-

ports d'allégresse n'éprouverait-il pas s'il pouvait

croire à la réalité de ces promesses? Eh bien,

voici qu'un apôtre de Jésus-Christ, dont la parole

mérite toute créance, est venu nous dire : Pour-

quoi vous désespérer? Pourquoi vous affliger et

vous consumer de chagrin? Pourquoi vous aban-

donner à vos convoitises et croupir dans l'indi-

gence que produisent ces voluptés ? Vous avez un

père, vous avez une patrie, vous avez un patri-

moine. Quel est ce père? Mes bien-aimés, nous

sommes les eafants de Dieu 2. »

 

 

 

I. « Gharissimi, nunc filii Dei sumus, et nondum appa-

ruit quid erimus. Scimusquoniam, cum apparuerit, similes

ei erimus : quoniam videbimus eum sicuti est. Et omnis, qui

habet hanc spem in eo, sanctificat se, sicut et iUe sanctus

e&t. » (Ibid., 8-3.)

 

a. « Quis non ex^ultet, si nescio oui peregrinanti et igno-

rant! genns suum, patienti aliquam <?gestatem, et in

a'.rumna et labore constituto diceretur : Filius senatoris es;

pater tuus amplo patrlmonio gaudet in re vestra ; revoco te

 

 

 

GHANIMBUR EX DIGNITE BU CHR!ÉT1EN 3o5

 

Aux yeux de saimii Léon, tout autre bienfait

s'éclipse devant la grandeur de cette filiation

divine. « Que Dieu, dit-il^ appelfe Thomme son

fils, que l'homme donne à Dieu le nom de Père,

et que cette appellation réciproq^ie soit l'expres-

sion de la réalité, voilà le don qui surpasse tous

les dons'. » 11 faut entendre saint Pierre Ghryso^

lo^ue exposant aux néophytes ïa. suréminente

digjnité da chrétien : « Si grande, dit-il, est

pour nous la bonté divinte, que la créature ne

sait qu'admirer davantage : ou des abaissements

d'un Dieu descendant jusqu'à notre servitude, ou

de la dignité à laquelle il nous élève en nous

faisant part de sa divinité. Notre Père qui êtes aux

deux... homme,, jusqu'où t'a soudain élevé la

giîâee? Où t'a emporté ta céleste nature? Quoique

vivant encore dans la chair et sur la terre, tu ne

connais plus ni la terre ni la chiair, qu^ind tu dis :

Notre Père qui êtes aux ciewc. Que celui-là donc

q^i croit et confesse qu'il est fils d'un tel Père,

mène une vie en rapport avec son origine, con-

forme à celle de son Père; qm'il affiriïïe dans sa

 

 

 

ad patrem tuum. Quali; gauddo exsultaret, si hoc non faîlax

promissor diceret? Venit ergo non lallax apostolus Christi,

et ait : Quid est qiiod de Tobis d^peratis ? quid est quod

vos affligitis, et mœrore conteritis ? quid est quod concupis-

centias vestraa seqiaendjQ, in egestate istarum voîtiptatum

conteri vultis ? Habetis patrem, habetia patrîam, habetife

patrimonium. Quia est iste pater? Dileetisàmi, filii Dei

sumus. » (S. Aug,, Enarrat. in Ps. lxxxiv, n. g.)

 

I. « Omnia dona excedit hoc donum, ut Deus' hominem

vocet. filium, et honao Deum nominet- Patrem. » (S. Léo,

M., serm. VI de Naiiv.)

 

 

 

3o4 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

pensée et dans ses actes ce qu'il a obtenu par son

origine céleste'. »

 

Pour bien mettre en lumière la nature de noire

adoption divine, il ne sera pas hors de propos

de la comparer avec l'adoption humaine et d'en

étudier successivement les analogies et les dis-

semblances.

 

Ici-bas, adopter un enfant, c'est le faire entrer

dans sa famille, c'est lui conférer librement,

gratuitement, le titre et les prérogatives de fils

qui ne lui appartenaient pas en vertu de sa nais-

sance, notamment le droit à l'héritage de soit

père adoptif. On peut inférer de là qu'une triple

condition est requise pour une véritable adop-

tion : il faut tout d'abord que l'adopté soit étran-

ger par son origine à la famille qui l'introduit

dans son sein, et n'en fasse pas naturellement

partie; il faut, en second lieu, que son entrée

dans sa nouvelle famille soit le résultat d'un

choix libre et gratuit ; enfin il est nécessaire

qu'avec le titre de fils, l'adopté reçoive un droit

strict et légal à l'héritage de qui l'adopte.

 

 

 

I. « Et quidem Deitatis erga nos dignatio tanta est ut

scire nequcat quid potissimum mirari debeat creatura :

utrum quod se Deus ad nostram deposuit servitulem, an

quod nos ad divinitatis suae rapuit dignitatem. Pater noster

qui es in cœlis... Qao te, homo, repente provexiigratia? quo

te rapuit cœlestis natura? Ut in carne et in terra positus

adhuc, et carnem jam nescias et terram, dicendo : Pater

noster, qui es in cœlis. Qui ergo se tanti Patris filium crédit

et confitetur, respondcat >1ta generi, moribus Patri, et

mente alque actu asserat quod cœlestem consecutus est

per naturam. » (S. Petr. Ghrysol., serm. lxxii in Orat^

DonJn.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN 3o5

 

Ces diverses conditions sont faciles à établir.

Ainsi, qu'un étranger soit seul susceptible d'adop-

tion, c'est chose manifeste; il y aurait contradic-

tion à adopter son propre fils. Comment, en

effet, dire du fils légitime, du fils par nature,

qu'il a été introduit gratuitement dans une

famille à laquelle il n'appartenait point par sa

naissance, qu'il a reçu par libre choix le nom el

le droit à l'héritage de son père? Mais tout cela

lui revient naturellement, en verlu même de

son origine. Le fils légitime peut, il est vrai,

démériter; il peut être chassé du toit paternel

pour son inconduite et à cause des désordres de

sa vie ; il peut même, dans certaines circons-

tances exceptionnelles, être légitimement déshé-

rite ; mais quand, instruit par le malheur et

repentant, ce nouveau prodigue rentre à la mai-

son paternelle, il reprend sa place au foyer de

la famille et n'est pas adopté. Le lien du sang

est indestructible, et il restera toujours une pro-

fonde différence entre le fils par nature, quels

que soient ses torts, et celui qui n'est entré

dans la famille que par le bon plaisir de son

chef.

 

En outre, l'adoption est essentiellement volon-

taire et gratuite : volontaire tant de la part de

l'adoptant que de l'adopté; gratuite, parce qu'elle

n'est fondée sur aucun droit naturel ou acquis.

C'est un contrat par lequel deux personnes natu-

reHement indépendantes et libres de disposer

l'une de son nom et de sa fortune, l'autre de sa

personne, s'engagent réciproquement : la pre-

mière, à conférer à la seconde tous les droits

d'un fils légitime, et celle-ci, à reconnaître l'au-

 

HAB. lAIMT-BSPMT. — 90

 

 

 

3bb^ IfOTRE PILIA/nON DIVINE ADOPTTVB

 

torité du père adoptif dont elle accepte les libé-

ralités.

 

Une dernière condition de l'adoption, que les

jurisconsultes s'accordent à regarder comme

fondamentale, c'est le droit légal qui en résulte

pour l'adopté de recueillir un jour la. succession

de l'adoptant.

 

 

 

Il

 

 

 

Si donc notre adoption par la grâce n*est pas

un vain mot, elle doit réaliser cette triple condi-

tion qui, provenant de la nature même des choses,

se rencontre nécessairement dans toute adoption

véritable. Qu'il en soit réellement ainsi, c'est ce

qu'il est facile de prouver.

 

En effet, ce sont bien des étrangers que Dieu

introduit dans sa race, quand il daigne accorder

à des êtres raisonnables la grâce sanctifiante, et

leur communiquer par là une participation de sa

nature et de sa vie. Sans doute, « considéré dans

sa nature et quant aux biens de l'ordre naturel',

l'homme n'est pas étranger à Dieu, puisqu'il

tient de lui tout ce qull possède ; mais quant

aux biens de la grâce et de la gloire, il lui est

étranger ; et c'est en cela justemerit qu'il est

adoptée » L'homme de la nature, l'homme priviâ

 

 

 

I. « Homo, in sua natura consîdcratus non est extraneus

a Dec quantum ad bona naturalia quae recepit ; e^t tamen

extraneus quantum ad bona gratite et glorias : et secun»

<iïLDi.hoc adoptatur. w (S. Th.. HI,. q. xxtii^a. d, adi.)

 

 

 

GRAJVDBUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 8^07

 

de la gTâc€ ne saurait donc être considéré comme

étant du nombre de ceux auxquels il a été dit :

* Vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut^ » ;

U ne fait point partie de la famille divine, il n'a

aucun droit à la possession des biens propres à

Dieu ; c'est vraiment un étranger. Les rapports

qui l'unissent à l'auteur de son être, ce sont les

rapports de l'effet à la <;ause„ de l'ouvrage à l'ou-

vrier, et nullement ceux du fils au père, attendu

qa'il existe paj: voie de création et non par voie

de génération, qu'il procède du néant et non du

sein .de Dieu. S'il a, comme tout effet, une cea--

taiiie ressemblance avec sa cause, il ne participe

^dépendant pas à la nature «de son principe ; s'il

a (été fait à l'image de Dieu, il ne vit pas de la

vie -divine ; il n'a, dans ses éléments constitutifs,

rien de vraiment .divin,, ni par esîsence, ni par

paaiicipation.

 

Saes doulie, dans ce sens large et très impro-

p^re, suivant lequel tout ouvrier peut se dire,

d'une certaine façon, le père de son oeuvre. Dieu

peut être appelé notxre Père dans l'ordre naturel

et toutes les créatures, surtout les créatures

intelligeEntes, qui portent d'une manière plus sai-

sissante l'empr-einte de la divinité, peuvent être

dénomnaées les filles de Dieu*; mais, à parler

nigoureu&ement» elks ne le sont point par défaut

 

 

 

1. « Ego dixi : Dii estis, et filii Excelsi omnes. » (Ps. lxxxt,

6.)

 

2. « Numquid non ipae est pater tuu§, qui possedit te,

et fecit, et crea\'it te ? » ('Deut.,, xxxii^ 6. — « Quis est

pluvise pater? vel quis genuitistillastoris? »^0b.,xxjXYiii,.28.)

 

 

 

3o8 NOTRE FILIATION DIVI>E ADOPTIVE

 

de cette similitude de nature qui doit exister entre

le père et les enfants.

 

Aussi la tradition catholique a-t-elle toujours

considéré l'adoption divine comme un appel fait

par Dieu à des êtres qui lui sont étrangers par

nature, et qui, par suite de leur condition native,

sont vis-à-vis de lui des serviteurs, non des

enfants. Voici comment s'en explique saint

Cyrille d'Alexandrie : « Nous qui, par nature,

sommes des créatures produites et de condition

servile, nous obtenons par grâce et au-dessus

des exigences de notre nature la dignité d'enfants

de Dieu : Nos qui natura censemur effecta serva-

qae creatura, iidem supra naturam et per gratiam

nanciscimur prœstantiamJîliorumDei^. » Saint Atha-

nase exprime la même pensée dans les termes

suivants : « Les hommes étant, par leur nature,

des créatures, ne p.^uvent devenir fils de Dieu

qu'en recevant l'Esprit de celui qui est le vrai

Fils de Dieu par nature : Nec alio modo possurd

filii fieri cam ex natura sua sint creati, nisi Spiri-

tum ejus, qui est naturalis et verus Filius, accepe-

rint*. »

 

Le Souverain Pontife Léon XIII n'était donc

que l'écho de la doctrine traditionnelle lorsque,

dans sa belle Encyclique sur le Saint-Esprit, il

disait : « La nature humaine est nécessairement

servante de Dieu : Par nature , nous sommes

les serviteurs de Dieu'. En outre, à cause de la

 

 

 

I. S. Cyr. Alex., In Joan. lib. I.

a. S. Athan., Orat. 2 contra Arian.

3, S. Cyr. Alex., Thesaar., 1. V, c.5.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN SoQ

 

faute commune, notre nature est tombée dans

un tel abîme de vice et de honte que nous étions

devenus les ennemis de Dieu. Nulle puissance

n'était capable de nous arracher à cette ruine et

de nous sauver de la perte éternelle. Cette tâche,

Dieu, créateur de l'homme, l'a accomplie dans

sa souveraine miséricorde par son Fils unique,

grâce auquel nous avons été rétablis avec une

plus grande abondance de dons dans la dignité

et la noblesse que nous avions perdues. Dire

quelle a été cette œuvre accomplie par la grâce

divine dans l'âme humaine est chose impossible ;

aussi les Livres saints et les Pères de l'Église

nous appellent-ils des êtres régénérés, des créa-

tures nouvelles admises à la participation de la

nature divine, des fils de Dieu, des êtres déifiés

et autres titres analogues'. »

 

Ainsi, au moment même où nous recevons la

 

 

 

I. « Natura humana necessario serva est Del : Creaiura

serva est, servi nos Dei samus secundam naturam : quin etiam

ob communem noxam natura nostra omnis in id vitium

dedecusque prolapsa est, ut prœterea infensi Deo extiteri-

mus : Eramas natura filii irœ (Eph., n, 3). Tali nos a ruina

exitioque sempiterno nuUa usquain vis tanta erat quœ pos-

set erigere et vindicare. Id vero Deus, humanœ naturse con-

ditor, summe misericors, praestitit per Unigenitum suum :

cujus beneficio factum, ut homo in gradum nobilitatem-

que, unde exciderat, cum donorum locupletiore ornatu sit

resti tutus. Eloqui nemo potest, quale sit opus istud divinse

gratiae in animis hominum ; qui propterea luculenter tum

in sacris Litteris tum apud Ecclesiae Patres, et regenerati et

creaturae novae et consortes divinae naturœ et filii Dei et

deifici similibusque laudibus appellanlur. » (Fx Epist. En-

cyci. Divinum Uiad munus Léon. Papae XIII.)

 

 

 

3 10 NOTRE FILIATIOTV TJIVINE ADOPTIVE

 

grâce, un dhangement profond s'opère en nous;

de BervT^teurs que nous étions en vertu de notre

création, nous devenons soudain les enfants de

Dieu; de fils du premier Adam, héritiers de sa

nature et de sa faute, nous dcTenons les frères

du second Adam, Jésus-Christ notre béni Sau-

veur, qui ne croit pas déroger en nous donnant

cette glorieuse qualification 1 ; et nous entendons

l'Apôtre nous adresser ces paroles significatives :

u Vous n'êtes plus maintenant des étrangers et

des hôtes, mais vous êtes les concitoyens des

saints et de la maison de Dieu : Jam non estis

hospHcs et advenœ, sed estis cives sanctorum et do-

mesticiDei'^: »

 

^'on content de détruire en nous Le vice de

notre première origine, Dieu nous communique

un nouvel être, une nouvelle vie, une nature

nouvelle-; il nous engendre spirituellement, non

pas sans doute de la même manière, ni au même

titre que le Verbe divin, mais à sa ressemblance.

Lui est consubstantiel au Père, qui lui commu-

nique sa propre nature dans toute sa plénitude;

nous n'avons, nous, qu'une participation îfinie,

une imitation analogique de cette même nature.

Lui est Dieu, nous sommes simplement déifiés.

Sa génération est éternelle et nécessaire.; notre

régénération, qui s'accomplit dans le ieaorips, est

gratuite et volontaire. Volaniarie gênait nos verho

veritatis 3. Bref, le Verbe «st fils par nature ; nous

 

 

 

I. « PiTopter qaam causam -non conïiinditur fralres eos

 

vocare. » ;(iHebr., ii, n.)

u. Ephes.^ u. 19.

3. Jac, I, 18.

 

 

 

GBL\NI>E.UR ET DIGNITE I>U CHRÉTIEN 3lT

 

ne le sommes que par bienveillance et adoption,

ayant été déifiés par la grâce, sans être nés de

la substance divine : Hommes dmii deos, ex gra-

tta sua deificatos, non de subsiantia sua naiosi^.

 

Mais pour n'être que des fils adoplifs, nous

n'en avons pas moins droit à l'héritage de notre

Père céleste. « Si nous sommes enfants, dit saint

Paul, nous sommes également héritiers : héri-

tiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ : Si

autemfilii, et hœredes : hœredes quidem Dei, coJiœ-

redes auiem Ghrisii 2. »

 

Ce droit à l'héritage paternel est ce qu'il y a

de plus essentiel dans l'adoption ; c'en est le but

et la fin, de même que Famoui* en est le prin-

cipe. Aussi, (c dès. là que, par un effet de sa

bonté imfinie,. Dieu appelle les hommes à hériter

de sa propre béaititnde, on dit qu'il les adopte ^ )>.

Grande et sublime vocation, bienfait inappré)-

ciable, qui arrachait à l'Apôtre saint Paul ce cri

de reconnaissance et d'amiOiur : « Béni soit Dieu,

et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui

nous a comblésr en Jésus-Christ de toutes sortes

de hénédicitons spirituelles et célestes, nous-

ayant élus en lui a\^dnt la constitution du

monde, afin que nous fussions saints et imma-

culés devant lui dans la charité. Car, par une fa-

veur toute gratuite, il nous a prédestinés à deve-

 

 

 

lu &. AiUg.^ in Ps. XEEC, rt. a

 

2. Rom., vin, 17.

 

3.. « In qucuattuna Deus ex sua bonitate admittit hornine»

adbeatitudmisbiaeieditatem» dicitup eas adoptare. » (S. Th.„

ni, q. xxni, a. i.)

 

 

 

3l2 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

nir ses fils adoptifs par Jésus-Christ, pour la

gloire et le triomphe de sa grâce, par laquelle il

nous a rendus agréables à ses yeux en son Fils

bien-aimé^. »

 

 

 

III

 

 

 

La grâce réalise donc toutes les conditions

d'une véritable adoption, puisque par elle des

étrangers sont introduits gratuitement dans la

famille de Dieu, dont ils deviennent les héri-

tiers. Mais que cette adoption diffère des adop-

tions humaines ! S'il y a entre elles certaines

analogies, quelques traits de similitude, combien,

par ailleurs, les dissemblances en sont profondes

et accusées!

 

Parmi les hommes, l'adoption n'a lieu que

pour suppléer, dans une certaine mesure, à l'ab-

sence d'enfants légitimes et peupler un foyer que

la nature avait laissé désert. Quand deux époux,

privés du bienfait de la fécondité, craignent de

voir s'éteindre un grand nom et se disperser

 

 

 

I. « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu

Christi, qui benedixit nos in omni benedictionespirituali in

cœlestibus in Christo. Sicut elegit nos in ipso ante mundi

constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in con-

spectu ejus in charitate. Qui praedestinavit nos in adop-

tionem filiorum per Jesum Ghristum in ipsum, secun-

dum propositum voluntatis suae : in laudem gloriae gra-

tifie fcuae, in qua gratificavit nos in dilecto Filio sue. » (Eph.,

1, 3-6.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN 3l3

 

une brillante fortune, ils font choix d'un étran-

ger, ils l'introduisent à titre de fils dans leur de-

meure, et, en lui passant leur nom et leur héri-

tage, ils se consolent dans la pensée qu'ils ne

mourront pas entièrement. Mais si les époux ont

un fils, ils se gardent bien d'amoindrir son

patrimoine en lui donnant des cohéritiers.

« Voilà, dit saint Augustin, ce que font les hom-

mes ; Dieu agit différemment : Hoc faciunt homi-

nés... Non sic Deus^. »

 

Ce n'est point par indigence, à défaut de fils,

que Dieu nous adopte ; c'est uniquement par

amour, dans le dessein de répandre sur, d'autres

êtres l'abondance de ses perfections. En effet, il

possède un Fils égal à lui-même, souveraine-

ment parfait, immortel, héritier de tous ses

biens2; mais, pressé par sa bonté, il veut élargir

le cercle de la famille divine, admettre au par-

tage de ses biens les créatures qui n'y avaient

aucun droit, et leur conférer, en les adoptant,

une sorte de filiation qui est une image de celle

du Verbe, de même que, par l'acte créateur, il

avait communiqué à tous les êtres sortis de ses

 

 

 

I. « Multi homînes cum filîos non habuerînt, peracta

«etate adoptant sibi ; et voluntate faciunt quod natura non

potuerunt : hoc faciunt homines. Si autem aliquis habeat

filium unicum, gaudet ad illum magis ; quia solus omnia

possessurus est, et non habebit qui cum eo dividat haeredi-

tatem, ut pauperibr remaneat. Non sic Deus. » (S. Aug., in

Joan.y tract. 2, n. i3.)

 

a. « Quem constituit haeredem universorum. » (Hebr.,

i.a.)

 

 

 

3l4 NOTRE FILIATION DITINE A-DOPTIVE

 

mains une similitude de sa peffeetion ^ De là ces

paroles de l'Apôtre : « Ceux -que Dieu a connus

dans sa prescience, il les a prédestinés à êtr-e

conformes à l'image de son Fils 2. »

 

11 fallait effectivement que, avant de n-o-us ad.op-

ter, Dieu commençât par nous conférer une par-

ticipation à sa nature en nous engendrant spiri-

tuellement.; car la conformité de nature entre

l'adoptant et l'adopté s'impose si m.aiiifestement

qu'il ne vient pas à l'idée qu'un homme puisse

prendre pour fils une créatur>e autr-e qu'un être

humain. Or, tandis que l'adoption humaine sup-

pose cette co-mmunauté de natuire, l'adoption

divine doit la créer, car la divinité n'appartient

naturellement qu'à Dieu. Aussi, pendant que

l'homme choisit à son gré parmi ses semblables

celui dont il veuît faire son fils adoplif et son hé-

ritier^ Dieu ne peut adopter un être raisonnable

qu'à la condition de le déifier au préalable en

lui faisant part de sa nature.

 

De plus, parmi les hommes, l'étranger que

l'on adopte est apte par lui-mêdffie à recueillir

Théritage qui lui est dévolu ; s'il n'y peut pré-

 

 

 

I. « Hominis est operari ad supplendam suam indigen-

tiam ; non autem Del, cui convenit operari ad communi-

candam suae perfiectioiiis abundaiibiain. Ëit jdeso siciit per

actum creationiB ooannuuiïijcatur boni las divina omnibus

creaturis seciandum quamdain simiMtodinjem, âtaperacturn

adoptionis communicatur srmiMiado naturalisfiliationiB im-

minibus, «ecundum illad (Rom., vifli, 29) : Quos prœscJAjU

conformas fieri imagmis Filii eui. » (S. Tih., lll, iq. kxiil»

a. I, ad 2.)

 

a. (( Quos prtescLvit let praBde9iinav.R comforoies fiteri una-

ginis Filii sui. » (Rom., vin, 29.)

 

 

 

GBANDEUR ET DIGNITE DU CHRÉTIEN 3x5

 

tendre en vertu, de sa naissance,, une simple for-

malité juridique, suffît, pour lui constituer uai

droit et L'envoyer en possession des biens qui lui

ont été légués. II. nen va point ainsi dans

l'adoption divine. Au lieu de se borner à dési-

gner la personne appelée à recueillir l'héritage

céleste, Dieu doit d'abord créer,, dans l'élu de

son choix., l'aptitude, à entrer en possession et à

jouir des biens divins; car nul être créé, laissé

à lui-même et abandonné à ses seules forces,

n'est capable d'atteindre, à de telles hauteurs ;

il y faut l'appoint de la grâce et de la. gloire i.

 

Sans doute,, dès là qu'il a été fait à l'image de

Dieu et qu'il possède une nature intelligente,

l'homme a la puissance radicale di'être- éle^é à la ,

vision béatifîque et à la participation de la béa-

titude divine, qui consiste ii jouir de Dieu'^;

mais, pour obtenir la. jouissance efTective de

cette félicité suprême, il a besoin de forces sur-

naturelles qui perfectionnent, son intelligeu^e et

dilatent son cœur.

 

Comme on le voit, l'adoption humaine est uai

acte purement extérieur, une fiction! légale, qui

 

 

 

I. « Woc autem plus habet adopta tîo divina quam hu-

mama, qjuia Deias hominem' ^em» adeptat, ixloneum fâciV

per gratiae muQus ad) hœreditatein coelesfeem percipfen-

dam; homo auiem non facit idQUÊum eum quem adoptât

sed potins eum jam idoneum eligit adoptando. » (S. Th.,

ni; q. xxHi, a. I.;

 

2t, « Deus est mûniùas' boniitatis : ex qoa contingit quod

ad participatlonem bonorum suorum suas creaturas aJ-

mittit, et praecipue rationales creaturas, quae in quantum

sunt ad imaginera Dei factse, sunt capaces beatitudinis

divinse : quaequidem consistit in fruitione^Dei. » (Ibid.)

 

 

 

Ol6 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

peut bien changer la situation sociale de l'adopté^

lui inspirer des sentiments nouveaux, établir

entre lui et celui qui l'adopte des relations d'in-

timité et d'affection, mais qui ne peut rien sur

la nature. Le père adoptif a livré tout ce qu'il

peut transmettre, quand il a donné son nom,

son héritage et son cœur. « Celui qui prend

désormais le nom n'appartient pas pour cela à la

race. S'il porte un cœur noble et reconnaissant,

il épousera les sentiments, les pensées, les tradi-

tions de sa famille adoptive ; il lui vouera amour

et obéissance ; mais à cette filiation factice et

conventionnelle il manquera toujours le lien

d'origine, le cri du sang. 11 n'en va pas ainsi

dans l'ordre de notre filiation surnaturelle. Le

jour où nous devenons chrétiens, notre initiation

ne nous confère pas seulement le nom, elle ne

nous agrège pas seulement à la maison, elle ne

nous engage pas seulement envers la doctrine

de Jésus-Christ : elle imprime dans notre âme

un sceau de ressemblance, un caractère indélé-

bile ; elle nous communique intérieurement

c( l'esprit d'adoption des enfants dans lequel

nous crions : Père^ » ; enfin, par l'action sacra-

mentelle du baptême et des autres signes, et

mieux encore par la liqueur eucharistique, elle

insinue au plus intime de notre être le sang de

celui en qui nous sommes adoptés. Par là, nous

entrons authentiquement dans sa race : ipsias

enim et gênas sumus'-. El parce que nous sommes

 

 

 

1. Rom., VIII, i5.

 

2. Act., XVII. a8.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 'Ôl'J

 

de la race de Dieu : genus ergo cum simus

Dei\ parce que notre filiation n'est pas pure-

ment nominale, mais rigoureusement vraie et

réelle, nous devenons héritiers de plein droit et

à titre de stricte justice, héritiers du Père com-

mun que nous aAons avec Jésus-Christ, cohéri-

tiers par conséquent de l'aîné de notre race * : Si

filii, et hœredes : hœredes qu'idem Dei, cohœredcs

aiitem Christi^. »

 

 

 

IV

 

 

 

Que sont, à côté de cette qualité d'enfants de

Dieu et de frères de Jésus-Christ, les titres les

plus fastueux dont la vanité humaine aime à se

parer comme d'une auréole? Qu'est-ce qu'un

prince de la terre, un chef d'Etat, un monarque

si puissant qu'on le suppose, à côté d'un héri-

tier de la couronne céleste? C'est ce qu'avait par-

faitement compris notre grand saint Louis ; aussi

préférait-il au nom si justement célèbre de roi de

France l'humble dénomination de Louis de

Poissy, du lieu où il avait reçu le sacrement de

la régénération.

 

Que d'autres se glorifient, s'ils le veulent, de

la noblesse de leur origine, de l'étendue et de la

profondeur de leur savoir, de l'abondance de

 

 

 

1. Ibid., ag.

 

2. Rom., VIII, 17.

 

3. Gard. Pie, 3* Instrud. synod. sur les principales erreurs

du temps présent, S xvi.

 

 

 

3>r8 NOTRE FILIATION DTTINE AI>OPTiyB

 

leurs richesses, de Téclat de leurs honneurs ; aux

yeux de la foi, et par conséquent au jugement de

Dieu, rien de tout cela n'est comparaMe à la di-

gnité d'un chrétien en étjat de grâce. Ce juste

n'est peut-être qu'un pauvre artisan, vivant péni-

blement du travail de ses mains, une humble fem-

me sans influence comme sans notoriété, moins

encore, un mendiant méconnu et méprisé, pos-

séda nt à peine quelques haillons sordides pouT

«ouvrir sa nudité. Mais pendant que les heureux

de la terre passent à ses côtés sans daigner lui

jeter un regard, le ciel entier a les yeux sur lui ;

Dieu le contemple avec amour, prêt à redire de

lui les paroles qu'il laissa tomber un jour de ses

lèvres à la louange du Sauveur Jésus : « Celui-

ci est mon fils bieuraimé, en qui j'ai mis toutes

mes complaisaneeâ^ » ; les anges l'entourent d'un

religieux respect et le couvrent de leur protec-

tion, car ils voient en lui un frère et un cohéri-

tier de la gloire céleste.

 

Yoilà ce qu'il iaut enseig^ier et redire fré-

quemment aux hommes de la génération con-

temporaine ù froidement indiflerents pour les

choses du salut, si ingrats envers Dieu, si dédai-

gneux des biens de la grâce. A ces baptisés fai-

sant si bon marché de leur titre de chrétiëfls,

quand ils ne s'en montrent pas ouvertement

humiliés devant les enfants du siècle, il faut

rappeler l'éclat de leur naissance spirituelle, la

dignité de leur baptême, l'incomparable gran-

 

 

 

I. « Hic est Filiusrmeus dilectus, in qtw mibi bene com-

placui. n (Matth., xvii, 5.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN Sl^

 

deur de leurs destinées; il £aut leur apprendre à

ne i>as rougir de ce qui fait leur gloire. Est-^ce

qu'un fils de famille, un jeune homme de noble

extraction, rougit du nom de ses ancêtres? Est-ce

qu'il cache ou dissimule son blason? Il fait, au

contraire, sonner l'un bien haut, et s'ingénie à

mettre l'autre en évidence. Eh bien, nous tous.

qui avons été baptiser, nous sommios de la

plus grande race du inonde, nous sommes de

race divine, nous sommes enfants de Dieu.

 

« Apprenez, disait jadis saint Jérôme à la

vierge Eustochium, en l'invitant à ne pas fré-

quenter les matrones superbes enflées de l'im-

portance de leurs maris, apprenez à concevoir

ici un saint orgueil ; sachez que vous valez

mieux qu'elles : Bisce sanctam superhiam ; scïta

te lilis majorem^. » Si l'humilité oiiré tienne nous

sied en tant que créatures, et surtout en tant

que péchetirs, il ne nous convient pas d'avoir,

touchant les <>hoses de la grâoe^ des pensées mé-

diocres ou de bas sentiments. Une sainte fierté

paraît ici tout à fait de mise, celle qui respecte

les dons de Dieu et refuse de déroger. Que des

hommes étrangers à notre foi réservent leuT

estime pour les biens et les avantages de l'ordre

naturel, qu'ils exalterst plus que de raison les

conquêtes de la science , cela se conçoit ; car-

« l'homme animal, suivant d'énergique expres-

sion de saint Paul, ne connaît pas les choses qui

sont de l'Esprit de Dieu' m ; quant au dirétien.

 

 

 

I. S. Hieron., Epist. ix.

 

3. « Animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus^

Dei. » (I Cor., ii, i4.)

 

 

 

320 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

s'il ne le cède à personne dans l'estime et la cul-

ture des sciences naturelles et humaines — car

loin d'être une dépression de la nature, la grâce

en est, au contraire, la plus splendide exaltation,

— il fait par ailleurs profession de croire à une

science plus haute et plus nécessaire, la science

du salut.

 

Aussi écoutez avec quels nohles accents saint

Cyprien répond à tous ces preneurs de la nature

qui ont sans cesse à la bouche les grands mots

de progrès, de civilisation, de découvertes mo-

dernes, et qui, non contents de s'extasier eux-

mêmes devant ce qu'ils appellent les chefs-d'œu-

vre de la pensée et les conquêtes de la science,

semblent vouloir imposer leur admiration aux

autres : « Jamais il n'admirera les œuvres hu-

maines, celui qui se sait fils de Dieu. C'est dé-

choir du faîte de la grandeur que d'admirer

quelque chose après Dieu. Nanquam humana

opéra mirabitur, quisqais se cognoverit filium Dei.

Dejicit se de culmine generosiialis, qui admirari

aliquid post Dominum prAest^. >^

 

Et pour exciter le chrétien à repousser coura>

geusement la tentation, l'illustre évêque de Car-

thage ne trouve pas de motif plus puissant que

celui de sa filiation divine. « Lors donc que la

chair te sollicite à des plaisirs honteux, réponds :

Je suis fils de Dieu, appelé à de trop hautes

destinées pour me faire l'esclave de viles pas-

sions. Quand le monde te tente, réponds-lui : Je

suis fils de Dieu ; des richesses célestes me sont

 

 

 

1. S. Cyp., lih. de Spectac., n. ix.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITE DU CHRÉTIEN 321

 

réservées, il est indigne de moi que je m'attache

à une motte de terre. Quand le démon cherche

à t'attaquer et te promet des honneurs, dis-lui :

Je suis fils de Dieu, né pour un royaume éter-

nel ; retire-toi, Satan. — Ne déchois jamais des

hautes pensées qui siéent à des enfants de

Dieu*. » — « chrétien, ajoute saint Léon, re-

connais ta dignité et, devenu participant de la

nature divine, ne va pas retourner par une con-

duite indigne de ta céleste origine à ton ancienne

bassesse*. »

 

 

 

1. « Cum ergo te sollicitât caro ad turpia, responde :

Filius Dei sum ; ad majora natus sum, quam ut me ventris

mancipium effîciam. Cum te mundus tentât, responde :

Filius Dei sum, cœlestibus opibus destinatus ; indignum est

ut terrœ punctum consecter. Cum te dœmon invadit, cura

honores promittit, responde : Dei filius sum regno aeterno

natus ; vade rétro, Satana. Noli ergo degenerare a praecel-

sis flliorum Dei cogitationibus. »

 

2. « Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, et divinae

consors factus naturœ, noli in veterem vilitatem degeneri

conversatioae redire. » (S. Léo, serm. i de Nativ, Do-

mini.)

 

 

 

AB. tAIRT-ISPRIT.

 

 

 

CHAPITRE IV

 

Droit à l'héritage céleste, conséquence

de notre adoption. — Quel est cet

héritage?

 

 

 

I

 

 

 

La grâce, qui fait de nous des enfants de Dieu,

nous constitue pareillement ses héritiers- : Si JîliU

et hœredes. C'est le raisonnement de FApdtre»

c'est la conséquence nécessaire de notre adop-

tion. Il n'y a pas, en effet, il ne peut pas y

avoir d'adoption véritable sans un droit conféré

au fils adoptif sur l'héritage de l'adoptant.

 

D'ordinaire, il est vrai, ce n'est qu'à défaut de

fils légitime et seulement à la mort du testateur,

qu'un étranger est appelé à recueillir sa succes-

sion en qualité de fils adoptif. Or, Dieu ne

meurt pas, et il possède un Fils unique qui est

son légataire universel', un Fils auquel il a tout

remise, auquel tout appartient au ciel et sur la

terre 3. Mais, observe saint Augustin, « si grande

 

 

 

1. « Quem constituit hœredem universorum. » (Hebr.,

 

1,2.)

 

2. « Omnia mihi tradita sunt a Pâtre meo. » (Matlh., xi»

 

37.)

 

3. « Omnia quaecumque habet Pater, mea sunt. » (Joan..

 

xvi, i5.)

 

 

 

QUEI. EST CET HERITAGE? 323

 

est la charité de cet héritier, qu'il a voulu avoir

des cohéritiers. Quel homme avare voudrait avoir

des cohéritiers? Si par hasard il s'en trouvait

un, il devrait partager l'héritage et se trouverait

par là moins riche que s'il l'avait gardé intégra-

lement pour lui. Rien à craindre de semblable

par rapport à Théritage pour lequel nous som-

mes cohéritiers du Christ ; il ne diminue point

avec la multitude des copartageants , il n'est

point amoindri en proportion du nombre des

héritiers ; mais il est aussi considérable pour

beaucoup que pour un petit nombre, pour

chacun en particulier que pour tous ensem-

ble i. »

 

Il n'en est pas effectivement des biens spiri-

tuels comme des biens matériels. Ceux-ci ne

pouvant appartenir intégralement à plusieurs à

la fois, leur possesseur ne saurait, sans se dé-

pouiller lui-même de tout ce qu'il donne, appe-

ler quelqu'un à partager avec lui son patrimoine.

Les biens spirituels, au contraire, peuvent être

possédés simultanément par plusieurs. Est-ce

que le docteur se dépouille et se prive de la

science qu'il a acquise, quand il la communique

à la foule des disciples qui se pressent autour de

 

 

 

i . « Tanta charitas est in illo haerede, ut voluerît habere

cohaeredes. Quis hoc avarus homo velit, habere cohsere-

4es ? Sed et qui invenifur velle, di\idet cum eis haeredita-

tem, minus habens ipse dividens quam si solus possideret.

Haereditas autera in gua cohaeredes Ghristi sumus, non

minuitur copia possessorum, nec fit angustior numerosi-

tate hœredum; sed tanta est multis quanta paucis, tanta

«ngulis quanta omnibus. « (S. Aug., in Ps. xux, n. 2.)

 

 

 

324 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

sa chaire? Le Christ peut donc, sans crainte de

s'appauvrir lui-même, et sans aucun détriment

pour le Père céleste toujours vivant, nous appe-

ler à recueillir avec lui l'héritage de notre com-

mun Père'.

 

Quel est cet héritage? Suivant la judicieuse

observation du Docteur angélique, l'héritage de

quelqu'un, c'est ce qui constitue sa fortune ou

sa richesse : Hoc autem dicitar hœr éditas alicajus,

ex quo ipse est dives^.

 

Il ne suffît donc pas, pour mériter ajuste titre

le nom d'héritier, de recevoir un legs quelconque,

un cadeau même important, c'est la majeure

partie sinon la totalité de l'avoir du testateur,

c'est-à-dire ce qui constitue substantiellement sa

richesse qu'il faut être appelé à recueillir*. Or la

richesse de Dieu ne consiste pas, comme celle de

l'homme, dans les biens extérieurs : l'or, l'ar-

 

 

 

1 . « Bona spiritualia possunt sîmul a pluribus possîderi,

non autem bona corporalia ; et ideo haereditatem corpora-

lem nullus potest percipere nisi succedens decedenti : haere-

ditatem autem spiritualem simul omnes ex integro acci-

piunt sine detrimento patris semper viventis. » (S. Th., III,

q. xxm, a. i, ad 3.)

 

2. S. Th., III, q. xxiii, a. i.

 

3. « Dicitur aliquis haeres alicujus existera qui principa-

lia ejus bona percipit seu adipiscitur, non autem qui ali-

qua munuscula recipit ; sicut legitur (Gen., xxv, 5) : Qaod

Abraham dédit cancta quœ possedit, Isaac ; filiis autem conçu-

binarum largitus est munera. Bonum autem principale quo

Deus dives est, est ipsemet : est enim dives per seipsum,

et non per aliquid aliud : quia extrinsecorum bonorum non

indiget, ut dicitur in Ps. xv. Unde ipsum Deum adipis-

cuntur ûlii Del pro hœreditate. » (S. Th., in Rom., vni. 17,

lect. 3.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 325

 

gent, les produits de la terre, les champs, les

édifices. Tout cela lui appartient n anifestement,

car il n'est rien dans l'univers créé qui échappe

à sa souveraineté : la terre, dans toute son éten-

due, est à lui : Domini est terra et plenitudo ejus^;

la mer et tout ce qu'elle renferme est sa pro-

priété, car c'est lui qui a tout fait : Ipsius est mare

et ipse fecit illud^. Mais tous ces biens matériels,

si ardemment convoités par la créature, parce

qu'elle y trouve le moyen de pourvoir à ses be-

soins, de satisfaire ses plaisirs, de combler son

indigence, ne sauraient être considérés comme la

fortune da Créateur. Aussi les abandonne-t-il indis-

tinctement aux bons et aux méchants, souvent

même les pécheurs semblent favorisés sur ce point.

Quant à ses biens proprement dits, ils sont l'apa-

nage exclusif des enfants d'adoption , et l'on

peut appliquer ici la parole de l'Ecriture :

« Chassez l'esclave et son fils ; car le fils de la

servante ne sera point héritier avec celui de la

femme libre : Ejice ancillam et Jilium ejus :

non enim hœres erit Jilius ancillœ cum Jilio libe-

rœ\ » Les biens de Dieu, sa richesse, c'est lui-

même, c'est sa propre perfection; étant le bien

infini, principe et exemplaire de tout bien, il se

suffit pleinement et trouve dans la possession et

la jouissance de lui-même sa parfaite félicité : In

se et ex se beatissimus*.

 

 

 

1. P8. xxm, I,

 

2. Ps. XCIV., 5.

 

3. Gai., IV, 3o.

 

i. Ex Conc. Vatic, Const. Deî Filias, cap. i,

 

 

 

326 DROIT A l'héritage CELESTE

 

Mais, dans sa bonté infinie, il n'a pas voulu

être seul à jouir de son bonheur; et sans autre

intérêt que celui de faire des heureux, il a daigné

appeler les créatures raisonnables à partager ces

biens divins qui surpassent absolument tout ce

que Fintelligence humaine et même angélique

3st capable de concevoir ; car « l'œil de l'homme

n'a point vu, son oreille n'a point entendu, son

cœur n'a pu même pressentir ce que Dieu tient

«n réserve pour ceux qui l'aiment ^ )). En nous

appelant à l'ordre surnaturel, il nous offre et

nous confère les moyens de parvenir à cette béati-

tude ; en nous adoptant par la grâce, il nous y

donne un véritable droit.

 

Ainsi donc la vision de la beauté infinie,

l'amour et la jouissance du souverain bien, la

participation du bonheur même de Dieu, voilà

l'héritage souverainement précieux, le patri-

moine incomparable qui est destiné à ses enfants

adoptifs2. Gomment ne pas chanter avec le Psal-

miste : a L'héritage qui m'est échu est vraiment

magnifique ; splendide et enivrante est la part

qui me revient : Fanes ceciderant mihi in prœcla-

 

 

 

1. « Oculus non vidît, nec auris audivît, necin cor homi-

riris ascendit, quae prseparavit Deus iis qui diligunt illum. »

(I Cor., n, 9.)

 

2. « Ad participationem bonorum suorum creaturas

admittit (Deus), et praecipue rationales creaturas, quae in

quantum sunt ad imaginem Dei factae, sunt capaces beati-

tudinis divinae : quaB quidem consistit in fruilione Dei,

per quam ipse Deus beatus est, et per seipsum dives,

in quantum scilicet seipso fruitur. » (S. Th., III, q. xxiii,

a. I.)

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 33 ^T

 

riSr eterdm hœreditas mea prœclara est mihi. Le

Seigneur lui-même doit être mon partage : Domir-

nus pars hœrediiatis meœ, et calicis mei. Aussi mont

cœur est dans l'allégresse, et ma langue tres-

saille; ma chair elle-même reposera en paix, car

vous ne m'abandonnerez pas dans le tombeau,

et vous ne laisserez pas voire saint la proie per-

pétuelle de la corruption. Vous m'avez fait con-

naître les voies de la vie, a^ous me re-nplirez d&

joie en me montrant votre visage, et mes déli-^

ces n'auront point de fin^. » — « Qu'y a-t-îB

pour moi au ciel, et que désiré-je sur la terre,,

sinon vous, o Dieu de mon cœur et mon partage

pour réternité? Mon cœur et ma chair défaillent.

dans cette attente *. »

 

 

 

II

 

 

 

Que Fapôtre saint Paul avait donc raison de

nous parler « des richesses de gloire qui forment

l'héritage des saints ! Divitiœ gloriœ hœrediia-

tis ejus in sanctis^. » Les richesses de notre héri-

 

 

 

1. « Propter hoc laetatum lest cor meum, et exsultavit

lingua mea : insuper et caro mea requiescet in spe. Quo-

nîam non derelînques animam meam in înferno : nec

dabts sanctum tuum videre corruptionem. Notas mihi

fecisti vias vitae, adimplebis me laetitia cum vultu tuo :

delectationes in dextera tua usque in finem. » (Ps. xv,

5-II.)

 

2. « Quid mihi est in cœlo, et a te quM Tohii super

terram? Defecit caro mea, et cor meum : Deiis cordis

mei, et pars mea Deus in aeternum. » (Ps. VLiii, 25-26.)

 

8. Ephes., 1, 18.

 

 

 

328 DROIT A l'héritage CELESTE

 

lage ! Qui pourrait en concevoir l'étendue, puis-

que ce sont les biens mêmes de Dieu qui nous

sont réservés? Credo videre bona Domini in terra

viventiumK

 

Moïse, à qui le Seigneur parlait jadis comme

à un ami, formula un jour dans un élan de

confiance la prière suivante : « Mon Dieu, si j'ai

trouvé grâce en votre présence, montrez-moi

votre face, afin que je vous connaisse : Si ego in-

veni gratiam in conspectu tuo, ostende mihi faciem

tuant, ut sciam te... Moutrez-moi votre gloire :

Ostende mihi gloriam iuam. » Et le Seigneur, exau-

çant en partie sa requête, lui répondit : « Je te

montrerai tout bien : Ego ostendani omne bonum

tibi. Cependant tu ne pourras pas contempler

mon visage, car nul ne peut me voir dans cette

vie mortelle. Mais tu te tiendras sur le rocher, et

lorsque ma gloire passera , je te couvrirai

de ma main jusqu'à ce que je sois passé.

J'ôterai ensuite ma main et tu me verras par der-

rière; mais, quant à mon visage, tu ne pourras

le voir 2. »

 

Eh bien, ce Dieu que Moïse désirait si ardem-

ment de pouvoir contempler, ce Dieu naturelle-

ment invisible, « qui habite une lumière inacces-

sible, que nul n'a vu, que nul ne peut voir sans

la lumière de gloire ^ », doit se montrer un jour

à découvert ; car c'est dans cette connaissance,

 

 

 

1. Pi. xxTi, i3.

 

s. Exod., xxxiii, i3-a3.

 

3. « Qui lucem inhabitat inaccessîbilem, quem nullus

hominum vidit, sed nec videre potest. » (I Tim., vi, i6.)

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? SsQ

 

dans cette vision, que consiste la vie éternelle

promise à nos mérites : Hœc est vita œterna : ut

cognoscant te solum Deum verum et quem misisti

Jesum Chrisium^.

 

Un jour les élus verront le Roi éternel des

siècles dans tout l'éclat de sa gloire et de sa

majesté : Regem in décore suo videbant^\ ils le

verront, non plus seulement par reflet, dans le

miroir des créatures, per spéculum; non plus au

travers d'un voile et dans l'obscurité de la foi, in

œnigmate; non plus par derrière comme Moïse,

mais face à Î3Lce,facie adfaciem, directement, im-

médiatement, tel qu'il est, sicuti est, comme il

se voit et se connaît lui-même, cognoscam sicul

et cognitus sum^; ils contempleront éternelle-

ment d'un regard toujours avide quoique perpé-

tuellement rassasié cette beauté infinie, source

féconde, idéal souverainement parfait de toute

beauté, de toute bonté, de toute perfection. Et

comme Dieu est un bien infini, le bien universel,

honum universale^, suivant l'expression de saint

Thomas, le bien de tout bien, honum omnis boni^,

l'océan, la plénitude de la bonté, en se faisant

voir aux bienheureux, il leur montrera vérita-

blement tout bien : Ego ostendam omne honum

tibi^.

 

 

 

I. Joan., XVII, 3.

 

a. Is., XXXIII, 17.

 

3. I Cor., XIII, la.

 

4. S. Th., MI", q. n, a. 8.

 

5. S. Aug., de Trin., 1. VIII, cap. S.

 

6. Exod., XXXIII, 19.

 

 

 

33o DROIT A l'héritage gklestb

 

Si les Apôtres, admis sur le Thabor à voir la

-gloire de la sainte âme de Notre-Seigneur rayon-

naût à travers son corps mortel, s'écriaient, dans

un saint transport mêlé de crainte et d'allégresse

et sans savoir ce qu'ils disaient * : « Seigneur, il

fait bon ici : Domine, bonum est nos hic esse * » ;

que sera-ce quand, fortifié par la lumière de

g-loire, notre esprit pourra contempler à loisir

non seulement l'Humanité transfigurée du Verbe

liait chair, mais la Divinité elle-même dans toute

sa splendeur; quand, embrassant d'un seul coup

d'oeil toutes et chacune des perfections divines

que nous sommes obligés maintenant d'étudier

séparément pour les mieux connaître, il les verra

se fondre dans une simple €t unique perfection

infinie : spectacle enivrant et vraiment ineffable,

dont rien ici-bas ne peut nous donner une idée ?

Que sera-ce quand son regard, devenu plus

ferme et plus perçant que celui de l'aigle, pourra

scruter les mystères de la vie intime de Dieu,

sonder les abîmes de sa sagesse et de sa justice,

considérer les richesses incompréhensibles de

son amour, les excès de sa miséricorde, la pro-

fondeur de ses décrets, les naerveilleuses opéra-

tions de sa grâce, les voies secrètes et admira-

bles par lesquelles il conduit chacun de nous au

terme de sa destinée?

 

Là, notre intelligence, si avide de savoir, si

affamée de vérité, trouvera dans la claire vue du

 

 

 

I. « Non enim sciebat quid diceret; erant enim timoré

-3xterriti. » (Marc, ix, 5.)

a. Matth., xvii, 4.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 35t

 

Verbe son plein rassasiement : Satiahor cttm ap-

paruerit gloria tua^ \ car le Verbe, c'est la vérité,

non la vérité amoindrie, partielle, fragmentaire,

mais la vérité pleine, totale, substantielle. Et,

comme le remarque saint Grégoire : a Que peut-

on ignorer quand on connaît celui qui sait tout,

qui a tout fait, par qui tout existe? Quid est quod

ihi nesciant, abi scientem omnia sciant*? » Là,

notre volonté, que rien ici-bas ne peut satisfaire,

lors même que nous réaliserions l'irréalisable

conquête du monde entier, trouA'era dans la pos

session du souverain bien la plus entière satis-

faction de tous ses désirs : Qui replet in bonis

desiderium tuum '. Là, notre cœur, toujours in-

quiet durant cette vie, parce qu'en nous faisant

pour lui-même et en nous créant capables de

le posséder, Dieu y a creusé des abîmes que

lui seul peut combler, trouvera son parfaii-

repos *.

 

 

 

111

 

 

 

Tenterons-nous de faire connaître plus à fond'

l'héritage des enfants de Dieu? Mais il faudrait

pour cela dire ce qu'est le ciel. Or, n'y aurait-il

pas témérité de notre part à vouloir décrire ce

que l'apôtre saint Paul lui-même, quoique élevé

 

 

 

I. Ps. XYI, l5.

 

a. S. Greg. M., Dial, 1. iv, n. a4.

S. Pg. en, 5.

 

4. « Capacem Del, quidquid Deo minus est, non împle-

bit. » (S. Bern.)

 

 

 

332 DROIT A l'héritage CELESTE

 

au troisième cieP, se déclare impuissant à expri-

mer? Assurément, ce serait une intolérable pré-

somption, si, pour parler d'une chose si fort au-

dessus de nos conceptions, nous en étions réduits

à nos seules lumières. Mais « l'Esprit-Saint, qui

scrute tout, même les profondeurs de Dieu^ », a

daigné nous fournir sur ce point des données

précieuses, qu'il importe de ne pas laisser dans

l'ombre.

 

Afin de nous aider à concevoir quelque peu

les ineffables délices du ciel, il nous l'a repré-

senté sous des noms multiples et des figures

variées : tantôt comme un royaume, tantôt

comme la maison du Père céleste et la vraie

patrie des âmes. Ici, c'est un banquet, un festin

de noces ; là un torrent de délices ; puis, c'est le

repos, la paix, la vie, la vie sans terme et sans

limite, la vie éternelle. Parcourons brièvement

ces diverses appellations, pour essayer d'en péné-

trer quelque peu la profonde signification.

 

Et d'abord, le ciel nous est représenté sous le

nom et la figure d'un royaume, le royaume de

Dieu promis à ceux qui l'aiment s. « Venez, dira

un jour Notre-Seigneur aux élus, venez, les bénis

de mon Père, prenez possession du royaume qui

vous a été préparé dès le commencement du

monde : Venite benedicti Patris mei, possidete para-

tum vobis regnam a consiituiione mandi^. »

 

 

 

1. n Cor., xn, a.

 

2. I Cor., II, 10.

 

3. « Haeredes regni quod repromisit diligentibus

f.Iac., II, 5.)

 

't. Matth.. XXV, 34.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 333

 

Qui dit royaume, dit richesses, puissance,

honneurs, gloire, affluence de tous les biens. Or,

tel est précisément le ciel, cette demeure opu-

lente, habitationem opulentam^, comme parle le

prophète, oii se trouvent réunis tous les biens

désirables du corps et de l'esprit, a Quelle féli-

cité, s'écrie saint Augustin, quand, tout mal ces-

sant, tout t)ien sortant de l'obscurité, on ne se

livrera plus qu'aux louanges de Dieu, qui sera

tout en tous!... C'est là que résidera la vraie

gloire, qui ne sera donnée ni par l'erreur, ni

par la flatterie. Là, le véritable honneur, qui ne

sera refusé à qui le mérite, ni déféré à Tindigne;

et il ne saurait y avoir de candidat indigne, là

où nul ne saurait être, s'il n'est digne. Là enfin,

la véritable paix, où l'on ne souffrira rien de con-

traire ni de soi ni des autres. L'auteur même de

la vertu en sera la récompense, et cette récom-

pense qu'il lui a promise, la plus grande et la

meilleure de toutes, c'est lui-même. Et quel autre

sens, en effet, peut avoir cette parole du pro-

phète : Je serai leur Dieu, et ils seront mon

peuple, sinon je serai ce dont ils pourront se ras-

sasier; je serai tout ce que les hommes peuvent

légitimement espérer : vie, santé, nourriture,

abondance et gloire, honneur et paix, tous biens

en un mot ! Et tel est le sens véritable de ce

mot de l'Apôtre : Afin que Dieu soit tout en

tous'^, »

 

 

 

1. Is., xxxm, 20.

 

2. « Quanta erit îlla félicitas, ubi nullum erit malum»

niillum latebit bonum, vacabitur Dei laudibus, qui erit

 

 

 

334 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

Si déjà dans cette vallée de larmes et pour

l'usage commun des bons et des méchants Dieu

fait non seulement luire son soleil, mais produit

des oeuvres^ vraiment admirables, semant avec

une sorte de profusion les fleurs et les fruits,

donnant aux vallées leur fraîcheur, aux plaines

leur fécondité, leur majesté aurx montagnes, aux

cieux leur harmonie, quelles merveilles tient-il

donc en réserve pour le paradis, puisque, au dire

du prophète, c'est là seulement qu'il est vrai-

ment magnifique? Solummodo ibi magniflcus est

Dominas^.

 

Si, dans l'ordre purement naturel, il se mon-

tre si large et si libéral, ouvrant sa main pour

emplir de ses bienfaits tout être vivant 2, que ne

fera-t-il pas, au grand jour des rétributions, en

 

 

 

omnia in omnibus... Vera îbî glofîâ efît, ubî laudantîs nec

errore quisquam, nec adulatione laudabitur. Verus honor,

qui nulli negabitur digno, nuUi deferetur Indigno : sed nec

ad eum ambiet uUus indignus, ubi nullus permittetup esse

nisi dignus. Vera pax, ubi nihil adversi, nec a seipso, nec

ab alio quisquam patietur. Praemiuni virtutis erit ipse qui

virtutem dédît, eique se Ipsum, quo melius et majus nihil

possit esse, promisit. Quid est enim alîud quod per Pro-

phetam dixit (Levit., xxti, 12) ; Ero illoram Deus, et ipsi

erunt mihi plebs , nisi : Ego ero unde satientur f ego ero

quaecumque ab hominibus honeste desiderantur, et vita,

et salas, et \ictus, et copia, et gloria, et honor, et pax, et

omnia bona? Sic enim et illud recte intelligitur, quod ait

Apostolus (I Cor., xv, 28) : Ut sit Deus omnia in omnibus. »

(S. Aug., De Civit. Dei, 1. XXII, cap. xxx, n. i, trad. Mo-

reau.)

 

I. Is., ixxni, ai.

 

?. « Ape^ tu mdfnini' tfiatt, et bnptés ottne atiimal be»

nedictione. » (?», cxuv, 16.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 335

 

faveur de ceux qui l'auront fidèlement servi et

persévéramment aimé ici-bas, de ces fils très

chers qui, après aAoir été humiliés, méprisés,

persécutés à cause de sou nom, se présenteront

enfin devant lui, les mains pleines de bonnes

œuvres, pour recevoir leur récompense ? Avec

quelle tendresse il les accueillera, les comblant

de caresses et de témoignages d'amour ! Avec

quelle joie il les introduira dans son royaume, et

les fera asseoir près de lui «ur des trônes où ils

régneront éternellement ! Et regnabunt in sœcula

sœculoram ' .

 

Qu'est-ce encore que le ciel? C'est Idi patrie, la

maison de famille, le rendez-vous de tous les

enfants de Dieu !

 

La patrie ! Quel doux nom ! quelle plus douce

chose I Comme son souvenir fait battre le cœur I

Comme on est heureux d'y revenir après une

^absence plus ou moins longue ! C'est là que se

trouve tout ce qu'on a aimé, tout ce qu'on aime

encore : parents, amis, connaissances, le toit pa-

ternel, la cendre des aïeux. Là, l'air est plus

pur, le soleil plus joyeux, la campagne plus

jiante, les fleurs plus belles, les fruits plus sa-

voureux. Là, au lieu d'être seul, inconnu, ou-

blié, on se voit entouré, on se sent aimé, on est

heureux.

 

Et pourtant, t;e que nous appelons présente-

ment notre patrie, n'est en réalité qu'un lieu de

passage; c'est l'hôtellerie où l'on va demander

mm gîte pour la nuit et que l'on abandonne le

 

 

 

I. Apoc, XXII, 5.

 

 

 

336 DROIT A l'héritage céleste

 

lendemain; c'est la tente du nomade, qui se

dresse le soir pour être repliée au matin. La pa-

trie véritable, c'est celle que les anciens patriar-

ches considéraient et saluaient de loin et qu'ils

faisaient profession de chercher , s'appelant

volontiers des exilés et des voyageurs' ; celle

après laquelle nous devons soupirer nous-mêmes,

car nous n'avons pas ici-bas de demeure perma-

nente : Non habemus hic manentem civitatem, sed

fuiuram inquirimus^', a c'est la cité du Dieu

vivant, la Jérusalem céleste, l'innombrable so-

ciété des anges, l'assemblée des premiers-nés

dont le nom est inscrit au livre de vie ' » . Quelle

incomparable famille ! quelle délicieuse société I

Là, nous trouverons l'aine de notre race, celui

qui a daigné nous adopter pour ses frères, et nous

appeler à partager avec lui son héritage, Notre-

Seigneur Jésus-Christ, dont les anges ne se las-

sent pas do contempler la beauté : In quem desi-

derant Angeli prospicere^. Nous pourrons, nous

aussi, considérer à loisir cette face adorable em-

preinte d'une si douce majesté, reposer notre tête

sur ce Cœur qui nous a tant aimés, coller nos

lèvres émues sur ces plaies trois fois saintes que

 

 

 

1. « A. longe aspicientes... et confltentes quia peregrini et

hospites sunt super terram. Qui enim haec dicunt, signiû-

cant se patriam inquirere. » (Hebr., xi, i3-i4.)

 

2. Hebr., xiii, i4.

 

3. « Accessistis ad Sion montem, et civilatem Dei viventîs^

Jérusalem cœlestem, et multorum millium Angelorum

frequentiam, et ecclesiam primitivorum, qui conscripti

sunt in cœlis. » (Hebr., xn, aa-a3./

 

4. I Petr., I, la.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE 7 ZZ'J

 

nos péchés ont creusées dans les mains et les

pieds du Sauveur. Gomme les apôtres sur le

Thabor, nous entendrons le divin Maître nous

redire les excès auxquels il s*est livré pour

nous* : excès d'humiliations et de souffrances,

endurés pour notre salut pendant sa sainte pas-

sion, ou plutôt pendant sa vie tout entière ; excès

de miséricorde, pour pardonner des fautes sans

cesse renaissantes ; excès de charité, que rien n'a

pu lasser : ni oublis, ni ingratitudes, ni trahi-

sons. Et notre âme se fondra de reconnaissance

et d'amour en entendant ce très doux Sauveur

nous faire le récit des merveilles opérées en

notre faveur, nous raconter les saintes indus-

tries de sa tendresse pour nous ramener à lui et

nous conserver dans l'état de grâce.

 

Là, nous verrons, nous aimerons, nous béni-

rons la très douce, très pure, très sainte Mère

de Dieu, la bienheureuse Vierge Marie, cette gra-

cieuse souveraine dont la beauté virginale ravira

les saints, cette mère très aimante et si digne

d'être aimée, dont la tendresse se traduira par

des témoignages capables d'enivrer le cœur de

ses enfants.

 

Là, nous jouirons de la société des anges,

contemplant d'un œil ravi ces hiérarchies céles-

tes qui forment un monde infiniment supérieur

en nombre et en beauté au monde matériel et

sensible.

 

Là enfin, tout ce qu'il y a eu sur la terre de

grandes âmes, d'âmes saintes, d'âmes virginales,

 

 

 

1. « Dicebant excessum ejus. » (Luc, ix, 3i.)

 

HAB. SAINT-KIPRIT. — 33

 

 

 

3.58 DROIT A l'héritage céleste

 

d'ârabs héroïques, sera notre société. Les patriar-

ches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les

confesseurs, les vierges, ne formeront plus qu'une

immense famille, dont tous les membres s'aime-

ront, se féliciteront mutuellement de leur bon-

heur, jouiront ensemble. Et point de voix discor-

dante, point de procédés pénibles ou indélicats,

point de spectacle attristant; une joie toujours

jeune, une allégresse que rien ne trouble, des

cantiques sans fin. Les pécheurs, les indignes

sont bannis de ce royaume, oii l'on ne voit que

des saints, louant d'une commune voix leur Créa-

teur et leur Rédempteur. beau ciel, éternelle

patrie, quand pourrons-nous te voir? On nous

raconte de toi des choses si glorieuses et si

belles I Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei^.

 

 

 

ly

 

 

 

Mais qu'est-ce encore que le ciel? C'est un

hanquet, un festin, donné par le Père de famille

à l'immense multitude de ses enfants réunis au-

tour de lui.

 

« T^'avez vous jamais réfléchi à l'importance

que les hommes ont toujours attachée aux repas

pris en commun?... Point de traités, point d'ac-

cords, point de fêtes, point de cérémonies d'au-

cune espèce sans repas... Les hommes n'ont pu

trouver de signe d'union et de joie plus expressif

 

 

 

I. Ps., LXXXT^, 3.

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 889

 

que de se rassembler pour prendre, ainsi rappro-

chés, une nourriture commune*. » Aussi, quand,

dans certaines circonstances solennelles, tous les

membres d'une même famille, convoqués au

foyer paternel, peuvent s'asseoir à la même table

et s'entretenir quelques instants ensemble, on

regarde ces réunions d'un jour comme une des

plus douces jouissances de la vie.

 

Et que se dit-on, que se eommunique-t-on mu-

tuellement dans ces sortes de rencontres? Ses

espérances et ses craintes, ses joies et ses peines,

ses peines surtout, car c'est là une plante qui

abonde sin* notre terre d'exil. Mais il est rare

qu'il ne se trouve pas là quelque membre de la

famille dont l'inconduite ou les malheurs font la

désolation des autres. Et puis, que de places

vides ! que d'absents qui ne paraîtront plus ï

Enfin, après de trop courtes heures d'un bon-

heur qui est loin d'être sans mélange, il faut se

séparer de nouveau. Là-haut, se fera la grande

réunion des enfants de Dieu. Nul des iuA^ités ne

manquera à Fappel, nul ne sera pour les autres

une source ou une occasion de tristesse, et la

perspective d'une prochaine séparation ne vien-

dra point assombrir la fête.

 

Mais de tous les festins, ïe plus splendide, le

plus solennel, et en même temps le plus joyeux,

c'est celui des noces. Or la béatitude céleste,

c^est le festin des noces de TAgneau. « Bienheu-

reux, est-îl dit dans FApocalypse,. ceux qui ont

 

 

 

r. De MAr^TR», Soirées de Saint-Pétersbourg, i(j« entre-

tien.

 

 

 

3^0 DROIT A l'héritage CELESTE

 

été invités au festin nuptial de l'Agneau : Beati

qui ad cœnam naptiarum Agni vocati sunt ^

 

Déjà, sur cette terre, Notre-Seigneur a dressé

pour ses fidèles une table somptueuse, la table

eucharistique, où il sert un pain vivant et vivi-

fiant, descendu des cieux et souverainement

délectable 2 ; mais s'il daigne se donner à nous

présentement, ce n'est que d'une manière impar-

faite; s'il se fait l'aliment de nos âmes, il ne les

rassasie cependant pas pleinement : Hic pascis,

sed non in saturitate^. « Je possède le Verbe, dit

saint Bernard, mais dans la chair; la vérité m'est

servie, mais dans le sacrement. Pendant que

l'ange se nourrit de la fleur du froment, je dois

me contenter présentement de l'écorce du sacre-

ment, du son de la chair, de la paille de la

lettre, du voile delà foi ^. »

 

Voilà pourquoi, avant de monter au cieî, le

Sauveur annonçait à ses apôtres qu'il allait leur

préparer un autre banquet dans son royaume,

011 il les inviterait à sa table ^. Inutile de faire

observer que le divin Maître n'entendait point

 

 

 

I. Apocal,, XIX, 9.

 

3. « Ego sum panis vivus, qui de caelo descendi. » (Joan.,

VI, 4i.)

 

3. S. Bern., in Cant., serm. xxxiii, n. 7.

 

4. « Habeo et ego Verbum, sed in carne; et mihi apponi-

tur Veritas, sed in sacramento. Angélus ex adipe frumenti

saginatur, et nudo saturatur grano ; me oportet intérim

quodam sacramenti cortice esse contentum, carnis furfure,

litterae palea, velamine fidei. » (S. Bern., ibid., n. 3.)

 

5. « Et ego dispono vobis, sicut disposuit mihi Pater

mtus, regnum, ut edatis et bibatis super mensam njeam

In regno meo. » (Luc, xxn, ag-So.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 34 1

 

parler de mets grossiers destinés à rentretien de

la vie corporelle; car dans le ciel nos corps

n'auront plus besoin de nourriture. Lors donc

qu'on dit des élus qu'ils mangent et boivent à la

table de Dieu, c'est pour signifier qu'ils jouissent

de la félicité même de Dieu, le voyant comme

il se voit lui-même 1. Voilà le grand banquet de

Dieu, auquel tous les élus sont invités. Venite, et

congregamini ad cœnam magnam Dei^. Là, ce ne

sera plus la chair et le sang du Christ qui nous

seront donnés en nourriture, mais la Divinité

elle-même se fera notre aliment. Quelle fête que

de voir Dieu, d'être avec Dieu, de vivre de Dieu^I

C'est alors que se consommera l'union très sainte

commencée ici-bas par la grâce entre Dieu et

les âmes; car le possédant parfaitement en tant

que vérité plénière et bien souverain, elles s'uni-

ront à lui d'une manière ineffable et jouiront

pour toujours de ses chastes embrassements.

 

« Bienheureux donc ceux qui sont invités aux

noces de l'Agneau : Beati, qui ad cœnam nuptia-

rum Agni vocati sunt^, » A tous, l'Epoux céleste

dira : « Mangez, mes amis, et buvez : buvez à

longs traits le vin de la sainte charité, et enivrez-

vous, mes très chers : Comedite, amicU et bibite,

 

 

 

I. « Super mensam Dei manducant et bibunt, quia

eadem felicitate fruuntur qua Deus felix est, videntes eum

illo modo quo ipse videt seipsum. » (S. Th., Contra Gent.,

1. m, cap. Li.)

 

a. Apocal., xix, 17.

 

3. « Praemium nostrum est videre Deum, esse cum Deo,

îvere de Deo. » (S. Bern.)

 

4. Apocal., XIX, 9.

 

 

 

3^2 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

et inebriamini, chartssimi^. » Il n'en est pas de la

béatitude comme d'nne lîgneur précieuse conte-

nue dans un vase et s'épuîsant rapidement; c'est

un fleuve inépuisable et qui ne tarit jamais,

c'est un torrent de délices, de gloire et de paix,

auquel les élus s'abreuveront éternellement jus-

qu'au plein rassasiement, jusqu'à l'ivresse. Ine-

briabuntur ab uhertate domus (uœ, et torrente volup-

tatis tuse potabis eos^. Et qu*on ne s'offense pas

de cette expression dictée par l'Esprit-Saint lui-

même. S'il est une ivresse honteuse et indigne

d'un être raisonnable, il en est ime autre légi-

time et sainte : il y a l'ivresse de la joie, l'ivresse

de l'amour. N'était-elle pas enivrée de l'amour

divin, cette bonne sainte Marie-Madeleine de

Pazzi, quand elle s'en allait jetant à tous les

échos de son monasfère ce cri passionné :

(( L'amour n'est pas connu, l'amour n'est pas

aimé » ? N'était-il pas, lui aussi, enivré de déli-

ces, l'illustre saint François Xavier, quand, au

milieu de ses labeurs apostoliques, écrasé pour

ainsi dire sous le poids des consolations célestes

qui inondaient son âme, il s'écriait : « Assez,

Seigneur, assez; épargnez mon pauvre cœur, je

n'en puis pas supporter davantage o ? Si, au sein

même de l'exil, l'homme est capable de goûter

de pareilles joies, que sera-ce dans la patrie?

 

 

 

I. Cant., V, I.

a. Ps., XXXV, 9.

 

 

 

43IJEL JEST CET HERITAGE? 343

 

 

 

Il est encore d'autres appellations riches de

promesses, pleines de mystères, qui achèveront

de nous édifier sur la grandeur de la félicité

future, et partant de l'héritage réservé aux

saints. Le ciel, c'est le repos, c'est la paix, c'est

la vie : le repos après le travail, la paix succé-

dant à la guerre, la vie sans fin. Qui n'aspire au

repos? qui ne souhaite la paix? qui ne désire la

vie? Mais le repos ne s'acquiert régulièrement

que par le travail; la guerre est souvent néces-

saire pour arriver à la paix; et l'apôtre saint

Paul nous invite « à porter constamment la mor-

tification de Jésus dans notre corps, si nous

voulons que la vie divine se manifeste dans

notre chair mortelle i ».

 

La vie présente est le temps du travail, des

labeurs féconds, de l'ensemencement spirituel 2.

Comme le laboureur obligé de porter le poids

du jour et de la chaleur, de subir les intempé-

ries des saisons, de fatiguer ses bras robustes à

déchirer le sein de la terre avant de lui confier

la semence, espoir de la future récolte, le chré-

 

 

 

1. « Semper mortifîeationem Jesu in corpore nostro cir-

cumferentes, ut et vita Jesu manifestetur in corporibus

nostris. » (Il Cor., iv, 10.)

 

a. « Quœ seminaverit homo, haec et metet. «(Gai., vi, 8.)

— « Qui parce seminat, parce et metet ; et qui seminat in

benedictionibus, de benedictionibus et metet. » (H Cor., ix»

6.)

 

 

 

344 DROIT A l'héritage CELESTE

 

tien doit, lui aussi, vaquer sans défaillance aux

œuvres qui constituent sa tâche de chaque jour;

il doit se livrer à la prière, se plier à l'obéis-

sance, courber ses épaules sous le joug de la

croix, supporter, sans se plaindre, les ennuis,

les tristesses, les tribulations qui sont le pain

quotidien de l'exil. Ajoutez à cela les privations,

les souffrances, la pauvreté, les contradictions,

les froissements douloureux, les ingratitudes,

tant de blessures secrètes du cœur, tant de dou-

leurs intimes d'autant plus amères et pénibles à

porter quelles sont souvent sans témoins et sans

consolateurs. Bref, suivant la parole de nos

saints Livres, le chrétien doit semer dans les lar-

mes : Euntes, ibant etflebant, mittentes semina sua^.

Et comme si tout cela n'était point assez pour

sa faiblesse , d'autres épreuves l'attendent

encore : c'est la maladie qui le guette, la mort

qui fauche impitoyablement autour de lui des

existences souvent bien chères ; c'est le spectacle

de l'injustice triomphante, la persécution organi-

sée contre quiconque veut être fidèle à son

devoir; ce sont les tentations qui l'assiègent, les

attaques incessantes des ennemis de son salut;

c'est le combat toujours renaissant contre les

mauvais instincts de la nature, la lutte de cha-

que jour contre ses passions ; combat si acharné,

lutte parfois si terrible, que le grand Apôtre lui-

même s'écriait : « Qui me délivrera de ce corps

de mort? Quis me liber abit de cor pore mortis

hajus^, »

 

 

 

I. Ps., cxxv, 6.

a. Rom., VII, a4.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 3^5

 

Mais aussi quelle joie! quel bonheur! quels

transports d'allégresse! quand, délivrée de la

prison du corps, soustraite pour toujours aux

attaques de ses ennemis et pleinement purifiée,

son âme sera introduite dans le ciel et verra

Notre-Seigneur accourir à sa rencontre avec un

visage souriant et lui ouvrir ses bras ; quand elle

entendra tomber de ses lèvres ces consolantes

paroles : « Lève-toi, ma bien-aimée, viens sans

retard te reposer de tes fatigues. Surge, propera,

arnica mea... et veni. Déjà l'hiver, cette saison de

tristesse et de souffrance, est passé : Jam enim

hiems iransiit; le temps des larmes n'est plus, il

a fui pour toujours : imber ahiit et recessit. Les

fleurs, ces fleurs du ciel qui ne se fanent jamais,

se sont montrées dans notre terre : flores appa-

ruerunt in terra nostra. Plus douce que celle de

la tourterelle, la voix de Marie s'unissant à celle

des anges et des bienheureux va désormais ré-

sonner à ton oreille : vox turtaris audita est in

terra nostra^... Viens recevoir la couronne qui

t'est destinée : veni, coronaberis^. »

 

Alors, suivant la parole de nos saints Livres,

« Dieu lui-même essuiera toute larme sur le

visage des élus, et il n'y aura plus ni mort, ni

deuil, ni cri, ni douleur, car tout cela appartient

à un passé à jamais disparu. Absterget Deus

omnem lacrymam ab ocalis eorum; et mors ultra

non erit,^ neque luctus, neque clamor, neque dolor

erit ultra, quia prima abierunt^. » L'auteur sacré ne

 

 

 

I. Gant., II, lo-ia.

a. Gant., iv, 8.

3. À^pocal., XXI, 4.

 

 

 

346 DROIT À l'héritage céleste

 

dit pas simpïemenf que toute hrme sera s^chée,

ou que les élus essuieront eux-mêmes leur

visage; non, c'est Dieu, Dieu en personne, qui

se réserve cet office : Ahsterget Deus omnem la-

crymam. « C'est moi, dit-il ailleurs par son

prophète, c'est moi-même qui vous consolerai :

Ego, ego ipse consolahor vos^. Gomme une mère

qui caresse son enfant, je a^ous consolerai, et

vous serez consolés : Qaomodo si cui mater blan-

dîatur, ita ego consolahor vos, et in Jérusalem con-

solabiriini^ . » S'il est doux pour un malade de

sentir une main amie, la main d'une mère ou

d'une épouse, essuyer la sueur ou les larmes qui

inondent son visage, que sera-ce de sentir sur

son front la main d'un Dieu, main plus douce

et plus caressante mille fois que celle d'une

mère ?

 

Voilà ce qui soutient les justes au milieu de

leurs épreuves et les réconforte dans leurs afflic-

tions. Ils savent, à n'en pouvoir douter, que leurs

peines n'auront qu^un temps, tandis que la ré-

compense sera éternelle; et, en entendant l'Apô-

tre leur dire a qu'il n'y a aucune proportion

entre les souffrances de la vie présente et la

gloire future qui doit un jour leur être révélée^ »,

car « des tribulations légères et momentanées

opéreront en eux un poids immense et éternel

 

 

 

1. IS., LI, 13.

 

2. IS., LXVI, l3

 

3. « Existimo quod non sunt condignae passîones hujus

temporis ad futuram gloriam, quae revelabitur in nobis. »

(Rom., VIII, i8.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 347

 

de gloire! », ils se consolent dans cette espé-

rance; et, loin de se laisser abattre par les misè-

res de cette vie, ils s^en réjouissent plutôt, bien

convaincus que, s'ils souffrent ici-bas avec Jésus-

Christ, ils seront un jour associés à son triom-

plie *, et qu'après avoir été avec lui à la peine,

ils seront admis à partager son repos.

 

Mais quel sera ce repos? L'inaction? Timmo-

bilité? l'arrêt de la vie? un sommeil éternel?

Tîon, certes. Le repos qui nous est promis est

un repos animé, fécond, opulent, suivant la

parole du prophète : Sedebit popuîas meus... in

requie opalenta^. C'est un repos plein d'opéra-

tions merveilleuses, qu'aucune fatigue n'accom-

pagne, qu'aucune nécessité ne vient interrom-

pre, et qui procurent d'ineffables jouissances.

C'est l'activité généreuse, incessante, conti-

nuelle; l'activité, portée à sa plus haute puis-

sance, d'une âme arrivée à son terme et se repo-

sant en Dieu comme Dieu se repose en lui-même "i.

En cessant de créer. Dieu ne cesse pas d'agir^;

mais c'est au dedans principalement que se dé-

 

 

 

I. « Id cnîm qpuod in prœsenti est momentaneum et levt

tribulationis noslree, supra modum in sublimitate seternum

gloriae pondus operatur in nobis. » (II Cor., iv, 17.)

 

3. « Si tamen compatimur, ut et conglorifioemur. »

(Rom., vm, 17.)

 

3. Is., xxxn, 18.

 

4. « Relinquitur sabbatismus populo Dei. Qui enim in-

gressus est in requiem ejus, etiam ipse requievit ab operi-

bus suis, sicut a suis Deus. » (Hebr., iv, 9-10.)

 

5. « Pater meus usque modo operatur, et ego operor. »

(Joan., V, 17.)

 

 

 

348 DROIT A l'héritage CELESTE

 

ploie son activité : il se contemple, il s'aime, il

jouit de lui-même, il est heureux, il est la béati

tude subsistante. Or, dans le ciel, nous lui

serons semblables, le voyant et l'aimant comme

il se voit et s'aime lui-même, nous partagerons

sa félicité, nous vivrons de sa vie.

 

Et rien ne viendra troubler ou interrompre

notre contemplation : ni les occupations maté-

rielles qui absorbent une si grande partie de

notre existence terrestre, ni les œuvres de misé-

ricorde qui n'auront plus à s'exercer là où toute

misère est absente, ni la nécessité actuellement

si impérieuse du sommeil. Plus de combats au

dedans, plus de luttes au dehors contre les enne-

mis de notre salut; toutes nos frontières seront

désormais à l'abri de leurs incursions. La paix,

une paix glorieuse, une paix inaltérable, sera

désormais notre partage. Le peuple entier des

élus, n'ayant plus rien à craindre, se reposera,

suivant le mot du prophète, dans la beauté de

la paix. Sedebit popalus meus in pulchriiudine

pacis... et in requie opalenta ^ . Oh! le doux repos!

Oh ! les heureuses vacances, consacrées tout

entières au plus beau spectacle qui puisse être

offert à une créature raisonnable, puisqu'il cons-

titue le bonheur même de Dieu. Ibi vacabimus et

videbimus.

 

L'intelligence, la plus noble de nos facultés,

sera donc de la fête; mais le cœur y aura, lui

aussi, sa grande part, car la vision engendrera

 

 

 

I. Is., XXXII, il

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 3^9

 

l'amour. Videhimus et amabimus. C'est même

alors, et alors seulement, que le précepte de la

sainte charité sera accompli pleinement, car nous

aimerons Dieu de tout notre cœur, de toute notre

âme, de toutes nos forces, de tout notre esprit* ;

nous l'aimerons sans relâche, sans interruption,

sans défaillance, sans ces alternatives d'ardeur et

de refroidissement si humiliantes pour les âmes

saintes dont elles font la désolation ; nous l'aime-

rons, et l'amour débordant de notre cœur et

montant jusqu'à nos lèvres éclatera en actions

de grâces et en louanges : Amabimus et laudabi-

mus^. Au lieu de se traduire comme ici-bas par

des désirs'^, des gémissements^, des langueurs 5,

il s'épanchera sous forme de cantiques de joie

et de chants d'allégresse 6. « Bienheureux, dit le

Psalmiste, ceux qui habitent dans votre maison,

ô Seigneur, ils vous loueront dans les siècles

des siècles : Beati qui habitant in domo tua, Do-

mine : in sœcula sœculorum laudabunt te'^, »

 

 

 

1. « Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et

ex tota anima tua, et ex omnibus Airibus tuis, et ex omni

mente tua. » (Luc, x, 27.)

 

2. S. Aug., De Civit. Dei. 1. XXII, cap. xxx, n. 5.

 

3. « Sitivit anima mea ad Deum fortem vivum. Quando

veniam et apparebo ante faciem Dei ? » (Ps. xli, 3.)

 

4. « Ipsi intra nos gemimus adoptionem ûliorum Dei

expectantes. » (Rom., vni, 23.)

 

5. « Adjuro vos, filiae Jérusalem, si inveneritîs dilectum

meum, ut nuntietis ei quia amore langueo. » (Gant., v, 8.)

 

6. « Gaudium et laetitia invenietur in ea, gratiarum ac-

tio et vox laudis. » (Is., li, 3.)

 

7. Ps., Lxxxm, 5.

 

 

 

35© DROIT A l'héritage CELESTE

 

Mais n'€st-il pas à craimire que le repos n'en-

gendre l'ennui et que la louange perpétuelle ne

tourne en dégoût ? « Si vous cessez d'aimer,

répond saint Augustin, vous cesserez de louer.

Mais votre amour n'aura point de cesse, parce que

celui que vous contemplerez est une beauté si

^ande, qu'elle est incapable de produire la

«atiété et le dégoût i. » Si un simple rayon de la

-beauté divine tombant sur le front d'une créature

la rend tellement aimable qu'elle entraine et

captive les cœurs ; si plus on la contemple, plus on

en est épris, quel invincible attrait n'exercera pas

sur les élus la vue claire, la contemplation pro-

longée de la beauté infinie? S'il est si doux

daimer ou d'être aimé par une simple créature,

pauvre et chétive comme nous, quelle joie, quel

bonheur, quelle ivresse n'éprouvera pas une

âme qui se sentira incessamment aimée de toute

la puissance de la Trinité sainte ? Que pourrai1>-

elle souhaiter encore^ sinon la prolongation d'un

tel bonheur? et le sachant éternel, comment ne

serait-elle pas pleinement rassasiée? « Dieu sera

donc la fin de nos désirs, lui qu'on verra sans

fin, que l'on aimera sans dégoût, et qu'on glori-

fiera sans lassitude 2. »

 

Voilà, autant du moins qu'il nou€ a été possi-

 

 

 

1. « Desines laudare, si desines amare. Non aixtem desi-

nes amare, quia talis est quem M'des, qui nuilo te offendat

fastidio. » S. Aug., in Ps. lxxxv, n. 24.

 

2. « Ipse finis erit desideriorum nostrorum.fqui aiae jBne

videbitur, sine fastidio amabitur, sinefatigatioBelaudabitur. »

(S. Aug., De Civit. Dei, 1. XXII, c. xxx, n. i )

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 35 1

 

ble de le balbutier, en quoi consiste ITiéritage

des enfants de Dieu ; voilà ce que sera la béati-

tude promise par Notre-Seigneur, sous le nom

de vie éternelle, à ceux qu'il appelle ses brebis* :

la contemplation directe et immédiate de la

beauté infinie, une perpétuelle extase d'amour,

une louange incessante. « Voilà ce qui sera à la

fin sans fin : Ecce quod erit in fine sine fine*. » Si,

au jugement du Psalmiste ou plutôt de l'Esprit-

Saint qui l'a inspiré, « un seul jour passé ici-

bas dans la maison de Dieu vaut mieux que

mille parmi les plaisirs mondains^», que penser,

que dire de la vie qui nous attend au ciel, vie si

pleine, si sainte, si débordante d'allégresse, vie

qui n'est plus sujette aux alternances du jour et

de la nuit, ni aux vicissitudes de la tristesse et

de la joie, surtout quand on réfléchit qu'elle

n'aura point de terme? Mais ce n'est pas assez

dire que de la proclamer interminable ; comme

l'éternité divine, dont elle est une participation,

elle ne connaît ni chang^ement, ni succession, ni

passé, ni avenir, et consiste dans un indivisible

et immuable présent, dans la possession pleine,

parfaite et immuable du bien souverain*.

 

 

 

1. « Oves mese vocem meam audîunt... et sequnntur

me : et ego vitam aeternam do eis. » (Joan., x, 38.)

 

2. S. A.ug , loô. cit. n. 6.

 

3. « Melior est dies una in atriis tuis super millia. » (Ps.

 

LXXIlIl, II.)

 

4. <« iEternitas vereet proprie ia solo Deo est, quia »ter-

nitas immutabilitatem consequitur. Solus autem Deus est

omnino immutabilis. Secundum taïuen quod aiiqua ab

 

 

 

352 DROIT A l'héritage CELESTE

 

Comment, en songeant à un pareil bonheur,

l'âme sainte encore exilée sur la terre, ne s'é-

crierait-elle pas avec l'épouse des Cantiques :

 

(' mon bien-aimé, apprenez-moi oii vous

menez paître votre troupeau, où vous reposez à

l'heure de midi : Indica mihi, quem diligit anima

mea, ubi pascas, ubi cubes in mendie^. » — « Midi I

c'est la A^ue, c'est la contemplation de votre

visage. Valias tuus meridies est^... Ici-bas, hélas I

ni la lumière n'est limpide, ni la réfection com-

plète, et la sécurité n'existe nulle part; c'est

pourquoi je vous prie de m'indiquer le lieu où

vous reposez à l'heure de midi... midi véri-

table, ô plénitude d'ardeur et de lumière, où

tout est stable, où le soleil ne décline jamais, où

les ombres sont inconnues, l'eau bourbeuse de

la terre desséchée, et les exhalaisons fétides du

monde pleinement dissipées ! lumière du midi,

douceur du printemps, beauté de l'été, fécondité

de l'automne, et, pour ne rien omettre, ô repos

de l'hiver ! à moins que l'on ne préfère dire

qu'il n'y aura point d'hiver. Indiquez-moi, ô mon

 

 

 

ipso immutabilitatem percipiunt, secundum hoc aliqua

ej us ae terni tatem participant... Quaedam autem participant

de ratione aeternitatis, in quantum habent intransmutabi-

litatem vel secundum esse, vel ulterius secundum opera-

tionem, sicut Angeli, et Beati, qui Verbo fruuntur, quia

quantum ad illam visionem Verbi, non sunt in sanctis volubi-

les cogitationes, ut dicit Augustinus (xv de Trin., c. i6).

Unde et videntes Deum dicuntur habere vitam aeternam. »

(S. Tb., Summa TheoL, I, q. x, a. 3.)

 

1. Gant., I, 6.

 

2. S. Bern., in Cant., serm. xxxiii, n -

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 353

 

bien-aimé, ce lieu de clarté, de paix, de pléni-

tude, afin que, nrioi aussi, je mérite de vous y

contempler dans votre lumière et votre beautés »

 

 

 

I. « Heu 1 nec clara lux, nec plena refectio, nec mansio

tuta : et ideo indica mihi ubi pascas, ubi cubes in meridie...

Vultus tuus meridies est... vere meridies, plénitude fer-

voris et lucis, solis statio, umbrarum exterminatio, desicca-

tio paludum, fetorum depulsio 1 pereiwie solstitium,

quando jam non inclinabitur dies ! O lumen meridianum,

o vernalis temperies, o aestiva venustas, o autumnalis uber-

tas ; et, ne quid videar praeteriisse, o quies et feriatio hiema-

lis ! aut certe, si hoc magis probas, sola tune hiems abiit

et recessit. Hune locum, inquit, tantae claritatis et pacis et

plenitudinis indica mihi, ut... ego quoque te in luminetuo

et in décore tuo per mentis excessum merear conteraplari. »

(S. Bern., loc cit., n. 6-7.)

 

 

 

A». SAINT-ESriIT. M

 

 

 

CHAPITRE V

Effets de l'habitation du Saint-Esprit

 

LES VERTUS INFUSES THÉOLOGALES ET MORALES

 

 

 

Si la béatitude se donnait uniquement à titre

d'héritage, nous n'aurions pas à nous préoccu-

per du soin de la mériter par nos œuvres ; il

suffirait pour l'obtenir de posséder, avec la grâce

sanctifiante et par elle, le titre et la qualité de

fils adoptif de Dieu. Tel est précisément le cas

des enfants baptisés, tant qu'ils n'ont pas atteint

l'âge de discrétion. Pour les adultes, il en va

autrement ; car, suivant la parole de saint

Augustin, celui qui nous a créés sans nous n'a

pas jugé bon de nous justifier et de nous sauver

sans nous ^

 

Il était, en effet, à tout le moins fort conve-

nable qu'après avoir été déifié, et élevé par un

don très sublime, jusqu'à la participation de

 

 

 

I. « Qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. •»

|S. Aug., De Verbis Apost., serm xv, cap. xi.)

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 355

 

l'être et de la vie de Dieu, l'homme fût mis en

demeure d'agir divinement, d'exercer les fonc-

tions de sa YÀe nouvelle et de devenir par là le

coopérateur de Dieu et Tartisan secondaire de

son propre salut. Aussi bien, le Concile de

Trente, interprète infaillible de la vérité révélée,

déclare-t-il ouvertement que « la vie éternelle

doit être proposée aux justifiés, non seulement

comme une grâce miséricoi^dieusement promise

aux enfants de Dieu par Notre-Seigneur, mais

^sicore comme la récompense de leurs bonnes

oeuvres et le salaire de leurs mérites, comme

mie couronne de justice que le juste juge tient

en réserve pour quiconque aura légitimement

combattu 1. »

 

C'est pourquoi l'apôtre saint Paul nous exhorte

à abonder en toute sorte d'actions saintes, avec

la ferme persuasion que, loin d'être stérile dans

le Seigneur, notre labeur doit au contraire rece-

voir une magnifique récompense '. Et pour

stimuler notre zèle et secouer notre apathie,

il nous rappelle que nous ne sommes sauvés

 

 

 

1 . « Proponenda est vita aeterna, et tanquam gratia filiis

Del per Christum Jesum misericorditer promissa; et tan-

quam merces ex ipsius Dei promissione bonis ipsorum

operibus et meritis fideliter reddenda. Hœc est enim illa

corona justitiae.quam post suum certamen et cursum repo-

sitam sibi esse aiebat Apostolus, a justo judice sibi redden-

dam : non solum autem sibi, sed et omnibus qui diligunt

adventum ejus. » {Conc. Trid., sess. vi, c. xvi.)

 

2. « Abundantes in opère Domini semper, scientes quod

labor vester non est inanis in Domino. » (I Cor., xv, 58.) —

« Nolite amittere confidentiam vestram, quay magnam

habet remunerationem. » (Hebr., x, 35.)

 

\

 

 

 

356 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

qu'en espérance, spe salvi facti samus^, et que

pouvant toujours, hélas ! perdre la grâce reçue,

nous devons opérer notre salut avec crainte et

tremblement*. Unissant sa grande voix à celle

de saint Paul, le chef du collège apostolique

nous crie de son côté : « Efforcez vous, mes

frères, d'assurer par les bonnes œuvres votre

vocation et votre élection. En agissant de la

sorte vous ne pécherez pas, et vous vous ména-

gerez une heureuse entrée dans le royaume

éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-

Christ'. ))

 

Mais pour mériter, pour produire des actes en

rapport avec notre élévation surnaturelle, pour

être en état de nous acheminer vers cette fin

d'ordre supérieur qui nous a été assignée par la

divine miséricorde et que la nature est incapable

d'atteindre par elle-même, pour agir divinement,

en un mot, des forces, des puissances, des éner-

gies divines, des secours spéciaux nous sont

nécessaires. Dieu ne nous les a point refusés; il

nous les accorde même avec une variété et une

surabondance vraiment merveilleuses. De même,

en effet, que dans l'ordre naturel nous possé-

dons tout un ensemble de facultés, intellectuelles

 

 

 

1. Rom., VIII, 24.

 

2. « Cum metu et tremore vestram salutem operamini. »

(Philip., II, 12.)

 

3. « Quapropter, fratres, magis satagite, ut per bona

opéra certain vestram vocationem et electionera faciatis;

hsec enim facientes, non peccabitis aliquando. Sic enim mi-

nistrabitur vobis introitus in seternum regnum Dei nostri

et Salvatoris Jesu Ghristi. » (II Petr., i, lo-ii.)

 

 

 

LES VERTUS THEOLOGALES Sbj

 

et sensibles, qui dérivent de l'essence de l'âme

et constituent autant de principes prochains

d'opération ; ainsi, dans Tordre surnaturel, nous

recevons avec l'être spirituel toute une série de

puissances nouvelles, qui découlent de la grâce

comme ses propriétés, perfectionnent, ennoblis-

sent, élèvent nos facultés au-dessus d'elles-mêmes

et les rendent capables de poser des actes supé-

rieurs aux forces de la nature i. Sans doute, la

grâce actuelle suffîriit à la rigueur pour ces

sortes d'opérations ; et, de fait, c'est par des

secours de ce genre, passagers et transitoires,

que Dieu vient en aide au pécheur non régénéré,

pour le mettre à même d'accomplir les actes pré-

paratoires à la justification.

 

Mais quand la vie surnaturelle est parvenue

dans une âme à l'état parfait, quand elle lui a

été communiquée d'une façon stable par le don

de la grâce sanctifiante, ce n'est plus seulement

par des secours transitoires que Dieu pourvoit à

ce que cette âme puisse exercer les fonctions de

sa nouvelle vie ; il lui infuse des principes d'acti-

vité proportionnés aux opérations qu'elle doit

émettre, il lui donne des forces, des qualités sur-

naturelles permanentes, tranchons le mot, des

habitudes, qui la mettent en état d'exercer d'une

manière comme naturelle, connaturaliier . des

 

 

 

I. « Sicut ab essentia animae effluunt ejus potentiae, quae

sunt ejus operumprincipia; ita etiam ab ipsa gratis effluunt

virtutes in potentias animae, par quas potentiae moventur

ad actus. » (S. Th., Summa TheoL, la II-, q. ex, a. 4, ad x.)

 

 

 

358 EFFETS DE l'haBITATION DU SAINI-ESPRIT

 

œuvres surnaturelles. Ces habitudes soiat les

vertus infuses et les dons du Saint-Esprit.

 

Cet organisme surnaturel a été admirablement

décrit, dans une page que nous nous reproche-

rions de ne pas mettre sous les yeux de nos

lecteurs. « C'est quelque chose d'ineffable, dit

Mg' Gay, que ce rayonnement actif et bienfaisant

de Dieu dans la créature qu'il habite... Avant

tout, Dieu rayonne et opère dans l'essence de

l'âme. 11 y verse cette grâce radicale qu'on appelle

sanctifiante, et qui, étant à la fois la condition

et l'effet premier de sa présence surnaturelle,

devient en nous un titre et comme un passage à

ses autres bienfaits, et livre l'âme tout entière à

ses opérations, du moins en droit, en puissance

et en principe. C'est par cette grâce qu'il la

délivre, qu'il l'innocente, qu'il la fait neuve,

jeune, candide, ouverte à toutes les influences

auxquelles il la soumet, docile à toutes les impul-

sions qu'il lui donne. C'est par cette grâce qu'il

tient, pour ainsi dire, les racines de cette âme,

et, la greffant sur lui, fait qu'elle boit sa sève

trois fois sainte, et devient capable de la projeter

dans toutes ces magnifiques puissances par les-

quelles elle s'étend elle-même comme l'arbre par

ses rameaux. Ces puissances naturelles, si nom-

breuses, si variées et déjà ii admirables, sont

divinement perfectionnées par cette diffusion

intérieure, chacune selon son ordre, sa fonction

et sa fin. Toutes en reçoivent des qualités nou-

velles, supérieures, essentiellement surnaturelles,

qui sont tout à la fois des souplesses et des

énergies, des docilités et des forces, des transpa-

rences et des foyers, rendant l'âme plus passive

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGiSLES 35g

 

SOUS la main de Dieu et en même temps plus

active à le servir et à faire ses œuvres. Ce sont

d'abord ces vertus souveraines qu'on nomme

théologales, la foi, l'espérance et la charité.

L'expérience nous fait voir que l'unique lumière

du soleil s'épanouit en plusieurs couleurs, et

d'abord en trois principales. Il semble que ces

trois grandes vertus soient l'épanouissement

immédiat de la grâce sanctifiante. Ce sont ensuite

les vertus infuses, soit intellectuelles, soit mora-

les. Ce sont les dons du Saint-Esprit qui ,

dérivant des trois vertus théologales comme de

leur source, mettent l'âme en état d'exercer divi-

nement les vertus secondaires et deviennent les

germes féconds des fruits que Dieu veut récolter

en nous. Sans doute le seul sacrement de la

confirmation donne d'office l'abondance de ces

dons sacrés; mais le simple état de grâce en

implicfue la présence dans l'âme, et il n'y a pas

un seul juste qui ne les possède tous dans telle ou

telle mesure ^ » L'enfant lui-même, baptisé à

l'aurore de la vie et incapable à cet âge d'acte

bon ou mauvais, reçoit néanmoins avec la grâce

tout cet ensemble de vertus surnaturelles, comme

autant de semences que TEsprit-Saint jette dans

son âme, afin que, au premier éveil de la raison,

elles soient là, prêtes à entrer en exercice et à

donner leurs fruit .

 

 

 

I. Mgr Gay, De la vie et des vertus chrclicnnes i*'^ traité.

 

 

 

36o EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

II

 

 

 

On peut déjà voir par ce qui vient d'être dit qu'un

quadruple élément constitue la vie surnaturelle

du juste : la grâce habituelle ou sanctifiante, les

vertus théologales, les vertus morales infuses et

les dons du Saint-Esprit. Il ne sera pas hors de

propos de consacrer ici quelques pages à l'expo-

sition sommaire de la nature, du rôle, du fonc-

tionnement de ces divers éléments. Si l'étude de

la vie organique et rationnelle offre au physio-

logiste et au philosophe an attrait non médiocre,

quel intérêt puissant ne doit pas avoir pour un

chrétien la connaissance des organes, des fonc-

tions, des phénomènes de la vie surnaturelle,

bref des moyens employés par l'Esprit-Saint

pour causer et promouvoir la sanctification de

son âme ? Nous ne dirons qu'un mot du rôle de

la grâce, dont nous avons suffisamment exposé

plus haut la nature et les effets.

 

Pour mettre l'homme en état d'exercer les

actes qui doivent le conduire à la vision béati-

fique, terme final de ses destinées, Dieu verse

d'abord en lui la grâce sanctifiante qui joue dans

Tordre surnaturel le rôle de l'âme dans celui de

la nature. De même, en effet, que par son union

avec le corps l'âme fait d'une matière vile et

inerte un être vivant et humain, ainsi la grâce,

véritable forme d'un ordre supérieur, commu-

nique à qui la reçoit un être nouveau, un être

spirituel et divin, qui fait de l'homme un chré-

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 301

 

tien et un enfant de Dieu*. Et parce que l'être

est la perfection propre de l'essence, tout ainsi

que l'opération est celle des puissances, la grâce

est reçue dans l'essence même de l'âme qu'elle

rend participante de la nature divine, tandis que

les vertus qui l'accompagnent ont pour sujet les

diverses facultés humaines qu'elles élèvent et

perfectionnent en ajoutant à leurs forces nati-

ves une énergie de surcroît, plus haute et plus

puissante 2.

 

Nul ne doit donc s'étonner que, à l'instar de

l'âme qui n'agit pas directement par sa sub-

stance, mais par l'intermédiaire de ses facultés,

la grâce sanctifiante n'opère pas non plus immé-

diatement par elle-même, mais par l'entremise

des vertus infuses et des dons qui lui tiennent

lieu de puissances 3. Elle est bien, il est vrai, un

principe de vie et d'opération, mais c'est un

 

 

 

I. « Infunditur divinitus homini ad peragendas actiones

ordinatas in finem vitae aeternae primo quidem gratia, per

quam habet anima quoddam spirituale esse. » (S. Th., De

virt. in comm., q. un., a. lo.)

 

a. « Oportet dicere quod gratia sit in essentia animae,

perficiens ipsam, in quantum dat ei quoddam esse spiri-

tuale, et facit eam per quamdam assimilationem consortem

naturae divinee, ut habetur a Petr., i, 4. sicut virtutes per-

ficiunt potentias ad recte operandum. » ( S. Th, De Verit.,

q. xxvn, a. 6 )

 

3. « Sicut essentia animse immédiate est essendi princi-

pium, opéra tionis vero principium est mediantibus poten-

tiis, ita immediatus effectus gratiae est conferre esse spiri-

tuale, quod pertinet ad informationem subjecti... Sed effec-

tus gratiae mediantibus virtutibus et donis est elicere actus

meritorios. » (S. Th., De Verit., q. xxvn, a. 5, ad 17.)

 

 

 

362 EFFETS DE l' HABITATION DU SALNT-ESPRIT

 

principe radical et éloigné, non un principe im-

médiat et prochain ; c'est la racine ou le tronc

de l'arbre, les vertus surnaturelles en sont les

branches ; or, comme chacun sait, ce sont les

branches qui d'ordinaire portent les fleurs et les

fruits.

 

Nous avons nommé les vertus surnaturelles et

infuses. On les appelle surnaturelles, parce

qu'elles surpassent la portée et les exigences de

la nature ; infuses, parce que, à l'inverse des ver-

tus naturelles ou acquises qui sont le résultat de

l'activité humaine et s'acquièrent par la répéti-

tion fréquente des mêmes actes i, elles ne peu-

vent provenir que de Dieu, qui les cause lui-

même en nous sans notre coopération effective,

mais non cependant sans notre consentement 2.

On les désigne encore sous le vocable de vertus

chrétiennes, parce qu'elles sont l'apanage exclusif

du parfait chrétien, c'est-à-dire du membre

 

 

 

1 . Les vertus naturelles s'acquièrent ordinairement par

la répétition fréquente des mêmes actes. Sans doute, Dieu

pourrait, s'il le jugeait bon, conférer à quelqu'un ces ver-

tus sans qu'il lui en coûtât ni peine ni effort, comme il

conféra aux apôtres le don des langues, dont ils auraient pu

acquérir la connaissance par l'étude; mais alors même

elles ne seraient infuses qu'accidentellement, per accidens,

comme dit l'Ecole, et demeureraient des vertus naturelles,

spécifiquement différentes des vertus chrétiennes, qui ne

peuvent s'acquérir que par infusion. — (Ad rem cf. S. Th.,

I' II", q. Li, a. II.)

 

2. « Virtus infusa causatur in nobis a Deo sine nobia

agentibus, non tamen sine nobis consentientibus; et sic est

întelligendum quod dicitur : Quam Deus in nobis sine nobis

operatur. » (S. Th., I»II", q. lv, a. 4, ad 6.)

 

 

 

LEB VERTUS THÉOLOGALES 365

 

vivant de Jésus-Christ ; venues avec laf grâce,

elles croissent, se développent et disparaissent

avec elle, sauf la foi et l'espérance, qui persévè-

rent dans le pécheur et ne sont détruites que

par une faute grave en opposition avec elles.

Les vertus infuses sont donc implantées en nous

pour élever et transformer les énergies de la

nature et les rendre capables d'opérations méri-

toires de la vie éternelle, comme on greffe sur

un sauvageon les rameaux d'une espèce plus

excellente et plus noble, et la sève naturelle de

l'arbuste, en passant à travers la greffe, se cor-

rige et s'épure au point de produire des fruits

qui ne sont plus comme auparavant âpres et

sauvages, mais doux et exquis.

 

Au nombre des vertus infuses il faut mettre

en première ligne les trois vertus théologales,

ainsi nommées parce qu'elles ont Dieu même

pour objet, que lui seul peut les répandre dans

les cœurs, et que c'est à la révélation divine que

nous sommes redevables de leur connaissance^.

Impossible de révoquer en doute l'existence de

ces vertus, dont saint Paul fait une mention

expresse dans sa première épître aux Corin-

thiens : « Maintenant, dit-il, demeurent ces

trois vertus, la foi, l'espérance et la charité;

mais la plus excellente des trois est la charité.

Nunc autem marient fides, spes, charitas : tria

hœc; major autem horum est charitas^. » Le Concile

de Trente n'est pas moins formel. Il enseigne^

 

 

 

I. S. Th., lallae, q. lxii, a. i.

9. I Cor., XIII, i'6.

 

 

 

364 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

en effet, que « dans la justification l'homme

reçoit, avec la rémission des péchés, les trois

vertus de foi, d'espérance et de charité, infuses

en même temps dans son âme par Jésus-Christ,

sur lequel il est greffé ^ ».

 

Ces preuves d'autorité deviennent encore plus

convaincantes quand on considère la fin vers

laquelle nous devons tendre et nous acheaiiner

par nos actes. Si cette fin n'était autre que la

béatitude proportionnée à la nature, les forces

naturelles, aidées du secours divin, nous suffi-

raient pour y parvenir. Mais parce que, dans sa

bonté infinie, Dieu a daigné nous appeler à une

fin surnaturelle, à la participation de sa propre

béatitude, à la possession de biens qui dépassent

absolument la portée de nos facultés, il est de

toute nécessité qu'il surajoute à nos forces nati-

ves d'autres principes d'agir plus puissants, des

énergies d'ordre divin en rapport avec le but

qu'il s'agit de poursuivre et d'atteindre. Ces

principes supérieurs sont, tout d'abord, les trois

vertus théologales de foi, d'espérance et de cha-

rité, qui nous ordonnent vers la fin dernière qui

est Dieu 2.

 

 

 

1. « In ipsa justificatione cum remissione peccatorum

haec omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum,

cui inseritur, fidem, spem et charitatem. » {Conc. Trid.y

sess. VI, c. 7.)

 

2. « Per virtutem perficitur homo ad actus quibus in

beatitudinem ordinatur. Est autem duplex hominis beati-

todo, sive félicitas. Una quidem proportionata humanae

naturae, ad quam scilicet homo pervenire potest per prin-

dpia suae naturae. Alia autem est beatitudo naturam ho-

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 365

 

Que faut-il, en efîet, pour qu'un être raison-

nable soit en mesure de tendre d'une manière

droite et régulière à une fin déterminée? Qu'il

en ait la connaissance et le désir. La connais-

sance : comment s'y acheminer sans cela? Le

désir : autrement il ne se mettrait point en peine

de l'obtenir. Mais le désir efficace d'un bien

suppose la confiance qu'on pourra l'acquérir,

car le sage ne se met point en mouvement vers

un but qu'il estime hors d'atteinte; puis l'amour,

car on ne désire que ce qu'on aime. De là, pour

disposer notre âme et la rendre apte à s'achemi-

ner librement vers le terme de ses destinées sur-

naturelles, la nécessité des vertus théologales :

de la foi, qui nous montre en Dieu, vu et pos-

sédé tel qu'il est en lui-même, la fin suprême à

laquelle nous sommes appelés; de l'espéranr ,

par laquelle, confiants dans le secours qui nous

a été promis, nous attendons du Père céleste et

la béatitude éternelle et les moyens nécessaires

ou utiles pour y parvenir; de la charité enfin,

 

 

 

minis excedens, ad quam homo sola divina virtute perve-

nire potest secundum quamdam Divinitatis participatio-

nem. . . Et quia hujusmodi béatitude proportionem humanœ

naturae excedit, principia naturalia hominis, ex quibus

procedit ad bene agendum secundum suam proportionem,

non sufficiunt ad ordinandum hominem in beatitudinem

praedictam; unde oportet quod superaddantur homini

divinitus aliqua principia per quae ita ordinetur ad beatitu-

dinem supernaturalem, sicut per principia naturalia ordi-

natur ad flnem connaturalem ; non tamen absque adjutorio

divino : et hujusmodi principia, virtutes dicuntur theolo-

gicae. » (S. Th., l'U". q. Lxn, a. i.)

 

 

 

qui nous fait aimer par-dessus toutes choses

Celui qui est la bonté infinie i.

 

Telles sont les trois vertus maîtresses qui doi-

vent donner à notre vie sa véritable orientation

et exercer sur toute notre conduite leur salutaire

influence : la foi, que le Concile de Trente

appelle a le commencement du salut, le fonde-

ment et la racine de toute justification ; sans

laquelle il est impossible de plaire à Dieu et

d'arriver à la société de ses enfants 2 » ; l'espé-

rance, cette ancre solide et ferme que nous

jetons au ciel 3, afin que ni les orages ni les tem-

pêtes de la vie présente ne soient capables de

nous détacher de Dieu et de jeter loin du port

notre fragile nacelle ; la charité enfin, la plus

noble et la plus excellente des trois ; la charité,

cette reine incomparable qui donne aux autres

vertus leur forme et leur perfection dernière, en

 

 

 

I. « Ad hoc quod moveamur recte in finem, oportet

finem esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem

finis duo exigit : scilicet fiduciam de fine obtinendo, quia

nullus sapiens movetur ad id quod consequi non potest :

et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et

ideo victutes theologicae sunt très : scilicet fides, qua Deum

cognoscimus ; spes, qua ipsum nos obtenturos esse spera-

mus; et charitas, qua eum diligimus. » (S. Th., De Virt. in

comm., q. un., a. 12.)

 

3. « Fides est humanse salutis initium, fundamentum,

 

et radix omnîs justificationis : shie qua impossibile est pla-

 

cere Deo, et ad filiorum ejus consortium pervenire. » (Conc,

 

Trid., sess. vi, c. 8.)

 

3. <( Spem, quam slcut anchoram habemus animae tutam»

 

cafirmam, et incedentem usque ad interiora velaminis.

(Hebr., vi, 19.)

 

 

 

DES VERTUS MORALES INFUSES 867

 

faisant converger leurs actes vers son objet

propre, Dieu la bonté suprême, et en les rendant

méritoires de la vie éternelle.

 

 

 

111

 

 

 

Si précieuses et excellentes que soient les vertus

théologales, elles ne suffisent cependant pas pour

régler, à elles seules, toute la vie du chrétien;

d'autres vertus doivent prêter leur appoint et leur

concours à cette œuvre complexe ; nous avons

nommé les vertus morales. Sans doute, la pre-

mière et la plus indispensable condition du salut

consiste à être bien ordonné par rapport à la fin

dernière ; mais encore faut-il que cette bonne

disposition s'étende jusqu'aux moyens qui doi-

vent nous conduire au terme. Au surplus, ce

n'est pas seulement envers Dieu que nous avons

des devoirs à remplir, d'autres nous incombent

encore à l'égard du prochain et vis-à-vis de

nous-mêmes. Si donc pour incliner notre intel-

ligence à adhérer à Dieu comme à la vérité pre-

mière, si pour disposer notre volonté à se porter

vers lui en tant qu'objet de notre félicité suprême

et à l'aimer comme bonté infinie, nous avons

besoin des vertus théologales, pour l'accom-

plissement fidèle, prompt et facile de nos obli-

gations morales, d'autres vertus nous sont éga-

lement nécessaires : la prudence, pour éclairer

et diriger notre conduite, et nous apprendre à

discerner ce que nous devons faire et ce qu'il

faut éviter ; la justice, pour nous préparer à

 

 

 

368 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

rendre à chacun ce qui lui est dû ; la force, pour

nous faire triompher des difficultés qui se ren-

contrent dans la pratique du bien ; la tempé-

rance, enfin, pour modérer les plaisirs des sens

et les maintenir dans de justes limites.

 

A ces quatre vertus principales, communément

appelées cardinales, parce quelles sont comme

l'axe autour duquel roule toute notre vie morale,

se rattache une multitude de vertus secondaires

et annexes, qui toutes ont leur objet et leur fin

propres et contribuent, chacune dans sa sphère,

à Tordonnance et à la sanctification de notre

existence terrestre jusque dans ses moindres

détails.

 

Mais en est-il des vertus morales comme de la

foi, de l'espérance et de la charité ? Sont-elles

divinement infuses pour être les organes et les

instruments de la vie surnaturelle, ou devons-

nous les acquérir par nos actes? Sont-elles un

don de l'Esprit-Saint ou un produit de la nature?

Faut-il, en un mot, admettre dans le juste, en

outre des vertus morales naturelles qui consti-

tuent l'honnête homme et s'acquièrent par la

répétition fréquente des mêmes actes, d'autres

vertus analogues d'un ordre supérieur, des ver-

tus morales chrétiennes ou surnaturelles que

Dieu produirait directement et répandrait dans

les âmes avec la grâce et qui seraient l'apanage

exclusif de ses enfants adoptifs? Question vive-

ment débattue jadis, et oii la diversité des opi-

nions peut encore se donner libre carrière.

 

Un certain nombre de théologiens médiévistes,

considérant d'une part que l'influence de la

charité est suffisante pour rendre méritoires de

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 869

 

la vie éternelle des actes émanés de principes

naturels, ne voyaient pas la nécessité de ces

vertus infuses ; et, d'autre part, ils en contes-

taient l'existence comme contraire à l'expé-

rience, sous le prétexte qu'après leur justifica-

tion les hommes éprouvent les me; nés difficultés

peur le bien qu'auparavant. Or, le propre de la

vertu est d'incliner au bien qui la possède et de

lui en rendre la pratique facile.

 

Nonobstant ces raisons, plus spécieuses que

convaincantes, la grande majorité des docteurs a

toujours tenu et enseigné comme plus probable

l'opinion qui admet l'existence des vertus mora-

les infuses. Nous ne pouvons pas, il est vrai,

apporter ici en faveur de ce sentiment, comme

nous l'avons fait plus haut pour les vertus théolo-

gales, l'autorité du Concile de Trente; car il ne

fait aucune mention des vertus morales. Mais ce

serait se tromper étrangement que de vouloir

arguer de ce silence pour combattre un enseigne-

ment commun dans l'Ecole. Si le saint Concile

ne parle pas des vertus morales infuses, la raison

en est facile à donner ; c'est pour demeurer fidèle

à son programme et à la résolution prise dès le

principe de concentrer tous ses efforts sur les

vérités niées par l'hérésie et de ne pas dirimer

les questions controversées entre catholiques.

 

Et pour qu'on ne se méprît pas sur sa véri-

table pensée, le Catéchisme officiel entrepris par

ses ordres et approuvé par le grand pape saint

Pie Y énumère parmi les effets du baptême, a le

très noble cortège de toutes les vertus qui sont

divinement infusées dans l'âme avec la grâce :

Huic autem additur nobilissimus omnium virtutum

 

HA». lAiiiT-KsrRiT. — a4

 

 

 

370 EFFETS DE l'haBITATION DU SAli'» i -KhPRIT .

 

comiiatas, qaœ in animam cam graiia divinitas

infundanUir^. » Expressions bien singulières, si ce

cortège se composait uniquement des trois vertus

théologales.

 

Ce n'est pas la seule circonstance où l'Eglise

ait manifesté son sentiment sur le point qui nous

occupe. Déjà, au XIII^ siècle, à propos d'une

controverse relative aux effets du baptême dans

les enfants, question sur laquelle les théologiens

étaient partagés en deux camps, les uns soute-

nant que la vertu du sacrement remet simple-

ment aux enfants la faute originelle, sans leur

conférer ni la grâce, ni les vertus infuses, dont

ils ne voyaient pas la nécessité tant que Tenfant

est incapable d'en faire les actes, les autres étant

d'un a\is contraire, un illustre Pontife, Inno-

<ïent 111, sans se prononcer sur le fond du débat,

faisait pourtant remarquer que l'assertion de

ceux qui prétendent que « ni la foi, ni la cha-

rité, ni les autres vertus, ne sont conférées aux

enfants, faute de consentement, n'est pas admise

absolument par le plus grand nombre 2 ».

 

En effet, la majorité des théologiens tenaient

pour l'infusion de la grâce et des vertus à l'état

d'habitudes, non seulement dans les adultes,

mais dans les enfants eux-mêmes. Et de quelles

vertus s'agissait-il? Des vertus théologales? Sans

 

 

 

I. Catech. Conc, part. 11, de Baptismo, n. 5i.

 

a. <( Illud vero, quod opponentes inducunt, fidem aui

caritatem aliasque virtutes parvulis, utpote non consentien-

tibus, non infundi, a plerisque non conceditur absolute. n

(Innoc. III, e. Majores, de Baptismo.)

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 87 1

 

doute, mais aussi des autres, suivant l'expression

d'Innocent IIL Or, si les premières avaient été

seules en cause, quoi de plus simple et de plus

naturel que de compléter l'énumération en ajou-

tant l'espérance à la foi et à la charité déjà

nommées? Et pourquoi ce pluriel, les autre€ ver-

tus, pour n'en désigner qu'une seule?

 

 

 

IV

 

 

 

Un siècle plus tard, en i3i2, dans le Concile

œcuménique de Vienne, un autre Pontife, dé-

nient V, reprenant cette même question toujours

débattue entre scotistes et thomistes, se pronon-

çait cette fois nettement pour le sentiment de

saint Thomas, et, sans faire une définition de foi,

déclarait adopter, avec l'approbation du Concile,

a comme plus probable et plus conforme aux

enseignements des saints et des théologiens

modernes, l'opinion d'après laquelle la grâce

informante et les vertus sont conférées à tous

les baptisés, enfants où adultes' ».

 

 

 

I. « Nos autem attendentes generalem efficaciam mortis

Ghristi, quae per baptisma applicatur pariter omnibus bap-

tizatis, opinionem secundam, quae dicit tam parvulis quam

adultis conferri in baptismo informantem gratiam et vir-

tutes, tanquam probabiliorem, et dictis sanctorum et

doctorum modernorum theologiœ magis consonam et

concordem, sacro approbante concilio duximus eligen-

dam. )) (Clemens V, in Gonc. Vienn., De samma Trinit., et

CathoL Fide.)

 

 

 

372 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

En présence d'une telle autorité, les théolo-

giens se sont depuis communément rangés à

Topinion qui admet l'existence des vertus mora-

les infuses. Et l'Ecriture, ainsi que la Tradition,

viennent à l'appui de ce sentiment. Les saintes

Lettres nous parlent, en effet, de vertus cardi-

nales qui sont, non le résultat du travail humain,

mais le fruit de la sagesse divine. « Car c'est

elle qui enseigne la tempérance, la prudence, la

justice et la force, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus

utile en cette viei. » Saint Augustin déclare

pareillement que « les vertus qui doivent diriger

notre vie sont au nombre de quatre, selon la

doctrine des sages et les enseignements de l'Ecri-

ture. La première s'appelle la prudence ; elle

nous fait discerner le bien d'avec le mal. La

seconde est la justice, par laquelle nous rendons

à chacun ce qui lui appartient. La troisième est

la tempérance, au moyen de laquelle nous refré-

nons nos passions. La quatrième est la force, qui

nous rend capables de supporter tout ce qui est

pénible. Ces vertus nous son! données de Dieu

avec la grâce dans cette vallée de larmes : Isiœ

vir tûtes nunc in convalle plorationis per gratiam

Dei dantur nobis ». »

 

A l'appui de cette doctrine, saint Thomas

apporte une raison théologique de grand poids.

Il faut, dit-il, que les effets correspondent et

soient proportionnés à leurs causes ou principes.

Or toutes les vertus, tant intellectuelles que

 

 

 

I. Sap., VIII, 7.

 

a. S. Aug., in Ps. lxxiitt. n. 11.

 

 

 

LES VERTUS MORAI.ES INFUSES 378

 

morales, que nous pouvons acquérir par nos

actes, procèdent de certains principes déposés

dans le fond de notre être, de certains germes

naturels dont elles sont l'épanouissement. Au

lieu et place de ces principes. Dieu nous confère,

dans l'ordre de la grâce, les vertus théologales,

qui nous ordonnent vers notre fin surnaturelle,

n faut donc, pour qu'il y ait harmonie dans le

plan divin, qu'à ces vertus théologales divine-

ment infuses correspondent d'autres habitudes

surnaturelles, de même origine et du même

ordre qu'elles, qui aient pour but de surnatura-

liser notre vie morale et d'en rendre les actes

méritoires de la vie éternelle ; des habitudes qui

soient aux vertus théologales ce que les vertus

humaines, intellectuelles ou morales, sont aux

principes naturels d'où elles procèdent*.

 

Car, il ne faut pas se le dissimuler, les vertus

acquises ne sont pas proportionnées aux vertus

théologales : non sujit proportionatœ virtatibus

iheologicis^ ; issues de principes naturels, elles

ne sauraient étendre leur activité au delà des

bornes de la nature. Sans doute, en opérant sous

l'influence et l'empire de la charité, elles peuvent

accomplir des œuvres méritoires ; mais toute la

valeur de ces œuvres provient en définitive du

principe qui les inspire, et l'acte émané d'une

vertu naturelle demeure intrinsèquement un

acte naturel, sans proportion par lui-même avec

la récompense céleste.

 

 

 

I. S. Th., MI*% q.Lxm, a. 3.

a. Ibid., ad i.

 

 

 

3 74 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

Le chrétien peut donc posséder deux sortes de

vertus morales, spécifiquement différentes, les

unes naturelles et acquises, les autres surnatu-

relles et infuses : une prudence naturelle et

une prudence infuse, une justice naturelle et

une justice infuse, etc., ayant un même objet

matériel, mais se distinguant entre elles non

seulement par leur origine et leur mode d'ac-

croissement S mais encore par leur objet formel

et par leur règle. Ainsi, pendant que la tempé-

rance naturelle nous fait garder, dans l'usage

des aliments, une juste mesure fixée par la raison

et consistant à éviter tout excès capable de nuire

à la santé du corps ou d'entraver les opérations

de rinteliigence, la tempérance infuse ou chré-

tienne, s'élevant plus haut, nous incline, sous la

direction de la foi, à châtier notre corps et à le

réduire en servitude par le jeûne, l'abstinence,

 

 

 

I. Les vertus naturelles se développent, comme elles

s'engendrent, par la réitération fréquente des mêmes actes^

qui deviennent ainsi la cause efficiente de ces habitudes.

Quant aux vertus surnaturelles, par le fait même qu'elles

sont supérieures aux forces de la nature, leur infusion,

comme leur accroissement, est l'œuvre directe et immé-

diate de Dieu. Par conséquent, les actes même surna-

turels produits sous l'influence de la grâce actuelle avant

la justification, loin d'en être la cause efficiente, sont sim-

plement une disposition préalablement requise dans les

adultes à la réception de la grâce sanctifiante et des vertus

qui l'accompagnent. Après la justification, nos actes surna-

turels peuvent bien être et sont effectivement une cause

morale ou méritoire de l'accroissement de la grâce et des

vertus infuses, mais ils n'en sont point la cause physique

ou efficiente.

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES S'jb

 

les veilles, et autxes mortifications K On voit par

là combien diffèrent entre elles la tempérance

acquise et la tempérance infuse ; et il en est de

même des autres vertus morales, suivant qu'elles

sont un produit de la nature ou un don de Dieu.

Les unes peuvent se rencontrer dans le pécheur,

les autres sont le privilège exclusif des justes.

 

Mais alors, d'oii peuvent donc provenir les

difficultés et les répugnances qu'éprouvent dans

la pratique de certaines vertus des hommes pour-

tant justifiés, et qui devraient par conséquent

les posséder toutes ? Car enfin la meilleure

marque, le signe le plus authentique de la pré-

sence d'une habitude, c'est la facilité et le plaisir

qu'on éprouve à en faire les actes.

 

Saint Thomas, à qui nous avons emprunté

l'objection, nous fournira de même la réponse.

« Il n'est pas rare, dit-il, de trouver quelqu'un

possédant une habitude intellectuelle ou morale

et éprouvant . néanmoins de la difficulté à en

faire les actes, et n'y ressentant ni plaisir ni

satisfaction par suite de certains obstacles extrin-

 

 

 

I. « Manifestum est quod alterius rationis est modus qui

împonitur in hujusmodi concupiscentiis secundum regii-

lam rationis humanae, et secundum regulam divinam :

puta in sumptione ciborum ratione humana modus statui-

tur ut non noceat valetudini corporis, nec impediat rationis

actuni ; secundum autem regulam legis divinae requiritur

quod homo casiiget corpus suum et in servitutem redigat per

abstinentiam cibi et potus, et aliorum hujusmodi. Unde

manifestum est quod temperantia infusa et acquisita diffe-

runt specie ; et eadem ratio est de aliis virtutibus. » (S. Th.,

I* II", q. Lxni, a. 4.)

 

 

 

376 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

sèques qui viennent se mettre à la traverse.

Ainsi, un savant rencontre parfois une vraie

difficulté à s'occuper de la science qu'il a acquise,

quand le sommeil ou quelque autre indisposi-

tion vient entraver l'exercice de ses facultés.

Pareillement, quelqu'un qui possède les vertus

morales infuses pourra à l'occasion éprouver

une certaine difficulté dans la pratique des bonnes

œuvres, par suite d'une inclination mauvaise

contractée antérieurement et que ces vertus n'ont

point fait disparaître, parce qu'elles ne lui sont

pas directement opposées. 11 en va autrement

des vertus acquises ; car les actes qui les

engendrent, en se renouvelant fréquemment,

détruisent par le fait même les dispositions con

traires ^ . »

 

Ajoutons, pour être complet, qu'il n'est pas

universellement vrai que le pécheur justifié

ressente, après une sincère et généreuse conver-

sion, les mêmes répugnances pour le bien qu'au-

paravant. Combien de difficultés, qui semblaient

d'abord insurmontables, se trouvent soudaine-

ment aplanies par l'action de la grâce et dispa-

raissent comme par enchantement! Témoin

saint Augustin qui raconte de lui-même : « Que

soudain il me parut doux de renoncer aux

douceurs des vains amusements ! J'avais craint

de les perdre, ma joie était maintenant de les

quitter. Car vous les chassiez loin de moi ces

douceurs, vous, la véritable et souveraine dou-

 

 

 

I. S Th.. I' II", q. Lxv. a. 3. ad 2.

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 877

 

ceur ; vous les chassiez et vous entriez à leur

place, VOUS qui êtes plus doux que toute volupté,

mais d'une douceur inconnue à la chair et au

sang... Déjà mon âme était libre des soins

cuisants qu'excitaient en moi l'ambition, la

cupidité, l'amour des voluptés grossières ; et

mon plaisir était de m'entretenir avec vous,

Seigneur mon Dieu, qui étiez désormais ma

gloire, mes richesses et mon salut i. »

 

 

 

I. « Quam suave mihi subito factum est carere suavita-

tibus nugarum 1 et quas amittere metus fuerat, jam dimit-

tere gaudium erat. Ejiciebas enim eas a me, vera tu et

summa suavitas : ejiciebas, et intrabas pro eis omni volup-

tate dulcior, sed non carni et sanguini... Jam liber erat

ànimus meus a curis mordacibus ambiendi, et acquirendi,

et Yolutandi atque scalpendi scabiem libidinum : et garde-

bam tibi claritati meae, et di\itiis meis, et saluti mes

Domino Dec meo. » (S. Aue.. Conf.^ 1. IX, c. i.)

 

 

 

CHAPITRE VI

Effets de l'habitation du Saint-Esprit

 

(Suite)

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

Avec la grâce et les vertus chrétiennes, TEs-

prit-Saint apporte encore dams l'âme où il vient

fixer sa demeure les dons divers qui portent

son nom, le h septénaire sacré », comme s'ex-

prime l'Eglise, sacram septenariarn. Que faut-il

entendre par ces dons ? Quel est leur rôle, leur

fonction, leur but, dans la vie surnaturelle?

Sont-ils réellement distincts des vertus infuses,

et faut-il les considérer comme nécessaires au

salut? Autant de questions qui sollicitent une

réponse.

 

Et d'abord, quelle est au juste la nature des

dons du Saint-Esprit? Ce sont, avant tout, des

bienfaits gratuits, comme l'indique le nom de

dons : appellation qui leur est commune avec les

autres biens de la grâce. Mais ce terme gêné-

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 679

 

rique a reçu dans le langage chrétien une signi-

fication précise, un sens parfaitement déterminé

et restreint à certaines perfections très relevées

que Dieu communique gratuitement à l'âme

juste dans le but de la rendre souple et docile à

ses inspirations 1.

 

Gomme la grâce sanctifiante, comme les ver-

tus infuses, avec lesquelles ils présentent beau-

coup d'analogies , les dons sont des habitudes ,

des dispositions au bien qui existent en nous à

l'état de qualités fixes et permanentes. Ce ne

sont donc pas des actes, mais des principes

d'opération ; ce ne sont pas davantage des mo-

tions actuelles, des secours passagers de la grâce

destinés à mettre en jeu nos facultés, mais bien

des qualités, des forces conférées à l'âme en vue

de certaines opérations surnaturelles.

 

L'Ecriture elle-même, parlant de ces dons,

nous les représente comme existant d'une ma-

nière stable, comme reposant dans le juste. Isaïe

dit du Verbe fait chair : « L'Esprit du Seigneur

se reposera sur lui : l'esprit de sagesse et d'in-

telligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit

de science et de piété ; et l'esprit de crainte du

Seigneur le remplira 2. » Et les docteurs ont ap-

 

 

 

1. « Istae perfectiones vocantur dona, non solum quia

infunduntur a Deo, sed quia secundum ea homo disponitur

ut effîciatur prompte mobilis ab inspiratione divina. » (S.

Th., M^^ q. Lxvm, a. i.)

 

2. « Et requiescet super eum Splritus Domini : spiritus

sapientiœ et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis ,

spiritus scientiae et pietatis ; et replebit eum spiritus timoris

Domini. » (Is., m, 3-3.)

 

 

 

38o EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

pliqué ces paroles aux membres vivants du

corps mystique de Notre-Seigneur, qui doivent

participer aux privilèges de leur chef.

 

Saint Grégoire le Grand nous dit également

que « par les dons, sans lesquels on ne peut arri-

ver à la vie, l'Esprit-Saint réside d'une façon

stable dans les élus, tandis que par la prophétie,

le don des miracles et autres grâces gratuites, il

ne s'établit pas à demeure en ceux auxquels il

les communique : In his igitur donis, sine qulbus

ad vitam perveniri non potest, Spirilas Sanctus in

electis omnibus semper manet ; sed in aliis non sem-

per manet^. » On pourrait, avec l'angélique Doc-

teur, définir les dons du Saint-Esprit : « des ha-

bitudes ou qualités permanentes essentiellement

surnaturelles, qui perfectionnent l'homme et le

disposent à obéir avec promptitude aux mouve-

ments de l'Esprit-Saint : Dona Spiritus Sancti

safd quidam habitus quibus homo perficitur ad

prompte obediendum Spiritui Sancio^. »

 

Il ne faudrait pas conclure de ces paroles que

les dons sont des dispositions purement passives,

une sorte d'onction spirituelle destinée exclusi-

vement à assouplir nos facultés pour qu'elles

n'opposent aucune résistance à l'action du céleste

moteur. « Ce sont tout à la fois des souplesses et

des énergies, des docilités et des forces, rendant

l'âme plus passive sous la main de Dieu et en

même temps plus active à le servir et à faire ses

 

 

 

I. S. Greg. M., 1. II, Moral, cap. ixviu,

a. S. Th., I' II", q. lxviii, a. 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 38 1

 

œuvres ^ » A l'instar des vertus morales, qui ont

pour but de soumettre et d'assujettir nos facultés

appétitives à l'empire de la raison, de les rendre

dociles à ses prescriptions, et qui n'en sont pas

moins des sources d'activité, les dons sont, eux

aussi, des énergies surnaturelles, des principes

d'opération. Témoin ces œuvres excellentes

connues sous le nom de béatitudes, qui, en rai-

son même de leur perfection, doivent être attri-

buées aux dons plutôt qu'aux vertus* et qui en

émanent comme l'opération procède de l'habi-

tude 3.

 

S'il en est ainsi, en quoi les dons diffèrent-ils

des vertus? Certains théologiens pensent qu'ils ne

s'en, distinguent pas réellement, et que dons et

vertus désignent, sous des noms différents, une

seule et même chose. Si l'on considère, disent-

ils, les habitudes surnaturelles comme des bien-

faits gratuits qui nous viennent de la divine

bonté, on les appelle dons ; si on les envisage

comme des principes d'opération, on les nomme

vertus.

 

Cette explication fort simple en apparence a le

grave inconvénient de se concilier difficilement

avec des vérités incontestables. Et de vrai, si les

dons s'identifient avec les vertus, comment se

 

 

 

1. Mgr Gat, De la Vie et des Vertus chrétiennes, i*' Traité.

 

2. « Beatitudines dicuntur solum perfecta opéra, quae

etiam ratione suae perfectionis magis attribuuntur donis

quam virtutibus. » (S. Th.. 1» II", q. lxx, a. 2.)

 

3. « Beatitudines sunt actiis donorum ; et ideo respondent

donis sicut opéra tiones habitibus. » (S. Th., Sent., III. d.

XXXIV, q. I, a. 4, ad i.)

 

 

 

382 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

fait-il que Notre-Seigneur, qui a certainement

possédé tous les dons, comme nous l'apprend

clairement Isaïe, n'ait pas eu de mêr^ic toutes les

vertus infuses : ni la foi, incompatible avec la

vision immédiate de l'essence divine, dont l'hu-

manité sainte du Sauveur n'a cessé de jouir ; ni

l'espérance, qu'excluaient son état et sa perfec-

tion de compréhenseur ; ni la pénitence, qui ne

va pas avec l'impeccabilité? De plus, si les dons

et les vertus ne sont pas choses distinctes, il reste-

rait à expliquer pourquoi certains dons, comme

la crainte, ne figurent pas au nombre des vertus,

et pourquoi certaines vertus ne sont point comp-

tées parmi les dons. Aussi, l'immense majorité

des théologiens tient-elle, avec saint Thomas,

pour la distinction réelle entre les dons et les

vertus, distinction fondée sur la diversité des

moteurs auxquels l'homme obéit dans la pratique

du bien.

 

Si Ion veut, dit l'angélique Docteur, distin-

guer nettement les dons d'avec les vertus, il faut

s'en tenir au langage de l'Ecriture, qui désigne

les premiers non sous l'appellation de dons, mais

sous le vocable d'esprits — l'esprit de sagesse et

d'intelligence, V esprit de conseil et de force, etc. —

nous donnant à entendre par là que, venus du

<iehors et infusés dans notre âme avec la grâce,

ils ont pour but et pour effet d'assouplir nos

puissances et de les disposer à suivre docilement

l'inspiration divine. Or, qui dit inspiration dit

motion venant du dehors, par opposition à la

motion provenant du moteur interne qui est la

raison.

 

11 y a effectivement en nous deux principes

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 383»

 

moteurs sous l'impulsion desquels s'accomplis-

sent les actes qui doivent nous conduire au salut :

l'un intérieur, qui est la raison, l'autre extérieur,

qui est Dieu. Pour mettre l'homme en état de

bien recevoir cette double impulsion, il lui faut

deux sortes de perfections : les unes plus hum-

bles, qui le disposent à suivre sans résistance,

dans toutes ses actions intérieures et extérieures,

le mouvement et la direction de la raison, c'est

le rôle des vertus; les autres plus hautes, et dis-

tinctes conséquemment des précédentes, ayant

pour but de le rendre souple et docile aux

inspirations de l'Esprit-Saint, c'est la fonction

des dons^.

 

 

 

I. « Ad distinguendum dona a virtutibus debemus sequi

modum loquendi Scripturae, in qua nobis traduntur, non

quidem sub nomine donorum, sed magis sub nomine spi-

rituum. Sic enim dicitur Is., xi, 2 : Reqaiescet saper eam

spiritus sapientiœ et intellectus, etc. Ex quibus verbis mani-

feste datur intelligi quod ista septem enumerantur ibi,

secundum quod sunt in nobis ab inspiratione divina. Inspi-

ratio autem significat quamdam motionem ab exteriori.

 

« Est enim considerandum quod in horaine est duplex

principium movens : unum quidem interius, quod est

ratio; aliud autem exterius, quod est Deus... Manifestum

est autem quod omne quod movetur, necesse est propor-

tionatum esse motori ; et haec est perfectio mobilis, in

quantum est mobile, dispositio qua disponitur ad hoc quod

bene moveatur a suo motore. Quanto igitur movens est

altior, tanto necesse est quod mobile perfection disposi-

tione ei proportionetur : sicut videmus quod perfectius

oportet esse discipulum dispositum ad hoc quod altiorem

doctrinam capiat a doctorç, Manifestum est autem quod

\irtutes humanae perficiunt hominem, secundum quod

homo natus est moveri per rationem in his quae interius

 

 

 

384 EFFETS DE l'haBITATION DU SMNT-ESPRIT

 

Mettons ces vérités dans tout leur jour. Et

d'abord, que Thomme possède en lui-même,

dans sa raison, laissée à ses propres lumières ou

éclairée par la foi, un principe d'activité par

lequel il se meut, il se détermine à faire ceci ou

cela, c'est chose manifeste. Dès là qu'il est un

être intelligent et libre, et partant maître de ses

actes, il peut, dans sa sphère propre, comme

agent secondaire et prochain — in sao ordine,

scilicet sicut agens proximum^, — se porter à telle

ou telle opération de son choix. Mais, pour que

les facultés humaines susceptibles d'émettre un

acte moral soient inclinées habituellement au

bien et disposées à le faire avec facilité, promp-

titude et constance, elles ont besoin d'être per-

fectionnées par certaines qualités ou habitudes,

ayant pour effet de les rendre dociles à la direc-

tion et à l'empire de la raison. Dans l'ordre na-

turel, ce rôle appartient aux vertus humaines ou

acquises; dans l'ordre surnaturel, cette fonction

revient aux vertus chrétiennes. Ainsi doté,

l'homme est en état d'agir, de faire le bien, d'ac-

complir des œuvres salutaires et méritoires,

celles du moins qui ne dépassent pas le niveau

ordinaire et commun.

 

Mais la raison n'est pas l'unique moteur, ni

le seul principe déterminant de nos actes ; elle

 

 

 

vel exterius agit. Oportet igitur inesse homîni altiores

perfectiones, secundum quas sit dispositus ad hoc quod

divinitus moveatur ; et istae perfectiones vocantur dona. »

(S. Th., I' II'% q. Lxvni, a. i.^

I. S. Th., 1' U«. q. IX, a. 4, ad 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 385

 

n'est même qu'un moteur subordonné et secon-

daire. Le moteur premier et principal est hors

de nous et n'est autre que Dieu. Or, c'est une

vérité confirmée par une expérience journalière

que, plus le moteur est élevé, plus parfaites doi-

vent être les dispositions qui préparent le mo-

bile à recevoir son action i. Ainsi, tandis qu'un

enfant est capable de comprendre et de suivre les

leçons d'un maître de grammaire élémentaire, il

faut, pour mettre un adulte même cultivé en état

de suivre le cours d'un professeur d'enseigne-

ment supérieur, une longue préparation, qui n'est

même pas à la portée de toutes les intelli-

gences.

 

Si donc, pour disposer nos puissances appéti-

tives à obéir avec promptitude aux injonctions

de la raison éclairée de sa propre lumière ou de

celle de la foi, nous avons besoin de toute une

série d'habitudes, acquises ou infuses, suivant

que le bien qu'il s'agit d'opérer est naturel ou

surnaturel; comment ne pas conclure, avec saint

Thomas, que pour nous mettre en état de rece-

voir fructueusement et de suivre avec docilité

les inspirations et la direction de l'Esprit-Saint,

moteur si fort élevé au-dessus de la raison

même habituellement illuminée par la foi, d'au-

tres perfections, d'autres habitudes supérieures

 

 

 

I. « Quanto movens est allior, tanto necesse est quod

mobile perfectiori dispositione ei proportionetur : siciit

videmus quod perfectius oportet esse discipulum disposi-

tum ad hoc quod altiorem doctrinam capiat a doctore. »

 

 

 

(S. Th., !• II'% q. Lxviu, a. i.)

 

BAB. lAINT-SSPKIT

 

 

 

386 EFFETS DE l' HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

aux vertus rao^rales, acquises ou infuses, sont ici

vraiment laécessaires' ? Nqu'S' avon-s nommé les

don&i, qud sont à Fhomme dans ses rapports à

l'Esprit-Saint ce que les vertus morales sont à

la volonté comparativement à la raison. Celles-

ci disposent ks puissances appétitives à obéir

avec pramptitfuclie à la raison ; eeux-là préparent

rbomme à se montrer diocile aux in^tincts^ de

l'Esprit-Saint 2'.

 

 

 

m

 

 

 

L'argument que nous venons de développer

prouve bien, il est vrai, que les dons et les ver-

tus^ sont des habitudes réellement distinctes;

mais il n'indique pas, au moins d'une façon

expresse, en quoi consiste cette différence. Aussi ^

 

 

 

!.. « Manifestum est autem quod >'irtutes humanœ perfi-

ciunt hominem, secundum quod homo natus est moveri

per rationem in his qi3s& înterius vel exterius a^t. Opor-

tet igitur inesse homàni altiores perfectiones, secundam

quas sit dispositus ad hoc q.uod divinitu^ naoveatur ; et

istae perfeetiones vocantur dona. » (S. Th., I* II", q. lxviii,

a. I.)

 

2. (( Dona Spiritus Sancti se habent ad homines in com-

paratione ad Spiritum Sanctum sicut virtutes morales se

habent ad vim appetitivam in comparati:)ne ad rationem.

Virtutes. autem moiraies habitas (jnidam simt, quibus vires

appetitivae dlsponiantuE ad prompte obediendum rationi.

Ijndei et dona SpirituS' Sanctii sunt quidam habitus quibus

homo perficitur ad prompte obediendum Spiritui Sancto. »

^;blid., a. 3.)

 

 

 

XES DONS DU SAINT-ESPRIT 887

 

«qnaand sawii Thomas se propose imniquement

 

d'établir comme 'toas la I^ Ilae, q. Lxvin, a. i,

 

— «qme les âma.s sont des perfectiouïs autres que

ies vertus, la raisoia qu'il met en avant, c'est la

diialité des moteurs auxquels rhomioae obéit

dans la pratique -du M'en : raisoofi .excelleaile, car

des moitescLTS formeUlenient différents supposent,

requièrent, exigent des dispositions diiTéa^entes

de la part d'u mobile, pour qu'il -soit &r état de

receroir connatuneUeaïieaflit des imptuisions doaat

les iMiies peuvent .être si fort élevées au-dessus

des autres : Mamfesiam e&t quod ad alliorem m&to-

rein oportet maj&ri perfectione mobile esse dhsposi-

tum^. Mais quaund le saint D-ooteur veut montrer

€« quai dons et vertus se différenoient, tout autre

-est sa réponse ; il en appelle alors à la diver-

gence dans le mode d'agir qui caractérise ces

deux sortes d'habiîtTaid'es, ©t à la diversité de règle

qui sert de ntesMre à leurs actes : DoFia a virtuti-

^U6 idisiinguuitiur in hoc quod mrtates perficiant

ad acÎMS modo huihano, sed dona iultra humanïum

 

MOIKIM^.

 

Le premier élément caractéristiqtue des dons,

celui par lequel ils se distinguent netteioaent des

vertus ; c'est îeizr mode d'agir.

 

Les vertus, en effet, 'quelles qu'elles soient,

naturelles ou surnaburelles, acquises mi infuses,

dispasen.t l'ibosmane à une a?ation de foime ration-

neile et tamaine : virtutes perjlcmnt ad actas

MODO HUMANO *, Ics dous , au contraire, le met-

 

 

 

I. S. Th., P 11'% q. Lxvm, a. 8.

 

a. S. Th.- Sent., III, di^. ntxxiv, q. î, a. 1.

 

 

 

388 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

tent en situation d'opérer d'une façon surhu-

maine et en quelque sorte divine : sed dona ultra

HUMANUM MODUM. G'est là leuF raison propre :

Donorum propria est ratio, ut per ea quis super

humanum modum opereiur^ : c'est ce qui consti-

tue leur supériorité sur les vertus : Donum in hoc

transcenda virtutem quod supra humanarn modum

operetur ^.

 

Laissons saint Thomas nous expliquer lui-

même, avec sa lucidité ordinaire, ce qu'il faut

entendre par le mode humain d'agir propre aux

vertus, et en quoi consiste le procédé supérieur

qui caractérise les dons. Dans ce but, il met en

parallèle la vertu de foi et le don d'intelligence

qui lui correspond, et montre par un exemple

qu'il déclare lui-même évident, la divergence de

leurs procédés.

 

Notre mode naturel de connaître les choses spi-

rituelles et divines, dit-il, consiste à nous élever

de ce monde matériel et visible jusqu'au monde

invisible par le miroir des créatures et Ténigme

des analogies, c'est-à-dire par des concepts im-

propres empruntés à Tordre sensible et partant

nécessairement imparfaits. Connaturalis enim mo-

dus hamanœ naturae est ut divina non nisiper spéculum

creaturarum et œnigmate similitudinum percipiat^.

Aussi la foi, qui est une vertu, a-t-elle recours à

ces mêmes notions pour nous initier aux vérités

surnaturelles. Et ad sic percipienda divina perficit

 

 

 

i. S. Th., Sent., Ul, dist. xxxv, q. ii, a. 3.

3. S. Th., Sent., III, dist. xxxvi, q. i, a. 3.

3. Ibid., dist., xxxiv, q. i, a. i.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 889

 

fîdes, qusB virtv^ diciliirK Sans cloute, elle élargit

le cercle de nos connaissances, elle nous fait

pénétrer jusque dans le sanctuaire de la Divinité

et nous révèle des mystères dont la contempla-

tion de Tunivers ne nous aurait jamais manifesté

l'existence ; mais elle ne change pas notre mode

naturel de connaître, aussi est-elle essentielle-

ment obscure. Vienne maintenant le don d^intel-

ligence ; au lieu du simple assentiment aux

dogmes révélés qu'implique la foi, il nous com-

munique une certaine perception de la vérité ~ ;

il nous fait saisir, pour ainsi dire à découvert, les

choses divines, nous élève au-dessus de notre mode

naturel de connaître, et, sans faire disparaître tous

les voiles, nous donne dès cette vie comme un

avant-goût des manifestations et des clartés

futures 5.

 

Quel sens profond des vérités de la foi ne ren-

contre-t-on pas de temps en temps dans certains

hommes sans culture et sans lettres, mais dociles

aux inspirations de TEsprit-Saint, parfois même

en de simples enfants ! Quelle perspicacité pour

 

 

 

I. S. Th., III, Sent., disl., xxxiv, q. i, a. i.

 

a. « Fides importât solum assensum ad ea quse propo-

nuntur; sed intellectus importât quamdam perceptionem

veritatis. » (S. Th., II' II", q. vm, a. 5, ad 3.)

 

3. « Sed intellectus donum, ut Gregoriusdicit, de audîtii

mentem illustrât, ut homo etiam in hac vita praelibationera

futurae manifestationis accipiat. » (S. Th., III Sent., dist

XXXIV, q. I, a. i.) — Et encore : « In his quae supra ratio-

nem sunt perficit fides quae est inspectio divinorum in spe-

culo et in aenigmate. Quod autem spiritualia quasi nuda

veritate capiantur, supra humanum modum est; et hoc facit

donum intellectus. » (Ibid., a. a.)

 

 

 

390 EFFETS DE l'hABITATïON DU SAIKT-ESPRIT

 

découvrir le venin de l'erreur I Peut-être seront-

ils incapables de réfuter, d'après les règles d;e la

dialectique, les sophismes de l'hérésie ou de

l'incrédulité; mais coMime ils sont pénétrés de

la vérité de renseignement catholique ! comme

ils comprennent qu'il ne faut s'en écarter en

rien 1 1 Doù provient en eux une telle certitude

sur les choses de la îoi ? Des moyens de connaî-

tre naturels à l'homme : l'étude, la réflexion?

Non, mais dn don d'intelligence.

 

On lit dans la vie de sainte Chantai qu'un jour,

à peine âgée de cinq ans, elle s'amusait dans le

cabinet de son père, lorsqu'une discussion s'en-

gagea entre le président Frémiot et un gen-

tilhomme protestant qui lui était venu faire

visite. Il s'agissait de la sainte Eucharistie. Le

seigneur protestant disait que ce qui lui plaisait

surtout dans la religion réformée, c'est qu'on y

niait la présence réelle de Notre-Seigneur au

Saint-Sacrement. A ces mots, la sainte enfant

n'y peut tenir: elle s'approche vivement du. pro-

testant, et arrêtant sur lui un regard ému :

u Monseigneur, lui dit-elle, il faut croire que

Jésus-Christ est au Saint-Sacrement parce qu'il

l'a dit ; quand vous ne le croyez pas, vous le faites

menteur. » Le ton avec lequel elle parlait étonna

le protestant, qui entreprit de discuter avec

elle; mais elle l'arrêta court par la sagesse de

 

 

 

I, « Etsi iKm omnes habentes fidem plene intelligant et

quae proponuntur credenda, inlelligunt tamen ea esse cre-

deoda, et quod ab eis nullo modo est dieviandum. » (S. Th.,

lia iiae, q. ym, a. 4, ad a.)

 

 

 

LUS DO]?PS IW SAÏKT-ESPRIT 3g P

 

ses réponses, en même terïïps que par rarrderar

de sa foi elle enchantait tous les^ assistants. Em-

barrassé de ses vives reparties-, le seigneur pro-

testant voulut teïTTïiner la discussion comme on»

termine tout avec les enfants : il lui présenta»

des dragées. Aussitôt elle les prend dans son

tablier, et, sans y toucher, les va jeter au feu en^

disant : a Voyez-vous, Mofiseigneur, voilà eom-

ment brûleront dans le fond de Fenfer tous les

hérétiques, parce qu'ils ne croient pas ce ques

Notre-Seigneur a dit i. m

 

 

 

m

 

 

 

Si maintenant passant à l'ordre pratique nous

demandons à Fangélique Docteur en quoi con-

siste le mode humain d'agir propre aux A^ertus^

par exemple à la prudence, et en quoi il se dis-

tingue du procédé surhumain qui caractérise les-

dons correspondants, ici le don de conseils

sa réponse ne sera ni moins nette ni moins pré»-

cise.

 

Qu'il s'agisse du choix d'^un état de vie ou de^

toute autre détermination importante à prendre,

voici comment procède la prudence. Elle s'en-

quiert des voies et moyens convenables pour

obtenir la fin proposée, elle juge quels sont les

meilleurs et en prescrit l'application. En fait

 

 

 

I. BouGAUD; Histoire de sainte Chantai, %. I, e. i.

 

 

 

Bga EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

d'enquête, le mode humain consiste à examiner

toutes choses à la lumière de la raison ou de la

foi, à peser le pour et le contre, à étudier ses

aptitudes, ses attraits, ses dispositions, à prévoir

l'avenir d'après ce qui arrive ordinairement en

semblables occurrences, à consulter des personnes

prudentes, à prier. In inventione, modus humanus

est quod procedatar inquirendo et conjecturando ex

his quae soient accidere^. Vient ensuite le tour du

jugement, et enfin celui du commandement qui

est l'acte principal de la prudence.

 

Mais il n'est pas rare que, par suite de cir-

constances exceptionnelles ou particulièrement

difficiles, la prudence humaine se trouve à court.

On a beau réfléchir, consulter, étudier la ques-

tion sous toutes ses faces, on ne parvient pas à

tirer la chose au clair, ni à pouvoir formuler une

réso' lion ferme et précise. Que faire en de telles

conjonctures, lorsque là prudence est muette et la

raison aux abois? Ce que fît le saint roi Josa-

phat quand, dans une circonstance analogue, se

trouvant en face d'une multitude de Moabites,

d'Ammonites et de Syriens coalisés contre lui,

et ne sachant quel parti prendre, il se tourna

vers le ciel et fît cette prière : « Seigneur, ne

sachant ce que nous devons faire, il ne nous

reste qu'à diriger nos regards vers vous : Cum

ignoremus quid agere debeamus, hoc solum habe-

mus résidai ut oculos nostros dirigamus ad te^, » Et

 

 

 

I. S. Th., m Sent., dist. xxxiv, q. i, a. a.

a. II Paralip., xx, la.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT SgS

 

voici que l'Esprit du Seigneur fondit soudain

sur un prophète qui vint dire au roi et à son

peuple de la part de Jéhovah : « Soyez sang

crainte et ne redoutez pas cette multitude ; le

combat n'est pas votre affaire, mais celle de

Dieu... Demain vous marcherez contre eux et le

Seigneur sera avec vous . Nolite timere, ne pa-

veaiis hanc multitudinem; non est enim vestra pugna,

sed Dei. . . Cras egrediemini contra eos, et Dominas

erit vobiscum * . »

 

Or, qu'en pareille rencontre un chrétien

recoure, lui aussi, avec confiance à Celui qui ne

refuse jamais son secours dans les choses néces-

saires ou utiles au salut, et qu'il en reçoive une

inspiration mettant fin à ses perplexités et lui

apprenant avec une sorte de certitude ce qu'il

doit faire, voiià qui est au-dessus du mode humain

et l'effet du don de conseil. Sed quod homo acci-

piat hoc quod agendam est, quasi per certitudinem a

SpiriVd Sancto edoctus, supra humanum modum

est; et ad hoc perjîcit donum consilii^.

 

Ainsi, dans les choses qui ne dépassent pas la

portée de la raison, c'est à la prudence acquise

ou infuse qu'il appartient de diriger l'homme

dans le choix et l'emploi des moyens 3. Négliger

alors d'examiner par soi-même ce qu'il est

opportun de dire ou de faire, sous prétexte

 

 

 

I. II Paralip., xx, 15-17.

 

a. S. Th., III Sent., dist. xxxiv, q. i, a. a.

 

3. « Prudentia vel eubulia, sive sit acquisita, sivc sit in-

fusa, dirigit hominem in inquisitione consilii, secundum

ea qu» ratio comprehendere potest. » (S. Th., II* II**, q. lu,

a. I. ad. I.

 

 

 

Sg^ EFFETS IXE l'hABITATIOIV DU SAIKT-ESPRIT

 

d^abândon à la PivoYideiice,'ce serait tenter Dieia^.

Mais, parce que la raison humaine est incapable

de comprcTidre tous les cas particuliers et con-

tingents qui peaiT^nt se présenlier, — d'où vient

que (( les pensées des mortels Bont timides et

leurs prévoyances incertaines « — pour n etr«

pas privé de conseil dans les choses relatives au

salut où la prudence ne suffît plus, l'homme a

besoin d'être guidé et dirigé par Celui qui sait

tout; de même que dans les choses humaines,

quand on n'a pas assez de lumières poui- Imiter

une affaire, on a recours au conseil de gens plus

éclairés 2.

 

Cette direction supérieure dans l'ordre du salut

s'accomplit par l'intermédiaire du don de con-

seil : de là cette parole du Psalmiste : « Le Sei-

gneur est mon guide, rien ne me manquera :

Dominas régit me, einihilmiki deeriP. » Mais dans

 

 

 

.1. a Dicendo Nolite eogitare quomodo aut quid loquamini,

Dominus non prohibet considerare ea quœ sunt agenda,

vel dicenda, quando homo habet opportunitatem... Alio-

quin si homo praeleimittat facere quod potest, solum

divinum auxilium expectans, viâetur tentare Deum. » (S.

Th., IMI", q.xiii, a. 4, ad i.)

 

2. <c Sed quia humana ratio non potest comprehendere

-singularia et contingenta, quse occurrere possunt, fit quod

 

cogitatlones mortaliiim sint timidœ, et incertœ providentiœ

noslrœ, ut dicitur Sap., ix, i/i. Et ideo indiget homo in

inquisitione consilii dirigi a Deo, qui omnia comprehendit ;

quod fit per donem eonsilii per quod homo dirigitur quasi

consilio a Deo acceprto; sicut etiam in rébus humanis, qui

sfbi ipsis non sufficiunt in inquisitione consilii, a sapientio-

Tibus consïlium requrrurtt. » (S. Th., II' n««, q. un, a. i.)

 

3. Ps., XXII, I.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 3 9 5^

 

ce cas, l'homme n'^a point à examiner et à juger

par lui-même ce qu'il est opportun de faire,

î'Esprit-Saint se charge de ce soin, et l'homme

n'a qu'à se prêter docilement à ses inspirations ;

car, suivant la remarque de saint Thomas, c'est

au moteur, non à l'instrument, qu'il appartient

de juger et de commander. Or, en matière de

dons, c'est l'Esprit-Saint, non la raison humaine,

qui est le moteur, l'homme étant plutôt passif

qu*actif\ instrument et non cause principale :

instrument, toutefois, qu'ion ne saurait considé-

rer comme inerte, car il est actif et libre, actif

en tant que 14bre, coopérant librement à la mo-

tion divine ^.

 

La différence dans le mode d'agir que nous

venons de constater entre la prudence et le don

de conseil, se retrouve pareillement entre les

autres vertus et les dons qu'ils perfectionnent ;

car à toute vertu correspond un don particulier

qui lui vient en aide et la fait opérer à l'occasion

d'une façon surhumaine. Ainsi en va-t-il notam-

ment pour la force et le don de même nom.

 

Le propre de la vertu de force est d'affermir

l'âme et de lui faire surmonter tous les obstacles

 

 

 

I. « Judicare et praecipere non est moti sed moventis. Et

quia in donis Spiritus Sancti mens humana non se habet

ut movens, sed magis ut mota, ut supra dictum est (art.

prrtic., et I' 2'*, q. lxviii, a. i.) înde est quod non fuit con-

veniens quod donum correspondens prudentiae prseceptum

dîceretur \eljudiciam, sed consilium; per quod potest signi-

fîcari motio mentis consillataî abalio consiliante. » (S. Th.,

II'-II»«, q. LU, a. 2, ad. t.)

 

a. S. Th., I* II", q. lxvui, a. 3, ad 2.

 

 

 

SgÔ EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

qui se rencontrent dans la pratique du bien, en

dépit des dangers et de la mort même. Si vous

me demandez quel est son mode naturel d'agir, je

vous répondrai avec saint Thomas qu'il consiste

à affronter les difficultés dans la mesure des

forces humaines, pensatis viribus propriis et

secundum earum mensuram^ ; aller au delà, entre-

prendre de son propre mouvement une œuvre

qui surpasse ses forces, ce ne serait plus de la

vertu, mais de la témérité, de même que rester

en deçà par défaut de courage serait un signe de

pusillanimité. Mais que, dans une rencontre par-

ticulière, poussé par un instinct supérieur,

l'homme prenne pour mesure de ses actes, non

plus ses propres forces, mais la puissance divine,

qu'il se porte à des choses manifestement supé-

rieures à ses énergies natives, qu'il affronte des

dangers qu'il n'est pas en son pouvoir de sur-

monter, en comptant sur le secours divin, vpilà

qui est au-dessus du mode humain et l'effet du don

de force '.

 

Il serait facile de poursuivre ce parallèle et de

montrer en détail ce qu'est le mode humain

d'agir propre aux différentes vertus, et en quoi

il se distingue de la façon d'opérer spéciale aux

dons ; mais peut-être vaudra-t-il mieux nous

 

 

 

1. S. Th., m Sent.., dist. xxxiv, q. i, a. a.

 

2. « Sed quod homo in omnibus hispro mensura accipiat

divinam \1rtutem, ut scilicet ad ardua virtulis opéra se

extendat, ad quae scit se suis viribus non sufflcere, et peri-

Gula quae >1res suas excédant, non formidel dinno auxilio

mnixus... sapra humanum modam est : et hoc totum efïîcitur

per donum fortitudinis. » (Ibid.)

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 897

 

borner à signaler en caractères généraux ce qui

constitue la divergence de procédé des unes et

des autres.

 

Dans les actes qui émanent des vertus, acquises

ou infuses, l'homme agit d'une manière con-

forme à sa condition humaine, c'est-à-dire de

son propre mouvement, en vertu de son initia-

tive personnelle. Après avoir réfléchi, délibéré,

et, au besoin, pris conseil, il se porte au bien par

son libre choix, par sa propre détermination,

sans exclure, bien entendu, la motion ordinaire

de Dieu qui opère intérieurement dans tout agent

libre ou naturel en qualité de cause première :

non tamen exclusa operatione Dei, qui in omni

naiura et voluniaie interius operaturK Agit-il, au

contraire, sous l'influence des dons, ce n'est plus

de lui-même qu'il opère, mais une impulsion

intérieure toute- puissante, à laquelle il se prête

néanmoins volontairement, le pousse à faire telle

ou telle chose dont la pensée lui a été soudaine-

ment inspirée. Ici l'homme est plutôt passif

qu'actif, bien que son activité personnelle, sous

forme de consentement et -de libre coopération,

ne soit point absente, car Dieu meut chaque être

d'une manière conforme à sa nature 2.

 

Saint Augustin a fort bien décrit ce second

mode d'agir quand, à propos des paroles de

l'Apôtre : « Tous ceux qui sont mus par l'Esprit

 

 

 

1. S. Th., !• Ilae, q. lxviii, a. a.

 

2. « In donis Spiritus Sancti mens humana non se habet

ut movens, sed magis ut mota. » (S. Th., II* Ilae, q. lu,

a. a, ad i.)

 

 

 

3g8 EFFETS ©"B I'haB-ÏTI^ïTIO'V DTJ ^AIWT-ESPRIT

 

de Diieu, ceiix-îà sont les enfamts die- Di^iï : Qai-

cumque Spirita Dei aguniur^ ix simt ftUi Dei i ))\ il £aèt

observer quel'Esprit-Saint u les meut poi^r les faire

agir, non pour qu'ils demieuTeirt inertes et pure-

ment passifs- : Agunlar enim> ut agard, non ut

ipsinihil agmtt^. » Ils agissent donc, mais pour bien

faire ressortiir rinstinct spécial qui les fait agir,

Tapôtre saint Paul dit quih sont mms ou action;-

nés par l'Esprit de Dieu. Or, (f être mû ou

actionné, c'est plus q^oie d'êtFe simplement con-

duit ou dirigé ; car celui que Fon dirige fait

quelque chose; ii est précisément dirig-é pour

qu'il agisse correctement. Mais celTad; qui est mû

ou actionna semble à pein>e fai^e quelque chose

de lui-même ; et cependant la grâce du Sauveu^r

agit si efficacement sur notre volonté que FApôtre

ne craint pas die dire : Tous ceax qui sont mus par

l'Esprit de Dieu, ceux-là soM les enfants de Dieu.

(Rom., vni, i4)'. E^ notre volonté ne saujrait faire

un meilleur usage de sa liberté qfu'en Tabandon-

nant à l'impulsion de Celui qui ne peut faire le

mais... »

 

 

 

1. Rom., VIII, i4.

 

2. S. AuG., De Corrept. et grat., c, ii, n. 4- — Saint Tho-

mas dit, lui aussi : « Quœ vero per nos aguntur, Deus in

nobis causât, non sine nobis agentibas : ipse enim operattir

in omni voluntate et natura. » (S. Th., I* II'", q. lv, a. 4>

ad 6.)

 

3. <( Procul dubio plus est agi, quam rcgi : qui enim

rcgitur aliquid agit; et ideo regitur. ut recte agaf; qui

autem agitur, agere aliquid vfas Intelhgitur : et tamen tan-

tum praeatat voluntatibus nostris gratia Salvatoris, ut non

dubitet A.postolus dicere : Quotquot Spiritu Dei aguntur, hi

 

 

 

LES DOMS 1>U SA'INJ-iESPIVIT .Sg^

 

L'Écrituce e* la «vie des Saints ccwa/tieiMient uan

gxand i40.mi)re de faits où l'on Yoit en exercice

cette imjpulsioa divime. C'est ainsi qu'il est dit

fdaas saiait Lue que « Jésus fut poussé au désept

.par l'Esjprit-Saint : Agehatur a S^piriiu in deser-

ium^. » De même le vieiUard Siméon, qui avait

jepu du Saint-vEsprit la proœaes&e qu'il ne mour-

soà^ point sans avoir vu le CJtirist du Seigneur,

se sentit inspiré de venir au Temple, n>eml m

Spirita ài -iemplam*, au aai ornent où Marie et

Joseph s'y présentaient pour accomplir dans la

personne de l'Enfant Jésus les prescriptions de

la loi.

 

Un fait va nous mon^trer d'une façon saisis-

sante la différence du mode d'agir qui distingue

les veiltis et les dons. Sous la persécution de

Septime- Sévère, une jeune esclave xiu nom.de

Félicité venait d'hêtre condamnée aux JDêtes avec

dlauties chrétiens. Elle était sur le point de

devenir mère. Mais comme le jour du supplice

approcliait, Félicité .se désolait à la pensée que

son état de grossesse ferait différer son supplice :

car la loi défendait l'exécution d'uaie fenxme

enceinte. Les autres martyrs s'affligeaient égale-

ment de la laisser en arrière. Trois jours avant

la date fixée pour le comhat, tous se mirent en

l>rière pour obtenir .sa prompte délivrance. A

 

 

 

Jilii sunt Dei. (Rom., viii, i4.) Nec aliquid in nobis libéra

voluntas melius agere potest, quam ut illi se agendam

coniaieiidet, qui maie agere non potest. » (S. Aug., De Gestis

Pelag., c. m, n. 5.)

 

1. Luc, IV, I.

 

a. Luc, II, 25. 

Nenhum comentário:

Postar um comentário