sexta-feira, 22 de janeiro de 2021

parte 4

  

pourtant une condition préalablement requise,

c'est que l'intellect créé soit préparé et disposé à

cette union par une force, une perfection surna-

turelle, qui l'élève au-dessus de sa condition na-

tive ; de même que, avant d'enseigner à quel-

qu'un une science supérieure, la théologie par

exemple, ou le calcul infinitésimal, il faut, par

une préparation convenable, le rendre capable

de recevoir cet enseignement. Cette force, cette

qualité surnaturelle, qui élève, corrobore et pré-

pare notre âme à cette bienheureuse union, n'est

autre que la lumière de gloire i.

 

Ainsi, d'après saint Thomas, pour voir Dieu

intuitivement, deux choses sont nécessaires •

l'une qui se tient du côté de la faculté créée et

qui a pour but de fortifier, d'agrandir, d'élever

sa puissance, c'est le rôle de la lumière de gloire ;

l'autre qui se tient du côté de l'objet, c'est

l'union directe et immédiate de l'essence divine

avec l'intelligence créée appelée à la contem-

pler 2.

 

Inutile de rechercher si cette divine essence

remplit rigoureusement, vis-à-vis de notre intel-

ligence, les fonctions d'espèce impresse, ou si

 

 

 

I. « Necesse est autem quod omne quod consequitur ali-

quam formam, consequatur dispositionem aliquam ad for-

mam illam. Intellectus autem noster non est ex ipsa sua

natura in ultima dispositione existens respectu formae

illius quae est veritas, quia sic a principio eam asseque-

retur. Oportet igitur quod cum eam consequitur, aliqua

dispositione de novo addita elevetur, quam dicimus gloriœ

lumen. » (Lbid.)

 

a. Cf. I, q. xn, a. 2.

 

HAB . SAINT-ESPRIT. — lO

 

 

 

1^6 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

elle oe le fait que d'une maitieFe impropre, et

dans un sens purement analogique ; chacun sait,

en effet, que, si la nature divine est la forme

exemplaire, le prototype de toutes choses, elle

ne saurait être le principe formel intrinsèque

d'aucune créatures et que, si certaines perfec-

tions sont communes au Créateur et à la créa-

ture, il y a, dans la manière de les posséder, une

telle disparité, que l'on ne peut rien attribuer à

l'un et à l'autre dans une acception identique*.

Au reste, pour prévenir toute méprise, saint

Thomas déclare explicitement que, dans la vision

béatifique, l'essen<je divine joue le rôle d'espèce

intelligible, sans être, à proprement parler, la

forme de l'intelligence créée ^.

 

Nous pouvons donc considérer conanae une

chose indubitable que Tessence divine s'unit

directement à rintelligence des bienheureux dans

le ciel, pour être, avec elle, coprincipe de la

vision béaitiSque ; et puisque c'est cette même

essence qu'il s'agit de voir, elle est en même temps

 

 

 

1. « Non est possibiîe Deum aliquo modo în composifio-

nem alicujus venire, ncc sicut principium formate, nec sicut

principium materiale. » (S. Th., Sumnia TheoL, I, q. m, a. 8.)

 

2. « Impossibile est aliquid prsedicari de Deo et creaturis

uTiivoce. » (Id., ibid., I, q. xiii, a. 5.)

 

3. « Restât ergo ut illiid quo intellectus creatus Deum

per essentiam videt, sitdivina essentia. Mon autein oportet

quod ipsa divina essentia fiât forma intellectus ipslus, sed

quod se habeat ad Ipsum ut forma. » (S. Th., Qq,. disp., de

verit., q. vni, a. i.)

 

Et iterum : « In visione qua Deus per essentiam videbitur,

ipsa divina essentia erit quasi forma intellecSus, qua inteUi-

.get. » {Summa TheoL, Supnl., a. xcii, a. i. ad 8.V

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 1^7

 

le terme et l'objet de celte vision ; en sorte que

cette divine essence est à la fois l'alpha et

l'oméga, le principe et le terme de cette opération

vitale qui constitue la béatitude formelle des

saints.

 

Comment dès lors ne pas reconnaître, entre la

Divinité et les élus du ciel, une union vraie et

réelle, puisque Dieu ne peut être vu et possédé

qu'à la condition d'être présent à leur esprit par

lui-même, et non par son image, per suam essen-

tiam et non per speciem esseniiœ reprœsenlaiivam ;

une union spéciale et formellement distincte de

celle qu'il peut avoir et qu'il a effectivement avec

les autres créatures, puisque ce n'est plus seule-

ment à titre d'agent qu'il est dans les bienheu-

reux, mais encore et surtout comme objet de

connaissance et d'amour, de connaissance intui-

tive, d'amour béatifique; une union enfin qui,

sans aboutir à l'unité de substance, et, tout en

respectant la double personnalité de Dieu et de

l'être créé, les met dans de tels rapports d'inti-

mité que l'un devient la béatitude et la suprême

perfection de l'autre.

 

Ce que sera cette vision de Dieu, cette contem-

plation de la beauté infinie, ce qu'elle apportera

de joie, de douceur, de délices, nul ne le sait,

hormis celui qui la donne et celui qui en jouit,

nemo scit, nisi qui accipit^. Les auteurs inspirés,

auxquels l'Esprit-Saint a daigné en révéler quel-

que chose, nous disent que ce sera le plein ras-

 

 

 

I. Apoc, n, 17.

 

 

 

1^8 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

sasiement de tous nos désirs', un vrai torrent de

délices capable non seulement de remplir notre

cœur, mais de l'inonder véritablement*; ce sera

sûrement une connaissance non pas sèche et

froide comme un pâle rayon d'hiver, mais ar-

dente, savoureuse, souverainement délectable,

qui engendrera dans la volonté un amour im-

mense, irrésistible, ininterrompu, et une jouis-

sance aussi grande que le comportera la capacité

de notre cœur.

 

 

 

III

 

 

 

Présent par sa substance à Fintelligence des

bienheureux. Dieu pourrait-il être absent de leur

volonté? Ce qui se passe dans la première de ces

facultés ne se répercute-t-il pas dans la seconde ?

Ce qui a lieu dans l'ordre de la connaissance n'a-

t-il pas son retentissement nécessaire dans l'ordre

de l'amour? N'est-ce pas une vérité universelle-

ment admise par les philosophes , que toute

forme est suivie d'une inclination proportion-

née 3? L'amour, en effet, suit naturellement la

connaissance, et l'union est la fin régulière de

l'amour. Voyant Dieu face à face, les saints du

ciel sont dans l'heureuse nécessité de l'aimer.

 

 

 

1. « Qui replet in bonis desiderium tuum. » (Ps.

cii, 5.) — « Satiabor cum apparuerit gloria tua. » (Ps.

XVI, i5.)

 

2. « Inebriabuntur ab ubertate domus tuse ; et torrents

voluptatis tuae potabis eos. » (Ps. xxxv, 9.)

 

3. « Quamlibet formam sequitur aliqua inclinalio. »

s. Th., Summa Theol., I, q. lxxx, a. i.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l49

 

Et de vrai, comment leur volonté poiirrait-

«11e ne pas se porter, avec un élan irrésistible,

vers celui que leur intelligence connaît claire-

ment et lui propose ouvertement comme le sou-

verain Bien? Et puisqu'ils le possèdent, sans

crainte de le perdre, comment ne pas trouver en

lui la suprême délectation ? Mais la jouissance ne

va pas sans la présence effective de l'objet aimé.

Si donc Dieu est réellement uni à leur intelli-

gence en tant qu'objet de connaissance, il doit

également, disons mieux, il doit à plus forte rai-

son être vraiment et effectivement uni à leur

volonté comme objet d'amour, car « l'amour est

plus unitif que la connaissance : Amor est magis

unitivus quam cogniiio^. » Au reste, une simple

union d'affection serait absolument insuffisante

pour la jouissance parfaite et consommée que sup-

pose la béatitude.

 

L'union d'affection existe assurément, puisque

les bienheureux aiment Dieu et en sont aimés,

«t que l'amour consiste formellement dans ce lien

moral qui rapproche et enchaîne les cœurs ; mais

l'amour tend et aspire à l'union réelle, et il la

produit dans la mesure du possible : et suivant

que l'union est réelle ou seulement affective, il y

a deux manières d'aimer, l'une de jouissance,

l'autre de désir. Or, c'est l'union de jouissance

qui règne dans le ciel, puisque tout désir légitime

y est satisfait. Nous verrons ce que nous avons

cru, nous posséderons ce que nous avons espéré

et recherché dans la voie, nous jouirons enfin

 

 

 

. S. Th., P-II'% q. xxviiT, a. i, ad i.

 

 

 

l5o EXPLICATION DU MODE PARTIGULIEB

 

pleinement, sûrement, éternellement, du bien

suprême. C'est alors que l'œuvre de notre déifi-

cation sera complète et achevée, et que nous

serons parfaitement semblables à Dieu, tout

pénétrés, tout imbibés de Dieu, tout divins.

 

Déjà sans doute, nous lui ressemblons, ayant

en nous un don créé souverainement précieux,

qui est une participation formelle de sa nature ^ ;

déjà nous sommes ses fils par adoption, avec

droit à l'héritage paternel ; mais le dernier mot

de notre destinée n'est pas dit; ce que nous

serons un jour ne paraît pas encore : Charissimi,

nunc filii Dei samas, et nondum apparaît quid eri-

mus'' . C'est quand il se montrera à nous sans

ombres et sans voiles, quand nous le verrons

face à face et à découvert, quand il nous appa-

raîtra tel qu'il est, que nous lui serons pleine-

ment semblables. Scimus quoniam, cum appa-

ruerit, simltes ei erimus, qaoïiiam videbimus eam

sicuii est'. C'est alors que nous vivrons de sa

vie, le connaissant et l'aimant, quoique d'une

manière finie et limitée, comme il se connaît et

s'aime lui-même : Tune cognoscam sicut et cogni-

ius sum^ ; car la vie intime de Dieu consiste dans

la connaissance et l'am.our qu'il a de son être et

de ses divines perfections.

 

 

 

I. « Maxima et pretîosa nohîs promîssa dona-vît, xit per

haec efficiamirii divinae consortes nalurae. » (II Petr.»

 

1,4.)

 

2. 1 Joan., III, a.

 

,3. Ibid.

 

A. 1 Cor., xni, la.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l5l

 

Cette fin obtenue, notre désir de savoir sera

pleinement satisfait, notre soif de bonheur com-

plètement apaisée, car l'essence divine, unie à

notre intelligence, sera un principe suffisant

pour nous faire connaître toute vérité : et ,

d'autre part, possédant la source de tout bien et

de toute bonté, que pourrions-nous désirer

encore 1?

 

Alors sera définitivement accomplie la prière*

que le Sauveur formulait la veille de sa mort

pour ses disciples et pour ceux qui devaient

croire en lui dans la suite des siècles : « Père

saint, gardez en votre nom ceux que vous m'avez

donnés, afin qu'ils soient un comme nous...

Qu'ils soient tous un, ô Père, comme vous êtes

en moi et moi en vous. Qu'eux aussi soient un

en nous, afin que le monde voie que vous

m'avez envoyé. Et je leur ai communiqué la

gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient

un comme nous. Moi en eux, vous en moi ; qu'ils

soient consommés dans^ l'unité. Et ego clarita-

 

 

 

I. « HoG autem fine adepto, necesse est naturale deside-

rium quietari : quia essentia divina, quae modo praedicto

conjungetuT intellectui Deuni videntis, est suffîciens prin-

cipium omnia cognoscendi, et fons totius bonitatis, ut nihil

restare possît ad desiderandum. Et hrc eliam est perfectis-

simus modus divinam simili tudinem consequendi, ut scili-

cet ipsum coguoscamus eo modo quo se ipse cognoscit, sci-

licet per essentiam suara ; licet non comprehendamus

ipsum, sicut ipse se comprehendit, non quod aliquam ejus

partem ignoremus, cum partem non habeat, sed quia non

Ita perfecte ipsum cognoscemus siçut cognoscibilis est. ».

<S. Th., Comp. TheoL, cap. cvi.)

 

 

 

l53 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

tem quam dedisti mihi, dedi eis, ut sint unum, sicut

et nos unum sumus. Ego in eis, et tu in me, ut sint

consummati in unum^. »

 

Ainsi 1 "union, l'union de tous avec Dieu»

l'union de tous en Dieu, l'union consommée, tel

est le vœu suprême du cœur de Jésus, pleine-

ment réalisé dans la gloire, et recevant dès cette

vie, par la grâce et la charité, un premier accom-

plissement.

 

Demandera-ton encore maintenant, si l'inexis-

tence de Dieu dans les saints, en tant qu'objet de

connaissance et d'amour, est une présence vrai-

ment substantielle? Ceux qui ne parvenaient pas

à comprendre que cette sorte de présence pût être

effective et réelle, et ne se bornât pas à une

simple union objective et morale, seront-ils plus

heureux actuellement? Nous osons croire que

les difficultés si souvent proposées sur ce point

auront disparu comme par enchantement, et que

les lecteurs qui auront bien voulu nous suivre

jusqu'ici, comprendront sans peine maintenant

le sens et la portée des paroles suivantes de

saint Thomas : « Par son opération, c'est-à-dire

par la connaissance et l'amour, la créature rai-

sonnable atteint la substance même de Dieu ;

voilà pourquoi, au lieu de dire que, suivant ce

mode spécial de présence, Dieu est dans l'âme

juste, on dit qu'il habite en elle comme dans son

temple. Et quia cognoscendo et amando creatura

rationalis sua operatione attingit ad ipsum Deum,

secundum Istum specialem moduni Deus non solum

 

 

 

I. Joan., XVII, ii-aS.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l53

 

•dicitar esse in creatura rationali, sed etiam habiiave

in ea sicut in templo sao *. »

 

Ils comprendront également la raison de l'in-

sistance que semble mettre le saint Docteur à

répéter que la grâce sanctifiante peut seule pro-

curer ce mode particulier de présence. Sola

gratia facit singularem modum essendi Deum in

rébus*. C'est que la connaissance que nous

avons de Dieu dans l'ordre naturel, étant une

connaissance indirecte et abstractive, ne le rend

pas véritablement présent à notre âme ; il n'est

dans notre intelligence que par le concept qui le

représente, et par conséquent d'une manière

purement idéale et objective, et non point effec-

tive et réelle.

 

La foi nous le fait connaître, il est vrai, plus

parfaitement que la raison, car elle nous initie,

quoique d'une manière obscure et énigmatique,

aux secrets de sa vie intime ; mais la foi toute

seule, séparée de la charité, ne suffît pas à rendre

Dieu véritablement présent à Tentendement du

fidèle, à le faire habiter en lui ; ce que possède le

pécheur qui a la foi, ce n'est pas Dieu lui-même,

mais l'idée de Dieu, c'est-à-dire un concept sur-

naturel qui le représente. Seule la grâce sancti-

fiante, au moins lorsqu'elle est parvenue à son

apogée et à son plein développement, comme

dans les saints du ciel, demande, requiert,

amène la présence vraie, réelle, substantielle, de

Dieu dans l'âme bienheureuse en tant qu'objet de

 

 

 

1. S. Th., I, q. xLiii, a. 3.

 

2. Id., q. VIII, a. 3, ad 4.

 

 

 

l54 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

connaissance et d'amour : la présence de l'essence

divine dans son intelKgence pour la rendre

capable de voir Dieu tel qu'il est ; la présence

du Bien souverain dans sa volonlé pour qu'elle

puisse jouir de lui et se délecter dans sa posses-

sion.

 

 

 

CHAPITRE V

 

 

 

Explication du mode particulier de

 

présence dont Dieu honore les justes de

 

la terre et les saints du ciel

 

(suite)

 

 

 

s //. — Comment la grâce produit dans les Justes

de la terre une présence de Dieu analogue à celle

^ont jouissent les saints dans le ciel.

 

 

 

I

 

 

 

Maïs pouvons-nous en dire autant efes saints

d'ici-bas ? Pouvons-nous légitimement appli-

quer aux justes, encore dans la voie, ce qui con-

vient aux élus déjà arrivés au terme, et affirmer

que la grâce produit en eux une présence, à la

fois réelle et spéciale, de Dieu comme objet de

connaissance et d'amour ? N'y a-t-il pas entre ces

deux états une différence capitale? N'est-il pas

manifeste, tout d'abord, que l'essence divine n'est

point unie directement et immédiatement à l'in-

telligence des voyageurs, comme nous l'avons dit

des conrpréhenseurs, pour être le principe et le

 

 

 

l56 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

terme d'une connaissance intuitive? Sans aucunr

doute, autrement nous verrions Dieu face à face,

et la foi aurait fait place au plein jour de la

vision.

 

Mais, tout en confessant avec l'Apôtre que

notre connaissance présente de la Divinité est

essentiellement obscure et énigmatique, impar-

faite et spéculaire^ nous n'allons pas cependant

jusqu'à en conclure que Dieu ne nous honore pas

véritablement, dès cette vie, de cette présence subs-

tantielle et spéciale que l'Ecriture et la Tradition

nous donnent comme l'apanage de quiconque est

en état de grâce : ce serait méconnaître les

richesses de notre vocation et les trésors sans

prix que Dieu daigne conférer à ses enfants adop-

tifs en leur envoyant son Esprit-Saint. Mais

alors, en quoi consiste cette union de Dieu avec

nos âiTies? C'est ce qu'il nous faut expliquer.

 

D'après une doctrine empruntée aux saintes

Lettres par l'angélique Docteur, la grâce n'est

pas autre chose qu'une inchoation en nous de la

gloire future : Gratia nihil aliud est quam inchoatio

gloriœ in nobis^. En conséquence, nous possédons

déjà, en germe et d'une façon initiale, ce qui cons-

tituera un jour notre béatitude. Et puisque la béati-

tude formelle consiste dans l'acte par lequel la

créature raisonnable prend possession du souve-

 

 

 

I. « Videmus nunc per spéculum in aenigmate : tune

autem facie ad faciem... Nunc cognosco ex parte : tune

autem cognoscam sicut et cognitus sum. » (1 Cor., xiii»

 

a. S. Th., IP-IP% q. xxiv, a. 3, ad a.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU lÔj

 

rain Bien et jouit de lui, il faut que, dès cette vie,

le juste atteigne, lui aussi, par son opération, la

substance divine, qu'il entre en contact avec elle

par la connaissance et l'amour, et commence à

jouir de Dieu. C'est ce qui a lieu eflectivement

par la connaissance expérimentale et savoureuse

qui est le fruit du don de sagesse, et surtout par

l'amour de charité : connaissance et amour qui

supposent, non pas la vue, non pas la pleine pos-

session et l'entière jouissance, mais la présence

réelle et sentie de l'objet connu et aimé.

 

Ce n'est encore, il est vrai, qu'un point lumi-

neux, bien faible et à peine perceptible pour le

commun des chrétiens; mais, je le demande, si

le laboureur qui sème un gland ne savait pas

que ce fruit provient d'un grand arbre et qu'il

contient un principe de reproduction, comment,

à le considérer avec des yeux de chair, pourrait-

il conjecturer ce qui en sortira un jour? Or, la

grâce est, suivant l'expression du prince des

apôtres, une semence : Renati non ex semine

corruptibili sed incorruptibili per verbum Dei^,

semence précieuse et incorruptible, destinée à

s'épanouir au soleil de l'éternité, mjûs ne possé-

dant encore que d'une façon rudiiuentaire la

riche frondaison qu'elle offrira plus tard. L'habi-

tation du Saint-Esprit en nous, qui en est la con-

séquence et l'accompagnement nécessaire, n'est»

elle aussi, qu'un germe : nondum apparuit quid

erimus^\ voilà pourquoi l'Apôtre, parlant de la

 

 

 

i.IPetr., I, 33.

3. 1 Joan., III. a.

 

 

 

l58 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

gloire future, se sert presque toujours du mot de

révélation : ad futur am gloriam quœ revelabiiur in

nobis'^. Un jour les ténèbres qui nous environnent

se dissiperont, le voile qui recouvre les mystères

de la vie surnaturelle sera enlevé, et nous con-

naîtrons alors, avec un sentiment d'admiration

profonde et d'ineffable gratitude, le trésor que

nous portons actuellement cacbé au fond de nos

cœurs.

 

En attendant, pour nous guider au milieu de

la nuit du temps présent, nous avons le flambeau

de la foi et la lumière de la vérité révélée, qu'il

importe de ne point perdre de vue, suivant la

recommandation de saint Pierre : Habemus fir-

miorem propheticum sermonem, cui bene faciiis

attendentes quasi lucernœ lucenii in caliginoso loco,

donec dies eluceseat, et lucifer oriatur in cordibus

vestris^. Or, c'est la parole même de Dieu qui

nous apprend et nous certifie que, par la grâce et

avec la grâce, le Saint-Esprit nous est envoyé,

nous est donné, qu'il habite en nous, avec la

ferme volonté d'y demeurer toujours, en sorte

qu'il nous est loisible de commencer dès mainte-

nant à jouir de sa divine personne^. Mais la jouis-

sance suppose la présence effective de l'objet

aimé, suivant l'observation très juste de saint

 

 

 

1. Rom., vTii, i8.

 

2. n Petr., I, 19.

 

3. « Per donum gratiae gratum facîentîs pprBcilur crea-

tura rationalis ad hoc quod libère non soluni ipso dono

creato utatur, sed ut ipsa divlna personafruatur. » (S. Th.,

I, q. XLiii, a. 3, ad i.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU iBg

 

Bonaventure : « Pour jouir d'une chose, il faut,

outre la présence de cet objet, la disposition con-

venable du sujet appelé à jouir ; par conséquent,

pour jouir de l'Esprit-Saint, sa présence est né-

cessaire, ainsi que le don créé, ou l'amour, qui

nous unit à lui. Adfruendum eo qmo fruendum est,

requiritar prœsentia fruibilis et etiam dispositio

débita, fruentis ; unde requiritar prœsentia Spiriius

Sancii et ejas donum, scilicet amor qao inhœreatur

ei^. » On voit par là que, au moment de notre jus-

tification, nous recevons une double charité, l'une

créée, Tautre incréée; l'une par laquelle nous

aimons Dieu, l'autre par laquelle nous en sommes

aimés* ; l'une qui est une des trois vertus théolo-

gales, l'autre qui est la personne même du Saint-

Esprit.

 

Dieu est donc réellement, physiquement, subs-

tantiellement présent au chrétien qui a la grâce ;

et ce n'est pas une simple présence matérielle,

c'est une vraie possession accompagnée d'un com-

mencement de jouissance ^ ; c'est une union

incomparablement supérieure à celle qui relie les

autres êtres à leur Créateur, et qui n'est surpassée

 

 

 

1. S. Bonav., Comp. Theol. verit., 1. I, c. ix.

 

2. « Ex jam dictis patet, quod in justificatione duplex

charitas nobis datur, scilicet creata et increata, illa qua dili-

ginius et illa qua diligimur, » (S. Bonav., loc. cit.)

 

3. « Gratia gratum faciens disponit animam ad haben-

dam divinam personam. » (S. Th., I, q. xliii, a. 3, ad 2.)

— « Habere autem dicimur id quo libère possumus uti vel

frui ut volumus. Et per hune moduni divina persona non

potest haberi nisi a rationali creatura Dec conjuncta. » (I»

q. xxxvm, a. i.)

 

 

 

ï6o EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

que par F union des deux natures , divine

et humaine, dans la personne du Verbe incarné ;

une union qui, parvenue à un certain degré, est

vraiment un avant-goût des joies célestes, une

sorte d'inchoation et de prélude de la béatitude.

Aussi saint Thomas ne craint-il pas d'affirmer

qu'il y a, dès cette vie, dans les saints, un com-

mencement imparfait du bonheur futur, qu'il

compare aux bourgeons, espoir et prémices de la

récolte prochaine'. En parlant de la sorte, il

exprimait sans doute ce qu'il avait expérimenté

lui-même, et les grands serviteurs de Dieu ne

tiennent pas un autre langage. Qu'où parcoure

les œuvres de sainte Thérèse, surtout le Château

intérieur, et Ton se convaincra facilement que

cette illustre maîtresse de la science mystique

partageait entièrem^ent le sentiment de notre

angélique Docteur. Tel est le mystère de vie que

chaque fidèle justifié porte en soi, et qui est le

fond de l'état chrétien. Essayons de pénétrer

plus avant dans l'intelligence de cette consolante

vérité.

 

 

 

I . « Spes futuree beatitudinis potest esse in nobîs propter

duo : primo quidem, propter aliquam prseparationem,

vel dispositionem ad futuram beatitudinem, quod est

per modum meriti : alio modo, per quamdam inchoationem

imperfectam futurœ beatitudinis in viris sanctis etiam in

hac vita. Aliter enim habetur spes fructificationis arbo-

ris, cum \irescit frondibus; et aliter, cum jam prlmordia

fructuum incipiunt apparere. » (S. Th., l'-II", q. lxix,

a. 3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l6l

 

 

 

II

 

 

 

Au jugement de saint Thomas, suîvî en cela

par le plus grand nombre des docteurs, à quel-

que école qu'ils appartiennent, la grâce sancti-

fiante établit entre Dieu et l'âme juste, par l'in-

termédiaire de la charité, une vraie et parfaite

amitié.

 

Trois choses, en effet, sont requises pour qu'il

y ait amitié entre deux êtres ; il faut, tout d'abord,

que l'affection qui les' unit soit une véritable

dilection, c'est-à-dire un amour de bienveillance

les portant l'un et l'autre à se vouloir, à se sou-

haiter, à se faire du bien, à rechercher non leur

utilité propre ou leur avantage personnel, mais

l'avantage de la personne aimée ; il faut, en

second lieu, que leur amour soit mutuel ; et enfin

qu'il soit fondé sur une certaine communauté de

biens, par exemple sur une ressemblance de

caractère ou sur une similitude de condition et de

vie ; car on n'unit bien que ce qui se ressemble,

la ressemblance jouant dans Tordre moral le

rôle de l'affinité dans le monde des corps i. Doii

 

 

 

I. « Non quilibet amor habet rationem amicitiae, sed amor

qui est cum benevolentia, quando scilicet sic amamus ali-

quem ut ei bonum velimus..; sed nec benevolentia sufïîcit

ad rationem amicitiae, sed requiritur qusedam mutua ama-

tio, quia amicus est amico amicus. Talis autem mutua

benevolentia fundatur super aliqua communications Cum

ergo sit aliqua communicatio hominis ad Deum, secundum

quoi nobis suam beatitudinem communicat, super hanc

 

HAB. SAINT-ESPRIT. — II

 

 

 

102 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

cet adage que l'amitié suppose ou produit une

certaine parité entre ceux qu'elle unit : Amicitia

aut pares invenit aut facit. Et suivant la nature

des différents biens qui nous sont communs avec

d'autres, proviennent les différentes sortes

d'amour : l'amour fraternel fondé sur la commu-

nauté de sang, l'amour conjugal basé sur la

communauté de vie et de droits, l'amour entre

citoyens qui repose sur la communauté de

patrie.

 

Or, quiconque possède, avec la grâce, la cha-

rité, qui en est l'inséparable compagne, aime

Dieu pour lui-même d'un amour souverain et

il en est aimé à son tour. Ego diligentes me di-

ligoK

 

C'est une chose bien surprenante que cette

mutuelle dilection du Créateur et de la créature.

Que nous aimions Dieu, la beauté infinie, la

bonté inépuisable, l'océan de toutes les perfec-

tions, quoi de plus naturel, de plus conforme

tout à la fois à la loi divine et aux inclinations

de notre cœur? Mais que l'Être infini attache

quelque prix à notre amour, que ûon seulement

il nous permette de Taimer, mais qu'il nous y

invite en termes d'une tendresse fort touchante

comme lorsqu'il nous dit : « Mon fils, donne-

 

 

 

icommunicationem oportet aliquam amicîtîam fundari..,

Amor auteni super hanc communicalionem fundatus,

est charitas. Unde manifesturn est quod charilas amicitia

quaedam est hominis ad Deum. » (S. Th., II'-II", q. xxiii,.

a. I.)

 

I. Prov., viu, 17.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l63

 

moi ton cœur : Prœbe, fili mi, cor tuum mihi i ;

mes délices sbnt d'être avec les enfants des

hommes : Deliciœ meœ esse cum filiis hominum " ;

qu'il nous en fasse même un commandement,

le premier de tous et celui qui résume tous les

autres 3, en s'engageant à nous payer de retour ;

voilà ce qui est de nature à nous jeter dans la

stupeur. Job n'en peut revenir et il s'écrie :

<( Mon Dieu, qu'est-ce donc que l'homme, pour

que votre cœur se repose ainsi sur lui^^? » Et

le grand évêque d'Hippone disait de son côté :

« Seigneur, que suis-je donc à vos yeux, pour que

vous m'ordonniez de vous aimer, que votre colère

s'allume contre moi, et que vous me menaciez

d effroyables maux si je vous refuse mon amour,

com^me si ce n'était pas une assez grande misère

que de ne pas vous aimer ^ ? »

 

On comprend sans peine que Dieu réclame nos

adorations et nos hommages ; c'est dans l'ordre,

puisqu'il est l'Être souverainement parfait. Qu'il

daigne également nous admettre à l'honneur de

le servir, c'est une chose qu'expliquent suffisam-

 

 

 

1. Prov., XXIII, 36.

 

2. Prov,, vïii, 3i.

 

3. « Diliges Dominum Deum tuum ex loto corde tuo, et

in tota anima tua, et in tota mente tua. Hoc est maximum

«t primum mandatum. » (Matth., xxii, 37-88.) — « Pleni-

tudo legis est dilectio. » (Rom., xiii, 10.)

 

4. « Quid est homo, quia magnificas eum? aut quid ap-

ponis erga eum cor tuum? » (Job, vu, 17.)

 

5. « Quid tibi sum ipse, ut amari te jubeas a me, et

nisi faciam, irascaris mihi, et mineris ingentes miserias ?

Parvane ipsa est, si non amem te ? » (S. Aug., Conf., 1. I,

c. V.)

 

 

 

l64 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

ment, d'une part, sa condescendance infinie, de

l'autre, la qualité de serviteurs qui nous revient

en tant que créatures. Mais croire qu'il puisse

s'établir entre lui et nous des rapports de familia-

rité, des liens d'étroite union, bref, une véritable

amitié, n'est-ce pas une ambition démesurée, un

rêve, une chimère? Si, parmi les hommes, l'ami-

tié n'est pas de mise entre un serviteur et son

maître, comment serait-elle séante, comment

serait-elle possible entre le Maître des maîtres et

ses chétifs serviteurs? N'est-ce pas une vérité,

passée à l'état de proverbe, que la majesté et

l'amour ne vont point ensemble et ne sauraient

s'asseoir sur un même trône? En effet, pendant

que la majesté éloigne et tient à distance, l'amour

rapproche et unit; la majesté inspire le respect

et la crainte, l'amour chasse la crainte et pro-

voque la familiarité et l'abandon. Comment d n-

cilier des choses tellement dissemblables qu'elles

en paraissent incompatibles ?

 

Et puis, qu'est-ce que Dieu peut bien trouver

en nous qui attire son amour et lui fasse désirer

le nôtre? Qu'a-t-il besoin de nous? Quel intérêt

a-t-il à nous aimer? La créature lui serait-elle,

par hasard, nécessaire pour satisfaire ce besoin

du cœur, pour goûter cette joie intime, si douce

et si convoitée, d'aimer et de se sentir aimé? A

qui le prétendrait le Psalmiste répond : « J'ai dit

au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n'avez

nul besoin de mes biens i. » Dieu se suffit pleine-

 

 

 

I. « '^ixl Domino : Deus meus es tu, quoniam bonorum

meon > non cgcs. » (Ps. xv, a.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l65

 

ment à lui-même ; en lui se trouve tout bien,

toute beauté, toute joie, toute félicité. Le Père

aime le Fils qu'il engendre d'un amour infini ;

le Fils aime le Père d'un amour égal ; et le terme

de cette mutuelle dilection est la personne même

du Saint-Esprit, l'Amour subsistant.

 

Avant que le monde fût, avant que les anges,

ces aînés de la création, eussent entonné, en

l'honneur du Très-Haut, leur cantique de

louange!, alors que Dieu seul était, il se voyait,

il se contemplait, il se disait dans son Verbe,

qu'il engendrait en lui communiquant sa nature ;

et, ravi de la beauté ineffable qui leur est com-

mune, il se reposait en ce Verbe avec une com-

plaisance infinie, l'étreignant dans un embrasse-

ment paisible, ardent, vivant, qui se nomme le

Saint-Esprit; il était en lui-même, et par lui-

même, souverainement, ineffablement, infini-

ment heureux 2.

 

Ce n'est donc point par indigence que Dieu

exige de la créature le tribut de son cœur ; ce

n'est point pour accroître, encore moins pour

acquérir sa propre félicité, que Dieu nous aime

et réclame notre amour ; c'est uniquement par

bonté, pour manifester ses perfections en les

communiquant, pour trouver sa gloire dans le

bonheur des créatures ^. Gomme le soleil répand

 

 

 

I. « Ubi eras... cum me laudarent simul astra matutîna,

et jubilarent omnes filii Dei? » (Job, xxxviii, 7.)

 

a. « In se et ex se beatissimus. » {Conc. Vatic, Const. Dei

Filius, c. 1.)

 

3. « Hic solus verus Deus, bonitate sua et omnipotenti

virtute, non ad augendam suam beatitudinem, nec ad

 

 

 

l66 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

sa lumière et la fleur son parfum, sans aucun

profit pour qui les concède, mais au grand

avantage de qui les reçoit ; ainsi Dieu, dont la

nature est éminemment libérale et communica-

tive, ne demande qu'à répandre ses dons et à

faire des heureux i. S'il exige notre amour, ce

n'est pas qu'il en retire aucun fruit pour lui-

même ; mais c'est qu'en accomplissant ce que

réclament l'ordre et la nature des choses, nous

devons y trouver nn immense profit. Ce qu'il

veut, en conséquence, c'est qu'en le servant et

en laimant, nous nous enrichissions de précieux

mérites, et nous rendions dignes de participer

un jour à sa béatitude 2.

 

 

 

acqurirendam, sed ad manifestandam perfectionem suam

per bona, quae creaturis impertitur, liberrimo consilio,

simul ab initio temporis, utramque de nihilo condidit crea-

turam, spiritutilem et corpoTalem, angelicam videlicet et

mundanam, ac dernde humanam quasi communem ex

spirilu et corpore constitutam. » {Conc. Vatic, Const. Dei

Filius, c. I .)

 

Saint Hilaire avait depuis longtemps formulé la même

pensée, quand il disait : « Hominem, non quod offîcio ejus

in aliquo eguerit, instJtuit ; sed quia bonus est, participem

beatltudiiiis suae condidit, «t rationalc amimal in usum lar-

gifindée sute aeternitatis ^ita sensuque perfecit. » (S, Hil.,

in Ps. II, n. i5.)

 

I. « Ipse solus est maxime liberalis, quia non agit propter

suam utilitatem, sed solum propter suam bonitatem. »

(S. Th., I, q. XLiv, a. 4, ad i.)

 

3. « Amari se a nobis exigit, non utique amoris in se

nostri fructum aliquem sui causa ipse percipiens, sedamore

ipso nobis potius, qui eum amabimus, profnturo >am

amari ;se, sibique nos obsequi, idcirco ut nobis bene sit,

expetit, ut digni beatitudinis suœ ac bonîtatis suœ munere i

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU ïGy

 

Toutefois, si Dieu nous aime et veut que nous

l'aimions ; si la dilection mutuelle non seule-

ment est possible, mais réellement existante

entre l'âme qui a la grâce et la Divinité, où

trouver le troisième élémenit de. l'amitië, cette

communauté de biens, cette similitude de con-

dition et de vie, cette sorte de parité qu'elle sup-

pose et réclame? Y a-t-il rien de commun entre

le Créateur et la créature ? Ne sont-ils pas infint-

ment distants l'un de l'autre, séparés par un

abîme infranchissable, et que rien ne peut

combler ? Sans doute, car Dieu est grand»

immense, infmi, et l'être créé est si petit, si peu

de chose, si voisin du néant ! Et pourtant, ô mer-

veille, la sagesse divine a trouvé le secret de

rapprocher des termes si éloignés l'un de l'autre;

et ce que la sagesse a conçu, l'amour l'a réalisé.

 

Pour nous faire ses amis. Dieu s'est abaissé,

l'Apôtre dit anéanti, en descendant jusqu'à nous

pour nous élever jusqu'à lui ; il s'est fait, pour

ainsi dire, notre égal en prenant notre nature • ;

il nous a emprunté notre indigence et nos mi-

sères pour nous enrichir par son dénuement ' ;

 

 

 

per meritum amoris sui et obsequii judicemur. Bonitatis

autein usus, ut splendor solis, ut lumen ignis, ut odor

succi» non praebenti proficit, sed utenti. » (S, Hil., in Ps.

II, n. i5.)

 

1. « Qui, cum in forma Dei esset, non rapinam arbitra-

lus est esse se aequalem Deo ; sed semetipsum exinanivit,

formam servi accipiens, in similitudinem hominura factus^

et habita inventus ut homo. » (Philip., n, 6-7.)

 

2. « Scitis gratiam Domini nostri Jesu Ghristi, quoniam

propter vos egenus factus est, cum esset dive»,, ut illius

inopia vos divites essetis. w (II Cor., vin, 9.)

 

 

 

l68 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

il nous a amoureusement départi des biens

immenses et souverainement précieux en nous

communiquant sa nature ' , en nous donnant le

titre et la qualité d'enfants adoptifs*, avec droit

à l'héritage paternel 3.

 

Aussi l'Eglise, ne pouvant contenir ses senti-

ments d'admiration en présence d'une bonté si

merveilleusement condescendante, s'écrie-t-elle

avec les accents d'un saint enthousiasme : « Oi

l'admirable échange I Le Créateur du genre)

humain a daigné prendre un corps et une âme,

naître d'une Vierge, et devenu homme sans le'

concours de l'homme, nous faire part de sa divi^

nité : admirabile commerciumf Creator generis\

humani animaium corpus samens, de Virglne nasci

dignatus est ; et procedens homo sine semine, lar-

gitus est nobis suarn deitatem*. »

 

A l'exemple du roi Alexandre, qui, voulant

jadis honorer de son amitié le fils de Mathatias,

commença par l'élever à la dignité de grand-

prêtre, lui envoya la pourpre et une couronne

d'or, avec ces mots : « Vous êtes apte à devenir

notre ami : Aptus es ut sis amicus noster ^ » ; Dieu

peut, lui aussi, sans déroger à sa propre dignité,

 

 

 

I. « Maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per

haec efficiamini divinae consortes naturae. » (II Petri,

 

1.4.)

 

a. « Videte qualem charilatem dédit nobis Pater, ut filii

Dei nominemur et simus. » (I Joan., m. i.)

 

3. o Si autem filii, et hœredes : haeredes quidem Dei,

cohaeredes autem Ghristi. » (Rom., vm, 17.)

 

4. Ex oflQc. Circumcisiomt.

 

5. IMachab., x, 19.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 169

 

s'unir à nous par les liens de l'amitié, depuis

que, par un prodige de condescendance absolu-

ment inespéré, il a daigné nous admettre à faire

partie de sa maison i, et nous introduire authen-

tiquement dans sa race : Ipsius enim et genus

sumus\

 

 

 

III

 

 

 

La charité réalise donc toutes les conditions

d'une vraie et parfaite amitié entre Dieu et

l'homme : elle est un amour de bienveillance,

un amour mutuel, un amour fondé sur une com-

munauté de nature, en attendant la communauté

de bonheur dont elle est le gage.

 

Etant une amitié véritable, elle doit en avoir

les prérogatives et en combler les exigences. Or,

que demande l'amitié ? Quel genre d'union

réclame-t-elle entre ceux qu'elle rapproche? Se

montre-t-elle satisfaite d'un simple accord de

pensées et de vouloirs, d'une communauté de

biens extérieurs, et d'un lien d'afifection? Est-ce

là le but final de toutes ses visées, le terme de

ses aspirations ? Non ; ce qu'elle veut, ce qu'elle

désire, ce qu'elle réclame, ce à quoi elle tend de

toutes ses forces, ce qu'elle effectue dans la,

mesure du possible, c'est l'union réelle et intime,

c'est la vie en commun, c'est la jouissance réci-

proque des deux êtres qui s'aiment.

 

 

 

I. « Jam non estis hospites et advense, sed estis civet

sanctorum et domestici Dei. » (Ephes., n, 19.)

a. Act., XYU, a8.

 

 

 

170 EXPUCATION DU MODE PARTICULIER

 

En effet, comme l'observa Judicieusement saint

Thomas, l'amour étant, sui\:ant l'expression de

saint Denys, une force unitive, amor quilibet est

vk uniliva, il est de l'essence de l'amour de tendre

à l'union ; et plus l'amour est parfait, plus par-

faite aussi est l'union qu'il convoite. Or, deux

sortes d'union peuvent exister entre amis : l'une

purement affective et morale, consistant dans une

inclination habituelle, un attrait, un penchant

qui nous porte vers la personne aimée, nous

rappelle son souvenir, nous fait trouver joie et

plaisir à penser à elle ; l'autre effective et réelle,

lorsque ceux qui s'aiment sont présents l'un à

l'autre, qu'ils peuvent vivre et converser en-

semble. De ces deux espèces d'union, Tune

constitue l'amour lui même, l'autre est l'effet de

l'amour'.

 

Dans les amitiés humaines, l'union réelle, la

vie en commun peut bien être désirée, convoitée,

poursuivie, il n'est pas toujours possible de la

 

 

 

I. « Duplex est unio amanlis ad amatum : una quidem

secandum rem, puta cum amatum prœsentialiter adest

amanti ; alla vero secandum ajfecium... Primam unionem

amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quae-

pendum praesentiam amati quasi sibi con\'enientis et ad se

pertinentis. Secundam autem unionem facit formai iter,

quia ipse amor est talis unio vel nexus. » ;(S. Th., Sixmma

TheoL, l'-II", q. xxvm» a. i.)

 

« Unio tripliciter se habet ad amorem : Quaedam enim

unio est causa amoris; et hœc est... unio similitudinis.

Quaedam vero unio est essentialiter ipse amor ; et hœc est

unio secundum coaptationem aifectus,.. Qasadam vero

unio est effectus amoris : et haec est unio realis, quam

amans quœrit de re amata. » (S. Th., ibid^ ad a.)

 

 

 

I>E LA PRÉSFNCE DE DIEU I7I

 

réaliser; les devoirs d'état, les exigences des

affaires ou de la santé, les mille nécessités de la

vie iinposent souvent une séparation doulou-

reuse et plus ou moins longue à ceux-là mêmes

dont les cœurs sont le plus unis, et ils s'estiment

heureux de pouvoir se retrouver de temps en

temps. Mais à Dieu rien n'est impossible ; pour

lui, ni le temps ni la distance ne sont des obs-

tacles. Puis donc que son amour souverainement

efficace peut réaliser sans difficulté ce qu'il

désire, ne pouvons-nous pas légitimement con-

clure que la dilection qu'il porte à l'âme juste

lui impose une sorte de nécessité de venir pex-

sonnellement en elle, de demeurer avec elle,

et de ne la point priver de la consolation de sa

présence ?

 

N'est-ce pas ce que l'apôtre bien-aimé voulait

donner à entendre par les paroles suivantes :

« Celui qui demeure dans la charité demeure

en Dieu, et Dieu en lui. Qui manet in charitate

in Deo manet, et Deus in eo^ry? N'est-ce pas ce que

le Sauveur lui-même a prorais quand il a dit :

(( Si quelqu'un m'aime, il gardera mes comman-

dements, et mon Père l'aimera, et nous vien-

drons à lui, et nous ferons en lui notre

séjour 2 » ?

 

On dira peut-être : Cette présence effective du

Bien-Aimé n'appartient point à l'exil, elle est

réservée pour la patrie ; en attendant, une simple

présence morale, une union de cœur et d'affec-

 

 

 

1. 1 Joan., IV, 16.

3. Joan., XIV, a3.

 

 

 

172 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

lion répond suffisamment, pendant l'état de

voie, aux exigences de l'amitié.

 

Comme une mère très aimante et tendrement

aimée, qui, séparée physiquement de son fils,

lui est néanmoins toujours présente comme

objet de connaissance et d'amour . présente à

sa mémoire par son image très chère, présente

à son cœur par je ne sais quelle douce complai-

sance qui le ravit, et quel invincible attrait qui

l'emporte vers elle ; ainsi Dieu ne se sépare

point de quiconque a la charité, il est l'objet

constant de ses pensées, le centre de ses affec-

tions. L'âme sainte n'a pas de plus doux plaisir

que de l'aimer, de lui dire son amour, de s'en-

tretenir familièrement avec lui 1 ; car « loin

d'être pénible ou de provoquer l'ennui, sa con-

versation est une source de joie et d'allégresse :

Non enim habet amariiudlnem conversatio illias, nec

tœdium convicius illius, sed Iceiitiam et gaadiam^. »

Ne pouvant rien donner à celui qu'elle aime,

parce qu'il est la plénitude de l'être et de la per-

fection, l'âme se dédommage de son impuissance

en se complaisant dans sa béatitude, en se réjouis-

sant à la pensée qu'il possède toutes choses,

qu'il est le souverain Bien, qu'il est Dieu. Et,

 

 

 

I. « Hoc videtur esse amicitiee maxime proprîum simul

conversari ad amicum. Conversatio autem hominis ad

Deum est per contemplationem ipsius, sicut et Apostolus

dicebat : Nostra conversatio in cœlis es^ (Philip., m. 20). Qaia

igitur Spiritus sanctus nos amatores Dei facit, consequens

est quod per Spiritum sanctum Dei contemplatores consti

tuamur. » (S. Th., Contra Cent., IV, c. xxii.)

 

a. Sap., VIII, 16.

 

 

 

DE LA PRÉSEXCE DE DIEU 178

 

«'identifiant en quelque sorte à son Bien-Aimé,

elle épouse ses intérêts avec plus d'ardeur que

s'il s'agissait d'elle-même, elle travaille de toutes

ses forces à étendre et à promouvoir son règne,

à amener l'accomplissement de sa volonté très

sainte, à procurer sa gloire : heureuse quand

elle le voit honoré, servi, aimé; triste au spectacle

des offenses commises contre sa divine Majesté ;

sensible, en un mot, à tout ce qui le touche.

 

De son côté, avec quel zèle, quel empresse-

ment, quelle délicatesse Dieu remplit à son

égard l'office d'un véritable ami i : l'éclairant

dans ses obscurités et ses doutes, la soutenant

dans ses moments de faiblesse, l'encourageant

dans ses efforts, la défendant contre ses ennemis,

la consolant dans ses peines et l'introduisant

parfois dans ces celliers mystérieux où l'on boit

à longs traits le vin généreux de la sainte cha-

rité I Aussi l'âme ravie s'écrie-t-elle avec l'épouse

des Cantiques : u J'ai trouvé celui que mon cœur

aime, je le tiens et ne le quitterai plus : Inverti

quem diligit anima mea ; tenui eum, nec dimittam^. »

 

Que peut-on désirer de plus en ce monde?

Aussi l'apôtre saint Paul nous invite-t-il à nous

réjouir, non pas dans la possession effective du

bien suprême, mais dans l'espérance de l'obtenir

un jour, spe gaudentes 3.

 

 

 

I . Voir, dans la Somme contre les Gentils, les deux magni-

fiques chapitres xxi et xxii du IV* livre, où saint Thomas

expose les effets produits par l'Esprit-Saint dans les âmes

où il habite.

 

a. Gant., m, 4.

 

S. Rom., in, u.

 

 

 

174 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

Assurément, cette vie d'union morale avec

Dieu, par la contemplation et l'amour, est chose

infiniment précieuse, et nous n'aurions janïais

osé élever plus haut nos désirs. Et pourtant, là

ne s'est point arrêtée la libéralité divine, et les

lois de l'amour réclament davantage.

 

 

 

IV

 

 

 

S'il en était de la charité comme de la foi et

de l'espérance, qui supposent, en vertu même de

leur nature, l'absence et l'éloignement de leur

objet — puisque la foi a pour objet ce qu'on ne

voit pas, et l'espérance ce qu'on ne possède pas,

— nous serions bien obligés de nous résigner et

d'attendre, jusqu'à notre entrée dans le ciel, la

réelle possession de Dieu. Mais, loin de sup-

poser l'éloignement de son objet principal, la

charité en implique, au contraire, la présence et

la possession ; car « elle se rapporte à ce que

l'on possède déjà : Amor charitatis est de eo

quod jam habetar^. » Aussi est-elle la plus grande

des vertus théologales*, non pas qu'elle ait un

objet plus digne et plus relevé que les autres,

puisque tous les trois regardent Dieu immédia-

 

 

 

1. S. Th., Samma Theol.AK H", q. liti, a. 6.

 

2. « Nunc autem manent fides, spes, charitas : tm haec;

maj<»r autem horum est charitas. » (I Cor,, xiii, i3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l'jb

 

tement, mais parce qu'elle s'en rapproche davan-

tage 1.

 

Sans doute, comparativement à la pleine pos-

session de Dieu qui nous attend dans la patrie,

et à la fruition consommée qui doit y être notre

partage, notre richesse spirituelle d'ici-bas peut

passer pour pauvreté, et notre union à Dieu, si

étroite qu'on la suppose,- peut paraître un éloi-

gnement et un exil. C'est ce qui arrachait à

l'Apôtre ces gémissements : « Tant que nous

sommes dans ce corps, nous nous trouvons

comme en exil loin du Seigneur : Dum sumus

in corpore, peregrinamur a Domino ' » ; c'est ce qui

lui faisait souhaiter la dissolution de son être,

pour se voir plutôt réuni à son Dieu : Desiderium

àahens dissolvi, et esse cum Christo\ Il n'en est

pas moins vrai cependant que, même durant le

temps de l'épreuve, la charité nous unit directe-

ment et immédiatement à Dieu ; car, dès cette vie,

Dieu « est véritablement présent à ceux qui

i'aiment par l'inhabi-tation de la grâce : Est

 

 

 

1 . « Cum très virtutes theologicae respiciant Deum sicut

proprium objectum, non potest una earum dici major

altéra «x hoc quod sit circa nxa^us olyectum, sed ex eo quod

una se habeat propinquius ad objectum quam alia. Et hoc

modo charitas est major aliis ; nam aliae important in sua

ratione quamdam distantiam ab objecte ; est enim fides de

non visis, spes autemde non habitis; sed charitas est de

eo quod jam habetur ; est enim amatum quodammodo in

amante. » (S. Th., la II»% q. i,xvi, a. 6.)

 

2. II Cor., v, 6.

 

3. iPhilip., I, iï3. — « Audemus autem, et bonam volun-

tatem habemus magis peregrinari a corpore, et présentes

«sse ad Dominum. » (II Cor., v, 8.)

 

 

 

176 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

prœsens se amantibus etiam in hac vita per graiiœ

inhabliationem 1.

 

Et quoi d'étonnant à cela? La charité de la

voie n'est-elle pas la même que celle de la patrie?

La foi doit disparaître un jour devant les clartés

de la vision, comme les ténèbres s'enfuient à

l'approche de la lumière ; l'espérance doit faire

place à la possession de la fin dernière, car on

n'espère plus ce que l'on tient, et dont on a la

jouissance ; la science elle-même sera détruite,

scientia destruetur - ', nous voulons parler de la

science de Dieu, telle que nous pouvons l'acquérir

en ce monde : science essentiellement imparfaite,

parce qu'elle n'atteint pas son objet directement,

mais seulement par reflet, au moyen des créa-

tures 3, et que les êtres créés sont incapables de

nous faire connaître leur auteur tel qu'il est en

lui-même.

 

Tout ce que nous savons de Dieu à l'heure

présente, tout ce que nous pouvons en apprendre,

est immensément au-dessous de la réalité ; « ce

que nous avons actuellement de science et de

prophétie est très imparfait, nous dit l'Apôtre :

Ex parte cognoscimas, et ex parte prophetamus '^ . »

Aussi quand viendra le moment de la grande

révélation, quand le voile qui dérobe la Divinité

 

 

 

1. S. Th., Samma TheoL, IV II", q. xxviii, a. i, ad i.

 

a. I Cor., XIII, 8.

 

3. « Quod notum est Dei, manifestum est in illis. Deus

enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius, a creatura

mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. »

(Rom., I, 19-30.)

 

k. I Cor., xiu, ^

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU I77

 

à nos regards sera levé, quand l'état parfait sera

arrivé, toute cette science partielle et incomplète

disparaîtra soudain, comme disparaissent, aux

approches de la virilité, les faiblesses et les im-

perfections de l'enfance : Cum autem venerit quod

perfectum est, evacuabitur quod ex parte estK

Mais « la charité ne passe pas : Charitas num-

quam excidif^. » Sa flamme s'avivera en présence

du Bien suprême, ses ardeurs redoubleront

d'intensité, sa nature ne changera pas. Or, dans

le ciel, la charité réclame l'union réelle, l'union

parfaite, l'union consommée de la volonté créée

avec le souverain Bien. Ne semble-t-il pas naturel

qu'elle exige également, dès cette vie, la présence

vraie et substantielle de l'Esprit-Saint, pour que

nous puissions commencer à jouir de lui, puis-

que c'est dans ce but qu'il nous est donné 3?

 

Cette conclusion s'impose à quiconque réfléchit

que, si la connaissance de la voie diffère essen-

tiellement de celle de la patrie, il n'y a, par

contre, entre la charité du ciel et celle de la terre,

qu'une simple différence de degrés, de plus et de

moins ; aussi tout en étant incapables actuellement

de connaître Dieu par essence, de le voir tel qu'il

est, nous pouvons cependant l'aimer en lui-même.

 

 

 

1. I Cor., XIII, 9

 

2. Ibid.,8.

 

3. « Quod datur alicui habetur alîquo modo ab îllo.

Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad

fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae ; aut

secundum fructum imperfectum, et sic habetur per donum

gratiae gratum facientis. » (S. Th., Sent., I, dist. xiv, q. ii, a.

3. ad 3.)

 

HAB. lAIMT-BBPHlT. — 1%

 

 

 

lyo EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

directement et immédiatement i. Il n'est pas im-

possible de trouver sur la terre, au milieu des

ombres et des ténèbres de la foi, des âmes qui

ont une charité habituelle plus grande que celle

de beaucoup d'anges dans le ciel; il le faut bien,

puisque, après leur départ de ce monde, ces

âmes saintes sont élevées au-dessus d'un grand

nonibre de chœurs angéliques ; quelques-unes

même méritent de prendre place parmi les séra-

phins. Toutefois, si parfaite que soit leur charité

habituelle, elle a moins d'aideur que celle du

dernier bienheureux admis à voir Dieu face à

face'.

 

Les choses étant ainsi, qui s'étonnera d'entendre

saint Thomas affirmer « qu'il y a dès cette vie,

dans les saints, un commencement imparfait de

la béatitude future : Quamdam inchoaiionem imper-

fectam fuiurœ beatiludinis in viris sanctis etiam in

hac vita'^? » Mais il faut pour cela que l'Esp rit-Saint

leur soit uni en qualité d'hôte, d'ami, d'époux

plein de tendresse, qu'il habite réellement dans

ieur cœur comme dans un temple vivant, oii il

(reçoit leurs adorations et leurs hommages, et se

 

 

 

I. Cf. S. Th., Sent., III, dist. xxvii, q. m, a. i, ad 3.

 

3. (( Aliqui homines etiam in statu viae sunt majores

aliquibus Angelis, non quidem actu, sed virtute, in quan-

tum scilicet habent charitatem tantae virtutis, ut possint

mereri majorem beatitudinis gradum quara quidam Angeli

haheant; sicut si dicaraus, semen alicujus mqgnae arboris

esse raajus virtute quam aliquam .parvam arborem, cum

.tamen raulto minus sit in actu, » (S. Th.,.It g. cxyii, a. s«

ad 3.)

 

3. S. Th., la II**, q. Lxix, a. a.

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU 17^

 

livre à eux pour être, dès maintenant, au moins

dans une certaine mesure, l'objet de leur jouis-

sance. Ainsi se trouve partiellement vérifiée

Texaetitude de la formule employée par l'angéli-

que Docteur, quand, pour bien caractériser la

présence spéciale de Dieu dans les justes, il dit

que l'Esprit-Saint habite en eux « comme objet

de leur amour, sicut amaium in amante ^ » .

 

 

 

Mais Tautre partie de la formule est-elle égale-

ment vraie? Dieu est-il réellement et substantiel-

lement présent aux justes de la terre « comme

objet de leur connaissance, sicai cognilum in

cognoscente » ? En d'autres termes, si l'amour de

charité réclame la présence effective de l'Esprit-

Saint dans ceux qui ont la grâce, peut-on en dire

autant de leur connaissance ?

 

La réponse de saint Thomas est aflîrmative.

Mais pour prévenir toute méprise, le saint Docteur

a soin d'avertir que toute connaissance, même

surnaturelle, n'a pas cet effet ; ainsi, la connais-

sance de Dieu que nous donne la foi ne suffît

pas pour le faire habiter dans notre âme. Pour

qu'il y ait mission, donation, et conséquemment

habitation des personnes divines dans une âme,

il ne suffît pas d'une connaissance quelconque et

toute théorique, il faut une connaissance prove-

nant d'un don approprié à la personne qui nous

 

 

 

I. S. Th.. I. q. xLiii, a. 3.

 

 

 

l80 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

est envoyée, nous unissant et nous rendant

semblables à elle ; une connaissance en quelque

sorte expérimentale, qui ne s'acquiert que par

une union intime avec Dieu, et qui est le fruit du

don de sagesse*.

 

En effet, de même qu'on peut connaître théo-

riquement ou par ouï-dire la saveur d'un fruit

sans l'avoir jamais porté à ses lèvres, sans même

l'avoir jamais eu sous les yeux ou à sa disposition,

mais qu'il n'est pas possible de la connaître

expérimentalement tant qu'on n'a pas goûté ou

mangé ce fruit: ainsi, tant qu'il s'agit de con-

naître Dieu d'une science spéculative, sa présence

réelle et physique n'est point nécessaire, son

image suffit; mais quand il est question de le

connaître expérimentalement, de goûter, de sentir,

de savourer ses divines suavités, la présence

purement idéale de ce divin objet ne suffît plus,

et sa présence vraie, réelle, substantielle, devient

une nécessité qui s'impose. Or, c'est précisément

pour que nous puissions jouir de leurs divines

personnes que le Fils et l'Esprit-Saint nous sont

envoyés et donnés, et que le Père les accompagne,

(r Nous ne pouvons avoir en nous les personnes

divines, dit saint Thomas, que pour en jouir :

ou d'une manière parfaite, comme cela se réalise

 

 

 

I. « Non qualiscumque cognitio suffîcit ad raiionem

missionis, sed soluni illa quae accipitur ex aliquo dono

appropriato personae, per quod effîcitur in nobis conjurictio

ad Deum, secundum modum proprium illius personae,

scilicet pcr araorem, quando Spiritus Sanctus datur. Unde

cognitio ista est quasi experimentali». » (S. Th., Sent., I, dist.

XIV, q. Il, a. a, ad 3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l8l

 

dans la gloire, ou d'une manière imparfaite, et lel

est le fruit de la grâce sanctifiante : Persona

divina non potest haberi a nobis, nisi vel adfructum

perfectum, et sic habetur per donum gloriœ, aul

secundum Jructum imperfectum, et sic habetur per

donum graiiœ graium facientis i. w

 

En se donnant à nous, en s'imprimant dans

nos âmes, les personnes divines y laissent cer-

tains dons qui sont les principes formels de cette

jouissance ; nous avons nommé la charité et le

don de sagesse' : la charité, qui nous assimile à

l'Esprit-Saint, Tamour incréé ; le don de sagesse,

par lequel nous devenons semblables au Verbe

divin, connaissant Dieu d'une connaissance ana-

logue à celle par laquelle Dieu se connaît lui-

même, c'est-à-dire d'une connaissance qui s'épa-

nouit en amour ; car le Verbe divin, ce terme de

la connaissance paternel' e, n'est pas un verbe

quelconque, mais un verbe qui spire et produit

l'amour 3.

 

 

 

I. S. Th., Sent., I, dîst. xiv, q. ii, a. 2, ad 2.

 

3. « Vel potius sicut id per quod fruibili conjungimur,

in quantum ipsae personae dmnse quadam sui sigillationc

in animabus nostris relinquunt qusedam dona quibus for-

maliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod

Spiritus Sanctus dicilur esse pignus haereditatis nostrae. »

(Ibid., ad 2.)

 

3. « Ad hoc quod aliqua persona divina mittatur ad

aliquem per gratiam, oportet quod fiât assimila tio illius ad

divinam personam quœ mittitur, per aliquod gratiae do-

num. Et quia Spiritus Sanctus est amor, per donum chari-

tatis anima Spiritui Sancto assimilatur. Unde secundum

donum charitatis attenditur missio Spiritus Sancti ; Filius

autem est verbum, non qualecumque, sed spirans amorem...

 

 

 

l82 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

Une analogie empruntée à la manière dont

notre âme se connaît noiisi aid«ra à comprendre

ce qu'est cette connaissance expérimentale de

Dieu, fruit et conséquence de la grâce. Dans

rétat présent d'union avec le corps, notre âme ne

se connaît pas directement et par intuition, elle

ne voit pas sa propre substance ; mais elle en

infère l'existence des actes dont elle est le prin-

cipe et la source.

 

Il y a pourtant une différence notable entre la

nanière dont elle se connaît elle-même, et la

façon dont elle arrive à connaître les autres

âmes. S'agit-il de connaître l'âme du prochain :

nous raisonnons sur les actes extérieurs dont

nous sommes témoins, mouvements de vie, actes

d'intelligence et de volonté, et nous concluons à

l'existence d'un principe substantiel, vivant, intel-

lectuel et libre, qui est la racine et la source de

ces opérations. Est-il question de connaître

l'existence de notre propre âme : ne pouvant pas

l'atteindre directement, nous sommes bien encore

obligés de recourir au procédé déductif; mais

alors, au lieu de prendre pour base unique du

raisonnement les manifestations extérieures de la

vie, nous pouvons nous appuyer sur des données

 

 

 

Non igitur secundum quamlibct perfectionem intellectus

mittitur Filius, sed secundum talem instructionem intel-

lectus, qua prorumpat in affectum ainoris... Et ideo

signanter dicit Augustinus, quod Filius mittitar, cum a

quoquam cognoscitur atque percipitar. Perceptio autem

experimentalem quamdara notitiam significat ; et haec

proprie dicitur sapientia, quasi sapida scientia. » (S. Th., I,

q. xLiii, a. 5, ad a.)

 

 

 

DE fLA PRÉSENCE DE DIEU l83

 

de conscience et des faits de l'ordre interne; car

ici nous ne constatons pas simplement la vi«,

nous la sentons en nous, nous avons conscience

de nos pensées, de nos vouloirs et de tous ces

mouvements dont nous sommes à la fois les

témoins >et les acteurs. Nous obtenons ainsi une

sorte de connaissance expérimentale du principe

de ces actes, connaissance indirecte et obscure,

connaissance déductive, tant qu'on voudra, mais

différant singulièrement de cette science toute

théorique que nous pouvons acquérir de l'exis-

tence 'de l'âme d'aoatrui. De là oeAte parole de saint

Thomas : a que notre âme se connaît par sa

présence : Et ideo dicitur se cognoscere per suam

prmseniiam^. »

 

Ainsi en est-il, proportion gardée, de la manière

dont nous pouvons connaitre la présence de Dieu

au fond de nos cœurs. Non seulement nous

savons théoriquement que Dieu habite dans les

justes, mais par le don de sagesse nous gmilons

sa divine présence. Et bien que personne ne

puisse, sans une révélation spéciale, avoir la

certitude absolue ^e le Saint-Esprit test en lui,

« nul ne sachant d'une certitude de foi, incom-

patihle avec «toute 'erreur, s'il est en état de grâce,

comme l'a déclaré Je concile de Tîrente : Cum

nattas scire maleat certitadine fidei, cui non potest

suhesse falsum, se gratiam Dei esse consecutum^ » ;

nous ne sommes pourtant pas réduits sur ce point

à une complète ignorance ; car, suivant là parole

 

 

 

I. S. Th., Summa TheoL^ I, q. Lxxxvn, «. 'K

 

a. Trid., sess. VI, c. ix.

 

 

 

l84 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

de l'Apôtre, « l'Esprit-Saint lui-même rend à

notre âme le témoignage que nous sommes

enfants de Dieu : Ipse enim Spiritus testimonium

reddii spiritai nostro quod sumusfilii Dei^ » : non

pas sans doute par une voix extérieure s'adres-

sant à l'oreille du corps, mais, comme l'explique

saint Thomas, « par l'effet de l'amour filial qu'il

produit en nous : per ejfectum amoris filialiSy,

qiiem in nohis facit^ ».

 

Nous ne voyons pas cet hôte intérieur, un voile

impénétrable nous dérobe l'éclat de sa présence,

la cloison de la chair nous sépare du Bien-Aimé ;

aussi « gémissons-nous dans l'attente de notre

pleine adoption. Et ipsi intra nos gemimus,

adoptionemfiliorumexpectantes^\ )> Mais, que dis-je?

ce n'est même pas une cloison, c'est un simple

treillis à travers lequel le Bien-Aimé nous

contemple. En ipse siat post parietem nosiruniy

respiciens per Jenestras , prospiciens per cancellos^ ;

et quand, dans sa bonté, il daigne passer la main

et faire sentir davantage sa présence, notre cœur

en est tout ému.

 

Pour faire comprendre cette vtrité, sainte

Thérèse se sert d'une comparaison ingénieuse.

Elle dit qu' « il en est en quelque sorte de l'âme

comme d'une personne qui, se trouvant avec

d'autres dans un appartement très clair, cesserait

tout à coup de les voir si l'on fermait les fenêtres

 

 

 

1. Rom., VIII, i6.

 

2. S. Th., in Epist. ad Rom. viii, lect. 3.

 

3. Rom., VIII, a3.

 

4. Gant, v,, 9

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l85

 

sans néanmoins cesser d'être certaine de leur

présence... Pourvu que cette âme soit fidèle à

Dieu, jamais, à mon avis, Dieu ne manquera de

lui donner cette vue intime et manifeste de sa

présence ^ »

 

Si vous demandez à quels signes on peut

reconnaître la présence du Saint-Esprit dans une

âme, saint Bernard, parlant de lui-même, répond

qu'il la connaissait au mouvement de son cœur :

Ex motu cordis intellexi prœsentiam ejus ; c'est-

à-dire par la fuite des vices et des affections

charnelles, par les reproches intérieurs qui lui

étaient adressés au sujet de ses fautes les plus

secrètes, par l'amendement de sa vie et le renou-

vellement de l'homme intérieur. « Vous me

demandez, dit-il, comment je peux connaître la

présence de Celui dont les voies sont impéné-

trables. Sitôt qu'il est présent, il réveille mon

âme endormie : il meut, il amollit, il blesse mon

cœur dur comme la pierre et malade ; il se met

à arracher et à détruire, à édifier et planter, à

arroser ce qui est sec et aride, à éclairer ce qui

est dans les ténèbres, à ouvrir ce qui est fermé,

à réchauffer ce qui est froid, à redresser ce qui

est tortueux, à aplanir ce qui est raboteux. Et

ainsi, quand l'époux entre dans mon âme, je

reconnais sa présence, comme je l'ai dit, au

mouvement de mon cœur*. »

 

Saint Thomas déclare de son côté que, en

 

 

 

5. Sainte Thérèse : Le Château intérieur, 7« demeure, ch. I.

— Traduction du Père Marcel Bouix, S. J.

a. S. Bern., serm. 74 in Gant.

 

 

 

k

 

 

 

l86 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

dehors d'une révélation particulière, qui n'est

accordée que par un privilège tout gratuit, chacun

peut avoir de la présence de Dieu au fond de

son cœur un triple signe conjectural : d'abord

le témoignage de sa conscience, lorsque, par

exemple, on a conscience d'aimer Dieu et d'être

prêt, moyennant sa sainte grâce, à tout souffrir et

à tout sacrifier plutôt que de l'offenser ; ensuite,

l'empressement à écouter, et surtout à mettre en

pratique la parole de Dieu, conformément à cette

observation du divin Maître : (( Celui qui est de

Dieu écoute volontiers la parole de Dieu : Qui

ex Deo est, verba Dei audit n ; enfin ce savourement

intérieur de la divine sagesse, qui est comme un

avant-goût de la félicité future ^.

 

11 avait bien goûté les suavités divines, celui

qui s'écriait : « Oh! qu'il est bon, qu'il est doux

votre esprit, ô Seigneur I quam bonus et suavis

est, Domine, spiritus- tuus'^I n- Saint Augustin, qui

savait apprécier ces douceurs spiritueifes, laissait,

lui aussi, échapper de ses lèvres cette exclama-

tion brûlante : « Qui- me donnera, ô mon Dieu,

 

 

 

1. « Sunt autem tria signa hujusconjecturationis, scilicet'

gratiae Dei. Primum est testimonium conscientiae. Gloria

nostra hxc est, testimonium conscientiœ nostrse (II Coc, i,.

12)... Secundum est verbi Dei auditus non solum ad

audiendum, sed etiam ad faciendum ; unde (Joan-, viii, 47) :

Qui ex Deo est, verba Dei audit... Tertium signum est

internus gustus divinae sapientiae, quae est quasi quaedani

prselibatio futurœ beatitudinis ; unde in Ps. xxxiii. 9 :

Gustate et videte, quoniam suavis est Dominus, scilicet per

gratiam suam in nobia. » (S. Th., Opusc. in., de Humanitate

Christi, c. xxiv.)

 

a. Sap., XII, I.

 

 

 

DE LA PBÉSE?vGE DE DIEU 187

 

cette grâce, que vous daigniez venir dans soion

cœur, l'enivrer de délices, et ,que j'oublie mes

maux pour vous embrasser, vous qui êtes .mon

unique bien ! Quis mihi dabit ut verdas in cor

meum, et inehries illud, ul oblivùcar mala, et unum

bonam amplecter te^I n

 

 

 

¥1

 

 

 

Dieu est donc réellement et strbstantîeriement

présent en qualité d'hôte, d'ami, d'époux, de

bien souverain, à toute âme qui a la grâce et la

charité : il lui est uni d'une façon toute spéciale

qui est le privilège exclusif des justes, car seule

la grâce sanctifiante l-es met en état d'atteindre

Dieu, par leur opération, comme fin dernière et

objet de béatitude^.

 

Mais il y a union et union. Toujours actuelle

dans les bienheureux qui, ne cessant et ne devant

jamais cesser de voir et d'aimer Dieu, vivent

dans un acte continuel et ininterrompu de con-

templation et de jouissance, qui constitue leur

béatitude ; purement habituelle dans les enfants

qui ont reçu la grâce du saint baptême, mais

 

 

 

1. S. Au^., Con/., Jib. I, c. v.

 

2. « Novus modus secunduiii quem Deus est în creatura

rationali, est sicut cognitum in cognoscente et amatum

in amante. Gognoscere autem Deum, et amare Deum in

^juantum est objectum beatitudinis, estper gratiam ^ratum

facientem. » (S. Th., Opusc. lx, de Humanit. Christi, c.

 

XXIV.)

 

 

 

l88 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

dont rintelligence n'est pas encore éveillée,

Tunion à Dieu, qui est le fait des adultes encore

dans la voie, tient le milieu entre la perfection

de celle des premiers et Timperfection de celle

des seconds ; habituelle seulement pendant le

sommeil et les mille occupations de la journée

qui absorbent l'activité de notre esprit, elle devient

actuelle, quand nous nous tournons vers Dieu

d'une manière réfléchie, nous appliquant à le

connaître et à l'aimer, à marcher en sa présence,

à vivre dans son intimité.

 

Ce n'est qu'au ciel que nous pourrons être

pleinement, parfaitement, totalement, insépara-

blement unis à Dieu, comme à notre fin dernière;

mais en attendant, nous devons dès ici-bas tendre

à cette bienheureuse union, la désirer, la deman-

der, travailler de toutes nos forces à la rendre

actuelle dans la mesure du possible, écarter tout

ce qui y fait obstacle : le péché d'abord qui

pourrait ou la détruire en nous faisant perdre

l'amitié de Dieu, ou l'afFaiblir en diminuant les

ardeurs de la sainte charité ; puis l'attache aux

créatures, aux biens et aux plaisirs de la terre,

véritables chaînes qui retiennent notre âme cap-

tive et l'empêchent de prendre son essor vers le

souverain Bien ; enfin la dissipation d'esprit qui

emporte nos pensées et nos affections loin de

celui qui doit en être le centre.

 

Et puisque la béatitude — nous entendons la

béatitude formelle — est une opération', l'acte

de nos facultés intellectuelles s'unissant par la

 

 

 

I. S. Th., Summa Theol., U II-, q. m, a. a.

 

 

 

DT LA PRÉSENCE DE DIEU 189

 

contemplation et l'amour à la vérité première et

au Bien souverain, c'est-à-dire au seul objet

capable de nous rendre heureux, il est clair que.

si nous comprenons bien nos véritables intérêts,

si nous voulons faire des progrès sérieux dans la

perfection et avoir, dès cette vie, comme un

avant-goût de la félicité future, il nous faut tra-

vailler à resserrer de plus en plus les liens qui

nous unissent à Dieu, vaquer à l'étude des

perfections et des bienfaits divins, et surtout

multiplier les actes de charité, car « c'est le pri-

vilège de l'amour de nous unir immédiatement

L Dieu : Chariias est quœ diligendo animam immé-

diate D20 conjungit spiritualis vinculo unionis^. »

S'élevant au-dessus de la science, il entre confi-

demment pendant que la science reste dehors.

Aussi est-ce une maxime donnée par les maîtres

que la perfection de la vie chrétienne consiste

en l'amour de Dieu, et que nos progrès dans la

sainteté doivent se mesurer, non par l'accroisse-

ment de la science, mais par l'augmentation de

la charité. C'est ce qui faisait dire à l'apôtre saint

Paul écrivant aux fidèles de Colosses : « Par-

dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la

perfection : Super omnia auiem hœc, charilatem

habete, quod est vinculum perfectionis\ »

 

Au reste, pour beaucoup aimer, pas n'est

besoin de beaucoup savoir ; car, si la connais-

sance est le principe de l'amour, elle n'en est

point la mesure. « Nous voyons, dit saint Thomas»

 

 

 

I. S. Th,, II' II", q. XXVII, a. 4, ad 3.

a. Col., III, i4.

 

 

 

Jt§0 EXPUCATIOW DU MODE PARTICULIER

 

des persoiines simples qui sont ferventes dans

l'amour de Dieu, et qui ont l'esprit assez peu

ouvert quand il s'agit de le connaître ^ » On

peut donc aimer Dieu avec beaucoup d'ardeur,

sans avoir des connaissances très étendues sur sa

nature et ses attributs, de même qu'on peut

avoir approfondi tous les secrets de la théologie

et n'éprouA-er que froideur pour les choses divi-

nes. Cependant, quand la science est inspirée et

perfectionnée par la charité, elle donne un

nouvel aliment à sa flamme.

 

Scrutons donc, à l'exemple de l'épouse des

Cantiques, scrutons avec une sagacité affinée par

l'amoui", toutes les beautés, toutes les amabilités,

toutes les perfections du Bien-Aimé'. Attachons-

nous à lui de toutes nos forces, disons comme

le Psalmiste : « Pour moi, mon bonheur c'est

d'être uni à Dieu : Mihi autem adhœrere Deo

bonum est'^ n'y vivons dans son amour, vivons de

son amour, jouissons de sa divine présence et

de son intimité, et que notre conversation,

comme celle de l'Apôtre, soit dans le ciel \ En

agissant de la sorte, nous réaliserons tout à la

fois la parole du disciple bien^imé et le vœu

de l'amitié : « Dieu sera en nous, et nous en

 

 

 

1. « Videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes

esse in amore divine, qui tamen sunt valdc hebetes in

cQgnitione divinae sapientiae. » (S. Th., SerU.^ I,dist xv, q.

IV, a 2, obj. 4.)

 

2. Gant., V, 9-17.

 

3. Ps. LXXII, 28.

 

4. « Nostra autem conversatio in cœlis est. » (Philip.,

m, 20.)

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU igi

 

lui : Qui manet in charitate, in Deo manet, et

Deus in eo^. »

 

L'union à Dieu, l'union actuelle, tel doit être

l'objet de nos vœux les plus ardents, le but de

nos efforts, le terme vers lequel nous devons

orienter toute notre vie spirituelle : car c'est

dans cette bienheureuse union que consiste la

perfection de la voie comme elle constituera un

jour la perfection et le bonheur de la patrie.

 

 

 

I. I Joan.,iY, i6.

 

 

 

TROISIÈME PARTIE

 

 

 

L'INHABITATION DIVINE PAR LA GRACE N'EST

PAS LA PROPRIÉTÉ PERSONNELLE DU SAINT-

ESPRIT, MAIS LE PATRIMOINE COMMUN DE

TOUTE LA SAINTE TRINITÉ. — ELLE EST

L'APANAGE DE TOUS LES JUSTES, TANT DE

L'ANCIEN QUE DU NOUVEAU TESTAMENT.

 

 

 

NAVIT. tAIRT-ISPIIT. — lA

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

Quoique attribuée ordinairement à l'Esprit-

Salnt, l'inhabitation divine par la grâce

ne lui est pas exclusivement propre,

mais commune aux trois personnes.

 

 

 

Nous avons jusqu'ici parlé indifFéremment de

l'habitation du Saint-Esprit ou de la sainte Tri-

nité dans les âmes en état de grâce, nous con-

formant en cela au langage de l'Ecriture elle-

même, qui attribue tantôt à l'une, tantôt à l'autre

des personnes divines, le séjour que Dieu daigne

faire dans les justes. Ainsi, le même apôtre

qui avait écrit aux fidèles de Gorinthe : « Ne

savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu

et l'habitacle de l'Esprit-Saint?! w enseignait aux

Ephésiens « que le Christ habite en nous par

la foi * ». Et Notre-Seigneur lui-même disait à ses

disciples : u Si quelqu'un m'aime, il gardera ma

parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons

 

 

 

1. M Nescitis quia templum Dei estis, et Spîritus Dei

habitat in vobis ? » (i Cor., m, i6.)

 

a. « Christum habitare per fidem in cordibus vestris. »

<Eph., m, 17.)

 

 

 

igS l'inhabitation divine

 

à lui, et nous établirons en lui notre demeure i. ))

L'on ne saurait toutefois méconnaître que

c'est le Saint-Esprit qui est le plus souvent

désigné comme l'hôte de nos âmes. Tandis que,

une fois à peine, le texte sacré fait mention de

la présence en nous du Père et du Fils, il parle

fréquemment de la venue et de l'habitation de

l'Esprit-Saint dans nos cœurs. L'Ecriture le repré-

sente comme le don de Dieu par excellence,

donum Dei*, le don principe de tous les dons, la

source de la vie surnaturelle ^, l'auteur de notre

sanctification, le gage de la béatitude céleste^.

C'est lui qui répand dans nos cœurs la grâce et

la charité 5, lui qui nous fait enfants de Dieu 6,

et qui distribue à son gré les dons divins"^. Maître

intérieur, il éclaire les intelligences, leur ensei-

gnant toute vérité s ; il touche et amollit les

 

 

 

I. « Si quis dilîgit me, sermonem meum servabit, et

Pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansio-

nemapud eum faciemus. » (Joan., xiv, aS.)

 

a. Act., VIII, 20.

 

3. « Qui crédit in me, sicut dicit Scriptura, flumina de

ventre ejus fluent aquae vivœ. Hoc autem dixit de Spiritu,

quem accepturi erant credentes in eum. » (Joan., vu,

38-39.)

 

4. « Unxit nos Deus, qui et signavit nos, et dédit pignus

Spiritus in cordibus nostris. » (II Cor., i, 21-22.)

 

5. « Charitas Dei difTusa est in cordibus nostris per Spi-

ritum Sanctum, qui datus est nobis. » (Rom., v, 5.)

 

6. « Accepistis Spiritum adoptionis filiorum, in quo

clamamus : Abba, Pater. ))(Rom., viii, i5.)

 

7. « Haec autem omnia operatur unus atque idem Spi-

ritus, dividens singulis prout vult. » (I Cor., xii, 11.)

 

8. « Gum autem venerit iile Spiritus veritatis, docebit vos

omnem veritatem. » (Joan., xvi, i3.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES I97

 

cœurs, les inclinant suavement et fortement à

robservance fidèle des commandements divins i.

C'est lui qui nous console dans nos peines, nous

conseille dans nos incertitudes, nous apprend h

prier, à demander ce qui est expédient pour le

salut, formulant lui-même nos demandes avec

des gémissements inénarrables 2 ; lui encore qui

nous réveille de notre assoupissement, nous

pousse au bien 3, nous dirige dans nos voies et

nous introduit finalement dans la véritable terre

promise, où règne la parfaite rectitude ^.

 

Les saints Pères ne tiennent pas un autre lan-

gage. Pour eux également, l'Esprit-Saint est le

grand don de Dieu, l'hôte intérieur qui, en se

donnant lui-même, nous communique en même

temps une participation de la nature divine, et

fait de nous des enfants de Dieu, des êtres divins \

 

 

 

1. « Spiritum meum ponam in medio vestri, et faciam

ut in praeceptis meis arabuletis, et judicia mea custodiatia,

et operemini. » (Ezech., xxxvi, 27.)

 

2. « Spiritus adjuvat infirmitatem nostram : nam quid

oremus, sicut oporiet, nescimus ; sed ipse Spiritus postulat

pro nobis gemitibus inenarrabilibus. » (Rom., vm, 26.)

 

3. « Quicumque Spiritu Del aguntur, ii sunt filii Del. »

(Rom., VIII, i4.)

 

4. <» Spiritus tuus bonus deducet me in terram rec-

tam. » (Ps. Gxui, 10.)

 

5. « Per hune (Spiritum) quilibet sanctorum deus est ;

dictum est enim ad eos a Dec : Ego dixi, dit estis et filii

Excelsi omnes. Necesse est autem eum qui diis causa est ut

dii sint, Spiritum esse divinum et ex Deo. Ut enim quod

cremantibus causa est ut sint cremantia, id cremans esse

necesse est, et quod sanctis causa est ut sint sancti, id neces-

sario sanctum est ; ita et eum qui diis causa est ut dii sint,

Deum esse necesse est. » (S. Basil., Contr. Eunom., 1. V.

 

 

 

198 l'inhabitation divine

 

des hommes spirituels et des saints ^ Aussi

se plaisent-ils à le désigner comme l'Esprit

sanctificateur, le principe de la vie céleste

et divine 2. Quelques-uns vont même jusqu'à

l'appeler la forme de notre sainteté 3, Tâine de

notre âme, le lien qui nous unit au Père et au

Fils, celui par qui ces divines personnes habitent

en nous.

 

Une telle insistance à attribuer l'inhabitation

par la grâce ainsi que l'œuvre de notre sanctifi-

cation et de notre filiation adoptive à la troi-

sième personne de l'auguste Trinité ne serait-

elle pas un indice, un signe, une preuve que le

Saint-Esprit a, avec nos âmes, des rapports spé-

ciaux, un mode d'union qui lui est propre et

qu'il ne partage point avec les autres personnes ?

Car enfin, s'il réside en nous au même titre

absolument, et de la même manière que le Père

et le Fils, pourquoi le représenter sans cesse, de

préférence aux autres personnes, comme Ihôte

de nos âmes, et lui attribuer constamment une

 

 

 

I. « Spiritus cura anima conjunctio non fit appropin-

quando secundum locum... Hic eis qui ab omni sorde

purgati sunt illucescens, per communionem eu m ipso

spirituales reddit. » (S. Basil., de Spir. Sanct.,c. ix.)

 

a. « Sicut ignis calor alius est qui ipsi inest, alius quem

^usb aut alteri hujusmodi rei impertit, ita etiam Spiritus

«t in se habet ipsam viiam ; et qui ejus sunt participes,

divine Tivunt, vitam divinam et cselestem habentes. » (S.

Basil., Contr. Eunom., l. V.)

 

3. « Quatenus Spiritus sanctus vim habet perficiendi

nationales creaturas absolvens fastigium earum perfectionis,

formai ralionem habet. » (S. Basil , de Spir. Sanct., c. xxvi.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES IQÇ

 

présence et une action qui seraient, en réalité,

communes à la Trinité tout entière ? De là ©et né

le système de l'inhabitation propre au Saint-

Esprit.

 

D'après quelques théologiens, l'état de grâce

aurait pour résultat d'établir une union directe

et immédiate de nos âmes avec ce divin Esprit,

et, par lui, avec le Père et le Fils, en vertu de

l'inséparabilité des personnes divines. Telle est

la célèbre théorie qui a eu, sinon pour auteur^

du moins pour principal patron et défenseur,

im homme de grande érudition, l'un des plus

illustres représentants de la théologie positive

au XVIP siècle, Denis Petau, de la Compagnie

de Jésus.

 

Mais l'immense majorité des docteurs, à quel-

que école qu'ils aient appartenu, s'est toujours

montrée réfractaire et hostile à cet enseigne-

ment ; et convaincue, à bon droit, que la loi

d'appropriation suffît pleinement à expliquer les

textes de l'Ecriture et des Pères qui semblent

faire de la présence spéciale de Dieu dans les

justes l'apanage de l'Esprit-Saint, elle a cons-

tamment soutenu que la Trinité tout entière

habite en nous par la grâce, et qu'il n'y a pas

d'union plus réelle ou plus immédiate avec la

troisième personne qu'avec le Père et le Fils ;

toutefois, quoique commune aux trois personnes,

l'inhabitation divine par la grâce est appropriée-

au Saint-Esprit à raison de son caractère per-

sonnel et de la nature même de Tunion entre

Dieu et l'homme, qui est le fruit de la sainte

charité.

 

La question semblait donc vidée, lorsque des^

 

 

 

300 L INHABITATION DIVINE

 

tentatives nouvelles faites à notre époque, dans

le but de ressusciter une opinion qui paraissait

définitivement jugée et condamnée, sont venues

tout remettre en cause et réveiller un litige que

l'on pouvait croire apaisé. Devant cette levée de

boucliers, il nous a paru que les intérêts de la

saine doctrine demandaient que la question ne

fût pas complètement passée sous silence, mais

traitée au moins sommairement ^ ; c'est ce que

nous allons faire avec l'aide de Dieu.

 

 

 

Le problème à résoudre est celui-ci : Quand

l'Ecriture et les Pères nous parlent de l'habita-

tion du Saint-Esprit dans nos cœurs, sans faire

mention des autres personnes, faut-il prendre

cette formule au pied de la lettre, et croire que

l'Esprit-Saint s'unit à nos âmes d'une union qui

lui est propre et lui appartient à un titre parti-

culier? ou bien, au contraire, faut-il considérer

cette union comme commune aux trois per-

sonnes de l'adorable Trinité et simplement appro-

priée à l'une d'entre elles ? Petau, Ramière, Schee-

ben, d'autres encore, tiennent pour la première

interprétation ; les théologiens scolastiques, saint

Thomas, saint Bonaventure, Albert le Grand,

Suarez, les théologiens de Salamanque, de nos

 

 

 

1. N. B. — Ceux des lecteurs qu'une étude plus appro-

fondie pourrait intéresser, la trouveront à l'appendice placé

à la fin du volume.

 

 

 

COMMUTEE AUX TROIS PERSONNES 201

 

jours les ÉÉm. Cardinaux Franzelin et Mazzella,

les RR. PP. Kleutgen, Pesch, Tepe, S. J., etc.,

etc., adoptent la seconde. Quel que soit le senti-

ment que l'on embrasse sur la manière dont le

Saint-Esprit est uni à l'âme juste, le dogme catho-

lique exige qu'on admette aussi en elle une pré-

sence véritable du Père et du Fils.

 

Les personnes divines, en effet, n'ayant qu'une

seule et même nature individuelle, sont nécessai-

rement inséparables. « L'Esprit-Saint, dit saint

JeanChrysostome, ne saurait être présent quelque

part sans que le Christ y soit aussi; car partout

où se trouve une personne divine, la Trinité y est

tout entière'. » Saint Augustin parle dans le

même sens : a Qui oserait penser, à moins

d'ignorer complètement l'inséparabilité des per-

sonnes divines, que le Père çt le Fils puissent

habiter oii le Saint-Esprit n'habite pas, et que le

Saint-Esprit habite quelque part sans le Père et le

Fils? 2,)

 

Aussi les théologiens s'accordent-ils à recon-

naître, avec saint Thomas, que les deux person-

nes divines qui, à raison de leur procession

 

 

 

1. « Non potest Spiritu sancto praesente non adesse

Christus. Ubi enim una Trinitatis hypostasis adest, iota

adest Trinitas. » (S. Joan. Ghrys., m Epist. ad Rom.^

vm, 9.)

 

2. « Quis porro audeat opinari, nisi quisquis insepara-

bilitatem penitus Trinitatis ignorât, quod in aliquo habi-

tare possit Pater aut Filius, in quo non habitet Spiritus

Sanctus, aut in aliquo Spiritus Sanctus, in quo non et

Pater et Filius? » (S. Aug., 1. de Prœsentia Dei, cap. v,

n. lô.)

 

 

 

202 L INHABITATION DIVINE

 

éternelle, peuvent être envoyées et données à la

créature raisonnable pour la sanctifier, ne le sont

jamais l'une sans l'autre ; jamais le Fils ne vient

éclairer l'intelligence sans que l'Esprit-Saint ne

vienne enflammer la volonté ; leurs missions

invisibles, quoique distinctes, si l'on considère

les effets particuliers suivant lesquels elles s'opè-

rent et le mode d'origine des personnes, se

trouvent cependant unies dans une racine com-

mune, la grâce sanctifiante, qui ne permet pas

que l'une ait lieu sans l'autre ^. Quant au Père, il

est présent, lui aussi, en vertu de la circuminces-

sion ; et, s'il n'est pas envoyé, parce qu'il ne pro-

cède de personne, il vient néanmoins de lui-

même, se donne à l'âme juste et habite en elle

avec le Fils et le Saint-Esprit, pour la sanctifier

de concert avec eux.

 

Tout en admettant cette présence vraie et subs-

tantielle des trois personnes divines, qu'il n'aurait

pu, du reste, contester sans se mettre en oppo-

sition manifeste avec l'enseignement unanime

des Pères et des Docteurs, et sans détruire i'éco-

 

 

 

I. « Cum missio importet originem personae mîssae, et

inhabitationem per gratiam, si loquamur de missione

quantum ad originem, sic missio Filii distinguitur a mis-

sione Spirilus Sancti, sicut et generatio a processione. Si

autem quantum ad effectum gratiœ, sic communicant

duae missiones in radice gratiœ, sed distinguuntur in effec-

tibus gratiae, qui sunt illuminatio intellectus et inflam-

matio affectus. Et sic manifestum est quod una non potest

esse sine alia, quia neutra est sine gratia gratum faciente,

nec una persona separatur ab alia. *> (S. Th., Samm. TheoL,

I, q. xuii, a. 5, ad 3.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2o5

 

nomie du mystère de la Trinité, Petau prétend

que le Saint-Esprit habite dans Fâme juste d'une

manière spéciale, qu'il possède avec elle un mode

d'union qui lui est personnel et qu'il ne partage

point avec le Père et le Fils. A l'en croire, la

troisième personne résiderait en nous par elle-

même, directement et immédiatement; les deux

autres n'y seraient que d'une manière indirecte»

par concomitance, en vertu delà communauté de

nature qui les rend inséparables.

 

Et, pour bien expliquer sa pensée, il apporte

en exemple ce qui se passe dans le mystère de

l'incarnation. « Le Père et le Saint-Esprit, dit-il,

ne demeurent pas moins dans le Christ que le

Verbe lui-même ; mais le mode d'union est diffé-

rent. Car, en outre de l'union qui lui est com-

mune avec les autres personnes, le Verbe en

possède une spéciale, qui lui appartient en propre,

attendu qu'il est comme la forme qui fait du

Christ un homme divin, ou plutôt un Dieu,

et le Fils de Dieu. C'est ainsi que les trois per-

sonnes habitent, il est vrai, toutes dans le

juste ; mais l'Esprit-Saint est seul comme la

forme qui le sanc'ilie et le rend fils adoptif de

Dieu par la communication de sa propre subs-

tance.

 

({ Qu'on relise, ajoute-t-il, tous les témoignages

des anciens Pères que nous avons exposés plus

haut, ou, ce qui vaut mieux encore, qu'on par-

coure les passages de l'Ecriture qui parlent ou

bien simplement de l'union de Dieu avec les

justes, ou en particulier de l'habitation du Fils

en eux, et l'on trouvera que la plupart attestent

que c'est par l'Esprit-Saint qu'elle s'opère, comme

 

 

 

20^ l'inhabitation divine

 

par sa cause prochaine, et, pour ainsi parler,

 

formelle'. »

 

Le Saint-Esprit est donc, d'après Petau, uni

aux justes d'une union qui lui est propre, et qui,

sans être hypostatique, est néanmoins analogue

à celle du Verbe avec la nature humaine en

Jésus-Christ. Dans le Verbe fait chair, la nature

humaine est unie directement à la personne du

Fils. et. par cl!c, à la divinité et aux deux autres

personnes de la Trinité sainte. La personne du

Verbe est ainsi le point de jonction des deux

nati res divine et hum.aine, comme elle est le

Hen qui unit l'humanité du Christ aux personnes

du Père et du Saint-Esprit. De même, dans

Tœuvre de notre déification par la grâce, c'est la

personne du Saint-Esprit qui est le terme direct

et immédiat de notre union avec Dieu, c'est elle

qui nous met en relation avec le Père et le Fils

 

 

 

I. « Pater ecce, atque Spiritus Sanctus in homineChristo

non minus inanet, quam Verbum ; sed dissimilis est

t'i:; évuTiàp^.eax; modas. Verbum enim, praeter communem

illuai, qucm cum reliquis eumdem habet, peculiarcin

allerum obtinet, ut sit formée instar, divinum, vel Deum

polius facientis, et hune Filium. Sic in homine justo très

uiique personae habitant. Sed solus Spiritus Sanctus quasi

forma est sanctificans, et adoptivum reddens sul commu-

aicatione filium... Relegantur omnia veterum Patrum

testimonia, qube superius exposita sunt : et, quod iis praes-

tantius est, Scripturae loca illa recenseantur, quae cum

justis conjungi, \el in iis habitare aut Deum simpliciler,

aut privatim Filium docent ; inveniemus eorum pleraque

testari, per Spiritum Sanctum hoc fieri, velut proximam

caiisam, et, ut ita dixerim, formalem. » (Petav., de Trin.,

I. Vm. c. VI, n. 8.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 20D

 

et sert en quelque sorte de trait d'union entre

eux et nous.

 

Le célèbre Jésuite soutient que tel est le senti-

ment de l'antiquité, et il en appelle également

aux Livres saints pour établir et corroborer son

opinion. Que faut-il penser de ces prétentions?

 

 

 

II

 

 

 

Si nous nous en rapportons à un juge com-

pétent, loin d'être l'expression fidèle de la vérité

révélée, la doctrine de l'inhabitation personnelle

de l'Esprit-Saint dans les justes est, au contraire,

en opposition manifeste avec l'enseignement tra-

ditionnel, et ne repose que sur une interprétation

erronée de l'Ecriture et des Pères. Ce juge, dont

on ne peut ni suspecter l'impartialité ni récuser

la sentence, c'est l'immense armée des Docteurs,

qui, nonobstant la diversité de leurs tendances

et leur antagonisme d'école, se sont néanmoins

trouvés d'accord sur ce point. Les théologiens

les plus éminents de la Compagnie de Jésus,

anciens et modernes, se rencontrent ici avec les

frères et disciples du Docteur Angélique ; et bien

qu'un des leurs fût en cause, ils n'ont été — nous

sommes heureux de leur rendre ce témoignage

— ni des derniers ni des moins ardents à le

combattre.

 

C'est que vraiment la lutte s'imposait. En effet,

attribuer à la personne du Saint-Esprit dans

l'œuvre de notre sanctification, le rôle du Verbe

dans l'incarnation, c'était se mettra An contradic-

 

 

 

2o6 l'inhabitation divine

 

tion avec les principes théologiques les plu»

incontestables, introduire une nouveauté, et

alfîrmer, bon gré mal gré, entre l'Esprit-Saint et

chacune des âmes justes, une sorte d'union

hypostatique contraire à toutes les données de la

foi. Il suffît, pour s'en convaincre, de se rappeler

que, en Dieu, tout est commun aux trois per-

sonnes, la nature, les attributs, les opérations

extérieures, les rapports qui en résultent, tout,

hormis les relations opposées d'origine qui cons-

tituent et distinguent les personnes, et ce qui, au

dehors, peut être qualifié de fonction hypos-

tatique ' .

 

En vain, pour étayer son opinion, Petau fait-il

appel à l'antiquité et tente-t-il d'établir que si

l'Esprit-Saint ne vient pas seul dans nos cœurs,

seul du moins il est le terme direct et immédiat

de l'union 2; l'antiquité lui répond, par l'organe

de saint Thomas, que, contrairement à ce qui se

passe dans le mystère de l'incarnation, où le

rapprochement des deux natures, divine et

humaine, quoique effectué par la Trinité entière,

se termine à la seule personne du Verbe, l'union

établie par la grâce entre Dieu et l'homme est

 

 

 

I. « Omnia sunt unum, ubi non obviât relationis oppo-

siiio. » (Ex. Conc. Florent. Decretum pro Jacobitis.)

 

». « Quod ex antiquorum... testimoniis sequi videtur, id

est ejusmodi : Illam cum justorum animis conj unctionem

Spiritus Sancti..., communi quidem personis tribus conve-

nire di%initati, sed quatenus in hypostasi, sive persona

inest Spiritus Sancti adeo, ut certa quaedam ratio sit, qua

se Spiritus Sancti persona sanctorum justorumque men-

tibui applicat, quae ceteris personis eodem modo non con-

venlt. » (Petav., de Trin., 1. VIII, c. vi, n. 6.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2O7

 

commune aux trois personnes, non seulement

dans son principe effectif, mais encore dans son

terme ^ ; et l'Ecole tout entière ajoute, par la

bouche de ses plus grands Docteurs, qu'aucune

union réelle de la Divinité avec les créatures ne

saurait appartenir en propre à une personne

divine sans être par le fait une union hy pos-

ta tique.

 

Car de deux choses l'une ; ou l'union se fait

directement avec l'essence commune, et dans ce

cas elle appartient également aux trois per-

sonnes ; ou elle se fait dans ce qui est propre à

l'une d'entre elles, dans son hypostase, et alors

elle est hypostatique. Or, la doctrine catholique

ne connaît, en fait, d'autre union hypostatique

entre Dieu et la créature, que celle du Verbe

avec l'humanité dans la personne de Jésus-

Christ.

 

Sans doute, l'Esprit-Saint aurait pu s'incarner,

lui aussi, il aurait pu s'unir personnellement à

toutes les âmes ornées de la grâce, mais alors les

justes ne seraient pas seulement des hommes

spiritualisés et divinisés, ils seraient Dieu, ils

seraient le Saint-Esprit. Concluons donc avec

saint Thomas que la venue ou l'inhabitation de

Dieu dans nos âmes, au lieu d'être l'apanage

exclusif, la propriété de la troisième personne,

 

 

 

I. « Assumptio quae fit per gratiam adoplionis..., com-

munis est tribus personis et ex parte principii, et ex parte

termini. Sed assumptio quœ est per gratiam unionis (hypo-

staticee) est communis ex parte principii, non autem ex

parle termini. » (S. Th., III, q. m, a. 4, ad 3.)

 

 

 

2o8 l'inhabitation divine

 

est, au contraire, le patrimoine commun de la

Trinité tout entière. Et ideo adventus vel inhabi-

iaiio convenu toti TrinilatiK

 

S"il en est ainsi, pourquoi l'Ecriture et les

Pères attribuent-ils presque constamment à

l'Esprit-Saint la présence de Dieu en nous parla

grâce? Pourquoi désignent-ils ce divin Esprit, de

préférence aux autres personnes, comme l'hôte

de nos âmes? C'est eu vertu de la loi d'appro-

priation.

 

 

 

III

 

 

 

Qu'est-ce que l'appropriation? C'est l'attribu-

tion faite à une personne divine d'une perfection

ou d'une opération commune aux trois per-

sonnes. Nous en avons un exemple dans les

paroles suivantes du Symbole : « Je crois en

Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et

de la terre », où nous attribuons à la première

personne de la sainte Trinité la toute-puissance

et la création, qui appartiennent cependant à

toutes les trois. C'est encore par appropriation

que nous attribuons au Sainl-Esprit la concep-

tion de Jésus-Christ dans le sein de la bienheu-

reuse Vierge Marie en disant : « Je crois en

Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Notre-Sei-

gneur, qui a été conçu du Saint-Esprit. »

 

Pourquoi ces sortes d'attribution, que Ton ren-

contre fréquemment dans l'Écriture, dans les-

 

 

 

I. S. Th., Sent., 1. 1, dist. xv, q. ii, a. i, ad 4.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 209

 

Pères, dans les symboles, dans la liturgie? Pour

la manifestation de la foi : Ad manifestationem

Jidei^i répond Saint Thomas.

 

Il est, en effet, convenable, ajoute le saint

Docteur, d'approprier aux personnes divines les

attributs essentiels afin d'instruire par là les

fidèles et de les amener, au moyen de ces véri-

tés naturellement accessibles à la raison, à la

connaissance de ce que l'Apôtre appelle les pro-

fondeurs de Dieu, profanda Dei*, c'est-à-dire du

mystère de sa vie intime et des caractères dis-

tin ctifs des personnes. Sans doute, la Trinité est

une vérité tellement au-dessus de notre portée

qu'il est impossible de l'atteindre et de la démon-

trer par les seules forces de notre esprit; et

même après que Dieu a daigne nous la révéler,

elle demeare encore couverte d'un voile impéné-

trable et enveloppée d'obscurité, Lant que nous

cheminons loin du Seigneur. Nous pouvons

 

 

 

1. « Ad manifestationeih fidei conveniens fuit essentialia

attributa personis appropriari. Licet enim trinitas persona-

rum demonstratione probari non possit, convenit tamen

ut per aliqua niagis manifesta declaretur. Essentialia vero

attributa sunt nobis magis manifesta secundum rationem

quam propria personarum; quia ex creaturis, ex quibus

cognitionem accipimus, possumus per certitudinem deve-

nire in cognitionem essentialium attributorum, non autem

in cognitionem personalium proprietatum. Sicut igitur

similitudine vestigii vel imaginis in creaturis inventa uti-

mur ad manifestationem personarum, ita et essentialibus

attributis. Et haec manifesta tio personarum per essentialia

attributa appropriatio iKjminatur. » (S. Th., I, q. xxxix,

a. 7.)

 

2. 1 Cor., n, 10.

 

BAB. «AINT-ESPBIT. — iS

 

 

 

:3IO L INHA.BITATION DIVINE

 

cependant, en nous servant des vérités déjà

acquises, projeter sur les données de la foi

comme un faisceau lumineux qui, en les éclai-

rant davantage, nous met en état d'en obtenir

une plus grande compréhension et une intelli-

gence très fructueuse. Pour obtenir ce résultat,

rien de mieux que de recourir soit aux simili-

tudes lointaines de la Trinité sainte que le Créa-

teur a imprimées dans ses œuvres sous forme

de vestiges ou d'images, soit à l'analogie qui

exista entre les propriétés particulières de telle

ou t3lle personne et les attributs essentiels qui

lui sont appropriés ^

 

C'est ainsi que, pour faire connaître le Père,

nous lui attribuons lOi puissance, Véternité, Vunité^^

parce que ces perlections, quoique communes

aux trois personnes, offrent une certaine ressem-

blance avec les propriétés personnelles du Père.

La puissance, en effet, étant un principe, une

source d'opération, convient à la première per-

 

 

 

I. « Ratio., flde illustra ta, cum sedulo, pie et sobrie quaeril,

aliquam, Deo dante, mysteriorum intelligentiam eamque

fructuosissimam, assequitur, tum ex eorum, quae natura-

liter cognoscit, analogia; tum e mysteriorum ipsorum

nexu, inter se et cum fine hominis ultime ; nunquam

tamen idonea redditur ad ea perspicienda, instar verita-

tum, quœ proprium ipsius objectum constituunt. Divina

enim mysteria, suapte natura, intellectum creatum sic

excedunt, ut etîam révéla tione tradita et fide suscepta,

ipsius tamen fldei velamine contecta, et quadam quasi

caiigine obvoluta maneant, quamdiu in bac mortali vita

peregrinamur a Domino : per fldem enim ambulamus, et

non per speciem. u (Conc. Vatic, Const. û«i Filius, c. iv.)

 

a. S. Tb., I, q. xxxix, a. 8.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 211

 

sonne de la Trinité, qui est elle-même le prin-

cipe, l'origine, la source de Têtre divin. Elle lui

convient encore sous un autre rapport, c'est-à-

dire pour nous faire bien comprendre que, à la

différence de ce qui se passe ici-bas, où nos^

pères de la terre perdent leurs forces en avan-

çant en âge, le Père céleste demeure éternelle-

ment tout-puissant. L'éternité est de même jus-

tement appropriée au Père, parce qu'elle est

comme lui sans principe. Quant à l'unité, qui

désigne une entité absolue et ne présupposant

rien, elle convient pareillement à celle des per-

sonnes divines qui ne présuppose rien, parce

qu'elle ne procède d'aucune autre.

 

La sagesse, la beauté, V égalité, sont appropriées

au Fils 1 : la sagesse, parce que, procédant par

voie d'intelligence comme terme de la connais-

sance paternelle, il est lui-même la sagesse

engendrée; la beauté, parce que par sa proces-

sion il est la parfaite image du Père et l'éclat

de sa substance; l'égalité enfin, parce que^

comme Verbe, il est consubstantiel au Père,

étant l'expression adéquate de sa science.

 

Au Saint-Esprit nous attribuons Vamour, la

bonté, Idi Jouissance- : l'amour, parce que l'Es-

prit-Saint procède du Père et du Fils par voie

d'amour, comme le terme subsistant de leur

mutuelle dilection; la bonté, parce que cette

perfection, étant la raison et l'objet de Tamour,

offre une analogie frappante avec le caractère

 

 

 

I. S, Th., I, q. XXXIX, a. 8.

a. Ibid. /

 

 

 

212 L INHABITATION DIVINE

 

propre de la troisième personne; la jouissance,

parce que, étant, en vertu même de sa proces-

sion, le fruit de l'amour unique et infini que se

portent mutuellement le Père et le Fils en qua-

lité de souverain bien, il est leur joie et leur

félicité.

 

Ce que nous venons de dire des attributs

essentiels s'applique également aux œuvres exté-

rieures de Dieu — operibas ad extra, comme dit

l'Ecole, — lesquelles, bien qu'appartenant au

même titre aux trois personnes, puisqu'elles pro-

cèdent d'une puissance qui leur est commune

comme la nature, sont cependant attribuées tan-

tôt à l'une, tantôt à l'autre d'entre elles, dans le

but de la faire mieux connaître, grâce à la simi-

litude qui existe entre telle opération et le carac-

tère distinctif de telle personne. Ainsi nous

approprions au Père la création et tout ce qui

porte l'empreinte de la puissance ou le cachet

de premier principe; au Fils l'illumination des

intelligences et tout ce qui est du ressort de la

sagesse ; au Saint-Esprit les œuvres de la bonté

et de l'amour, les inspirations, les bons mouve-

ments, la vie de la grâce, les dons spirituels, la.

rémission des péchés, la sanctification des âmes,

la filiation adoptive, l'inhabitation de Dieu en

nous.

 

(( C'est avec beaucoup d'à-propos, remarque

Léon Xlll, que l'Eglise a coutume d'attribuer au

Père les œuvres divines oii éclate la puissance,

au Fils celles où brille la sagesse, au Saint-Esprit

celles où domine l'amour. Non que toutes les

perfections et toutes les œuvres extérieures ne

soient communes aux trois personnes, car les

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2l3

 

œuvres de la Trinité sont indivisibles comme l'es-

sence elle-même de la Trinité, Faction des divines

personnes étant aussi inséparable que leur essence^;

mais parce que, en vertu d'une certaine compa-

raison, et pour ainsi dire d'une affinité qui se

remarque entre les œuvres et les propriétés des

personnes, telle œuvre est attribuée ou, comme

on dit, appropriée à telle personne plutôt qu'à

telle autre 2. »

 

 

 

IV

 

 

 

On serait donc mal venu à prétendre qu'une

perfection, une fonction, une opération est pro-

pre à telle ou telle des personnes divines, sous

le spécieux prétexte qu'elle lui est constamment

attribuée dans les saintes Lettres ou les écrits

des Pères. C'est aux théologiens qu'il appartient

de discerner ce qui est vraiment propre et per-

sonnel et ce qui est simplement approprié, en se

basant sur les enseignements de la foi et les

principes théologiques afférents à l'unité de

l'essence divine et à la distinction des personnes.

Or, à quelques exceptions près, l'ensemble des

Docteurs s'accorde à voir dans l'inhabitation par

la grâce et l'union spéciale de Dieu avec les

justes comme objet de leur connaissance et de

leur amour, non point une propriété de TEsprit-

Saint, mais une œuvre commune aux trois per-

 

 

 

1. S. A-ug., de Trin., 1. I, c. iv et v.

 

2. Encycl. Divinum illud manas, Leonis PP. XIII.

 

 

 

2i4 l'inhabitation divine

 

sonnes et appropriée pour de justes motifs à

l'une d'entre elles i. Il faudrait, pour qu'elle

appartînt en propre à la troisième personne, que

celle-ci fût, à l'exclusion des deux autres, ou la

cause efficiente de la grâce et de la charité, ou

du moins le terme direct et immédiat de la con-

naissance expérimentale et de l'amour de jouis-

sance dont sont gratifiés les saints, d'une ma-

nière parfaite dans le ciel, et inchoativement

ici-bas. C'est ce qu'il est facile d'établir.

 

La présence de Dieu dans les êtres créés étant

fondée, comme nous l'avons prouvé précédem-

ment^, sur son opération, on conçoit que si

l'Esprit-Saint exerçait quelque part une action

indépendante et personnelle: si, par exemple,

les actes de charité produits par les justes

étaient son œuvre particulière, il existerait en

eux, à titre d'agent, d'une façon qui lui appar-

tiendrait en propre. Il en serait de même si la

grâce et la charité, quoique produites par la

Trinité tout entière, avaient pour résultat de nous

unir d'une manière spéciale à la personne de

l'Esprit-Saint, comme à notre fin dernière, à

l'objet particulier de notre connaissance et de

notre amour.

 

Mais ni l'une ni l'autre de ces hypothèses ne

se peut soutenir : la première, parce qu'elle va

 

 

 

1. « Tota Trinitas in nobis habitat per graliam, sed spe-

 

cialiter alicui personae appropriari potest inhabitatio per

aliquod aliud donum, quod habet similitudinem cum

ipsa persona, ratione cujus persona mitti dicitur. » (S. Th.,

qq. disp.. De verit., q. xxvii, a. a, ad 3.

 

2. Cf. c. 1, p. i5-ai.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2l5

 

directement contre un principe universellement

admis en théologie et plusieurs fois cité par les

conciles, savoir que les œuvres extérieures sont

communes aux trois personnes : Opéra ad extra

sunt tribus personis communia ^ ; la seconde, parce

que l'état de grâce ici-bas, non plus que la gloire

dans le ciel, n'a point pour eflet de nous unir

particulièrement à telle ou telle des personnes

divines, mais à Dieu considéré dans l'unité de

son essence et la trinité de ses personnes. Ce

n'est pas l'Esprit-Saint comme personne distincte,

c'est l'essence divine qui est noire fin dernière,

l'objet dont la possession réelle, mais obscure,

constitue en cette vie l'avant-goût de notre féli-

cité, et dont la claire vue doit faire un jour notre

béatitude parfaite et consommée.

 

Soit donc qu'on la considère dans sa cause

«ffîciente, soit qu'on l'envisage dans ses effets,

 

 

 

I. « Tria ergo ista (supposita nempe divina) unum

sunt, natura scilicet, non persona ; nec tamen très

istœ personaB separabiles aestimandse sunt; cum nulla an te

aliam, nulla post aliam, nulla sine alia vel extitisse,

vel qaidpiam opérasse aliquando credatur : inseparabi-

les eniïïi inveniuntur et in eo, quod sunt, et in eo, quod

Jaciunt. » — Et iiifra : « Incarnatlonem Filii Dei tota Tri-

nitas opérasse credenda est; quia inseparabilia sunt opéra

Trinitatis. Solus tamen Filius formam servi accepit in sin-

gularitate personse. » (Ex. Symb. fidei Gonc. Tolet., xi.)

 

Et iterum : « Hse très personœ sunt unus Deus, et non

très dii : quia trium est una substantia» una essentia, una

natura... omniaque sunt unum, ubi non obviât relationis

oppositio. » Hinc « Pater et Filius non duo principia Spi-

ritus sancti, sed unum principium : sicut Pater et Filius et

Spiritus sanctus non tria principia creaturœ, sed unum

principium ». (Ex. Gonc. Later., nr, c. Firmiter.)

 

 

 

2i6 l'inhabitation divine

 

c'est-à-dire dans les rapports d'intime union

qu'elle établit, en qualité d'amitié parfaite, entre

Dieu et l'âme, la grâce ou la charité ne fonde

pas de relations spéciales entre l'Esprit-Saint et

nous; et l'union dont elle est le principe appar-

tient au même titre aux trois personnes. Toute-

fois, quoique commune à toute la Trinité, l'inha-

bitation divine, étant une œuvre d'amour, une

conséquence et un fruit de l'amour, est tout

naturellement attribuée à celle des personnes

qui est en Dieu l'Amour subsistant, comme

l'explique très bien le Catéchisme du Concile de

Trente. « Quoique toutes les œuvres extérieures,

dit-il, soient communes aux trois personnes,

nombre d'entre elles sont attribuées comme en

propre au Saint-Esprit, pour nous faire com-

prendre qu'elles proviennent de l'immense cha-

rité de Dieu à notre égard. De fait, comme

l'Esprit-Saint procède de la volonté divine em-

brasée d'amour, on peut reconnaître par là que

les effets qui lui sont appropriés ont leur source

dans l'amour souverain de Dieu envers nous'. »

Lors donc que l'Ecriture ou les Pères nous

représentent l'Esprit-Saint comme l'auteur de la

 

 

 

I. « Quamvis sanclissimae Trinitatis opéra, quae extrin-

secus fiunt, tribus personis communia sint, ex iis tamen

multa Spiritui sancto propria tribuunlur, ut intelligainus

illa in nos a De! immensa charitate proficisci : nam, cum

Spiritus sanctus a divina voluntate, veluti amore inflam-

mata, procédât, perspici potest eos effectus, qui proprie ad

Spirilum sanctum refcruntur, a summo erga nos Dei

amore oriri. » (Ex Gatech. Rom., p. 1, a. viii, n. 8.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 217

 

grâce et de la charité, et l'hôte de nos âmes, au

lieu de vouloir trouver dans ces expressions le

signe manifeste d'une causalité particulière à

ce divin Esprit, ou l'indice d'une union directe

et immédiate avec nos âmes qui lui serait per-

sonnelle, il n'y faut voir qu'une appropriation

fondée sur le rapport d'analogie qui existe entre

les dons de la grâce et la caractéristique de l'Es-

prit-Saint.

 

Il est, en effet, tout naturel d'attribuer les

effets de l'amour, comme la grâce, la charité,

Tinhabitation divine, à celle des personnes

divines qui procède en qualité d'amour. Sans

doute, c'est de la Trinité entière que provient,

comme de sa cause efficiente, la vertu de charité;

sans doute, l'exemplaire primordial auquel elle

nous assimile, c'est, avant tout, l'amour essentiel

commun aux trois personnes; en d'autres termes,

c'est Dieu en tant que charité absolue ; cepen-

dant, si l'on considère le caractère propre de

chacune des personnes divines, il est incontes-

table que la charité offre une plus grande analo-

gie, une similitude plus frappante avec le Saint-

Esprit qu'avec le Père et le Fils.

 

Qu'est-ce, en effet, que la charité, sinon un

lien doux et fort qui nous unit à Dieu, une incli-

nation habituelle qui nous porte vers lui, et par-

tant une imitation expressive de celle des per-

sonnes divines qui est, en vertu même de sa

procession, l'amour du Père et du Fils, le nœud

qui les rapproche? Voilà ce que voulait donner

à entendre l'apôtre saint Paul, quand il disait

que « la charité est répandue dans nos cœurs

par le Saint-Esprit, qui nous a été donné : Cha-

 

 

 

ai8' l'iNHABITATIOW DIVINE

 

riias Dei diffusa est in cordibus nostris per Spirilnm

sanctum, qui datas est nobis ^. »

 

Toute cette doctrine a été admirablement résu-

mée par saint Thomas en quelques phrases

substantielles qui méritent d'être citées : « Il faut

savoir, dit-il, que les biens qui nous viennent

de Dieu se rapportent à lui comme à leur cause

efficiente et exemplaire : Comme à leur cause

efficiente, en tant qu'ils sont les effets de la puis-

sance divine; comme à leur cause exemplaire,.

en tant qu'ils imitent, dans une certaine mesure,

les perfections qui sont en Dieu. Puis donc que

le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'ont qu'une

seule et même puissance, ainsi qu'une seule

essence, il en résulte que tout ce que Dieu

opère en nous provient en réalité des trois per-

sonnes comme de sa cause efficiente; néanmoins

la connaissance que Dieu nous donne de lui-

même par le don de sagesse est une représen-

tation propre du Fils ; de même, l'amour par

lequel nous aimons Dieu représente tout parti-

culièrement le Saint-Esprit. Ainsi, quoique la

charité qui est en nous soit l'œuvre du Père, du

Fils et du Saint-Esprit, elle est dite néanmoins

spécialement répandue dans nos cœurs par

l'Esprit-Saint". »

 

 

 

I. Piom., V, 5.

 

a. « Sciendum est quod ea quae a Deo in nobis sunt, redu-

cunlur in Deum sicut in causam effîcientem et exempla-

rem : in causam quidem elTicientem, in quantum virtute

opeialiva divina aliquid in nobis effîcitur; in causam vera

exemplarem, secundum quod id quod in nobis a Deo est

aliruo modo Deum imitatur. Cum ergo eadem virtus sit

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES SIQ

 

Tel est l'enseignement de tous les scolastiques,

telle l'interprétation qu'ils ont constamment

donnée aux textes mis en avant par les tenants

de l'habitation propre au Saint-Esprit. Tous

déclarent formellement qu'il n'y a pas d'union

plus réelle, plus immédiate avec la troisième

personne de la sainte Trinité qu'avec le Père et

le Fils. Et, joignant sa propre voix à celle des

représentants les plus autorisés de la science

théologique, le Souverain Pontife Léon XIII

canonisait en quelque sorte, en l'adoptant, l'en-

seignement commun de l'Ecole. Voici, en effet,

comment il s'expliquait sur le point en litige

dans son Encyclique Divinum illud munus :

<( Quoique produite très réellement par la Tri-

nité tout entière présente dans l'âme, cette

admirable union, appelée de son vrai nom inha-

hitatlon, est néanmoins attribuée à l'Esprit-Saint,

comme si elle lui appartenait d'une façon spé-

ciale, de Spiritu Sancto tanquam peculiaris prœdi-

catur^. » Elle ne lui est donc pas propre ni per-

 

 

 

Patris et Filiiet Spiritussancti, sicut ci ...Jem esseiitia, opor-

tet quod omne id quod Deus in nobis effîcit sit, sicut a

causa efficiente, simul a Pâtre et Filio et Spiritu Sancto ;

verbum tamen sapientias, quo Deum cognoscimus nobis a

Deo immissum, est proprie repraesentativum Filii, et simi-

liter amor, quo Deo diligimus, est proprium repraesentati-

vum Spiritus Sancti. Et sic charitas quae in nobis est, licet

sit effectus Patris et Filii et Spiritus sancti, tamen quadam

speciali ratione dicitur esse in nobis per Spiritum sanctum, »

<S. Th., Contr. Cent., 1. IV, c. xxi.)

 

I. <( Haec autem mira conjunctio, quae suo nomine inha-

bitatio dicitur... tametsi verissime efficitur piijesenti totius

 

 

 

aao l'inhabitatton divine

 

sonnelle, mais seulement appropriée : lanquam

peciiliaris prœdicaiur ; c'est le terme consacré

pour désigner une simple appropriation.

 

Ce serait donc à l'heure actuelle une témérité

de soutenir encore que l'habitation divine, dont

parlent si fréquemment les Livres saints, est la

propriété de la troisième personne, et non le

patrimoine commun de toute la sainte Trinité.

 

 

 

Trinitatis nu mine, ad eum veniemus et mansionem apnd eum

faciemas (Joan., xiv, 28), attamen de Spiritu sancto tan-

quam peculiaris praedicatur. » (Encycl. Diuinum illad wu-

nui.)

 

 

 

CHAPITRE II

 

 

 

li'habitation de Dieu dans les âmes n'est

pas l'apanage exclusif des saints de la

nouvelle alliance, irais la dot commune

des justes de tous les temps.

 

 

 

Mais cette union de nos âmes avec Dieu est-

elle propre aux saints de la nouvelle alliance,

ou commune à tous les justes?

 

Ici encore, nous nous heurtons à une opinion

singulière de Petau, qui voyait, dans l'habita-

tion du Saint-Esprit par la grâce, un privilège

de la loi évangélique. Ce n'était là, du reste,

qu'une conséquence et un corollaire de sa doc-

trine sur la cause formelle de notre adoption en

qualité d'enfants de Dieu. Distinguant, à la suite

de Lessius, la sainteté ou la justification par la

grâce de la filiation adoptive, au point que,

d'après lui, l'une peut se séparer de l'autre, et

que l'homme peut être juste, d'une justice sur-

naturelle, sans être enfant de Dieu, Petau pré-

tend que la véritable cause, la raison formelle de

notre adoption divine, n'est point la grâce sancti-

fiante, mais la substance même de l'Esprit-Saint

 

 

 

2 2 2 L HABITATION DE DIEU DANS LES AMES

 

appliquée à notre âme. Car, de même que la

cause formelle de la filiation naturelle n'est

autre que la communication, par voie de géné-

ration, d'une nature semblable à celle du géné-

rateur; de même, la vraie cause de la filiation

surnaturelle et adoptive, c'est la nature divine

elle-même, s'identifiant avec la personne de l'Es-

prit-Saint, librement communiquée à l'homme.

Ainsi, d'après l'éminent Jésuite, la participa-

tion à la nature divine, qui fait de nous des justes

et des enfants de Dieu, ne consiste point, comme

l'ont toujours cru et enseigné les théologiens

catholiques, dans le don créé de la grâce sancti-

fiante, mais dans la personne même de l'Esprit-

Saint, s'unissant directement et sans intermé-

diaire à nos âmes, et les divinisant par l'appli-

cation de sa propre substance i. A l'entendre, la

grâce et la charité accompagnent, il est vrai,

dans l'économie présente, le don incréé, comme

une sorte de lien entre la divinité et nous,

comme une disposition préalable et un moyen

d'union; mais elles ne sont en définitive qu'un

magnifique accessoire, nullement nécessaire

pour notre régénération spirituelle, à telles

enseignes que, lors même qu'aucune qualité

créée ne serait versée dans nos âmes, la seule

présence de l'Esprit-Saint suxxîrait pleinement

 

 

 

I. « Patres eosdem asseverantes audivimus, cum nullo

interjecto medio sanctos nos fieri per ipsam Spiritus sub-

stantiam, tum nullam id creaturam posse perficere ; lametsi

substantiae Dei, qua sanctificamur, cornes sit infusa quali-

tas, quam vel gratiain, vei charitatem dicimus. » (Petav.,

-xit rrin., 1. VIII, c. vi, n. 3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 22^

 

pour nous diviniser et faire de nous des saints

et des enfants de Dieu'.

 

Par contre, sous la Loi ancienne, appelée par

r Apôtre une loi de crainte et de servitude, ne-

produisant que des esclaves, in servitutem gene-

rans *, l'Esprit-Saint, qui est un esprit d'adoption

et d'amour, n'avait pas encore été donné. Les

hommes étaient alors justifiés par un don créé

qui les purifiait de leurs péchés, les rendait

agréables à Dieu et dignes de la vie éternelle ;

ils possédaient, comme nous, une justice inhé-

rente, la grâce sanctifiante, qui faisait d'eux des

justes et des saints, mais ne leur conférait ni le-

titre ni la qualité d'enfants de Dieu ; car l'Esprit-

Saint n'était en eux que par son opération et.

ses effets, et nullement par sa substance, ce don

de Dieu par excellence étant réservé pour une

économie meilleure et plus parfaite.

 

« Si quelqu'un, dit Petau, veut se donner la

peine de considérer attentivement les passages

des anciens que nous avons cités, il se convain-

cra, je n'en doute pas, que, de l'avis des Pères,

il y eut après l'avènement et la mort du Christ,

une communication particulière de l'Esprit-Saint,

telle qu'elle n'avait pas encore eu lieu jusqu'a-

lors. D'après eux, ce nouveau mode de com-

 

 

 

1. « Utrumque enim intervenît; et Spiritus ipse sanc-

tus, qui filios faeit, adeo ut, si nulla infunderetur creata

qualitas, sua nos ipse substantia adoptivos filios effîceret ;

et charitatis habitus ipse, sive gratiae, quae est \1nculum

quoddain, sive nexus, quo cum animis nostris illa Spiritus

sancti substantia copulatur. » (Ibid.)

 

a. Gai., IV, 24.

 

 

 

224 l'habitation DE DIEU DANS LES AMES

 

munication date du jour où le Saint-Esprit des-

cendit sur les apôtres sous forme de langues de

feu. Jusqu'à cette époque, ce divin Esprit n'était

dans les saints que par son opération, opérât ione

tenus; à partir de ce jour, il y vint en personne,

substantialiter i. »

 

Parlant, dans un autre passage, de la présence

substantielle de l'Esprit- Saint dans les âmes, le

même auteur ajoute : « D'après un certain

nombre de Pères, ce n'est qu'après l'accomplis-

sement du mystère de l'incarnation, après la

descente du Fils de Dieu sur la terre pour le salut

du monde, qu'un si grand et si étonnant bien-

fait, fruit de l'avènement, des mérites et du sang

de Jésus-Christ a été accordé aux hommes. Les

justes de l'ancienne Alliance n'avaient pas été

honorés d'une telle faveur, car, suivant la parole

de saint Jean l'Évangéliste (vu 89), 1 Esprit-Saint

ne leur avait pas encore été donné, parce que

Jésus n'avait pas encore été glorifié : Nondum

ernt Spiritus datas, quia Jésus nondum fuerat glori-

ftcatus^. »

 

 

 

1. <( Non dubito quin, si quisista ipsa loca veterum accu-

rate considerare velit, ita sensisse ilios existimet, propriam

quamdam, post adventum Christi, atque obitum, commu-

nicationem cœpisse esse Spiritus sancti, qualis antea non erat ;

cujus etiam ab eo tempore factum initium docent, quo in

apostolos sub ignis specie descendit, tanquam hactenus,

xax' èvépyexav, id est operatione tenus, in sanctis fuerit; dein-

ceps autem o^oirabôx;, id est substantialiter. » (Petav., de

Trin., 1. VIII, c. vn, n. i.)

 

2. « (Quos Patres) qui attente pervestigare voluerit, intel-

lig-et occultum quemdam, et inusitatum missionis commu-

nicationisque modum apud illos celebrari, quo Spiritus ille

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2^5

 

 

 

u

 

 

 

En niant la présence substantielle du Saint-

Esprit dans les patriarches, de même qu'en lui

attribuant une présence propre et personnelle

dans les Saints de la nouvelle Loi, le docte Jésuite

a beau faire appel à l'antiquité et à l'autorité des

Écritures pour établir son sentiment, il se met

en opposition manifeste avec elles. En effet, si

l'on excepte saint Cyrille d'Alexandrie, dont la

pensée véritable peut être sujette à contestation,

les saints Pères enseignent d'un commun accord

que, s'il y eut, relativement à l'inhabitation

divine par la grâce, une différence entre les

Saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, ce

fut une simple différence de degré, de mesure et

de manifestation extérieure.

 

Ecoutons saint Léon le Grand : « Lorsque, au

jour de la Pentecôte, l'Esprit-Saint remplit les

disciples du Seigneur, ce ne fut pas la pre-

 

 

 

divinus in justorum sese anîmos insînuans, cum illis copu-

latur..., ita, ut substantia ipsa Spiritus sancti nobiscum

jungatur, nosque sanctos, ac justos, ac Dei denique filios

effîciat. Ac nonnuUos etiam antiquorum illorum dicentes

audiet, tantum istud tamque stupendum Dei beneficium

tune primum hominibus esse concessum, postquam Dei

Pilius homo factus ad usum hominum, salutemque des-

cendit, ut fructus iste sit adventus, ac meritorum, et san-

guinis ipsius, veteris testamenti justis hominibus nondum

attributus ; quibus nondum erat Spiritus datus, quia Jésus

nondum fuerat glorificafus, ut evangelista Joannes scribit. »

(Petav.. de Trin., 1. VIII, c. iv, n. 5.)

 

MA». •IMT-UPUT. — ift

 

 

 

226 l'habitation de dieu dans les AMBS

 

mière communication d'un tel bienfait, mais

une effusion plus abondante : Non fuit inohoatio

muneris, sed adjectio largitatis, attendu que les

patriarches, les prophètes, les prêtres et tous les

saints des temps antérieurs avaient été vivifiés et

sanctifiés par ce même Esprit. La vertu des dons

divins avait toujours été la même, seule la me-

sure de leur collation avait varié i. » Saint Atha-

nase dit, de son côté : « C'est un seul et même

Esprit qui, aujourd'hui comme alors (sous l'an-

cienne Loi), sanctifie et console ceux qui le

reçoivent; de même que c'est un seul et même

Verbe qui, même alors, appelait à l'adoption

divine ceux qui en étaient dignes. Car il y avait

sous l'ancienne Alliance des fils qui étaient rede-

vables de leur adoption au Fils et non à un

autre 2. »

 

Non moins explicite que les Pères, l'Ecriture

nous parle de saints personnages appartenant au

 

 

 

I. « Gum in die Pentecostes discipulos Domini Spiritus

sanctus implevit, non fuit inchoatio muneris sed adjectio lar-

gitatis ; quoniam et patriarchae et prophetae et sacerdotes

omnesque sandi, qui prioribus fuere teraporibus, ejusdem

sunt Spiritus sancti sanctificatione vegetati..., ut eadem

semper fuerit virtus charismaium, quamvis non eadem semper

fuerit mensara donorum. » (S. Léo M., de Pentec, sermo lu

c. 3.)

 

a. « Unus idemque Spiritus est, qui tune (in veteri Test.)

et qui nunc sanctiflcat et consola tu r eos, qui eum reci-

piunt; quemadmodum unum est et idem Verbum Filius

ad adoptionem promovens etiara tune eos, qui digni erant.

Nam erant et in veteri Testamento filii, non per alium quam

per Filium adoptati- » (S. Athan., Orat. 5j contra Arian.)

n. 35-26.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 227

 

Testament ancien et remplis néanmoins du

Saint-Esprit. Ainsi il est dit de saint Jean-Baptiste

qu'il serait grand devant Dieu et rempli de

TEsprit-Saint dès le sein de sa mère : Erit ma-

gnus coram Domino... et Spiritu sancto replehitur

adhuc ex utero matris suœ^. Le jour oii elle reçut

la visite de Marie, Elisabeth fut, elle aussi, rem-

plie du Saint-Esprit : Et repleta est Spiritu sancto

Elisabeth^. Enfin, l'évangéliste saint Luc rapporte

également du vieillard Siméon que l'Esprit-Saint

était en lui : Et Spiritus sanctus erat in eo^. Et

tout se passait longtemps avant la Pentecôte.

 

Aussi, appuyé sur le fondement inébranlable

de la révélation, le Pontife Romain déclarait-il

« hors de doute que l'Esprit-Saint a habité par

la grâce dans les justes qui précédèrent le Christ,

comme cela est écrit des prophètes, de Zacharie,

de Jean-Baptiste, de Siméon et d'Anne. Certam

quidem est, in ipsis eliam hominihus jusiis qui ante

Christum fuerunt, insedisse per gratiam Spiritum

sanctum, quemadmodum de prophetis, de Zacharia,

de Joanne Baptista, de Simeone et Anna scripium

accepimus^. »

 

Que signifie alors la parole de saint Jean affir-

mant que, avant la glorification de Jésus-Christ,

le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné?

Nonduni erat Spiritus datas, quia Jésus nondum

erat glorificatus^. Elle signifie, au jugement de

 

 

 

1. Luc, I, i5.

 

2. Luc, I, 4i.

 

3. Luc, II, 25.

 

4. EncycL Divinam illud munas,

 

5. Joan., VII, 89.

 

 

 

2 28 l'habitation de dieu dans les AMES

 

saint Augustin, de saint Jérôme, de saint Atha^

nase, que, « après la glorification du Christ, ii

devait y avoir une certaine donation de l'Esprit-

Saint telle qu'elle n'avait pas encore eu lieu jus-

qu'alors. Non pas que ce divin Esprit n'eût pas

été réellement donné avant cette époque, mais il

ne l'avait pas été de la même manière. En effet,

s'il n'avait pas été donné, de quel Esprit étaient

donc remplis les prophètes quand ils parlaient?

Car l'Ecriture dit ouvertement et montré en

maints endroits que c'est par le Saint-Esprit qu'ils

ont parlé ^ » . Saint Thomas explique dans le

même sens le texte évangélique : « Quand il est

dit que l'Esprit-Saint n'avait pas encore été

donné, il ne faut pas entendre ces paroles dans

ce sens que nul, avant la résurrection du Christ,

n'avait reçu l'Esprit sanctificateur, mais bien

dans ce sens que, à partir de cette époque, la

donation de ce divin Esprit fut plus abondante et

plus commune 2 » ; et il ajoute ailleurs : « Et

 

 

 

1. « Quod dicit Evangelista : Spiritas nondum erat datas,

quia Jésus nondum erat glorificatus, quomodo intelligitur,

nisi quia certa illa Spiritus sancti datio vel mlssio post

clarification em Christi futura erat, qualis nnnquam antea

fuerat ? Neque enim antea nulla erat, sed talis non fuerat.

Si enim antea Spiritus sanctus non dabatur, quo impleti

Prophetse locuti sunt ? Gum aperte Scriptura dicat, et mul-

tis locis ostendat, Spiritu sancto eos locutos fuisse. »

(S. Aug., de Trin., 1. IV, c. xx, n. 29.)

 

2. « Nondum erat Spiritus datas, quia nondum Jésus fuerat

glorificatus : quod non est sic intelligendum quod nullus

ante Christi resurrectionem Spiritum sanctificantem acce-

perit ; sed quia ex illo tempore quo Christus surrexit, ince-

pit copiosius et communius Spiritus sanctificationis dari. »

(S. Th., iii Rom., c. i, lect. 3.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2 29

 

accompagnée de signes visibles, comme cela eut

lieu le jour de la Pentecôte ^ ».

 

Petau a beau distinguer un double mode sui-

vant lequel ce divin Esprit peut être présent aux

âmes saintes ; par son opération d'abord, et par

ses effets, xar'èvépYeiav, ce qu'il accorde aux

anciens justes ; puis par sa substance, otJCJicobcbq,

ce qui, d'après lui, serait le privilège de la Loi

nouvelle : saint Augustin ne connaît pas cette

distinction ; il enseigne, au contraire, très expli-

citement, que le Saint-Esprit avait été donné

avant l'Incarnation, aussi réellement qu'il le fut

depuis; toutefois, sous la loi de grâce, la mission

de l'Esprit-Saint devait avoir une propriété qui

lui avait fait défaut sous l'économie mosaïque :

elle devait être accompagnée d'une mission

visible, signe et indice de celle qui s'accomplis-

sait invisiblement au fond des âmes. Nulle part,

en effet, comme l'observe le grand évêque d'Hip-

pone, nous ne lisons, à propos des personnages

de l'Ancien Testament, que, par suite de la visite

de l'Esprit-Saint, ils se soient mis à parler un

idiome nouveau et inconnu pour eux 2; nulle

 

 

 

I. « Quod dicitur : Nondum erat Spiritus datas... intelli-

gendum (est) de abundanti datione et visibilibus signis;

sicut datus fuit eis post resurrectionem et ascensionem in

linguis igneis. » (S. Th., in /oan., vu, 89, lect. 5.) — « Missio

invisibilis estfacta ad Patres veteris Testament!... Cam ergo

dicitur : Nondum erat datus Spiritus, intelligimus de illa

datione cum signo \isibili quae facta est in die.Pentecostes. »

(S. Th., Summa Theol., I, q. XLin, a. 6, ad i.)

 

« Quomodo ergo Spiritus nondum erat datus, quia Jésus

nondum erat clarificatus, nisi quia illa datio, vel donatio,

vel missio Spiritus sancti habitura erat quamdam proprie-

 

 

 

23o l'habitation de dieu dans les AMES

 

part, il n'est question d'une mission visible, les

théophanies de l'ancienne Loi n'ayant pas, au

jugement de saint Thomas, les caractères d'une

véritable mission i.

 

 

 

m

 

 

 

Aussi, quand, traitant ex professa la question

des missions divines, l'angélique Docteur se

demande si la mission invisible de l'Esprit-Saint

est le partage de tous ceux qui sont en état de

grâce, et conséquemment de tous les justes sans

exception, à quelque époque qu'ils aient vécu :

Utrum missio invisihilis fiât ad omnes qui suni par-

ticipes gratiœ, la réponse est résolument aiïirma-

 

 

 

tatem suam in ipso adventu, qualis antea nunquam fuit ?

Nusquam enim legimus, linguis quas non noverant homî-

nes îocutos, veniente in se Spiritu sancto, sicut tune laclura

est, cum oporteret ejus adventum signis sensibilibus

demonstrari (Act., ii, 4), ut ostenderetur totum orbem ter-

ranim atque omnes gentes 1*1 linguis variis constitutas,

credituras in Ghristum per donuni Spiritus sancti. » (S. Aug.,

de Trin., i. IV, c. xx, n. ag.)

 

1. « Ad patres autem veteris Testamenti missio visibilis

Spiritus sancti fieri non debuit ; quia prius debuit perflci

missio visibilis Filii quam Spiritus sancti, cum Spiritus

sanctus manifestet Filium, sicut Filius Patrem. Fuerunt

autem factae visibiles apparitiones divinarum personarum

patribus veteris Testamenti ; quae quidem missiones visibi-

les dici non possunt ; quia non fuerunt factœ, secundum

Augxistinum {de Trin., 1. II, c. xvn), ad designandam inba-

bitationem divinae personae per gratiam, sed ad aliquid aliud

manifestandum. » (S. Th., Summa TheoL. I, q. xlui, a. 7,

ad 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 23 1

 

tiv8^ Donc, conclut-il, les patriarches de l'An-

cien Testament furent favorisés, eux aussi, d'une

mission invisible de ce divin Esprit. Ergo dicen-

dum quod missio invisibilis est fada ad patres vete-

ris Testamenti^ . Un raisonnement facile va nous

montrer la légitimité de cette conclusion.

 

La mission invisible est ordonnée à la sanctifi-

cation des créatures raisonnables, et elle a lieu à

chaque collation ou accroissement de la grâce

sanctifiante, toutes les fois, en un mot, que la

charité, compagne inséparable de la grâce, fait de

quelqu'un l'ami de Dieu, et que, unie au don

de sagesse, elle le rend capable d'atteindre et de

posséder le souverain bien par la connaissance

et l'amour. Or, les anciens justes étaient, comme

nous, les amis de Dieu ; l'Ecriture le dit formel-

lement d'Abraham : Credidit Abraham Deo, et

reputatum est illi ad justitiam, et amicus Dei appel-

latus est^', comme nous, ils étaient capables de

s'unir à la Divinité par les opérations de leur

intelligence et de leur volonté. Rien ne leur man-

quait donc pour qu'ils fussent véritablement le

temple et l'habitacle de l'Esprit-Saint.

 

Cette conclusion n'étonnera point si l'on réflé-

chit que les patriarches de l'antiquité possédaient

le même genre de sainteté que le chrétien; la

grâce qui les justifiait, les rendait comme lui

 

 

 

I. « Missio invisibilis fit ad sanctificandam creaturara.

Omnis autem creatura habens gratiam sanctificatur. Ergo

ad omnem creaturam hujusmodi fit missio Invisibilis. »

(S. Th., Summa TheoL^ I, q. xuii, a. 6.)

 

3. Ibid., ad i.

 

3. Jac, II, 23.

 

 

 

a3a l'habitation de dieu dans les âmes

 

saints, enfants de Dieu et héritiers de la vie éter-

nelle. Car, suivant l'enseignement du concile de

Trente, « la justification ne consiste pas unique-

ment dans la rémission des péchés, mais encore

dans la sanctification et le renouvellement de

l'homme intérieur par la réception volontaire de

la grâce et des dons, en sorte que l'homme

devient juste, d'injuste qu'il était; d'ennemi, il

devient ami et héritier en espérance de la vie

éternelle! ». Ils recevaient donc, au moment de

leur justification, le pardon de leurs péchés, la

grâce sanctifiante et tout cet admirable cortège

de vertus et de dons surnaturels qui l'accompa-

gnent, et, avec la grâce, le Saint-Esprit.

 

Mais, suivant la remarque des saints Docteurs,

cette donation réelle et invisible de l'Esprit-Saint

ne devait pas alors être accompagnée d'une

mission visible, inopportune à pareille époque ;

car la mission visible du Fils devait précéder

celle du Saint-Esprit 2. Il convenait effective-

ment, avant que la troisième personne de la

sainte Trinité se manifestât extérieurement et se

 

 

 

I. « Justificatio non est sola peccatorum remîssio, sed et

sanctificatio, et renovatio interioris hominis per volunta-

riam susceptionem gratiœ, et donorum ; unde homo ex in-

justo fit justus, et ex inimico amicus, ut sit haeres secundum

spem vitae œterne... Unde in ipsa justificatione cum remis-

sione peccatorum haec omnia simul infusa accipit homo

per Jesum Ghristum, cui inseritur, fidem, spem, et cari-

tatem. » (Trid., sess., VI, c. vu.)

 

a. « Ad patres veteris Testamenti missio visibilis Spiritus

stncti fieri non debuit quia prius debuit perfici missio visi-

biiis Filii quam Spiritus sancti. » (S. Th., Summa Theol.,

I, q. XLiii. a. 7, ad 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 233

 

fît distinctement connaître, que la plénitude des

temps, marquée dans les conseils divins pour

l'Incarnation du Verbe et son apparition au

milieu des hommes, fut arrivée.

 

Au reste, avant de proposer à un peuple enclin

à l'idolâtrie, comme était le peuple juif, le

dogme de la Trinité, il était nécessaire de lui

inculquer au préalable et de graver avec force

dans son esprit la vérité fondamentale de l'unité

de Dieu. L'unité de Dieu, opposée au poly-

théisme, voilà le dogme partout rappelé dans

l'Ancien Testament. « Ecoute, Israël, le Sei-

gneur notre Dieu est un. Audi, Israël, Dominas

Deus nosier, Dominas anus est\ » A peine quelques

allusions voilées à la trinité des personnes ; si

parfois il est question du Verbe de Dieu et de

son Esprit, il en est fait mention en termes si

vagues que c'est pour nous un problème difficile

à résoudre, de savoir si les docteurs juifs les

connurent comme personnes distinctes.

 

Sous la Loi nouvelle, au contraire, après que

le Verbe fait chair eut daigné sô montrer aux

hommes et habiter au milieu d'eux, le mystère

de la sainte Trinité leur est révélé et annoncé

ouvertement, c'est une vérité que tous doivent

coQQaitre et professer. A la lumière discrète du

Testament ancien, proportionnée à la faiblesse

d'un peuple encore enfant, a succédé le plein

jour de la révélation chrétienne ; le moment est

donc propice pour une manifestation extérieure

et distincte des personnes divines. De là cette

 

 

 

Deut., Yi, 4.

 

 

 

234 > l'habitation de dieu dans les AMES

 

judicieuse observation de saint Grégoire de

Nazianze : « Après l'apparition du Fils de Dieu

dans la chair, il était convenable que le Saint-

Esprit se montrât également d'une manière

sensible : Decebat enim, postqaam Filius corpo-

raliier nobiscum versatus est, etiam iliam (Spiritum

sanctum) apparere corporaliter^, »

 

 

 

IV

 

 

 

Ce qui ressort de tout ce que nous avons dit

jusqu'ici, ce qui découle de l'étude des Livres

saints et de celle des Pères faite sans esprit de

parti et en dehors de toute préoccupation systé-

matique, ce que les docteurs les plus autorisés

s'accordent à enseigner, c'est que toute âme

juste, à quelque âge du monde qu'elle ait vécu,

à quelque degré de sainteté qu'elle se trouve,

quV/ile ait déjà atteint les sommets de la perfec-

tion ou qu'elle en soit encore à ses premiers pas

dans la cairière de la justice, qu'elle soit l'âme

d'uii adulte ou celle d'un onfant, toute âme en

état de grâoî possède er* elle l'Hôte divin : Qai-

libei sanctas Deo unitur per graiiam '. L'union, il

est vrai, peut être plus ou moins parfaite ; ses

degrés peuvent varier à l'infini, mais le fond du

mystère est partout le même.

 

Le lecteur est maintenant à même d'apprécier

l'opinion de Petau réservant aux saints de la Loi

 

 

 

i. S. Greg. Naz., oral. Ui (al. 44), n. ii.

 

^. S. Th., Summa Theol, III. q. ii, a. lo, obj. 3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 235

 

nouvelle la qualité d'enfants de Dieu et de tem-

ples de l'Esprit-Saint, qu'il refusait aux justes du

Testament ancien, et établissant ainsi une sorte

de dualisme dans l'œuvre de la sanctification

humaine. Sans doute, ici comme précédemment,

quand il était question de l'habitation person-

nelle du Saint-Esprit, le docte Jésuite en appelle

à l'autorité des Pères ; mais pas n'est besoin,

pour expliquer leur langage, de recourir à cette

étrange théorie, il suffît de se rappeler la double

différence qu'ils établissent entre la mission de

l'Esprit-Saint avant et après l'Incarnation.

 

Avant l'apparition sur la terre du Verbe fait

chair, le Saint Esprit avait été réellement envoyé

et donné aux âmes saintes ; mais cette mission

invisible n'avait jamais été accompagnée de la

mission extérieure et visible si fréquente plus

tard, surtout dans les premiers siècles de l'Eglise,

où les fidèles avaient besoin d'être affermis dans

la foi au mystère de la sainte Trinité. De plus,

si l'Espril-Saint était présent dans les anciens

justes non seulement par son opération, mais

encore par sa substance, ce n'était cependant

pas avec cette plénitude, cette abondance, cette

sorte de profusion, qui forment le caractère dis-

tinctif de la Loi évangélique.

 

Ce que l'on peut concéder à Petau, c'est que

rinhabitation divine par la grâce et la filiation

adoptive, quoiqpie réelles sous l'économie sinaï-

tique*, n'appartenaient cependant pas aux fils

 

 

 

I. L'Apôtre dit formellement des anciens patriarches

qu'ils étaient enfants de Dieu : <( Qui sunt Israelitae, quo-

rum adoptio est filiorum. » (Rom., ix, 40

 

 

 

a36 l'habitation de dieu dans les âmes

 

d'Israël, comme maintenant aux chrétiens, en

vertu même de leur loi, vi legis, mais par la foi

au Messie à venir et par une application anti-

cipée de ses mérites futurs.

 

La nature des deux lois explique suffisamment

cette différence. La loi mosaïque était une loi

essentiellement figurative et provisoire i ; une loi

imparfaite et inefficace par elle-même, ne con-

duisant rien à la perfection 2 ; elle préfigurait,

elle annonçait la grâce future, mais ne la don-

nait pas ; elle formulait des préceptes, imposait

des prohibitions, faisait connaître le péché 3,

mais elle était impuissante à l'effacer^. La sanc-

tification qu'elle opérait était une sanctification

extérieure et charnelle, emundaiio carnis'', qui

rendait l'homme apte à prendre part au culte

divin, sans toutefois le changer et le renouveler

intérieurement.

 

Il y avait bien alors, il est vrai, en outre de la

justice légale, une justice véritable et intérieure

qui purifiait l'homme de ses fautes et le rendait

agréable aux yeux de Dieu; mais cette justice

surnaturelle ne provenait pas de la loi elle-

même, elle était accordée non aux œuvres de la

loi, mais à la foi et par les mérites du Christ à

 

 

 

1. « Haec omnia in figura contingebant illis. » (I Cor.,

 

X, II.)

 

2. « Nihil enim ad perfectum adduxit lex. » (Hebr.,

 

VII, 19.)

 

3. « Per legem cognitio peccaii. » (Rom., m, 20.)

 

4. « Impossibile est sanguine taurorum et hircoram

a^iferri peccata. » (Hebr.. x, 4.)

 

5. Ibid., IX, i3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 287

 

venir ^ La vraie sainteté, celle qui efface le

péché et transforme un homme en une créature

divine, devait être l'effet et la propriété de la loi

évangélique, appelée pour cela la loi de grâce.

Aussi saint Thomas ne fait-il pas difficulté de

dire que les justes de l'Ancien Testament qui

possédaient la charité et la grâce de l'Esprit-

Saint, et qui, non contents des promesses ter-

restres attachées à la pratique fidèle des obser-

vances légales, attendaient principalement les

promesses spirituelles et éternelles, apparte-

naient, sous ce rapport, à la Loi nouvelle-.

 

Toutefois, bien qu'ils possédassent une justice

et une sainteté de même nature que la nôtre,

bien qu'ils fussent, au même titre que nous, fils

adoptifs de Dieu par la grâce, ils ne vivaient

cependant pas dans la condition et l'état de fils,

mais plutôt comme des serviteurs ^ : semblables

en cela, suivant la comparaison de l'Apôtre, à

ces enfants de noble extraction qui, tout en

étant les héritiers véritables de la fortune pater-

nelle et les vrais maîtres de tout, ne diffèrent

pas des serviteurs, et sont soumis à des tuteurs

et des curateurs jusqu'au temps fixé par leur

 

 

 

1. « Non justificatur homo ex operibus legîs, nisi per

fidem Jesu Ghristi. » (Gai., 11, 16.)

 

2. « Fuerunt tamen aliqui in statu veteris Testamenti

habentes caritatem et gratiam Spiritus sancti, qui princi-

paliter expectabant promissiones spirituales et aeternas ; et

secundum hoc pertinebant ad legem novara. » {Summa

TheoL, I»-IP% q. cvn, a. i, ad 2.)

 

3. « Verum, si et illi in filiis Dei numerabantur, con-

ditione tamen perinde erant ac servi. » (Encycl. Divinum

illud munus.)

 

 

 

2 38 l'habitation de dieu dans les AMES

 

père^. Incapables d'entrer en possession de l'hé-

ritage céleste, ils étaient assujettis aux mille

pratiques asservissantes de la loi, qui leur servait

de précepteur pour les conduire au Christ 2.

 

Mais, quand vint la plénitude des temps, quand

sonna l'heure marquée par les décrets éternels,

Dieu envoya son Fils pour nous délivrer du joug

et de la servitude de la loi, et nous communi-

quer d'une manière parfaite la qualité et l'état

de fils adoptifs^. Et parce que nous sommes ses

enfants, il a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de

son Fils qui crie : Père, Père^. La plénitude de

la mission divine devait donc être le privilège de

la loi évangélique.

 

 

 

Est-ce à dire que les justes de Tancienne

Alliance, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et

Josué, David et Jérémie, et tant d'autres dont

 

 

 

I. « Quanto tempore haîres parvulus est, nihil dîffert a

servo, cum sit dominus omnium. Sed sub tutoribus et

actoribus est usque ad prsefinitum tempus a pâtre : ita et

nos, cum essemus parvuli, sub elementis mundi eramus

servientes, «(Gai., iv, i-'6.)

 

a. « Lex paedagogus noster fuit in Christo. » (Gai.,

m, 24.)

 

3. « At ubi venit plénitude temporis, misit Deus Filium

suum..., ut eos qui sub lege erant, redimeret, ut adoptio-

nem filiorum reciperemus. » (Gai., iv, 4-5.)

 

4. « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii

sui in corda vestra clamantem : Abba. Pater. » (Ibid., 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 289

 

l'Ecriture célèbre en termes si magnifiques la foi,

le zèle, la fidélité, la douceur et les autres vertus,

fussent inférieurs en sainteté aux justes de la Loi

nouvelle, et n'aient possédé au même degré ni la

grâce, ni TEsprit-Saint ?

 

A. parler en général, il semble bien qu'il en

ait été ainsi ; car les moyens de sanctification

mis à la disposition du genre humain avant l'in-

caination du Verbe étaient incomparablement

moins puissants que les nôtres. Purement figu-

ratifs, les sacrifices anciens se réitéraient perpé-

tuellement, parce qu'ils n'avaient par eux-mêmes

aucune vertu capable de perfectionner ceux en

faveur de qui ils étaient offerts, et de purifier

leur conscience', tandis que Jésus-Christ, par

une oblation unique, a rendu parfaits pour tou-

jours ceux qu'il a sanctifiés \ Les sacrements de

k Loi mosaïque, au lieu d'être, comme ceux de la

Loi nouvelle, des causes efficaces de la grâce,

n'étaient également que des signes et des sym-

boles ; ils préfiguraient la grâce qui devait être

produite par la passion du Christ, mais ne la

produisaient pas s. C'est pourquoi l'Apôtre les

 

 

 

1. « Umbram habens lex futurorum bonorum, non

ipsam imaginem rerum : per singulos annos eisdem ipsis

hostiis, quas offerunt indesinenter, nunquam potest acce-

dentes perfectos facere; alioquin cessassent offerri, ideo

quod nuUam haberent ultra conscientiam peccati, cultores

semel mundati. » (Hebr., x, i-a.)

 

2. « Una enim oblatione consummavit in sempit«*num

sanctiflcatos. » (Ibid., i4.)

 

3. « Novae legis septem sunt sacramenta... QuaB multum

a sacramentis dijSerunt antiquae legis. Illa enim non causa-

bant gratiam, sed eam solum per passionem r4hristi dan-

 

 

 

2^0 l'habitation de dieu dans les AMES

 

appelle « des éléments impuissants et vides :

infirma et egena elementa^ » ; « impuissants, dit

saint Thomas, parce qu'ils étaient vides et ne

contenaient pas la grâce' ».

 

Une autre considération de l'angélique Doc-

teur, que devait s'approprier plus tard le concile

de Trente 3, nous aide à comprendre pourquoi,

sous la Loi évangélique, le niveau de la sainteté

est généralement plus élevé que sous la Loi

ancienne : c'est que qui est mieux préparé à la

grâce la reçoit avec plus d'abondance. Illi qui

magls sant parati ad percepiionem graiiœ, plenlo-

rem gratiam consequuniur \ Or, depuis l'avèce-

ment du Sauveur, et par suite de cet avènement,

le genre humain tout entier était mieux disposé

et plus apte qu'auparavant à recevoir les dons

divins ; soit parce que le prix de notre rançon

avait été payé et le diable vaincu, soit parce que,

grâce à la doctrine du Christ, les choses divines

nous sont mieux connues 5.

 

 

 

dam esse figurabant; haec vero nostra et continent gratiam,

et ipsam digne susclpientibus confenint. » (Gonc. Florent.,

ex decreto pro Armenis.)

 

1. Gai., IV, g.

 

2. « Infirma quidem, quia non possunt a peccato mun-

dare ; sed haec infirmitas provenit ex eo quod sunt egena,

id est, eo quod non continent in se gratiam. » {Summa

Theol. l'-ll", q. cih, a. a.)

 

3. « Justi nominamur et sumus, justitiam in nobis reci-

pientes, unusquisque suam secundum mensuram, quam

Spiritus sanctus partitur singulis prout vult, et secundum

propriam cujusque disp»sitionem, ei cooperationem. » {Trid.^

sers. VI, cap. vu.)

 

4. S. Th., in I Sent., dist. xv, q. v, a. a.

 

5. « Quia per adventum Christi remotum est obstaculum

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2^1

 

Le saint Docteur ajoute, dans un autre pas-

sage, que, avant l'Incarnation, les mérites et les

satisfactions du Rédempteur n'existant pas

encore réellement, la grâce était départie avec

moins d'abondance qu'après l'accomplissement

de ce mystère i. Et comme la mission invisible

de l'Esprit-Saint ne va point sans la collation

première ou l'accroissement de la grâce, on

peut donc affirmer que cette mission s'est faite,

en règle générale, avec une plus grande pléni-

tude après l'Incarnation qu'auparavant. Et ideo,

loqaendo communiter, plenior fada est missio post

Incarnationem quant ante^.

 

Mais si, au lieu de considérer l'état général

du genre humain, on réfléchit sur les condi-

tions particulières dans lesquelles se trouvèrent

certains personnages antiques, pris individuel-

lement, rien n'empêche de croire qu'ils reçu-

rent la mission de l'Esprit-Saint avec une telle

plénitude qu'ils s'élevèrent jusqu'à la perfection

de la vertu 3. Et si l'on met en parallèle la grâce

personnelle des Saints de l'Ancien et du Nou-

 

 

 

antiquse damnationis, totum humanum genus effectum est

paratius ad perceptionem gratiae quam ante : tum propter

solutionem pretii, et victoriam diaboli ; tum etiam propter

doctrinam Christi, per quam clarius nobis innotescunt

divina. » (Ibid.)

 

I . « Quia nondum erat meritum Christi in actu, nec satis-

factio ante Incarnationem ; ideo non erat tanta gratiae

plenitudo sicut et post. » (De verit., q. xxix, a. 4. ad lo.)

 

a. S. Th., in I Sent., dist. xv, q. v, a. a.

 

3. « Sed verum est quod ad aliquas spéciales personas est

in veteri Testamento plenissima facta missio secundum per-

fectionem virtutis. » (Ibid.)

 

AB . SAINT-ltPBIT. lA

 

 

 

2^2 l'habitation DE DIEU DANS LES AMES

 

Yeau Testament, on doit reconnaître avec saint

Thomas que, par la foi au Médiateur, beaucoup

d'anciens justes furent aussi bien pourvus, quel-

ques-uns même mieux partagés que nombre de

chrétiens'.

 

Il est cependant une grâce après laquelle les

patriarches antérieurs au Messie devaient long-

temps soupirer sans pouvoir l'obtenir sous l'éco-

nomie mosaïque ; il est une mission invisible de

l'Esprit-Saint qui était réservée pour l'époque

de la nouvelle Alliance : c'était la grâce d'être

admis à la vision de Dieu, c'était la mission

pleine et consommée qui se fait à l'entrée des

justes dans la gloire.

 

 

 

I . « Sancti veteris Testamenti dupliciter possunt consi-

derari : vel quantum ad gratiam personalem, et sic per

fidem Mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his

qui sunt in novo Testamento, et multis plus et multis

minus; vel secundum statum naturae illius temporis, et

sic cum adhuc coniinerentur obnoxii divinae seiiterit*iae pro

peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in eis

aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio

fieret, sicut fit in novo Testamento etiam per traductionem

in gloriam, in qua omnis imperfectio naturae amovetur. »

(Ibid., ad a.)

 

 

 

QUATRIÈME PARTIE

 

 

 

BUT ET EFFETS DE LA MISSION INVISIBLE DE

L'ESPRIT -SAINT ET DE SON HABITATION

DANS LES AMES.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

But de la mission invisible de TEsprit-Salnt

et de sa venue dans les âmes : la sancti-

fication de la créature. — Pardon des

péchés, justification.

 

 

 

Après avoir établi le fait d'une présence à la

fois substantielle et spéciale de Dieu dans lea

âmes justes et expliqué, à la suite de saint Tho-

mas, le mode de cette présence, laquelle, pour

être fréquemment désignée dans l'Ecriture sous>

le nom d'habitation du Saint-Esprit, ne saurait

cependant être considérée comme appartenant

en propre à la troisième personne, mais lui est

simplement attribuée par appropriation, il nous

reste à étudier, à la lumière de la révélation, le

but de la venue de l'Esprit-Saint en nous, ainsi

que les multiples effets qui sont la suite ordi-

naire, le résultat constant, on pourrait presque

dire la conséquence obligée, de sa divine pré-

sence.

 

Si un sujet doit nous intéresser, c'est assuré-

ment celui-là; rien ne nous est plus personnel,

rien n'a pour nous un si grand prix, rien ne

nous importe davantage. Nécessaire en tout

temps aux chrétiens qui ont la légitime ambi-

tion de ne point demeurer étrangers aux choses

de l'ordre surnaturel, phis indispensable encore

à notre époque de naturalisme effréné, oh. l'on

 

 

 

2^6 atlSSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

ne semble apprécier que les biens matériels et

les dons de la nature, pour réagir contre cette

tendance funeste, élever les esprits et les cœurs,

donner une haute idée de la grâce et en inspirer

une estime profonde, cette étude non seulement

n'offre rien de rebutant et d'aride, mais elle est

pour nous jeter dans de vrais abîmes de grati-

tude, d'admiration, de confiance et d'amour.

 

L'Apôtre saint Paul souhaitait vivement aux

premiers fidèles cette connaissance des biens

spirituels. « Je ne cesse, écrivait-il aux Ephé-

siens, de rendre grâces pour vous et de faire

mémoire de vous dans mes prières, afin que

Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous

donne l'esprit de sagesse et de révélation, qu'il

éclaire vos cœurs et vous fasse connaître quelle

est l'espérance attachée à votre vocation et quels

trésors de gloire forment l'héritage des saints i. »

 

Présenter un tableau sommaire mais suffisam-

ment complet des dons qui se rattachent à la

venue de l'Esprit-Saint dans nos âmes, tracer

une esquisse des secrètes opérations de cet Hôte

intérieur et des espérances dont il est le gage et

les prémices, telle est ki tâche ardue mais sou-

verainement douce qui s'impose maintenant à

nous comme couronnement de l'œuvre que nous

ivons entreprise.

 

 

 

I. '( IS'on cesso gratias agens pro vobîs, memoriam vestri

faciens in orationibus meis, ut Deus, Domini nostri Jesu

Christ! pater gloriae, det vobis spiritum sapientiae et revela-

tionis in agnitioneejus : illuminatos oculos cordis vestri, ul

sciatis quae sit spes vocationis ejus, et quic divitiae gloriœ

haereditatis ejus in sanctis. » (Ephes., i, 16-18.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 247

 

 

 

I

 

 

 

Que l'Esprit-Saint soit envoyé et donné aux

justes avec la grâce, qu'il daigne faire de leur

âme sa demeure, son temple, son trône, c'est

une vérité aussi incontestable qu'elle est conso-

lante, sur laquelle nous n'avons pas à revenir.

La question qui se pose présentement à nous est

celle-ci : Pourquoi cette mission? Oii tend cette

donation? Quel est le but, la fin, le motif de

cette habitation ? Si, même parmi les hommes,

les personnages éminents, les princes du sang,

les grands dignitaires d'un Etat, ne sont point

envoyés pour des sujets de médiocre impor-

tance ; si les missions qu'on leur confie revê-

tent, en vertu même de leur condition ou de

leur office, un cachet de grandeur tout particu-

lier, quelle doit donc être l'importance d'une

mission confiée à une personne divine?

 

Quand Dieu, voulant sauver le genre humain

perdu par la faute de notre premier père, dai-

gna, dans sa miséricorde, envoyer son propre

Fils pour opérer notre rédemption, ce témoi-

gnage d'infinie bonté arrachait à l'évangéliste

saint Jean ce cri d'admiration : « Dieu a tant

aimé le monde qu'il a donné son Fils unique

pour que quiconque croit en lui ne périsse

point, mais qu'il ait la vie éternelle i. » Toute-

 

 

 

I. « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unige-

nitum daret, ut omnis qui crédit in eum, non perlât, sed

habeat vitam œternam. » (Joan., ni, i6.)

 

 

 

2^8 MISSION INYISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

fois, si étonnante que puisse paraître cette mis-

sion, elle s'explique, dans une certaine mesure,

par l'importance du but à atteindre et la gran-

deur du résultat qu'il s'agissait d'obtenir.

 

Mais, quand il est question d'un enfant qu'on

baptise, d'un pécheur qui se convertit, d'un

juste qui croit en sainteté, oii sont les grandes

choses pour l'accomplissement desquelles il

faille envoyer l'Esprit-Saint? où les intérêts ma-

jeurs qui réclament sa présence? D'autant plus

qu'il ne s'agit point ici d'une mission passagère,

dune visite de courte durée, non pas même

d'un séjour temporaire plus ou moins prolongé.

Quand le Saint-Esprit vient dans un cœur, c'est

pour s'y établir à demeure et n'en plus sortir, à

moins qu'on ne l'y contraigne par le péché. Ad

eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus i.

Qu'est-ce donc, encore un coup, qui l'amène?

et pourquoi vient-il ? Serait-ce uniquement pour

recevoir dans ce temple vivant et saint nos ado-

rations et nos louanges, nos prières et nos

actions de grâces? Serait-ce pour nous encou-

rager par sa présence dans nos luttes et nos com-

bats de chaque jour, un peu à la façon d'un

aïeul vénérable qui suit d'un regard sympathi-

que et rajeuni par l'amour les ébats de ses

petits-fils, sans toutefois y prendre une part

active ? Non. S'il vient, c'est poir" agir, car Dieu

est essentiellement actif; il est, disent les théo-

logiens, un acte pur.

 

Aussi, loin d'être stérile et infructueuse, la

 

 

 

I. Joan., iiv, 23.

 

 

 

PARDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 2^9

 

présence en nous de l'Esprit sanctificateur, son

union avec nos âmes, est, au contraire, souve-

rainement féconde. Nous arracher à l'empire

des ténèbres et nous transférer dans le royaume

de la lumière ; créer en nous l'homme nouveau

et renouveler la face de notre âme en la revê-

tant de justice et de sainteté ; nous infuser avec

la grâce une vie infiniment supérieure à celle de

la nature, nous rendre participants de la nature

divine, faire de nous des enfants de Dieu et des

héritiers de son royaume ; dilater nos puissances

en ajoutant à leurs forces natives des énergies

de surcroît, nous emplir de ses dons et nous

rendre capables de faire des œuvres méri-

toires de la vie éternelle ; bref, travailler effica-

cement, incessamment, amoureusement, à la

sanctification de la créature, ad sanciificandam

creaturam^, voilà le but de sa mission, voilà le

grand œuvre qu'il vient entreprendre et qu'il

mènera à bonne fin si nous savons ne pas

résister à ses inspirations et lui prêter le con-

€Ours qu'il réclame et sans lequel rien ne peut

aboutir.

 

Mais il importe de descendre ici dans le détail

et d'étudier séparément chacun des bienfaits que

nous vaut sa divine présence ; c'est l'unique

moyen de les bien connaître.

 

 

 

I. S. Aug., De Trin.y 1. m, cap iv.

 

 

 

250 MISSIO>' INVISIBLE DE l" ESPRIT-SAINT

 

 

 

II

 

 

 

Le premier effet de la mission invisible de

TEsprit-Saint, le premier fruit de son entrée

dans une âme où ii ne résidait pas encore, le

premier don qu'il lui accorde, c'est un entier et

généreux pardon ; car, depuis la déchéance ori-

ginelle, partout oii il pénètre pour la première

fois, fut-ce dans le cœur d'un enfant qui vient

de naître et sur le front duquel coule l'eau sainte

du baptême, il trouve un pécheur, c'est-à-dire

un enfant de colère : Eramus natura fdil irœ^.

 

Pour apprécier à sa juste valeur cette grâce de

pardon, il faudrait avoir la parfaite intelligence

ÔM péché, en comprendre toute la malice, se

rendre un compte exact des effroyables consé-

quences qu'il entraîne pour le coupable, en cette

vie d'abord, et surtout dans l'éternité. Mais

coiLment sonder cet abîme avec nos faibles

lumières? Qui dit péché, dit offense de Dieu,

mépris de Dieu, révolte contre Dieu. Or, qu'est-

ce qu'un Dieu offensé, méprisé, irrité? Quelles

peuvent bien être les suites de sa colère, quels

les effets de sa vengeance? Sans doute nous ne

devons point transporter en Dieu nos passions ;

et, quand nous parlons de colère et de ven-

geance divines, il est manifeste qu'il en faut

écarter tout ce qui sent le trouble, l'émotion, la

 

 

 

I. Ephes., n, 3.

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 25 1

 

désordre ; mais aussi que de vraies, de saintes,

de terribles réalités se cachent sous ces mots,

qui reviennent si fréquemment dans l'Ecriture !

 

C'est que, en effet, Dieu ne serait pas la bonté

absolue s'il ne se montrait l'ennemi implacable

du mal ; il ne serait pas la justice et la sainteté

même, s'il laissait impuni un acte dont la ma-

lice est à certains égards infinie'. S'il est grand

dans les œuvres de sa miséricorde, il ne Test

pas moins dans les manifestations de sa justice ;

s'il récompense magnifiquement tout ce qui est

fait pour sa gloire, il tire une vengeance écla-

tante des outrages commis contre sa majesté

sainte. Toujours il agit en Dieu, quand il rému-

nère la vertu comme lorsqu'il châtie le crime.

Quelle perspective cette simple co:?sidération

ouvre devant un regard attentif! Aussi le saint

homme Job, pénétré du sentiment profond de

la justice divine, se déclarait-il « incapable d'en

supporter le poids, comme s'il avait sur sa tête

les flots d'une mer en furie : Semper quasi

tumenies super me fluctus limui Deum, et pondus

ej us ferre non potui'-. » Et le grand Apôtre disait

de son cuté que c'est une chose épouvantable

de tomber entre les mains du Dieu vivant : Hor-

renduni est incidere in nianus Dei viventis\

 

Tomber entre les mains des hommes, d'un

ennemi puissant et cruel, paraît une chose déjà

 

 

 

1. « Peccatum contra Deum commissum quamdam infi-

nitatem habet ex infinitate divinae MajestaUs. » (S. Th.,

CI, q. I, a. 2, ad 2.)

 

3. Job-, XXX.1, 23.

3. tiebr., x, 3i.

 

 

 

252 MISSION INVISIBLE DE L^ESPRIT-SAINT

 

singulièrement effrayante. Et pourtant, que peut

un faible mortel en comparaison de Celui qui

porte le monde et auquel nul pécheur ne sau-

rait échapper? Aussi, Notre-Seigneur disait-il à

ses disciples : « Ne craignez pas ceux qui tiient

le corps et ne peuvent ensuite plus rien contre

vous. Je vous dirai, moi, qui vous devez crain-

dre : c'est Celui qui, après vous avoir ôté la vie

du corps, peut encore envoyer votre âme dans^^

les flammes éternelles. En vérité, je vous le dis :

c'est celui-là qu'il faut craindre ^ »

 

Mais Dieu n'attend pas l'autre vie pour exercer

ses vengeances contre les transgresseurs de sa

loi sainte et les contempteurs de son adorable

majesté ; dès ici-bas le châtiment du pécheur

commence, et pour être, ordinairement du

moins, purement intérieur et partant invisible,

il n'en est pour cela ni moins réel, ni moins

terrible. Ecoutez.

 

Aussitôt que l'homme a consommé son ini-

quité et commis une faute grave, Dieu lui retire

son amitié ; au lieu de le considérer et de le

traiter comme un enfant très aimé, que l'on

entoure de soins et de tendresse, il le regarde

d'un œil irrité 2 et le traite en ennemi ; car

 

 

 

i.« Ne terreamini ab his qui occidunt corpus, et post

haec non habent amplius quid faciant. Ostendam autem

vobis quem timeatis : timete cum qui, postquam occident,

habet potestatem mittere in gehennam : ita, dico vobis :

Hune timete. » (Luc, xii, 4-5.)

 

a. « Vullus autem Domini super facientes mala. » (Ps..

XXX.111, 17.)

 

 

 

PARDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 253

 

« Dieu hait l'impie et son impiété : Odio sunt

Deo impius et impietas ejus i. »

 

Comme première manifestation de cette haine,

il lui ôte tous les biens surnaturels dont il

l'avait comblé : la grâce sanctifiante d'abord,

cette perle évangélique que Notre -Seigneur

nous a acquise au prix de son sang, et pour la

conservation de laquelle nous devrions être prêts

à tout sacrifier ; puis la sainte charité, qui faisait

de l'homme l'objet des divines complaisances et

donnait à ses actions tout leur prix. Dieu retire

encore au pécheur les vertus infuses et les dons

du Saint-Esprit, qu'il avait répandus dans son

âme comme autant de germes divins ne deman-

dant qu'à s'épanouir en fleurs et en fruits de

sanctification et de salut, et ne lui laisse que la

foi et l'espérance comme une dernière planche

de salut, comme un dernier témoignage de mi-

séricorde.

 

Le voilà, cet infortuné, dépouillé de tout I D'en-

fant de Dieu qu'il était, il est devenu l'esclave de

Satan ; le vase d'honneur s'est changé en vase

d'ignominie ; l'héritier du ciel n'a plus à attendre

de Celui qui a cessé d'être son père, et qui

demeure son juge, qu'une efîroyable vengeance

et des supplices éternels.

 

Avez-vous jamais assisté à la dégradation

d'un soldat, d'un officier félon? On amène le

coupable sur la place publique, et là, en pré-

sence de ses camarades, on lui enlève successi-

vement tous les insignes de son grade : ses déco-

 

 

 

Sap., xiT, g.

 

 

 

254 MISSION INVISIBLE DE l' ESPRIT-SAINT

 

rations d'abord, s'il en a, car, ayant forfait à

rhonneur, il est indigne de porter le signe de

l'honneur, puis son épée. Cette épée, dont il

^tait si fier et qui lui avait été confiée pour la

défense de la patrie, est brisée sous ses yeux,

et on en jette au loin les tronçons déshonorés,

car c'est l'épée d'un traître. On lui arrache ses

épaulettes, ses galons, tout ce qui rappelle l'uni-

forme, et on le livre ainsi dépouillé et couvert

d'ignominie au peloton d'exécution. Faible

image de la dégradation spirituelle infligée dès

cette vie au pécheur.

 

Extérieurement, il est vrai, rien ne trahit

l'affreux changement qui vient de s'opérer dans

son âme; il va et vient, il vaque à ses affaires, et

peut-être qu'en voyant sa santé aussi florissante

qu'auparavant, sa fortune intacte, sa réputation

sauve, il serait tenté de croire dans son aveugle-

ment que, après tout, le péché n'est pas un si

grand mal ; peut-être que, nonobstant l'avertis-

sement de l'Esprit-Saint, il aurait la témérité de

dire : « J'ai péché, et que m'est-il arrivé de

fâcheux ^ ? .)

 

Ce qu'il lui est arrivé de fâcheux ? Ah ! s'il

pouvait contempler les ravages épouvantables

opérés dans son âme par un seul péché mortel,

bien autre serait son langage. Cette âme, aupa-

ravant si belle aux yeux de Dieu et de ses anges,

a perdu soudain tout son éclat "^ et ne présente

 

 

 

1. « Ne dixeris : Peccavi, et quid mihi accidit triste? »

(Eccli., V, 4.)

 

2, « Egressus est a filia Sion omnis dccor ejus. » (Thren.,

 

1, ^O

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 255

 

plus maintenant que l'aspect hideux et repous-

sant d'un visage rongé par la lèpre. Cette âme,

naguère encore toute resplendissante des clartés

de la grâce, tout imprégnée du parfum des

vertus ^ s'est couverte tout à coup d'affreuses

ténèbres et répand autour d'elle l'infection d'un

cadavre ; car elle est morte devant Dieu, morte

et corrompue comme les cadavres des tombeaux ;

morte, non pas sans doute à la vie de la nature

— dans cet ordre elle est immortelle, — mais à

la vie plus haute et incomparablement plus pré-

cieuse de la grâce.

 

En perdant la grâce, le pécheur a tout perdu :

l'amitié de Dieu, le droit à l'héritage éternel,

les mérites précédemment acquis, et jusqu'à la

possibilité d'en acquérir de nouveaux, lant qu'il

n'aura pas recouvré la divine charité. Tout a

péri, tout a sombré dans le naufrage.

 

Mais ce qui achève surtout de faire du péché

le plus grand des malheurs, c'est qu'il est en

même temps la perte de Dieu. L'âme en état de

grâce est le temple de l'Esprit-Saint, la demeure

des trois personnes divines, qui se donnent à elle

pour être, d'une manière initiale, dès cet exil,

l'objet de sa jouissance et comme un avant-goût

du paradis. Mais à peine le péché mortel est-il

consommé, que ces hôtes divins se retirent, en

redisant cette parole effrayante dont retentit l'an-

cien temple de Jérusalem aux approches de sa

ruine : « Sortons d'ici, sortons d'ici » ; et l'âme

ainsi abandonnée devient l'asile des démons, le

 

 

 

1. « Ghristi bonus odor sumus Deo. » (II Cor., n, i5.)

 

 

 

256 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAIWT

 

repaire des reptiles et des bêtes venimeuses qui

sont les passions déchaînées.

 

Comprenez-vous maintenant la grandeur du

bienfait que Dieu daigne accorder à une créature

pécheresse en lui octroyant le pardon de ses

offenses? Laissée à elle-même, abandonnée à ses

seules ressources, jamais elle n'aurait pu sortir du

triste état où elle s'était jetée par sa faute ; mais

Dieu, dont, suivant la belle parole de l'Eglise,

« le propre est de faire toujours miséricorde et

de pardonner 1 », lui tend une main secourable

pour la retirer de l'abîme. Bien qu'il soit l'of-

fensé, c'est lui qui prend l'initiative de la récon-

ciliation et fait les premières avances. Il l'invite

au repentir par de secrètes terreurs, l'éclairé sur

les conséquences de ses crimes, l'attire par les

attraits de sa grâce; il lui présente de saintes

amorces, lui tend de salutaires embûches, frappe

sans se lasser à la porte de son cœur ; et sitôt

que l'âme, cédant aux pressantes sollicitations

de son amour, se jette repentante à ses pieds en

disant comme le prodigue : « Père, j'ai péché,

je ne suis pas digne d'être appelée votre

enfant », il se penche miséricordieusement vers

elle, s'empresse de la relever, la serre dans ses

bras, lui rend son Esprit-Saint, qui reprend aus-

sitôt possession de son sanctuaire, apportant

avec lui, comme don de joyeux avènement, la

grâce et la paix. Tout est pardonné, tout est

effacé, tout est oublié; les anciennes relations

 

 

 

1. « Deus, cui proprieri est miserum semper, et parcere. »

(Ex Breviar. Ord. Praed.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 267

 

sont reprises, et, dans son bonheur d'avoir

retrouvé la brebis perdue, le Bon Pasteur se

dédommage des jours mauvais par un redouble-

ment de tendresse.

 

 

 

III

 

 

 

La venue de TEsprit-Saint, ou sa rentrée dans

une âme, n'aurait d'autre résultat que de lui

apporter la rémission de ses péchés et une grâce

de pardon, qui ne voit qu'elle serait déjà un bien

inestimable? Mais là ne se bornent pas les lar-

gesses de l'hôte divin.

 

Non content d'oublier les offenses de celte

âme et de lui faire remise de la dette contractée

envers la justice divine, il s'empresse de la puri-

fier de ses souillures, de la guérir de ses plaies,

de la revêtir d'une robe d'innocence ; il abat le

mur de séparation que le péché avait dressé

entre elle et Dieu^, il brise ses chaînes, il l'ar-

rache à l'empire des ténèbres poui' la transférer

dans le royaume de la lumière', et, se réconci-

liant pleinement avec elle, il lui rend, avec les

autres biens qu'elle avait perdus, son amour et

la grâce qui justifie. Pardon, justillcation, c'est

une seule et même chose, ou, si l'on aime

 

 

 

1. « Iniquitates vestrae diviserunt inter vos et Deum ves-

trum. )) (Is., Lix, 2.)

 

2. « Eripuit nos de potestate tenebrarum, et transtulit

in regnum Filii dilectionis suae. » (Col., i, i3. — Cf. etiam

I Petr., n, 9.)

 

AB. IMT-liPKir. 17

 

 

 

258 MISSIOIS INVISIBLE DE l'eSPHIT-SAJNT

 

mieux, c'est le double aspect, le double effet

d'une grâce unique, d'un dan surnaturel et

permanent versé dans notre âme et connu sous

le nom de grâce sanctifiante, qui efface nos

fautes et nous rend vraiment justes, saints et

agréables à Dieu.

 

L'hérésie protestante ne l'entend point ainsi.

Pour elle, la grâce divine n'est qu'une dénomi-

nation extrinsèque, une simple faveur extérieure

de Dieu, laquelle ne met en nous rien de réel,

rien de positif, aucun élément de sanctification

véritable; elle n'implique ni mutation, ni réno-

vation intérieure, en sorte que la justification du

pécheur consiste exclusivement dans la rémis-

sion des péchés, sorte d'amnistie qui, sans rien

changer dans la personne et les dispositions mo-

rales du coupable, le dispense de subir la peine

encourue, l'autorise à reprendre sa place dans la

société avec tous ses droits antérieurs et fait dis-

paraître jusqu'au souvenir de son crime.

 

Au jugement des pseudo-réformateurs, le péché

pardonné n'est pas réellement effacé, mais sim-

plement couvert ; en saisissant par la foi la jus-

tice de Jésus-Christ, le pécheur s'en fait comme

un riche manteau qui dissimule, en les recou-

vrant, les plaies hideuses de son âme, et les

soustrait en quelque sorte aux regards divins.

Satisfait de l'oblation volontaire de son Fils et

du prix de notre rançon , Dieu se résout à ne

point tirer vengeance des outrages commis

contre son adorable Majesté; et le coupable,

quoique non amendé, est déclaré juste et ren-

voyé absous.

 

Tout autre est le concept catholique de la jus-

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 269

 

ifîcation. Au lieu d'y voir une simple condona-

tion de la peine et une non-imputation de la

faute, l'Eglise enseigne que la justification du

pécheur implique la réelle disparition du péché,

sa destruction, son anéantissement, ainsi que la

sanctification, la rénovation de l'homme intérieur

par la susception volontaire de la grâce et des

dons. C'est ce que le Concile de Trente a solen-

nellement défini dans sa sixième session i.

 

Et, de vrai, l'on ne conçoit pas qu'il en puisse

être autrement. Qu'un juge humain qui ne voit

pas le fond des consciences et doit s'en rapporter

aux témoignages extérieurs, renvoie absous un

accusé dont la culpabilité n'est pas clairement

établie, c'est une nécessité qui s'impose, s'il ne

veut pas s'exposer à condamner un innocent.

Qu'un souverain, désireux de ramener la paix

dans ses Etats et d'effacer jusqu'aux dernières

traces des discordes civiles, ou obligé de comp-

ter avec des adversaires redoutables et voulant

leur enlever tout motif d'agitation, consente

par politique à pardonner à des coupables juste-

 

 

 

I. « Justificatio non est sola peccatorum remissio, sed et

sanctificatio, et renovatio interioris hominis per volunta-

riam susceptionem gratiae et donorum. tJnde homo ex in-

juste fit justus, et ex inimico amicus, ut sit havres secundum

spem vitae œternae. » (Trid., sess. VI, cap. vu.)

 

« Si quis dixerit, homines justificari vel sola imputatione

justitise Ghristi, vel sola peccatorum remissione, exclusa

gratia et caritate, quee in cordibus eorum per Spiritum

sanctum dlfîundatur atque illis inhœreat; aut etiam gra-

tiam, qua justiûcamur, esse tantum favorem Dei, anathema

ait. » (Ibid., can. 11.)

 

 

 

200 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

ment condamnés et nullement repentants, cela

se comprend encore.

 

Mais que Dieu, qui, suivant la parole de l'Ecri-

ture, « scrute les reins et les cœurs ^ », et « de-

vant qui tout est à nu et à découvert' » ; que

Dieu, le défenseur par essence de l'ordre et du

droit, puisse laisser le crime impuni, le désordre

invengé, la justice violée; qu'il consente à par-

donner au pécheur non repentant et à fermer les

yeux sur des iniquités toujours vivantes; qu'il

déclare juste et tienne pour tel quelqu'un qui

serait en réalité souillé de crimes, c'est ce que la

raison et le bon sens, non moins que la foi, se

refusent à admettre ; c'est une hypothèse contre

laquelle protestent tous les attributs divins : la

souveraineté réclame, la sainteté réclame, la jus-

tice réclame; il y a une dette à payer, une

offense à réparer, un tort à redresser ; tant que

Dieu sera Dieu, il devra exiger du coupable une

satisfaction qui s'impose, jamais il ne pourra le

renvoyer absous e1 non amendé.

 

S'il en était autrement, notre justice ressem-

blerait à celle des scribes et des pharisiens, que

Notre-Seigneur condamnait en termes si énergi-

ques, quand il disait : u Malheur à vous, scribes

et pharisiens hypocrites, parce que vous êtes

semblables à des sépulcres blanchis qui exté-

rieurement semblent beaux, mais au dedans

sont remplis d'immondices ; ainsi de vous, au

 

 

 

1. « Scrutans corda et renés Deus. « (Ps. m, lo.)

 

2. « Omnia nuda et aperta sunt oculis ejus. » (Hebr., iv,

:3.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 26 1

 

dehors vous paraissez justes aux yeux des hom-

mes, mais au dedans vous êtes pleins de fourbe-

rie et d'iniquité^. »

 

Si donc le pécheur aspire au pardon divin, il

n'a pour y parvenir qu'une seule voie, le repen-

tir ; s'il veut que ses iniquités ne lui soient j^as

imputées, l'indispensable condition, c'est quelles

soient vraiment effacées par l'infusion de la

grâce. Voilà la vraie notion de la justification,

telle que l'Eglise l'a toujours comprise et ensei-

gnée, telle qu'elle résulte de l'étude attentive

des Livres saints et des documents de la Tradi-

tion.

 

IV

 

Ce n'est pas, en effet, une fois en passant, ou

en termes vagues et obscurs, que l'Ecriture

énonce ce dogme ; c'est en une multitude de pas

sages et par des expressions aussi claires que

variées. Ainsi elle dit que les péchés sont ôtés',

effacés 3, lavés ^, purifiés^. Saint Paul, rappelant

 

 

 

1 . « Vae vobis, scribse et pharisœi hypocritœ, qui sîmiles

estis sepulcris dealbatis, quae a foris parent hominibus spe-

ciosa, intus vero plena sunt ossibus mortuorum et omni

Bpurcitia : sic et vos a foris quidem paretis hominibus justi,

intus autem pleni estis hypocrisi et iniquitate. » (Matth.,

xxni, 27-28.)

 

2. « Ec€e Agnus Dei, ecce qui toUit peccatum mundi. »

(Joan., I, 29.)

 

3. « Pœnitemini igitur et convertimini, ut deleantur pec-

cata vestra. » (Act., in, 19.)

 

4. « EfFundam super vos aquam mundam, et mundabi-

mini ab omnibus inquinamentisvestris. » (Ezech., xxxvi, a5.)

 

5. « Purgationem peccatorum faciens. » (Hebr., i, 3.)

 

 

 

2 02 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

aux Corinthiens leurs anciennes souillures effa-

cées par le baptême, leur disait : « Vous fûtes

tout cela, mais vous avez été lavés, mais vous

avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés

au nom de Noire-Seigneur Jésus-Christ et par

lEsprit de Dieui. » Et si parfaite est cette puri-

fication, que le pécheur justifié est plus blanc que

la neige'.

 

Si, au lieu de s'en tenir exclusivement à un

ou deux passages de l'Ecriture qui nous repré-

sentent les péchés comme couverts et non impu-

tés, nos adversaires avaient considéré l'ensemble

des textes se rapportant à la \orité qui nous

occupe, ils auraient rencontré une foule de té-

moignages attestant que les péchés pardonnes

n'existent réellement plus, qu'ils ont disparu

comme la neige fondue au soleil 3; ils auraient

entendu le même psalmiste qu'ils exaltent à

l'envi quand il dit : « Heureux ceux dont les

iniquités sont remises et les péchés couverts ;

heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé

de péché ^ », traduire sa pensée sous une autre

 

 

 

1. « Et haec quidem fuîstis : sed abluti estis, sed sanc-

lificati estis, sed justificati estis, in nomine Domini nostri

Jesu Christi, et in Spiritn Dei nostri. » (I Cor., vi, ii.)

 

2. « Lavabis me, et super nivem dealbabor. » (Ps. l, 9.)

— « Si fuerint peccata vestra utcoccinum, quasi nix dealba-

buntur. » <Is., i, 18.)

 

3. « Sicut in sereno glacies, sohentur peccata tua. »

(Eccli., m, 17.)

 

4. « Beati quorum remissae sunt iniquitates, et quorum

tecta sunt peccata. Beatus vir cui non imputavit Dominus

peccatum. » (Ps. xxxi, i-a.)

 

 

 

PAÎIDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 263

 

forme non moins expressive et affirmer que

« aillant l'orient est distant de l'occident, autant

Dieu éloigne de nous nos iniquités i » ; ils

auraient appris d'un autre prophète que Dieu

jette nos péchés au fond de la mer^, l'Esprit-

Saint voulant par cette figure de langage signi-

ficative nous bien faire entendre que les péchés

pardonnes sont chose disparue et dont il n'est

plus question ; enfin, ils auraient pu lire dans

Isaïe ces paroles que le Seigneur adressait à son

peuple : « C'est moi, moi-même, qui efface vos

péchés à cause de moi'. »

 

Or, comme l'observe Bossuet, ne serait-ce pas

faire injure à Dieu de penser que ce qu'il a éloi-

gné de nous y demeure encore? que ce qu'il a

effacé, détruit, anéanti, subsiste toujours? que

les souillures qu'il a lavées et purifiées n'ont

point disparu? Dans le sens ordinaire du mot,

laver ne veut pas dire couvrir, mais rendre pur;

sa signification sera-t-elle amoindrie, si c'est

Dieu même qui nous lave, non avec le sang des

taureaux et des boucs, mais avec le sang de son

propre Fils? Si jadis le sang des animaux pou-

vait conférer la pureté légale, le sang précieux

de Jésus-Christ sera-t-il moins efficace pour puri-

 

 

 

1. « Quantum distat ortus ab occidente, longe fecit a

nobis iniquitates nostras. » (Ps. en, 12.)

 

2. « Deponet iniquitates nostras, etprojiciet in profundum

maris omnia peccata nostra. » (Mich., viï. 19.)

 

3. « Ego sum, ego sum ipse, qui deleo iniquitates tuas

piopter me, et peccatoruni tuorum non recordabor. » (Is.,

xxiii, 25.)

 

 

 

264 MISSION INVISIBLE DE l' ESPRIT-SAINT

 

fier nos consciences des œuvres de morti? Con-

cluons donc que, pour Dieu, justifier quelqu'un,

ce n'est pas seulement le déclarer juste et le

tenir pour tel, c'est faire qu'il le soit effective-

ment ; pardonner les péchés, ce n'est pas seule-

ment exempter de la peine, c'est effacer la

faute ; les couvrir, c'est faire qu'ils ne soient

plus.

 

11 y a, en effet, suivant la judicieuse remarque

de saint Augustin, deux manières de couvrir une

plaie : lune pour la guérir, l'autre pour la ca-

cher. Le médecin couvre la blessure afin de la

soustraire au contact de l'air et aux inlluences

pernicieuses, le malade la couvre par fausse

honte ou par crainte d'une opération doulou-

reuse ; le premier la couvre d'une substance

bienfaisante qui la fait disparaître ; l'autre la

couvre et l'entretient. (( Que ce soit Dieu, dit le

saint Docteur, qui couvre vos plaies, et non pas

vous ; car, si vous les couvrez parce que vous

en rougissez, le médecin ne les guérira pas. Que

le médecin les couvre et les guérisse ; car il les

couvre d'une substance salutaire. Quand le mé-

decin a lui-même couvert une plaie, elle se gué-

rit : quand c'est le malade qui la couvre, elle est

seulement dissimulée*. »

 

 

 

I. « Si sanguis hircorum et taurorum, et cinis vitulae as-

 

persus inquinatos sanctificat ad emundationern carnis :

quanto magis sanguis Ghristi... emundabit conscientiam

nostram ab operibus mortuis, ad serviendum Deo viventi? »

(Hebr., ix, i4.)

 

a. « Deus tegat vulnera ; noli tu. Nam si légère volueris

crubescens, medicus non curabit. Medicus tegat, et curet ;

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 205

 

A l'appui de la doctrine que nous venons

d'exposer touchant la justification, saint Tho-

mas apporte une raison théologique aussi belle

que profonde. Il fait observer d'abord que, en

justifiant le pécheur. Dieu lui rend ses bonnes

grâces et son amitié ; ce qui suppose la collation

d'un don fait à la créature et la rendant digne

d'être aimée. Gomme preuve de cette assertion,

il suffît de rappeler la différence capitale qui

existe entre l'amour de Dieu et celui de la créa-

ture, entre la grâce de Dieu et la faveur de

l'homme. Notre amour à nous suppose le bien,

il est ordinairement provoqué par les bonnes

qualités et les perfections que l'on a remarquées

dans l'objet aimé; plus tard, il pourra se tra-

duire par des bienfaits, mais dans le principe, il

est causé par le bien préexistant. « L'amour de

Dieu, au contraire, crée et verse dans les choses

le bien qui les lui rend aimables : Amor Dei

est infundens et creans bonitatem in rehas^. » Et

suivant la nature du bien conféré, on distingue

en Dieu un double amour : l'un commun et

général s'étendant à tout ce qui existe et ayant

pour effet l'être naturel des choses ; l'autre spé-

cial et d'un ordre plus sublime, par lequel Dieu

élève la créature raisonnable au-dessus de sa con-

dition naturelle et l'appelle à la participation de

sa propre félicité.

 

 

 

emplastro enim tegit. Sub tegmine medici sanatur vulnus,

sub tegmine vulnerati celatur vulnus. » (S. Aisg., Enarr. a'

 

 

 

in Ps. XXXI, n. la

1. S. Th., I, q. XX,

 

 

 

2 06 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

C'est ce dernier genre de dilection qui est en

cause quand on affirme simplement de quel-

qu'un qu'il est aimé de Dieu, parce qu'alors

Dieu lui veut le bien souverain et éternel qui est

lui-mèrne. Lors donc qu'on dit d'un homme

qu'il a la grâce et l'amitié de Dieu, le mot grâce

n'indique point ici un simple sentiment de bien-

veillance, une faveur extrinsèque provoquée par

le bien qui se trouve en lui, mais il désigne un

don surnaturel, provenant de Dieu, et transfor-

mant d'une façon mervcii' t'use celui qui le reçoit

et qui devient par là l'objet des divines complai-

sances 1.

 

 

 

I. « Quantum ad primum fsumendo scilîcet gratiam pro

dilectîone) est differentia attendenda circa gratiam Dei et

gratiam hominis : quîa enim bonum creaturae provenit ex

voluntate divina, ideo ex dilectione Dei, que vult creaturae

bonum, profluit aliquod bonura in creatura. Voluntas

autem hominis movetur ex bono praeexistente in rébus ; et

inde est quod dilectio hominis non causât totaliter rei

bonitatem, sed prœsupponit ipsam vel in parte vel in toto.

Patet igitur quod quamlibet Dei dilectionem sequitur ali-

quod bonum in creatura causatum quandoque, non tamen

dilectioni œternae coaeternum. Et secundum hujusmodi

boni ditTerentiam differens consideratur dilectio Dei ad crea-

turam : una quidem communis, secundum quam diligit

omnia qnse sunt, ut dicitur Sap., xi, 25, secundum qnam

•esse naturale rébus creatis largitur ; alia autem dilectio eî^t

specialis, secundum quam trahit créât uram rationalem

supra conditionem naturae ad participa tionem divini boni;

et secundum banc dilectionem dicitur aliquem diligere sim-

pliciter, quia secundum banc dilectionem vult Deussimpli-

citer creaturae bonum aeternum, quod est ipse. Sic igitur

per hoc quod dicitur homo gratiam Dei habere, significatur

-quiddam supernaturale in homine a Deo proveniens. »

<S. Th., I' IP*, q. ex, a. i.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATIOlf 267

 

C'est quelque chose d'ineffable que le change-

ment opéré dans l'âme par la grâce. Le péché

lui avait donné la mort, la grâce lui rend la vie.

Le péché avait fait d'elle une criminelle, une

esclave de Satan, un sarment destiné au feu ; la

grâce lui confère, avec la justice et la sainteté,

le titre d'enfant de Dieu et le droit à l'héritage

éternel. Le péché l'avait enlaidie, souillée, enté-

nébrée ; avec la grâce elle est belle, elle est pure,

elle est lumineuse. Oh ! s'il nous était donné

de pouvoir contempler une âme en état de

grâce ! C'est un spectacle à ravir les anges, à

réjouir le cœur même de Dieu, qui est la joie per

sonnifiée.

 

 

 

CHAPITRE II

 

Notre justification par la grâce est

une véritable déification, — Gomment

la grâce sanctifiante est une partici-

pation physique et formelle de la

nature divine.

 

 

 

1

 

 

 

Un autre effet de la mission invisible de l'Es-

prit-Saint et de sa présence en nous, c'est notre

déification par la grâce. « Vous serez comme des

dieux : Eriiis sicut dit », avait dit l'antique ser-(

pent, le tentateur infernal, à nos premiers pa-

rents pour les amener à cueillir le fruit défendu.

« Du jour où vous mangerez de ce fruit, vos

yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux,'

sachant le bien et le maP. » Et, cédant à un

orgueil insensé, ils portèrent à leurs lèvres le

fruit fatal, et leurs yeux s'ouvrirent effective-

ment, mais ce fut pour contempler avec épou-

vante l'abîme où leur désobéissance venait de les

précipiter. Au lieu de la science universelle et

de la divinisation promises, ils perdirent pour

 

 

 

I. Gen., m, 5.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 2t)t)

 

eux-mêmes et pour toute leur postérité la jus-

tice originelle dans laquelle ils avaient été c^éé^.

ainsi que les magnifiques prérogatives qui en

étaient la suite.

 

Depuis cette terrible déchéance, l'homme naît

pécheur ; avant même d'avoir pu commettre une

faute personnelle, il est, par le fait de sa descen-

danc3 d'Adam, un ennemi de Dieu et un enfant

de colère, en sorte que qui nous engendre nous

ilonre la mort ; car il ne nous transmet qu'une

nature découronnée, amoindrie, privée de la

grâce sanctifiante, qui est la vie de notre âme.

Ajoutez à cela les autres conséquences du péché

dorigine, l'ignorance, la concupiscence, la dou-

leur et la nécessité de mourir, et vous aurez une

idée du triste héritage que nous trouvons à notre

mtrée dans ce monde.

 

Mais, ô merveille de la bonté divine ! cette

léification, dont la promesse n'était . qu'un

eurre sur les lèvres de Satan, nous est de nou-

veau proposée, et cette fois par Dieu lui-même,

ion seulement comme une chose à laquelle nous

mouvons légitimement prétendre, mais encore

<omme un but que nous devons atteindre. C'est

îour nous rendre possible cette suprême exalta-

ion, c'est pour nous mériter cet insigne bienfait

[ue le Fils de Dieu a daigné s'abaisser jusqu'à

lous et se revêtir de notre humanité, u II s'est

ait homme, dit saint Athanase, pour faire de

lous des dieux 1. » « Il est descendu, ajoute saint

 

 

 

1. « Ut Dominus induto corpore factus est homo, ita et

los homines ex Verbo Dei deificamur. » (S. Ath., serm. it,

:ontra Arianos.)

 

 

 

270 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Augustin, pour nous faire monter ; et, tout e»

conservant sa nature, il a voulu prendre la

nôtre, afin que, tout en restant nous-mêmes dans

notre propre nature, nous puissions participer à

la sienne : avec cette différence toutefois, que la

participation à notre nature ne l'a point fait dé-

choir, tandis que la communication de la sienne

nous élève singulièrement 1. »

 

Que si, ébloui par tant de grandeur, quelqu'un

ne peut se faire à la pensée qu'une simple créa

ture puisse être appelée de Dieu à de si hautes

destinées, nous lui dirons avec saint Jean Ghry-

sostome : « Vous hésitez à croire que de ieh

honneurs puissent êb-e votre partage? Apprenei

de l'abaissement du Verbe incarné à admettre ce

que l'on vous enseigne de votre sublime dignité.

Car enfin, autant que la raison humaine peut

être arbitre de ces choses, il y a beaucoup plus

de difficulté à ce qu'un Dieu devienne homme»

qu'à ce que l'homme soit constitué fils de Dieu.

Lors donc que vous entendez dire que le Fil-s de

Dieu s'est fait fils de David et d'Abraham, ne

doutez plus que vous.» le fUs d'Adam, vous i>e^,

deviez être ûls de Dieu. Car ce n'est pas enj

vain et sans résiultat que le Verbe est descendu

si bas, mais c'a été pour nous élever à sa hau-

 

 

 

I. « Descendit ergo ille (Filins Dei) ut nos ascenderemus !

et manens in natura sua factus est particeps natur;e nos-

trae, ut nos manentes in natura nostra efficeremur partici-

pes naturae ipsius. Non tamen sic : nam illum naturœ nos-

trse ptarticipatio non fecit deteriorem ; nos aulera facit na-

turae illius participatio meliorca. » (S. Aug., Epi&t. cxl. ad

Honoratum, cap. iv, n. 10.) 

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