sexta-feira, 22 de janeiro de 2021

parte 3

 

a. « Deus est in omnibus rébus, non quidem sicut pars

essenti^... sed sicut agens adest ei in quod agit. Oportet

enim omne agens conjungi ei in quod immédiate agit, et

sua virtute illud contingere. » (S. Th., Summa T/ieoi., I,

q. vm, a. I.)

 

 

 

48 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

trouve réellement et substantiellement présenta

Et comme il n'existe absolument aucune créature

dans laquelle Dieu n'exerce son activité pour lui

conserver l'être et la mouvoir à ses opérations,

il en résulte que Dieu est partout, non seulement

par son action ou sa puissance, mais encore par

son essence.

 

Lors donc que l'Ecriture, parlant de la Divi-

nité, nous la représente remplissant le ciel et la

terre : Numquid non cœlani et ierram ego impleo"^

dicit Dominas \ il ne faut point prendre ces ex-

pressions au pied de la lettre, pas plus que le&

autres anthropomorphismes dont le texte sacré

abonde, et comprendre l'immensité divine par

mode d'extension, comme un océan sans rivages

contenant dans son sein tout ce qui existe et

débordant de toutes parts le monde créé ; c'est

aux exégètes et aux théologiens qu'il appartient

de donner, en de telles occurrences, le sens

véritable caché sous une forme de langage que

l'Espiit-Saint a voulu employer pour se mettre à

la portée de tous. C'est ce qu'a fait saint Thomas

pour le texte qui nous occupe : « Dieu, dit-il,

remplit tous les lieux, non à la façon d'un corps

qui est dit remplir un espace quelconque en en

bannissant toute autre substance matérielle, mais

 

 

 

I. « Quia effectus divini non solum divina operalione esse

incipiunt, sed etiam per eam tenentur in esse, nihil finleni

operari potest ubi non est... necesse est ut, ubicumque est

aliquis effectus Dei, ibi sit et ipse Deus effector. » (S. Th.,

rontra Gent., 1. IV, c. xxi.)

 

2. Jer., ixni, a4.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 49

 

en donnant et en conservant l'être aux choses qui

remplissent l'espace et y sont localisées'. »

 

Et comme l'être et les autres perfections sont

communiqués aux créatures à des degrés qui

varient étonnamment, depuis le grain de sable

jusqu'au séraphin qui occupe le sommet des

hiérarchies angéliques, la présence de Dieu, en

qualité de cause elliciente, comporte, elle aussi,

bien des degrés, suivant la mesure dans laquelle

chaque créature participe à la pcTfection divine.

Voilà ce que saint Thomas voulait donner à

entendre par les paroles suivantes, intelligibles

maintenant pour tous : Est anus commanis modus

quo Deus est in omnibus rébus per esseniiam, prœ-

sentiam et poleniiam, sicui causa in ejfectibus

pariicipantibus bonilalem ipsius*.

 

 

 

i. « Deus omnem locum replet : non sicut corpus, corpus

enim dicitur replere locum, in quantum non compatitur

secum aliud corpus ; sed per hoc quod Deus est in aliquo

loco, non excludiiur quin alla sint ibi, imo per hoc replet

omnia loca quod dat esse omnibus lo^atis, quae replent

omtiia loca. » (S. Th., Summa TheoL, l, q. viii, a. a.)

 

a. S. Th., Summa TheoL, I, q xuii, a. 3.

 

 

 

IB. SAtNT-SSrBIT.

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEO

 

OU DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

Le fait de la présence spéciale de Dieu

dans les justes. — Mission, donation,

habitation du Saint-Esprit.

 

 

 

Au-dessus du mode ordinaire et commun

suivant lequel Dieu est en toutes choses par son

essence, sa puissance et sa présence, comme la

cause est dans les effets qui entrent en partici-

pation de sa bonté, il en est un autre spécial,

qui convient aux seules créatures raisonnables,

dans lesquelles Dieu se trouve comme l'objet

connu et aimé est dans l'être qui connaît et qui

aime. Et parce que la créature raisonnable peut

s'élever jusqu'à Dieu par la connaissance et

l'amour, et l'atteindre en lui-même, au lieu de

dire simplement que Dieu, suivant ce mode par-

ticulier de présence, est dans la créature raison-

nable, on dit qu'il habite en elle comme dans son

temple. Nul autre effet que la grâce sanctifiante

ne peut êtr*-^ la raison de ce noiiyeau mode de

présence do la personne divine. C'est donc uni-

quement par la grâce sanctifiante que la per-

sonne divine est envoyée et qu'elle procède tem-

porellement... Toutefois, avec la grâce, on reçoit

 

 

 

54 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

aussi le Saint-Esprit, qui est lui-même donné et

envoyé, et vient habiter l'homme i. »

 

Ces paroles si laconiques de saint Thomas con-

tiennent, dans leur brièveté, un admirable résu-

mé de la question qui nous occupe présentement.

Nous y trouvons en effet clairement indiqués r

— a) d'abord le fait de la présence spéciale de

Dieu dans l'âme qui a la grâce : Super istum

modum aatem communem est unus specialis, qui

convenu natures raiiondi; — b) puis la nature de

cette présence, qui est une présence substan-

tielle; Dieu est là non pas simplement par ses

dons, mais en personne : In ipso dono gratiœ

gratum facientis Spiritus Sa/tctus habetur, et inha-

 

 

 

I. « Super istum modum autem communem (quo, scili-

cet, Deus est in omnibus rébus per essentiam, potentiam

et prsesentiam, sicut causa in effectibus participantibus

bonitatem ipsius), est unus specialis, qui convenit naturae

rationali, in qua Deusdicitur esse sicut cognitum in cogno-

scente, et amatura et amante. Et quia cognoscendo et

amando creatura ratioixalis sua operatione attingit ad

ipsum Deum, secunduni istum specialem modum Deus

non solum dicitur esse in rationali creatura, sed etiam habi-

tare in ea sicut in templo suo. • ic igitur nullus alius effec-

tus potest esse ratio quod divina persona sit novo modo in

rationali creatura, nisi gratia gratum faciens. Unde secxin-

dum solam gratiam gratum facientem mittitur et procedit

temporal! ter persona divina.

 

« Similiter illud solum habère dicimur quo libère possu-

mus uti, vel frui. Habere autem potestatem fruendi divina

persona est solum secundum gratiam gratum facientem.

Sed tamen in ipso dono gratiae gratum facientis, Spiritus

Sanctus habetur, et inhabitat hominem. Unde îpsemet Spi-

ritus Sanctus datur et mittitur. » (S. Th., Samma Thêd., h

q. XLUi, a. 3.)

 

 

 

MISSION, DONATION, ilA:B. DU SAINT-ESPRIT 55

 

èiieU hominem. Unde ipsemet Spiritus Sanctus datur

et mitttiar\ — c) le mode de cette )pré8.eDoe ; ce

n'est prlus en qualité d'ageait ou de cause .effi-

ciente qu'il est dian^ cette ânae; c'^t à titre

d'hôte et d'ami, comme objet de connaissance et

d'amour : Sicut cognitumdn cog^nosoente, et ama-

tum in amante; — d) ie jsujet capable de rece-

voir un tel bienfait, et ce sujet n'est .autre que la

créature raisonnable : Modws iste specialis con-

venit'naiurœ vationali ; — -e) ejiïiTvkixonditionàe cette

présence, c'est-à-dire l'état de.grâce : .Nubllus alias

effectus potest essfe ratio qaod divina persona sit

«ovG modo in ratio nali creabura, nisi gratta g ratum

faciens. — Autant de ch^îfs de considération qui,

pour être bien compris, demandent des éclair-

cissements proportionnés aux diffî;cuités qu'ils

peuvent offriT et k )la mesure de lein* impor-

tance. Aibordoiïs en preiaier )lieu le fait de la

présence spéciale »de Dieu idans les âmes sancti-

fiées fpar la grâce.

 

 

 

I

 

 

 

Il n'est peut-être pas de vérité plus fréquem-

meiït rappelée dans le saint Evangile et dans

les Epîtres de saint Paul que celle de la mission,

de la donation, de V habitation des personnes

divines dans les âmes qui ont la grâce. Sur le

point de quitter la terre pour retourner à son

Père , Notre-Seigneur , voularit conscyler ses

Ajp.ôtres et atténuer la tristesse que devait leur

occasionner son départ, promit de leur envoyer

le Paraclet : « Je vous dis la vérité : il vous es4

 

 

 

56 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

expédient que 'e m'en aille, car si je ne m'en vais

pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si

je m'en vais, je \ou& VenverraV. Quand sera venu

le Paraclet, que je vous enverrai du Père, l'Esprit

de vérité qui procède du Père, il vous rendra

témoignage de moi, et vous aussi vous me ren-

drez témoignage, car vous êtes avec moi dès le

commencement'. »

 

Il leur disait encore : « Si vous m'aimez,

gardez mes commandements, et, à ma prière, le

Père vous donnera un autre Paraclet, pour qa'il

demeure éternellement avec vous ; l'Esprit de vé-

rité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne

le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, ^ous

le connaîtrez, parce qu'il sera en vous et y fixera

son séjour. Je ne vous laisserai pas orphelins, je

viendrai à vous 3. » Ce nouveau consolateur que

Jésus-Christ promet ici n'est autre que le Saint-

Esprit, l'Esprit de vérité, comme il l'appelle,

c'est-à-dire l'Esprit du Fils, qui est lui-même la

 

 

 

1. « Ego veritatem dico vobis : Expedit vobis ut ego

vadam ; si enim non abiero, Paraclitus non véniel ad vos ;

si autem abiero, mittam eum ad vos. » (Joan., xvi, 7.)

 

2. « Cum autem venerit Paraclitus, quem ego mittam vobis

a Pâtre, Spiritum veritalis, qui a Pâtre procedit ; ille tesli-

monium perhibebit de me. Et vos testimonium perhibebi-

tis, quiaab initio mecum eslis. » (Joan., xv, 26-27.)

 

3. « ST diligiti«me, mandata mea servate. Et ego rogabo

Patrem, et alium Paraclitum dabit vobis, ut maneat vobis-

cum in aeternum; Spiritum veritatis, quem mundus non

potest accipere, quia non videteum, nec scit eum ; vos autem

cognpscetis eum, quia apud vos manebit, et in vobis erit.

Non relinquam vos orphanos; veniam ad vos. » (Joan., xiv,

i5-i8.)

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 67

 

vérité substantielle : Ego sum veritasK Tant qu'il

-était au milieu d'eux, le divin Maître consolait

lui-même ses disciples; mais son départ devant

les laisser exposés à de nombreuses tribulations,

il leur promet un autre consolateur, l'Esprit-Saint,

qu'il leur enverra du Père.

 

Cette mission du Saint-Esprit, cette donation

du Paraclet, que Jésus promettait aux siens, ne

devait pas être l'apanage exclusif des Apôtres,

mais la dot commune de tous ceux qui, par la

grâce, deviennent enfants de Dieu. En effet,

écrivant aux Galates, saint Paul leur disait :

(( Parce que vous êtes ses enfants, Dieu a envoyé

dans vos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie :

Père, Père 2. » — a Non pas un esprit de crainte et

de servitude , mais l'esprit d'adoption des

enfants \ » — a La charité de Dieu a été répan-

due dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous

a été donné \ »

 

Et ce n'est pas seulement l'Esprit-Saint qui nous

est envoyé et donné par la grâce, et avec la grâce,

mais la sainte Trinité tout entière vient habiter

notre âme et y faire sa demeure. Notre-Seigneur

le dit formellement dans l'Evangile selon saint

Jean : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma

 

 

 

 

 

1. vie de sainte Thérèse écrite pnr elle-même, c. xvin; tra-

duction du R P. Marcel Bouix, S. J.

 

2. S. Th., Samma. TheoL, l, q. xliii, a. 3, obj. i *.

 

3. Ibid., in corp. art.

 

 

 

\!i NATURE DE LA PHKSENCE DE DIEU

 

 

 

II

 

Et de fait, l'Ecriture est tellement claire, telle-

ment explicite, tellement formelle sur ce point,

dans une multitude de passages, qu'il paraît

impossible, sans faire violence au texte, de ne

pas admettre la réalité de cette habitation. Ainsi

quand l'apôtre saint Paul, écrivant aux fidèles de

Corinthe et de Rome, leur disait : « Ne savez-

vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que

TEsprit de Dieu habite en vous ^ ? — Ignorez-

vous que vos membres sont le temple de l'Esprit-

Saint, qui est en vous, que vous tenez de Dieu,

et que vous ne vous appartenez pas 2 ? — Si

quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il n'est pas

son vrai disciple... Mais si l'Esprit de celui qui

a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts habite

en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ

rendra aussi la vie à vos corps mortels à cause

de son Esprit qui habite en vous* » ; est-il pos-

sible à tout esprit non prévenu de ne pas recon-

naître, dans les membres vivants de Jésus-Christ,

la présence réelle, effective, personnelle de l'Es-

 

 

 

1. « nescitis quia templum Dei estis. et Spiritus Dei habi-

tat in vobis? » {I Cor., m, 16.)

 

2. « An nescitis quoniam membra vestra templum sunt

Spiritus Sancti, qui in vobis est, quem habetis a Deo, et

non estis vestri? » (I Cor., vi, 19).

 

3. « Si quis Spiritum Christi non habet, hic non est

ejus... Quod si Spiritus ejus qui suscitavit Jesum a mortuis,

habitat in vobis ; qui suscitavit Jesum Christum a mortuis,

N-ivificabit et mortaiia corpora vestra, propter inhabitantem

Spiritum ejus in vobis. » (Rom., viii., 9-1 1.)

 

 

 

NATUKE DE LA PRÉSENCE DE DIEU 85

 

prit-Sainl, et de ne voir, dans cet Esprit qui est

en nous, que nous tenons de Dieu, et qui habite

nos âmes devenues son temple, rien autre chose

que des dons créés?

 

Mais si le grand Apôtre avait voulu réellement

affirmer la présence substantielle de l'Esprit-

Saint dans les justes, comment aurait-il pu

s'exprimer d'une façon plus nette et plus lim-

pide? Et par contre, quel singulier langage que

le sien, si, en déclarant que nous sommes le

temple de l'Esprit-Saint, qui est en nous, qui habite

en nous, qui nous a été donné par Dieu, il voulait

simplement nous donner à entendre que Dieu

a déposé dans notre âme le don créé de la

grâce ! Mais c'est à Dieu qu'on élève un temple

et non a ses dons. De plus, une créature ne

devient pas la maison de Dieu parce qu'elle est

ornée des dons divins ou que Dieu opère en elle,

mais bien parce qu'elle est consacrée pour être

vraiment la demeure et l'habitacle de la Divinité.

 

Puis donc que rien ne nous oblige ici à don-

ner aux termes scripturaires une signification

violente et détournée, un sens figuré que tout

réprouve, ce serait aller contre les règles les plus

élémentaires de l'exégèse que de ne point con-

server aux expressions qui indiquent la présence

réelle de l'Esprit-Saint dans les âmes justes leur

sens naturel et obvie.

 

De même, quand Notre-Seigneur promet à ses

Apôtres un consolateur autre que lui, alium

Paraclitum^, l'Esprit de vérité qui procède du

 

 

 

1. Joan., XIV, i6.

 

 

 

8B NATURE DE LA PIlÉSENCP DE DIEU

 

Père, Spiritum veritatis qui a Pâtre procedit i, et

qui doit rendre témoignage au Christ, ille testi-

monium perhibebit de me *, est-il possible de

prendre ces paroles dans un sens métonymique,

et de n'y voir que la promesse du don de la

grâce? Mais la grâce nest pas un consolateur;

elle ne peut pas témoigner en faveur de quel-

qu'un; elle ne procède pas du Père, mais de

toute la sainte Trinité ; et si l'on veut en attribuer

la collation à une personne divine en vertu de

la loi d'appropriation, ce n'est pas au Père, mais

à TEsprit-Saint qu'il faut l'attribuer.

 

Enfin quand, après sa résurrection, Jésus-

Christ souffla sur les Apôtres en leur disant :

« Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront

remis à qui vous les remettrez, ils seront retenus

à qui vous les retiendrez ^ », faudra-t-il ne voir là

encore qu'une figure de langage?

 

Pour prévenir cette interprétation amoindrie

des Ecritures et nous donner de sa mission

invisible une notion plus exacte, TEsprit-Saint a

pris la précaution de nous dire, par l'organe de

l'Apôtre, que, dans l'œuvre de notre justification,

ce n'est point seulement la grâce et la charité

créée qu'il répand dans nos cœurs, mais qu'il y

vient lui-même en se donnant personnellement

à nous : Charita^ Dei diffusa est in cordibus nostrU

per Spiritum Sanctum qui datas est nobis ^.

 

 

 

1. Joan., XV, 36.

 

2. Ibid.

 

3. Joan., XX, 22-a3.

 

4. Rom.. V, 5.

 

 

 

IIAÏURE DE LA PBÉSEBiîGE DE DIEU 87

 

Impossible de s'y méprendre ou de tergiverser;

le don créé est ici parfaitement distingué du

donateur; la charité est répandue dans nos

cœurs, l'Esprit-Saint nous est donné ; l'un et

l'autre nous sont communiqués. Aussi saint

Paul nous représente-il, à plusieurs reprises,

le Saint Esprit comme un sceau imprimé sur nos

âmes, comme le gage de la gloire céleste, ou mieux

encore, comme les arrhes de notre béatitude*.

Sur quoi saint Augustin fait cette remarque :

« Que sera donc la chose elle-même qui nous est

promise, si le gage est si précieux? ou plutôt ce

n'est pas un gage, ce sont des arrhes. Car le

gage, donné en nantissement, se reprend quand

la dette est payée, tandis que les arrhes, faisant

partie de la chose promise et étant un commen-

cement de paiement, ne se reprennent pas, mais

se complètent*. » C'est donc bien réellement la

personne même du Saint-Esprit qui vient en

nous avec la grâce.

 

 

 

1. -« ïn quo (Christo) et credentes signatî estîs Spiritu

promissionis sancto, qui est pignus (le grec porte appajSrav,

les arrhes) haereditatis Bostrae. » (Eph., i, i3-i4.)

 

« Unxit nos Deus, qui et signavit nos, et dédit pignus

Spiritus in cordîbus nostris. » (II Cor., i, 31-22.)

 

2. « Qualis res est, si pignus taie est! Nec pignus, sed

arrha dicendus est. Pignus enim quando ponitur, quum

fuerit res ipsa reddita, pignus aufertur. Arrha autem de

ipsa re datur quae danda promittitur, ut, res quando reddi.

tuT, impleatur quod datum est, non mutetur. » (S. Aug.,

De Verbis Apost., sermo xiii.)

 

 

 

8S NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

 

 

III

 

 

 

Les saints Pores ne sont ni moins affîrmatifs ni

moins clairs que FEcriture, pour enseigner que

la mission proprement dite d'une personne

divine — nous parlons de la mission invisible

— entraîne, en outre de la collation d'un don

créé, la présence effective et substantielle de cette

personne. Aussi saint Augustin, parlant de l'effu-

sion du Saint-Esprit qui eut lieu le jour de la

Pentecôte, s'exprime de la manière suivante :

(( L'Esprit-Saint vint donc en ce jour à ses

fidèles, non plus par une simple opération ou

une grâce de visite, mais par la présence même

de sa majesté; et ce ne fut pas seulement

l'arôme du parfum sacré, mais sa substance

même qui s'éco/a dans le vase de leurs cœurs i. »

Que dire de plus formel et de plus gracieux en

même temps?

 

Dans leurs controverses avec les ariens et les

macédoniens, les saints Pères alléguaient fré-

quemment l'habitation du Fils et du Saint-Esprit

dans les âmes comme une preuve manifeste de

leur divinité. Et la raison est assurément excel-

lente ; car pour habiter dans une âme, pour pro-

duire et conserver en elle la grâce sanctifiante,

 

 

 

I. « AfTuit ergo în hac die fidelibus suis, non jam per

gratiam \isitationis et operationis, sed per praesentiam

majestatis; atque in vasa non jam odor basalmi, sed Ipsa

substantia sacri defluxlt unguenti. » (S. Aug., sermo i85,

de Temp.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 8g

 

il est nécessaire de pénétrer dans l'essence même

de cette âme, ce qui est le propre de la Divinités

Voici comment Didyme l'Aveugle, ce docteur

d'Alexandrie qui y voyait si clair dans les choses

de Dieu, proposait cet argument dans son traité

jadis fameux Du Saint-Esprit, où, suivant l'expres-

sion de saint Jérôme, les Latins ont puisé tout

ce qu'ils ont dit sur cette matière : « Il y aurait

de l'impiété à mettre le Saint-Esprit au rang des

créatures. Un être créé n'habite pas dans un

autre ; les arts et les sciences, les vertus et les

vices, habitent en quelque manière en nous, mais

comme des qualités accidentelles, et non comme

des substances... Or, c'est la propre substance

du Saint-Esprit qui habite dans les justes et qui

les sanctifie, et il n'appartient qu'aux trois per-

sonnes de la Trinité de pouvoir, par leur sub-

stance, pénétrer dans les âmes*. » '

 

 

 

1. « Opcrari aliquem effeclum contingit dupliciter : uno

modo per modum principalis agenlis ; alio modo per mo-

dum inslrumenti. Primo quidem modo, solus Deus opera-

tur interiorem effectum sacramenti : tum quia solus Deus

illabitur animae, in qua sacramenti effectus existit; non

autem potest aliquid immédiate operarî ubi non est ; tum

quia gratia, quae est interior sacrament effectus, est a solo

Deo. » (S. Th., Summma TheoL, 111, q. lxiv, a. i.)

 

2. « Cum ergo Spiritus Sanctus, similiter ut Pater et

Filius, mentem et interiorem hominem inhabitare docea-

tur, non dicam ineptum, sed impium est eum dicere

creaturam. Disciplinas quippe, vlrtutes dico et artes... et

affectus in animabus habitare possibile est : nor tamen ut

substantivas, sed ut accidentes. Greatam vero naturam in

sensu habitare impossibile est. » (Didymus, De Spirita

Sancto, n. a5.)

 

 

 

go NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

Et prévenant l'objection qu'on aurait pu lui

faire, en opposant à son sentiment les paroles

de l'Évangile où il est dit que Satan entra dans

le cceur de Judas : Post baccellam introivit in enm

Saionas^, il répond que Satan y entra, non par^

sa substance, ce qui n'appartient qu'à Dieu,

mais par son opération, c'est-à-dire par ses sug-

gestions perfides et ses déceptions pleines de

malice ^.

 

C'est la doctrine que devait embrasser et sou-

tenir plus tard saint Thomas, lequel prouve, à

la suite de Didyme, la divinité du Saint-Esprit

par le fait de son habitation dans les âmes^.

Quant au démon, il peut bien, il est A^ai, péné-

trer dans le oorps, en mouvoir les membres

malgré la résistance de la volonté, agir sur les

sens et sur l'imagination el indirecLi^ment sur la

 

 

 

1. Joan., XIII, 27.

 

2. « Introivit ergo Satanas, non sccuncl'nm substnntiam,

sed secundum operationem ; quia introire in aliquem,

increatae naturae est, ejus quae participatur a pluribus...

Non ergo participatione naturae, sive substantiae; implet

quempiam diabolus, aut ejus habitator effîcitur, sed per

fraudulentiam et deceptionem et malitiam habitaie in eo

creditur quem replevit. »> (Didymus, De Splritu Sanato,

n. 61.)

 

3. « Si Spiritus Sanctus non est Deus, oportet quod sit

aliqua creatura. Planum est autem quod non est creatura

corporalis, nec etiam spiritualis; nulla enim creatura spiri-

tuali creaturae infunditur, cum creatura non sit participa-

bilis, sed magis participans; Spiritus autem Sanctus infnn-

ditur sanctorum mentibus, quasi ab eis parlicipatus : le-

gitur enim et Ghristus (eo) plenus fuisse, et etiam Apostoli.

Non est ergo Spiritus Sanctus creatura, sed Deus. » (S. Th.»

Contra Gent., 1. IV, c. xvii.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSE?sCE DE DIEU

 

 

 

91

 

 

 

volonté, comme on le voit dans les énergu-

mènes; mais il ne saurait envahir le fond de

notre être, ni pénétrer, au moins directement,

dans le sanctuaire de l'intelligence et de la

volonté. Si donc il entre dans le cœur de quel-

qu'un, ce n'est point par sa substance, mais par

les effets de sa malice : par les pensées mau-

vaises qu'il inspire, les actes criminels qu'il

suggère et qu'il ne réussit que trop souvent à

faire accomplir'. C'est le privilège exclusif et

inaliénable de Dieu, la suite naturelle de son

action créatrice et conservatrice, la conséquence

de son absolue souveraineté sur les esprits créés,

de pouvoir pénétrer, par sa substance, jusqu'au

plus intime de leur être pour le soutenir, eti

 

 

 

I. « Sic ergo, cum ex prsemissîs auctoritatibus multipll-

citer appareat Spiritum Sanctum non esse creaturam, sed

verum Deum, manifestum est quod non cogimur dicere

«odem modo esse intelligenduin quod Spiritiig Sanctus

mentes sanctorum impleat et eos inhabitet, sicut diabolos

aliquos implere vel inhabitare dicitur. Habetur enim de

Juda quod post buccellam introivit in eum Satanas (Joan.,

XIII, 27) : et dicit Petrus, ut quidam libri habent : Anania,

cur implevit Satanas cor taum? (Act., v, 3.) Cum enim dia-

bolus creatura sit, non implet aliquem participa tione sui,

neque potest mentem inhabitare sua participatione vel per

suam substantiam, sed dicitur aliquos implere per effectum'

suae malitiœ ; unde et Paulus dicit ad quemdam : plene

omni dolo et omnifallacia, fili diaboli. (Act., xiii, 10.) Spiri-

tus autem Sanctus, cum Deus sit, per suam substantiam

mentem inhabitat et sui participatione bonos facit; ipse est

enim sua bonitas, cum sit Deus; quod de nulia creatura

verum esse potest. Nec tamen per hoc removetur quin per

effectum suse virtutis sanctorum impleat mentes. » (S. Th.,

<lontra Gent., 1. IV, c. xviii.)

 

 

 

92 NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

dans le sanctuaire de la volonté, pour la faire

agir à son gré, l'inclinant directement et immé-

diatement à tel ou tel acte sans jamais lui faire

violence ^ conformément à ces paroles de lÉcri-

ture : « Cor régis in manu Domini, quociimque

volaerit, inclinahit illad^ : Le cœur du roi est

dans la main du Seigneur, il l'inclinera où il

voudra. »

 

Saint Cyrille d'Alex-andrie consacre tout un

dialogue à prouver que l'Esprit-Saint habite en

nous, et nous rend, par son union avec notre

âme, participants de la nature divine. S'adressant

à son interlocuteur, Hermias, il lui demande ;

« Ne dit- on pas que l'homme est fait à l'image

de Dieu? — Sans aucun doute, répond Hermias.

— Or, qui imprime en nous cette image, sinon

l'Espiit Saint? — Oui, mais ce n'est pas en tant

que Dieu, c'est comme simple dispensateur de

la grâce. — Alors ce n'est pas lui-même qui

s'imprime comme un sceau sur notre âme, il se

contente d'y graver la grâce? — C'est ce qui

me semble. — Il faut alors appeler l'homme

l'image de la grâce, et non l'image de Dieu 3. »

 

 

 

1. S. Th., Quxst. disput. de verit., q. xxii, a. 8 et 9.

 

2. Prov., XXI, I.

 

3. « A. Nonne ad imaginem Dei fabricatum esse in terra

hominem dicimus? — B. Quis dubitat? — A. Quod autem

divinam nobis imprimit imaginem et signaculi instar supra-

mundanam pulchritudinem inserit, nonne Spiritus est? —

B. At non tanquam Deus, sed tanquam divinae gratia&

subministrator. — A. Non ipse itaque in nobis, sed per

ipsum gratia imprimitur? — B. Ita videtur. — A. Oportet

igitur imaginem gratiae, non imaginem Dei vocari homi-

nem. » (S. Cyril. Alex., Dial, 7 de Trinit.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 9^

 

Nous serions interminable si nous voulions

rapporter, même sommairement, les innombra-

bles passages où les saints Pères établissent la

réalité de l'habitation du Saint-Esprit dans nos

âmes ; ils abondent sur ce point en comparai-

sons aussi gracieuses que variées.

 

Suivant eux, TEsprit-Saint est un parfum

(l'Église dit : une onction spirituelle, spiritalis

anciio) dont les suaves et pénétrantes émana-

tions s'insinuent dans nos âmes pour les impré-

gner, les transformer, les diviniser et les rendre

capables de répandre autour d'elles la bonne

odeur de Jésus-Christ : Christi bonus odor suinas

Deo (II Cor., n, i5)i.

 

C'est un sceau qui nous marque à l'eflîgie de

Dieu, qui réforme en nous l'image divine dété-

riorée par le péché, de même qu'un cachet

imprime sa ressemblance sur la cire qu'il presse*.

 

 

 

1. « Si aromatum fragrantia propriam vim in vestes

exprimit, et ad se quodammodo transformat ea in quibus

inest : quomodo non possit Spiritus Sanctus, quandoqui-

dein ex Deo naturaliter existit, divinae naturae participes

illos facere per seipsum in quibus insit? » (S. Cyril. Alex.^

1. XI, in Joan., c. 11.)

 

2. « Signati estis Spiritu promissionis Sando. Si Spiritu

Sancto signati ad Deum reformamur, quomodo erit crea-

tum id per quod divinae essentiae imago et increatœ naturae

signa nobis imprimuntur? Neque enim Spiritus Sanctus,

pictoris instar, in nobis divinam essentiam depingit, aliud

quidpiam ab illa existens; neque hoc modo nos ad Dei

similitudinem ducit ; sed quod ipse sit Deus et ex Deo pro-

cédât, in cordibus eorum qui ipsum suscipiunt velut in

cera Invisibiliter instar sigilli imprimitur, et naturam suam

per communicationem et similitudinem sui ad archetyp

pulchritudinem depingit, Deique imaginera homini resti-

tuit. » (S. Cyril., Thésaurus, assertio xxxiv.)

 

 

 

^94 NATUUE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

Ou plutôt : à l'instar de l'homme qui imprime

le caractère de ses idées aux matières qu'il

façonne, l'Esprit- Saint, ce sceau de Dieu,

s'imprime lui-même dans les âmes, avec cette

différence pourtant, que le caractère divin qui

nous est communiqué est vivant et fait de nous

les vivantes images de la substance divine ^ !

 

C'est un feu qui nous pénètre, comme le feu

naturel pénètre le métal jusque dans ses plus

intimes profondeurs et lui communique ses pro-

priétés, son éclat, sa chaleur, son rayonnement,

sans toutefois changer sa nature '.

 

 

 

I. (c Quod si homines ad similitudineTn informare mate-

rias nequeunt aliter, nisi ideas ipsorum participent : quo-

modo ad Dei simllitudinem ascendat creatura, nisi divini

characteris sit particeps? Divinus porro charactcr non talis

est, cujusmodi est humanus, sed vivens et vere exislens imago,

imaginis effectrix, qua omnia quae participant, imagines

Dei constituuntur, » (S. Bas., 1. V, Contra Eiinom.)

 

a. « Sicut fcrrum quod in medio ignejacet, ferri naturam

non amisit, vehementi tamen cum igné conjunctione igni-

tura, quum universam ignis naturam acceperit, et colore, et

calore, et actione ad ignem transit; sic sanctae virtutes ex

communione quam cum illo habent qui natura sanctus

est, per totam suam subsistentiam acceptam et quasi inna-

tam sanctificationem habent. Diversitas vero ipsis a Spiritu

Sancto hœc est, quod Spiritus natura sanclitas est, illis

vero participatione inest sanctificatio. » (S. Bas., I. III,

Contra Eunom.)

 

« Accipe exemplum corporeum, parvum quidem et facile,

sed utile simplicioribus. Si ignis per ferri crassitudinem

interius penetrans, totum illud ignem efficit, adeo ut quod

erat frigidum, fiât ferveiis, et quod nigrum erat, fiât splen-

didum; si ignis, cum sit corpus, in ferri corpus subiens,

obstante nullo agit : quid miraris, si Spiritus Sanctus in

intimos animae recessus ingreditur? » (S. Cyril. Hieros,,

Gatech. 17.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 9&

 

C'est un or très pur qui dore pour ainsi dire

les âmes et les rend souverainement belles aux

yeux, de Dieu et de ses anges ^.

 

C'est une lumière qui, tombant sur les âmes

pures comme les rayons du soleil sur un cristal

transparent, les rend elles-mêmes lumineuses et

capables de répandre autour d'elles la grâce et

la charité'.

 

C'est un hôte plein de douceur, dulcis hospes

animae, qui vient en nous pour nous réjouir par

sa présence, pour converser familièrement avec

nous, nous incliner au bien, nous consoler dans

nos peines, nous enrichir de ses dons ; mais un

hôte qui, étant Dieu, veut un temple pour

demeure. Aussi consacre-t-il notre âme par sa

grâce, afin qu'elle devienne de la sorte un habi-

tacle digne de lui '.

 

 

 

1. « Quod igitur nos, in terra, filionim gloria veluti

deaurat, hoc est Spiritus Sanctus. » (S. Cyril. Alex., Dial. 7

de Trinit.)

 

2. « Spiritus cum anima conjunctio non fit appropin-

quando secundum locum... Hic eis qui ab omni sorde pur-

gati sunt illucescens per coinmunionem cum ipso spiritua*

les reddit; et quemadmodum corpora nitida ac pellucida

incidente eis radio fiunt et ipsa splendida, et alium fulgo-

rem «x sese profundunt ; ita animée quae Spiritum in s©

habent illustranturque a Spiritu, fiunt et ipsae spirituales,

et in alios gratiam emittunt. » (S. Bas., De Spirilu Sancto,

c. IX, n. 23.)

 

3. « Eam ob rem dii nuncupamur, non gratia solum ad

supernaturalem gloriam evecti, sed quod Deum jam in

nobis habitantem atque diversantem habeamus juxta illud

Prophetae : Quia inhabitabo in ipsiS) et inambalabo inter eos

(Levit., XXVI, 12). Alioqui respondeant, quœso, nobis qui

tanta pleni sunt inscitia, quomodo templa Dei sumus.

 

 

 

gÔ NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

Enfin, c'est Dieu donnant à notre âme une

forme divine, Dieu se faisant la vie de notre

âme, comme l'âme elle-même est la vie de notre

chair ; non pas sans doute que l'Esprit-Saint soit

le principe formel de notre vie surnaturelle,

mais il en est la cause efficiente et intérieure ^.

 

 

 

IV

 

 

 

Devant une telle nuée de témoins, tanlam

hahenies imposiiam nubem iestium \ en face de

témoignages si nombreux, si autorisés, si expli-

 

 

 

juxta Paulum, inhabitantem in nobis Spîrîlum habentes,

nisi Spiritus sit natura Deus. » (S. Cyril., in Euang. Joan.^

 

I. 9-)

 

« Si templum Dei, ob illam Sancti Spiritus habitationem,

vocemur, quis Spiritum repudiare audeat, et a Dei substan-

tia rejicere, cum diserte hoc Apostolus asserat, templum

nos esse Dei, propter Spiritum Sanctum, qui in dignis

habitat? » (S. Epiphan., Hœres., 74, n. i3.)

 

1. « Quatenus Spiritus Sanctus vim habet perficiendi

rationales creaturas absolvens fastigium earum perfectio-

nis, formae rationem habet. Nam qui jam non vivlt secun-

dum carnem sed Spiritu Dei agitur, et filiusDei nominatur,

et conformis imagini Filii Dei factus est, spiritualis dici-

tur. Et sicut Ais videndi in sano oculo. ita est operatio Spi-

ritus in anima munda. » (S. Bas., De Spiritu Sancto, c. xivi,

n. 61.)

 

« Unde vivit caro tua? De anima tua. Unde vivlt anima

tua? De Deo tuo. Unaquaeque harum secundum vitamsuam

\1vat : caro enim sibi non est vita. sed anima carnis est

vita; anima sibi non est vita, sed Deus est animae vita. »

{S. Aug.. Sermo i56, c. vi, n. 6.)

 

2. Hebr.. xn, 1.

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 97

 

rit-as, est-il possible de contester encore le fait

d'une présence vraie, réelle, substantielle de

TEsprit-Saint dans les âmes sanctifiées par la

grâce? AA^ec quel amour les fidèles des premiers

siècles embrassaient cette consolante et précieuse

vérité, avec quelle foi et quelle intrépidité ils la

confessaient au besoin devant les tribunaux,

l'histoire si touchante de sainte Lucie nous le

rappellerait au besoin.

 

L'illustre vierge de Syracuse venait de faire

distribuer aux pauvres la riche dot que sa mère

avait mise en réserve pour son mariage. Informé

de cette conduite et outré de dépit, le jeune sei-

gneur qui avait demandé sa main et auquel

Lucie avait été fiancée contre sa volonté la

dénonça au préteur Paschase. Celui-ci fit arrêter

sur-le-champ la jeune vierge, et lorsqu'elle com-

parut devant son tribunal, il n'épargna rien

pour lui persuader de renoncer à la religion

chrétienne, qu'il appelait une vaine superstition,

et de sacrifier aux dieux. « Le vrai sacrifice que

nous devons offrir, lui répondit Lucie, c'est de

visiter les veuves et les orphelins, et d'assister

les pauvres dans leurs besoins. Il y a trois ans

que j'offre ce sacrifice au Dieu vivant, et il ne

me reste plus qu'à me sacrifier moi-même

comme une victime qui est due à sa divine

Majesté. — Dites cela aux chrétiens, répliqua

Paschase, et non pas à moi, qui suis obligé de

garder les édits des empereurs mes maîtres. »

Sainte Lucie lui répondit avec une merveilleuse

constance : « Vous gardez les lois de ces princes,

et moi celles de mon Dieu; vous craignez les

empereurs de la terre, et moi celui du ciel; vous

 

HAB. SAIM-r;»PRlT. — 7

 

 

 

9 8 NATURE DE LA PRÉSE-\CE DE DIEU

 

avez peur d'offenser un homme, et moi je redoute

le Roi immortel ; vous désirez plaire à vos

maîtres, et moi à mon Créateur; ne pensez pas

pouvoir me séparer de l'amour de Jésus-Christ.

— Tous ces discours finiront, dit le préteur

impatienté, quand on en viendra aux coups. —

Les paroles, repartit la jeune et intrépide vierge,

ne sauraient manquer à ceux à qui Jésus-Christ

a dit : Lorsque vous serez traduits devant les rois

et les présidents, ne vous inquiétez pas de ce que

vous leur répondrez ni de la manière de le faire;

vous trouverez à l'heure même sur vos lèvres ce

que vous aurez à dire ; car ce n'est pas vous qui

parlerez, mais le Saint-Esprit parlera par votre

bouche. — Vous croyez donc que le Saint-Esprit

est en vous ? — Ceux qui vivent pieusement et

chastement sont le temple de l'Esprit-Saint. —

Hé bien! dit Paschase, je vous ferai conduire

dans un lieu infâme afin que le Saint-Esprit vous

abandonne. — La violence extérieure faite au

corps n'ôte rien à la pureté de Tâme ; et si vous

ii.e faites outrager, j'aurai au ciel une double

couronne... » On sait la fin de l'histoire et com-

ment Dieu, par un miracle, sauva l'honneur de

son épouse.

 

Autre fait non moicis touchant. Eusèbe raconte

de Léonidès, père d'Origène, que durant la nuit,

pendant que l'enfant dormait, le pieux chrétien

qui devait bientôt devenir martyr s'approchait

doucement de son fils et, lui découvrant reli-

gieusement la poitrine, la baisait avec respect

c^^wme un sanctuaire où résidait l'Esprit-Safint.

Concluons donc, avec les théologiens et les

saints, qu'une âme en état de grâce n'est paç

 

 

 

NATUBE DE LA PRÉSE\CE DE DIEU QQ

 

seulement ornée d'un don créé et souveraine-

ment précieiix, qui la rend participante de la

nature divine, mais qu'elle possède encore véri-

tablement la présence du Saint-Esprit. Le môme

instant physique la met en possession de ce

double trésor ; toutefois nous pouvons, à la suite

de saint Thomas, distinguer, entre la collation

du don créé et celle du don incréé, une double

priorité de raison, suivant le genre de causalité

auquel ils appartiennent. Si nous considérons la

grâce comme une disposition préalable, comme

une préparation nécessaire à la venue de l'hôte

divin, c'est elle qui nous est communiquée tout

d'abord, car la disposition précède naturelle-

ment la forme ou la perfection à laquelle elle

prépare ; si, au contraire, nous considérons

TEsprit-Saint comme l'auteur de la grâce et le

terme auquel elle est ordonnée, c'est lui qui nous

est donné le premier. Et voilà, remarque saint

Thomas, ce qui, absolument parlant, est vrai-

ment primordial : Et hoc est simpliciter esse

priusK

 

Enfin, ce qui met véritablement le comble aux

 

 

 

I . « Ordo aliquorum secundum naturam potest duplici-

ter considerari. Aut ex parte recipientis vel materiae, et sic

dispositio est prior quam id ad quod disponit; et sic per

prius recipimus dona Spiritus Sancti quam ipsum Spiritum,

quia per ipsa dona recepta Spiritui Sancto assimilamur.

Aut ex parte agentis et finis ; et sic quod propinquius erit

fini et agenti dicitur esse prius : et ita per prius recipimus

Spiritum Sanctum quam dona ejus, quia et Filius per amo-

rem suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse

prius, )) (S. Th., Sent. 1. I, d'st. i4, q. n, a. i, quœst^* 2

sol. 2..)

 

 

 

lOO NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

divines libéralités, c'est que ce n'est pas seule-

ment une fois dans la vie, à l'heure solennelle

de notre justification, que nous recevons le

Saint-Esprit; il y a encore mission invisible et

donation de sa divine personne à chaque nou-

veau progrès que nous faisons dans la vertu, à

chaque accroissement de la grâce et de la cha-

rité : par exemple, lorsque nous recevons les

sacrements avec les dispositions requises, ou

que, sous l'influence de la grâce actuelle, nous

produisons des actes de charité plus fervents;

lorsqu'un chrétien renonce au siècle pour em-

brasser un état de perfection ou qu'il affronte le

martyre pour la défense de sa foi i.

 

Esprit-Saint, combien de fois n'êtes-vous pas

venu dans mon âme! Avec quel incompréhen-

sible amour n'avez-vous pas daigné y fixer votre

demeure! Et je ne le savais pas ; ou, du moins,

cette adorable vérité ne m'apparaissatt que d'une

manière vague et confuse comme dans un rêve.

Aussi quel accueil avez-vous reçu ! Et cependant

vous ne m'avez point abandonné. Daignez, je

vous en conjure, me donner, avec l'intelligence

de vos dons, un cœur pur et vraiment filial, afin

 

 

 

I. « Secundum profectum virtutis aut augmentum gra-

tiae fil missio invisibilis.... sed tamen secundum illud

augmentum gratiœ praecipue missio invisibilis attenditur,

quando aliquis proficit in aliquem novum actum, vel no-

Yum statum gratiae ; ut puta cum aliquis proficit in gra-

tiam miraculorum, aut prophétise; vel in hoc quod ex

fervore charilatis exponit se martyrio, aut abrenuntiat his

quse possidet, aut quodcumque opus arduum aggreditur. »

(S. Th.. Summa TheoL, 1, q. xuii, a. 6, ad a.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU lOI

 

que mon âme vous fasse fête à chacune de vos

visites, qu'elle mette sa joie et son bonheur à

vous recevoir, à vous tenir compagnie, qu'elle

oublie tout le créé pour ne plus se souvenir que

de vous, son hôte plein de douceur, son ami, son

consolateur ici-bas, en attendant que vous soyez

un jour l'objet de sa béatitude.

 

Il est, en effet, une dernière mission de

l'Esprit-Saint qui nous est réservée pour le mo-

ment de notre entrée au ciel et de la prise de

possession du souverain Bien^. Alors ce divin

Esprit viendra en nous non plus dans lombre

et le mystère, mais dans la pleine lumière et les

clartés de la vision ; il se donnera à notre âme

d'une manière parfaite et consommée; il s'ins-

tallera définitivement en elle pour être éternel-

lement, avec le Père et le Fils, sa joie et sa féli-

cité.

 

 

 

Comment faut-il entendre et expliquer cette

présence spéciale, cette venue itérative de l'Esprit-

Saint dans les âmes justes? C'est ce qui fera

l'objet d'un chapitre ultérieur, qu'il nous suffise

pour le moment d'avoir constaté le fait.

 

Une dernière question avant de clore le pré-

sent chapitre. De quel nom faut-il appeler

l'union établie par la grâce entre notre âme et

 

 

 

I. « Ad beatos est facta missio in ipso principio bea-

titudlnis. » (S. Th., Summa Theol.,l, q. xliii , a. 6, ad 3.)

 

 

 

103 NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

TEsprit-Saint? Est-ce une union substantielle,

semblable à celle qui existe eiUre notre corps et

notre âme, ou une simple union par accident,

analogue à celle qui existe entre le cavalier et

sa monture, entre le vase et la liqueur qu'il con-

tient?

 

Pour écarter plus efficacement l'erreur de ceux

^i restreignent la mission d'une personne

divine à la collation de dons créés, certains

théologiens et publicistes n'ont pas craint de

donner au rapprochement que la grâce établit

entre le Saint-Esprit et l'âme juste le nom d'union

substantielle', mais cette locution doit être abso-

lument mise de côté, comme inexacte et capable

d'engendrer une idée fausse ; et si le choix de

vocables traduisant fidèlement la pensée doit

être, en toute circonstance, l'objet d'une sérieuse

attention, c'est surtout dan.s un ordre de ques-

tions si difficiles et si délicates, où tout est de

conséquence, qu'il importe d'éviter avec le plus

grand soin les expressions fausses ou incorrectes.

Or, une union substantielle, c'est, à parler rigou-

reusement, celle qui a pour terme une unité de

substance, soit que l'on prenne le mot de sub-

stance pour désigner une nature substantielle,

soit qu'on l'emploie pour signifier une personne

ou un suppôt 1.

 

L'homme nous fournit un exemple de cette

double unité substantielle : car de l'union du

 

 

 

1. « Substantia dupliciter dicitur, uno modo pro esscntia

sive natura; alio modo pro supposito, sive hypostasi. »

îàTxh., Samma Theol, lil, q. ii, a. 6, ad 3.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSENC-E DE DIEU Io3

 

corps et de l'âme résulte en lui une seule nature

et une seule personne. En Jésus-Christ il y a deux

natures et une seule personne, parce que ces deux

natures n'ont qu'une subsistance, celle du Verbe

qui, en prenant la nature humaine, se l'est unie

substantiellement. Rien de semblable entre notre

âme et FEsprit-Saint; leur union ne supprime ni

la dualité des natures ni la distinction des per-

sonnes. Gardons-nous donc de parler ici d'union

substantielle, et servons-nous exclusivement des

termes de présence substantielle, d'habitation vraie

et réelle, qui ont l'avantage de traduire exacte-

ment la doctrine de l'Écriture et l'enseignement

théologique ; ils disent toute la vérité sans expo-

ser le lecteur à des méprises dangereuses.

 

 

 

CHAPITRE III

 

 

 

Mode de cette présence

 

Ce n'est plus seulement en qualité d'agent que

Dieu est dans l'âme juste, c'est à titre d'hôte et

d'ami, comme objet de connaissance et d'amour.

 

 

 

C'est une vérité incontestable, hautement

afiRrmée par la sainte Écriture, les Pères et les

théologiens : en versant la grâce dans nos âmes,

l'Esprit-Saint y vient lui-même personnellement

et s'y établit à demeure. Reste à déterminer le

mode de cette présence particulière aux justes

et à montrer comment Dieu est en eux, non

plus seulement en qualité d'agent ou de cause

efficiente, mais encore à un titre nouveau par-

faitement distinct du premier. Quel est ce titre?

Tel est le problème dont il s'agit maintenant de

donner la solution.

 

Nous abordons la partie la plus délicate et la

plus abstruse de la question que nous nous

sommes proposé de traiter ; et c'est tout particu-

lièrement ici qu'un guide sûr et expérimenté

est vraiment nécessaire. Grâce à Dieu, pas n'est

besoin d'gJler le chercher au loin, car nous avons

la bonne fortune de le posséder en notre angé-

lique Docteur saint Thomas, en qui l'esprit le plus

pénétrant se trouvait allié à la plus haute sain-

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE lOb

 

teté. Il pourra donc parler d'expérience; à nous

de le suivre de très près et de ne le quitter point,

si nous ne voulons nous exposer, comme tant

d'autres, ou bien à rester en deçà de la vérité,

en n'apportant qu'une explication défectueuse et

insuffisante, ou bien à dépasser le but, en tom-

bant dans l'exagération et l'erreur, et en faisant

de l'habitation du Saint-Esprit une sorte d'union

hypostatique : double écueil contre lequel nom-

bre d'écrivains sont venus se briser.

 

Nul ne sera surpris de rencontrer sur cette

question de l'union de notre âme avec Dieu, et

surtout de la manière dont il faut la concevoir,

une certaine diversité de sentiments entre les

théologiens catholiques; le contraire serait plu-

tôt assez étonnant dans une matière aussi ardue,

où la révélation ne projette que de faibles et

obliques rayons. La plupart des docteurs se sont

rangés, il est vrai, à la suite de saint Thomas;

mais quelques-uns l'ont fait en interprétant d'une

façon peu coî*recte, pour ne pas dire complète-

ment inexacte, la pensée du maître, qui leur

paraissait manquer de clarté, non pas qu'elle fût

obscure en réalité, mais ils la jugeaient ainsi

parce qu'ils ne l'avaient pas considérée sous son

véritable jour ; d'autres ont cru pouvoir s'éman-

ciper d'une tutelle qui leur semblait gênante et

qui n'était, en définitive, qu'une condition de

sécurité, et ils ont tenté, à leur détriment, de se

frayer une voie nouvelle; un petit nombre a

poussé la témérité jusqu'à condamner ouverte-

ment l'explication donnée par l'angélique Doc-

teur. Chemin faisant, nous examinerons les

raisons des uns et des autres.

 

 

 

30& MODE DE CETTE PBÉSE?;CE

 

Mais comment discerner, parmi les diverses

opinions qui ont été soutenues et les explica-

tions variées qui ont été tentées, celle qui offre

le plus de garanties de vérité et qui doit réunir

tous les suffrages ? A quels signes reconnaître le

bien ou le mal fondé de tel ou tel sentiment?

 

Nous avons pour cela un critérium excellent,

-ane norme facile et sûre, prise des entrailles

mêmes du sujet. Pour être plausible, l'explication

de la présence spéciale de Dieu dans les justes

doit réaliser tout ce que promet, tout ce que

contient le concept de mission, de donation,

d'habitation du Saint-Esprit; elle doit consé-

quemment impliquer une présence à la fois

substantielle et spéciale de la Divinité. Si l'une ou

Fautre de ces conditions fait défaut,, si, par

exemple, la manière d'entendre l'habitation du

Saint-Esprit dans l'âme juste, proposée par tel

ou tel théologien, suppose effectivement une

présence substantielle de cette divine personne,

mais uniquement à titre de cause efficiente,

, l'explication susdite est, par le fait même, con-

Taincue de caducité, et doit être rejetce sans

plus ample examen; car nous n'y retrouvons pas

eette présence spéciale que suppose la mission

invisible de l'Esprit-Saint. De même, si l'explica-

Uon proposée entraîne*une présence particulière,

il est vrai, mais purement idéale, — les philoso-

phes disent objective, — de la personne envoyée,

elle est encore manifestement insuffisante ; car

Thabitation de Dieu en nous suppose une pré-

sence effective et réelle de la Divinité.

 

Examinons, à la lumière de ces principes, les

différentes solutions qui ont été données à l'in-

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE IO7

 

téressant problème de Funion de notre âme avec

Dieu par la grâce.

 

 

 

I

 

 

 

Dans un opuscule en langue latine publié à

Tournai en 1890, et contenant par ailleurs d'excel-

lentes choses, un docteur en théologie du diocèse

de Cologne, M. l'abbé Oberdoerffer, trouvant que

la doctrine de saint Thomas sur l'inexistence

substantielle de Dieu dans les justes était assez

obscure, voire même incomplète, et contenait

plutôt une indication du fruit et de l'efTet de

l'habitation divine qu'une explication propre-

ment dite de ce mode particulier de présence,

tentait de pénétrer plus avant dans l'intelligence

de ce mystère, et d'en donner une explicatioa

plus claire, plus précise et plus complète 1. Voici

en résumé celle qu'il proposait.

 

Par son opération et sa vertu toute-puissante.

 

 

 

I. « Etiam adjecta hac S. Bonaventurae expositione, noa.

possumus non lateri satis obscuram permanere S. Thoniaî

doctrinam; eamque adhuc mancam apparere, declaranti

non dissentimus. Continent quidem S. Thomae effata

totam veritatem, sed indigere nobis videntur explicatione.

S. Doctor potius fructuni et effectum inliabitationis indi-

casse videtur, quam explicuisse in quonam proprie consi-

stât singularis preesentiae modus. Ut profundius penetre-

mus hoc niysteriuni, considerabimus accuratius et pressius

id quod docet S. Thomas, dicendo nos possidere Spiritum

Sanctum per gratiam gratum facientem. » (D^ P. Ober-

doerffer, De inhabita tione Spir. S. in animabus jusiorum^

c. II, p. 3i.)

 

 

 

I08 MODE DE CETTE PRESENCE

 

et cofiséquemment par sa substance qui s'iden-

tifie avec elles, Dieu est présent en toutes choses,

comme auteur de la nature, pour les conserver

dans l'existence, les mouvoir à l'action et les

conduire à leur fin naturelle. Or, ce n'est pas

seulement à ce tiire qu'il est dans les justes,

mais encore en qualité d'auteur surnaturel pour

conserver en eux la grâce sanctifiante, ai sasti-

neat grotiam, pour leur prêter son concours dans

la production des actes salutaires et les amener

finalement à la gloire, terme suprême de leurs

destinées. « Nous avons donc ici, conclut le

docte écrivain, en outre du mode ordinaire, un

mode particulier de présence spécial à l'âme

juste : Hahemus igitur eiiam sub hac ratione, prseter

modam ordinariam prasseniiae pariicalarein quem-

dam^. »

 

Est-ce que tel est bien le concept que nous

devons nous faire de cette présence nouvelle et

spéciale, de cette habitation de Dieu en nous qui

est le fruit de la grâce sanctifiante et l'apanage

exclusif des justes? Nous avons le regret de ne

pouvoir partager sur ce point l'opinion du doc-

teur allemand.

 

En eflet, dire que Dieu est dans les justes, non

plus seulement pour conserver leur être et les

mouvoir à leurs opérations naturelles, mais

encore pour soutenir et conserver la grâce et

les mouvoir à des actes surnaturels, qu'est-ce

autre chose qu'affirmer sa présence en eux en

 

 

 

1, D'' Oberdoerffer, op. cit., c. n, p. 33.

 

 

 

MODE DE CETTE PKÉSENCB

 

 

 

109

 

 

 

qualité de cause efficiente? Or, ce n'est point là

un mode de présence spécial aux justes, un mode

formellement et spéciJQquement distinct de celui

qui appartient à tous les autres êtres ; ce n'est

que le mode ordinaire, élevé, si l'on veut,

agrandi, perfectionné, plus large, plus étendu,

mais au fond le même que dans l'ordre naturel :

c'est la présence de Dieu en qualité d'agent, per

modum caasse ageniis^.

 

Le savant auteur l'a soupçonné, sinon claire-

ment compris, car il se fait cette objection :

« Les pécheurs qui se préparent à la justification

peuvent, avec le secours de la grâce actuelle,

faire des actes surnaturels : pourquoi donc alors

dit-on que Dieu n'habite pas en eux, mais seu-

lement dans les justes''? »

 

Nous ajouterons, nous : Ce ne sont pas seule-

ment des motions actuelles que l'Esprit-Saint

opère dans les pécheurs, des grâces d'illumina-

tion et d'inspiration qu'il daigne leur accorder;

souvent encore il conserve dans leurs âmes les

vertus théologales de foi et d'espérance. Or, si

la présence spéciale de Dieu dans la créature

raisonnable consiste à soutenir, à conserver les

dons gratuits et infus, et à concourir avec elle à

la production des actes surnaturels, pourquoi

dit-on que Dieu n'habite pas dans les pécheurs ?

 

Et il le faut bien dire, puisque telle est la doc-

trine unanime des théologiens, fondée sur les

 

 

 

I. S. Th„ I, q. VIII, a. 3.

 

a. D^ Oberdoerffer, loc. cit., p. 33.

 

 

 

IIO MODE DE CETTE PRÉSENCE

 

données de la révélation ; puisque tel est l'ensei-

gnement formel du saint concile de Trente, qui

déclare, en termes d'une clarté parfaite, que

toutes les bonnes œuvres pratiquées par un chré-

tien en état de péché, tous les actes de vertu

qu'il peut faire, sous linfluence de la grâce

actuelle, pour se préparer à la justification, ne

sont point l'effet de la présence du Saint-Esprit

au fond de son âme, mais la conséquence d'une

simple impulsion de ce divin Esprit frappant à

la porte d'un cœur qu'il n'habite pas encore :

Spiritiis Sancti impulsum, non adhuc quidem inha-

hiiantis, sed tantam moveniis i.

 

Les vertus mêmes de foi et d'espérance,

miséricordieusement conservées par la bonté

divine, au milieu du cataclysme occasionné par

le péché, comme une étincelle cachée sous la

cendre et facile à rallumer, comme un germe de

vie surnaturelle qui ne demande qu'à se déve-

lopper, ne sont point le fruit de l'habitation du

Saint-Esprit, puisque ce n'est que par la grâce

sanctifiante que l'Esprit du Père et du Fils pro-

cède temporellement et vient habiter nos âmes*.

Ce n'est donc point une opinion personnelle que

défendait saint Thomas, mais la doctrine de

l'Église qu'il formulait, quand il enseignait que

la grâce sanctifiante seule est le principe d'un

nouveau mode de présence divine en nous, et

 

 

 

1. Trid. sess. XIV, c. iv.

 

2. <f Secundum solam gratiam gratum facientem mittitur

et prpcedit temporaliter persona divina. » (S. Th., Summa

Tkeol., I, q. xLiii, a. 3.;

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE III

 

que nulle autre perfection surajoutée à la subs-

tance de notre âme n'est capable de lui rendre

Dieu présent comme objet de connaissance et

d'amour 1.

 

Or si, pour constituer cette présence spéciale,

il suffisait que Dieu se trouvât quelque part

comme auteur de la vie surnaturelle, à l'effet de

conserver la grâce et de mouvoir la créature

raisonnable à des actes surnaturels, nous le

demandons derechef : pourquoi prétendre que

Dieu n'habite pas dans les pécheurs? Ne con-

serve-t-il pas en beaucoup d'entre eux des

principes de vie surnaturelle, la foi et l'espérance?

Ne concourt-il pas avec eux, par l'influence de

la grâce actuelle, à la production des actes

préparatoires à la justification?

 

M. l'abbé Oberdoerffer répond : « Cette objec-

tion n'est pas dénuée de fondement. On peut-

dire que l'existence de Dieu dans les pécheurs

par la grâce actuelle est une ombre de la pré-

sence qu'il a dans les justes. Mais la puissance

opérative qui sanctifie la créature et l'élève

jusqu'à la ressemblance divine établit en elle

une présence de Dieu si singulière et si sublime,

que la raison humaine est incapable de la con-

cevoir et de la comprendre parfaitement. C'est

donc avec raison que cette présence est appelée

 

 

 

I. « NuUa alia perfectîo superaddita substantise facit

Deum esse in aliquo sicut objectum cognitum et amatum,

nisi gratia; et ideo sola gratia facit singularem modum

essendi Deum in rébus. » (S. Th. Summa Theol., I, q. viii,

a. 3, ad 4.)

 

 

 

112 MODE DE CETTE PRESENCE

 

la présence et l'habitation de Dieu par excel-

lence 1. »

 

Que la présence de Dieu dans les justes, aux-

quels il confère, avec la grâce qui les justifie,

tout ce magnifique cortège de vertus infuses et

de dons du Saint-Esprit qui accompagnent la

grâce sanctifiante, puisse légitimement être appe-

lée l'habitation de Dieu par excellence, du moins

pendant l'état de voie, nous n'y contredirons

pas. Mais si le mode spécial de présence, qui est

le fruit et la conséquence de la mission invisible

ou de la donation d'une personne divine, consiste

essentiellement à soutenir la grâce, à conserver

les dons gratuits qui sont en nous les principes

de la vie divine, à nous faire accomplir des actes

surnaturels, nous ne concevons plus pourquoi on

ne peut pas dire, en rigueur de termes, que Dieu

habite véritablement dans les pécheurs qui ont

conservé la foi et l'espérance, et pourquoi cette

présence n'est qu'une ombre de celle que possè-

dent les justes. Qu'elle soit moins parfaite, d'ac-

cord ; qu'elle soit d'une autre nature, non seule-

ment rien ne le prouve, mais tout, au contraire,

nous autorise à le nier. Cette explication n'étant

pas satisfaisante, il en faut chercher une autre

plus plausible,

 

n

 

Un savant chanoine régulier qui enseignait la

théologie à Munich au commencement du siècle

 

 

 

I. D' OberdoerfTer, loc. cit., p. 33.

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE Il3

 

dernier, Gaétan-Félix Yerani, pensa l'avoir trou-

vée. Après avoir examiné avec soin l'explication

thomiste, ne parvenant pas à comprendre com-

ment la présence de Dieu dans les justes, en

tant qu'objet de connaissance et d'amour, pou-

vait être une présence réelle et physique,

puisqu'on peut connaître et aimer des choses

absentes! — toujours la même objection, —

il se tourna d'un autre côté. Volontiers, nous

dit-il, il aurait adopté, par motif de piélé, l'opi-

nion qualifiée de pieuse par Suarez, d'après

laquelle la grâce sanctifiante et la charité

réclament par elles-mêmes, en vertu d'une

exigence connaturelle, la présence intime, vraie,

personnelle de Dieu dans l'âme sainte, si la

raison avait pu également le lui persuader; mais,

ajoute-t-il mélancoliquement, les fondements sur

lesquels repose ce sentiment ne sont pas assez

convaincants '.

 

 

 

1. « Censent plures Thomistae personas divînas esse in

justis tanquam objectum cognitum in cognoscente, vel

amatum in amante. Sed hoc videtur captu difficile, quia

possumus cognoscere, et amare res omnino dissitas, adeo ut

objecta ita cognita et amata non sint in cognoscente secun-

dum proprium esse reale, quod habent in se, sed ad sum-

mum in ratione cogniti : quo pacto non recte dicerentur

personae divinae esse in justis ex \i missionis, cum peccatores

etiam cognoscunt per habitum fidei personas divinas, adeo

ut istse in esse cognito dicantur esse in peccatoribus. »

(Verani, Theologia speculativa universa, t. III., de Trin.^

disp. XV, sect.vii, n. 3.)

 

2. « Hanc sententiam Suarez vocat piam, et ob pietatem,

libenter ipsi adhaererem, si ratio id etiam mihi suaderet ;

etenim rationes, quibus innititur, non adeo convincunt. »

(Verani, ibid., n. l\.)

 

BAB. SAIST-ESPRIT. — 8

 

 

 

Il4 MODE DE CETTE PRÉSET^CE

 

Et après s'être mis en quête d'une explication

mieux fondée, Aoici celle qu'il propose : « Je

pense, dit-il, que le mode nouveau et spécial

suivant lequel la personne divine se trouve dans

la créature raisonnable en raison de la gTace

sanctifiante consiste en ce que Dieu est présent

à l'âme comme un époux à son épouse, un ami à

son ami intime, o^ mieux encore comme un

père est dans son fils tendrement aimé efe l'objet

constant de ses pensées, de ses affections, de sa

sollicitude à lui créer une position brillante :

car, en faisant de l'homme un ami et un fils

adoptif de Dieu, la grâce sanctifiante exige que

Dieu prenne de lui un soin tout spécial, qu'il

l'entoure d'une providence particulière.

 

« Par cette façon de parler, ajoute le docte

chanoine, il est facile de comprendre que Dieu

est dans les justes d'une manière tout à fait

distincte de celle par laquelle il se trouve en

toute chose par son essence, sa présence et sa

puissance ; car si sa providence est universelle

et s'étend à tous les êtres, elle est plus attentive à

l'égard du just^, en raison même de l'amour

dont il est l'objet. Aussi quand, par le don de

la grâce sanctifiante, les personnes divines sont

envoyées pour la première fois à une créature

raisonnable, celle-ci commence d'être aimée par

Dieu d'un, amour spécial, d'être gouvernée

d'une manière particulière ; et l'on comprend

ainsi comment les personnes divines se trouvent,

en vertu même de leur mission invisible, pré-

sentes d'une nouvelle manière dans les justes.

'^Fn effet, si l'on peut dire, conformé:: ent à l'adage

bien connu, que l'âme se trouve plus dans l'objet

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE Il5

 

qu'elle aime que dans le corps qu'elle anime,

parce que toutes ses pensées, toutes ses solli-

citudes se portent vers l'objet aimé, on peut affir-

mer également, avec non moins de vérité, que par

la grâce sanctifiante les personnes divines se

trouvent d'une manière nouvelle et spéciale dans

les justes, en raison de la providence particulière

dont ils sont l'objet *. »

 

Nous admettons sans difficulté cette providence

spéciale, cette sollicitude paternelle de Dieu à

l'égard des justes ; et quand il s'agit de ceux qui

possèdent la grâce non point seulement pour un

temps, mais qui doivent la conserver jusqu'à la

fin, ou du moins la recouvrer un jour pour ne

plus la perdre, c'est-à-dire des élus, cette provi-

dence a, en théologie, un nom particulier, elle

s'appelle la prédestination. Mais cette sollicitude

de Dieu pour ceux qui l'aiment et qui en sont

aimés, si attentive qu'on la suppose, ne suffît

point, par elle-même, pour leur procurer une

présence à la fois substantielle et spéciale de la

Divinité, comme le reconnaît du reste très loya-

lement l'ancien professeur de Munich*. Son

 

 

 

1. Verani, loc. cit., n. n-12.

 

2. « Licet Deus dicatur esse in justo ut amicus in amico,

inde non sequitur praesentia physica personae missae in crea-

lura, ad quam dicitur missa ; etenim ex eo quod amicus

intime diligatur, non constituitur per hoc physice praesens

amico inti^ie diligenti ; sed tantum affective et objective,

ut objcctam intime amatum. Ergo, licet Deus per gratiam

gratum facientem dicatur esse in creatura rationali, ut

amicus in amico intime dilecto, non sequitur praesentia

physica Dei in creatura amata ratione donorura gratiae. »

(Vt-rani. ibid., n. 1:4.)

 

 

 

Il6 MODE DE CETTE PRESENCE

 

explication n'entraîne point une véritable habi-

tation, une présence effective et réelle de Dieu

dans l'âme en état de grâce, distincte de la

présence d'immensité, mais une simple union

d'affection. Mais, se hâte-t-il d'ajouter : la grâce

et l'amour d'amitié n'exigent point une présence

physique et réelle de Dieu dans l'âme juste i.

 

A rencontre de cette opinion, nous avons

établi dans un précédent chapitre, et prouvé,

croyons-nous, jusqu'à l'évidence, que la mission

invisible ou la donation d'une personne divine,

réalisée à chaque collation ou accroissement de

la grâce sanctifiante, implique au contraire une

présence nouvelle et substantielle de la Divinité,

par conséquent une présence vraie, réelle, phy-

sique, et non pas seulement objective et morale.

Nous verrons plus loin que l'amour de charité

exige, lui aussi, une présence effective de Dieu

dans l'âme sanctifiée et ne saurait se contenter

d'une simple union d'affection.

 

 

 

III

 

 

 

Pour compléter l'énumération des opinions

plus ou moins défectueuses relatives à la manière

d'entendre et d'expliquer l'habitation du Saint-

Esprit dans les justes, ce serait ici le lieu d'exa-

 

 

 

I. « Amor, quem creatura rationalis elicit in statu viae

circa Deum, non exigit terminari ad Deum ut bonum

intime prœsens per realem et physicam praesentiam amati. »

(Ibid.. n. lAO

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE

 

 

 

117

 

 

 

miner et de juger la célèbre théorie de Petau,

d'après laquelle l'inhabitation divine par la grâce

est propre à la personne du Saint-Esprit, au lieu

d'être, suivant le sentiment général des théolo-

giens, commune à toute la sainte Trinité et

simplement appropriée à la troisième personne ;

mais cette question demande une étude à part,

que nous aborderons en son temps ^

 

Mal accueillie à son apparition et jusqu'à notre

époque par les écoles théologiques qui l'ont

communément réprouvée, cette théorie a trouvé

de nos jours une certaine faveur auprès de quel-

ques individualités de France et d'Allemagne.

Elle a eu notamment pour défenseur et pour

patron un religieux français, prématurément

enlevé à son Ordre, qu'il honorait par ses talents,

et à l'Église, qu'il édifiait par son zèle, le R. P.

Ramière, de la Compagnie de Jésus. Voici en

quels termes il s'en expliquait dans un ouvrage

intitulé : Les Espérances de r Église.

 

(( Lessius donne comme parfaitement certaine

la doctrine d'après laquelle le Saint-Esprit est

présent dans l'âme juste, non seulement par ses

dons, mais encore par sa substance. Il en a

le droit, puisque la doctrine opposée, manifeste-

ment contraire à l'Écriture et à la Tradition, est

qualifiée d'erreur par les docteurs les plus

autorisés. Il n'est dans cette grande question

qu'un seul point sur lequel plane encore quelque

obscurité. C'est la part spéciale du SaintrEsprit,

 

 

 

I. Cf. supra.

 

 

 

Il8 MODE DE CETTE PT^Éf^E^CB

 

dans cette œu^re de sanctification qui lui est

partout attribuée dans les saintes Écritures. Deux

choses sont indubitables : d'abord que le Saint-

Esprit ne saurait venir habiter dans l'âme juste

sans que les autres divines personnes y habitent

avec lui. Aussi Notre-Seigneur dit-il que si quel-

qu'un l'aime, il sera aimé de son Père, et que les

trois, divines personnes viendront en lui et feront

en lui leur demeure'. D'un autre côté, ce n'est

certainement pas sans motif que la mission qui a

pour objet la sanctification des âmes est attribuée

au Saint-Esprit, et non au Fils. Si dans cette mis-

sion il n'y avait rien de propre au Saint-Esprit,

s'il ne faisait rien que le Père et le Fils ne fissent

également, il ne serait donc pas réellement

enA'oyé par le Père et le Fils, et les assurances si

positives que Jésus-Christ nous donne dans He

discours après le Cène, qu'il nous enverra ce

divin Esprit et que son Père nous l'enverra en

son nom, ne seraient que de vaines paroles.

// Jaut donc admelire nécessairement qu'il y a entre

l'aine juste et V Esprit-Saint une union qui ne

s'étend pas de la même manière aux autres per-

sonnes, ^lais quelle est cette union? C*est ce que

le Père Pet!au lui-même n'ose déterminer'^ ; on

nous permettra de n^être pas plus hardi que

 

lui ^ »

 

Ce n'est effectivement pas sans motif que la

mission invisible qui a pour objet la sanctifica-

 

 

 

j. Joan., XIV, 23.

 

^j. Petav., De Triait. ,\. VIII, cap. vi, n. 6.

3. Ramière, Les Espérances de l'Éjlse. Appendice, xii. note

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE IIQ

 

tion des âmes et l'union à Dieu par la charité

est attribuée au Saint-Esprit, La raison de cette

attribution, comme nous l'expliquerons plus au

long dans un chapitre ultérieur, se trouve dans

Tanalogie frappante qui existe entre le caractère

propre de la troisième personne, savoir la bonté

et l'amour, et Tinhabitation divine par la grâce,

cette efîusion merveilleuse d^amour et de bonté.

Aussi, quoique effectuée en réalité par les trois

personnes, quoique commune à la Trinité tout

entière, cette admirable union de la créature et

du Créateur est-elle attribuée au Saint-Esprit

comme si elle lui appartenait en propre ^. Et c'est

à juste titre, observe Léon XIII, car u si des

vestiges de la puissance et de la sagesse divine

se manifestent même chez le pécheur, le juste

seul participe à l'amour, qui est la caractéristi-

que de l'Esprit-Saint. Ajoutez à cela que ce même

Esprit est appelé saint, parce qu'étant le premier

et suprême amour, il pousse les âmes à la

sainteté, qui consiste en définitive dans l'amour

de Dieu. Voilà pourquoi l'Apôtre, qui appelle les

justes le temple de Dieu, ne les nomme pas

expressément le temple du Père et du Fils, mais

du Saint-Esprit (I Cor., vi. 19) : Ne savez-vous

pas que vos membres sont le temple de rEspvlt-

 

 

 

I. a Haec autem mira conjunctio, quae suo nomine

inhahltatlo dicitur, tametsi verissime elBcitur praesenti

totius Trinitatis numine, ad eum veniemiis et mansionem

apad eum faciemus (Joan., xiv, aS), attamen de Spiritu

Sancto tanquam peculiaris praedicatur. » (Encyel. Divinuin

illud munus Leonis PP. XIII.)

 

 

 

120 MODE DE CETTE PRESENCE

 

Saint qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu^? »

Lors donc que l'Écriture ou les Pères nous

représentent l'Esprit-Saint comme Thôte de nos

âmes, il ne faut voir en cela qu'une simple

appropriation fondée sur l'usage en vigueur

dans l'Église, d'attribuer au Saint-Esprit les

œuvres de la Divinité où domine l'amour. Mais

partir de là pour affirmer entre ce divin Esprit

et les âmes justes je ne sais quelle union parti-

culière à la troisième personne et ne s'étendant

pas de la même manière aux deux autres, et

surtout pour lui attribuer en propre la produc-

tion d'un effet quelconque dans les créatures,

prétendre que « si dans la mission (invisible) il

n'y avait rien de propre au Saint-Esprit, s'il ne

faisait rien que le Père et le Fils ne fissent

également, il ne serait pas réellement envoyé »,

c'est se méprendre étrangement sur le sens et la

portée des paroles de l'Écriture et des Pères, c'est

scinder l'unité d'opération en Dieu, contrairement

au dogme catholique, d'après lequel toutes les

œuvres extérieures sont communes aux trois per-

 

 

 

I . « Siquidem divinae potentîae et sapîentîae vel in homîne

improbo apparent vestigia ; caritatis, quse propria Spiritus

veluti nota est, alius nemo nisi justus est particeps. Atque

illud cura re cohaeret, eumdem Spiritum nominari Sanctum,

ideo etiam quod ipse, primus summusque Amor, animos

moveat agatqae ad sanctitatem, quae demum amore in

Deum continetur. Quapropter Apostolus quum justos

appellat templum Del, taies non expresse Patris aut Filii

appellat, sed Spiritus Sancti : An nescitis quoniam membra

vestra templum sunt Spiritus Sancti, qui in vobit est, quem

hahetis a Deo ? » (Ibid.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCK 121

 

sonnes à cause de l'unité de leur nature ; car où

il n'y a qu'une nature, il ne doit y avoir qu'une

seule puissance et une seule opération*.

 

 

 

IV

 

 

 

Apr^s toutes ces tentatives infructueuses abou-

tissant invariablement, en dehors de l'opinion

de Petau, la plus improbable de toutes, à l'une

ou à l'autre de ces deux hypothèses : ou d'une

présence substantielle de Dieu dans les justes,

mais en qualité de cause efficiente, présence

commune à tous les êtres et ne différant qu'ac-

cidentellement dans les saints de ce qu'elle est

dans les pécheurs et même dans les êtres

inanimés ; ou d'une présence spéciale aux êtres

raisonnables doués de la grâce, mais purement

objective ; il est temps de proposer enfin le vrai

mode de cette présence de l'Esprit-Saint, à la

fois substantielle et spéciale, que la grâce sancti-

fiante vaut à l'âme juste, sans sacrifier ni l'une

ni l'autre de ces deux conditions, et sans intro-

duire cette union propre et personnelle au

Saint-Esprit, que préconisait le Père Ramière, à

la suite de Petau. Il nous suffira pour cela

d'exposer le sentiment de saint Thomas, non

pas tel qu'il a été compris par celui-ci ou celui-

 

 

 

1. «

 

 

 

Facere quemcumque eflfectum in creaturis est com-

mune toti Trinitati propler unitatem naturae, quia ubi est

una natura, oportet quod sit una virtus et una opéra tio. »

(S. Th , m, q. XXIII, a. a.)

 

 

 

122 MODE DE CETTE PRESENCE

 

là, mais tel qu'il résulte des paroles mêmes et

des textes comparés du saint Docteur.

 

D'après l'enseignement de l'angélique maître»

Dieu peut être substantiellement présent à une

créature de trois manières différentes : d'abord

à titre d'agent, ou de cause efficiente, c'est le

mode ordinaire commun à tous les êtres sans

exception ; en second lieu, comme objet de connais-

sance et d'amour, c'est la présence spéciale aux

justes de la terre et aux saints du ciel ; enfin en

vertu d'une union hypostatique, c'est ainsi que le

Yerbe s'est uni à notre humanité en ISotre-

Seigneur 1.

 

Le premier mode de présence est universel ;

il se rencontre partout où il existe un effet quel-

conque de la puissance divine, naturel ou

surnaturel ; car tout être créé, étant essentielle-

ment dépendant vis-à-vis de Dieu, ne peut

ni arriver à l'existence ni s'y maintenir sans

 

 

 

I. « Deus dicitur esse in re alîqua dnpliciter : uno modo

per modam causie agentis, et sic est in omnibus rébus creatis

ab ipso ; alio modo sicut objectum operationis est in opé-

rante, quod proprium est in operationibus ànxmse, secundum

quod cognitain est in cognoscenie, et desideratum in deside-

rante. Hoc igitur secundo modo Deus specialiter est in

rationali creatura, quae cognoscit et diligit illum actu vel

habitu. Et quia hoc habet rationalis creatura per gratiam,

dicitur esse hoc modo in sanctis per gratiam. i> (S. Th., 1,

q. vm, a. 3.)

 

En ajoutant aux deux modes précédents celui qui est

indiqué dans la réponse ad U"" du même article, nous avons

bien les trois modes de présence substantielle. Le troisième

est ainsi formulé : « Est autem alius singularis modus

essendi Deum in homineper unionem. » (Ib.J., ad 4"°.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE 123

 

Faction immédiate, et parlant sans la présence

intime de son Créateur. Nous avons suffisam-

ment expliqué plus haut ce mode de présence

pour être dispensé d'y revenir.

 

La présence de Dieu comme objet de connais-

sance et d'amour n'appartient qu'aux créatures

raisonnables, seules capables de le connaître et

de l'aimer. Mais ce second mode de présence

peut s'offrir à nous sous une double forme qu'il

importe extrêmement de bien discerner, si nous

Aoulons éviter la méprise dans laquelle sont

tombés un cerlain nombre de théologiens, et

prévenir l'objection que nous avons déjà ren-

contrée sur notre chemin, et qui revient sans

cesse sous la plume des adversaires de la doctrine

de saint Thomas. Ou bien, en effet, il s'agit

d'une présence purement objective et morale,

ou, au contraire, il est question d'une présence

effective et réelle. Dans la première hypothèse,

tous ceux qui connaissent et aiment Dieu, fut-ce

par une connaissance et un amour purement

naturels, jouissent d'une certaine présence de

Dieu; car il est dans leur intelligence par son

image, son idée, sa similitude intellectuelle ;

dans leur volonté par un attrait qui les porte

vers lui, par un lien d'affection qui les unit

à lui. Mais ce n'est point là une présence vraie et

réelle ; et, lors même que, par impossible, Dieu

résiderait exclusivement dans le ciel, il serait

néanmoins présent, de cette présence idéale et

affective, à quiconque fait de la Divinité Tobjet

de sa contemplation et de son amour. Dans la

seconde hypothèse au contraire, c'est-à-dire, s'il

s'agit d'une présence physique et substantielle,

 

 

 

124 MODE DE CETTE PRESENCE

 

non seulement la connaissance et l'amour natu-

rels ne sont pas capables de faire habiter Dieu

dans une âme, mais ni la connaissance surnatu-

relle que donne la foi, ni l'amour de désir

qu'engendre l'espérance, ne peuvent donner un

tel résultat ; seule la grâce sanctifiante et la

charité nous valent un si grand honneur ^

 

Quant au troisième mode de présence subs-

tantielle, il ne se rencontre que dans le Christ^

par suite de Tunion hypostatique : union

ineffable et incompréhensible, qui nous autorise

à attribuer au Fils de Dieu tout ce que fait ou

souffre la nature humaine par lui assumée ; union

admirable, qui donne un prix infini à chacune

des actions et des souffrances de l'Homme-Dieu,

et lui permet de satisfaire, d'une manière adé-

quate, à la justice de Dieu outragé par le

péché.

 

Ces trois modes de présence se trouvent réunis

en Notre-Seigneur. En effet, Dieu est en lui,

comme en toute créature, à titre d'agent, conser-

vant l'humanité sainte du Sauveur qu'il a créée

et unie au Verbe. Il y est encore, par la grâce

sanctifiante, de cette présence qui est spéciale aux

justes et aux saints ; car depuis le premier instant

de son existence, Tâme du Christ connaît et aime

Dieu d'une connaissance surnaturelle accompa-

gnée de charité ; elle le connaît, non à travers

 

 

 

i. « Nulla alia perfectîo superaddita substantîœ facit

Deum esse in aliquo sicut objectum cognitum et amatum,

aisi gratia ; et ideo sola gratia facit singularem modum

essendi Deum in rébus. » (S. Th., I, q. vin, a. 3 ad 4".)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE I2&

 

les ombres de la foi, mais dans les clartés de la

vision béatifîque ; elle le possède aussi parfaite-

ment qu'il peut être possédé par une créature

elle l'aime d^un amour de jouissance consommée,,

aussi est-elle vraiment bienheureuse . Enfin ,

comme couronnement de cette double union,

déjà pourtant si parfaite, vient s'ajouter V union

hypostatlqae, par laquelle le Verbe communique

à la nature humaine, qu^il a épousée dans le

sein de la bienheureuse Vierge, sa propre

subsistance, en sorte que, suivant la parole de

l'Apôtre, la plénitude de la Divinité habite cor-

porellement dans le Christ*, étant unie non

seulement à son âme, mais encore à son corps'.

Et qu'on ne dise pas que Thabitation de Dieu

par la grâce est parfaitement inutile, sinon

impossible, à une âme qui a Tincomparable

avantage d'être unie personnellement au Verbe.

Elle est si peu inutile que l'union hypostatique

 

 

 

1 . « In ipso inhabitat omnis plénitude divinitatis corpo-

raliter. » (Col. ii, g.)

 

2. « Gratia habitualis est solum in anima; sed gratia»

idest, gratuitum Dei donum, quod est uniri divinae per-

sonae, pertinet ad totam naturam humanam, quae

componitur ex anima et corpore. Et per hune modum

dicitur plenitudo divinitatis in Christo corporaliter habitare :

quia est unita divina natura non solum animae, sed etiam

corpori. Dicunt etiam quidam quod divinitas dicitur in

Christo habitare corporaliter, idest, tribus modis, sicut

corpus habet très dimensiones : uno modo, per essentiam,

praesentiam et potentiam, sicut in ceteris creaturis ; alio

modo per gratiam gratum facientem, sicut, in sanctis ; tertio,

per unionem personalem, quod est proprium ipsi Christo. »

(S. Th., III, q, n, a. lo, ad a.)

 

 

 

126 MODE DE CETTE PBÉSEItCE

 

elle-même, sans la possession et la jouissance

de Dieu par les actes de l'intelligence et de la

volonté, ne suffirait pas pour béatifier celte âme.

Dieu lui-même, la félicité subsistante, serait

incapable de bonheur s'il ne se connaissait pas

et ne s'aimait pas ; car il ne pourrait sans

cela jouir du bien infini et trouver, dans la con-

templation de sa divine essence, cette suprême

délectation qui est requise pour la béatitude. Afin

donc que l'âme du Christ soit bienheureuse, elle

doit avoir, en outre de son union personnelle

avec le Verbe, celte union à Dieu par l'opération

qui consiste dans la vision de la divine essence

et dans la fruition qui l'accompagne ; et pour cela

il lui faut une grâce créée qui la dispose et la

rende apte à produire des actes si fort élevés

au-dessus de toute puissance naturelle, et n'étant

naturellement à la portée que de Dieu seuP.

 

 

 

I. « Necesse est ponere in Ghristo gratiam creatam. Cujus

ratio necessitatis hinc sumi potest quod animae ad Deum

duplex potest esse conjunctio : una secundum esse in iina

persona, quse singulariter est animae Christi ; alia secundum

operationem, quse est communis omnibus cognoscentibus

et amantibus Deum. Prima quidem conjunctio sine secunda

ad bealitudinem non sufïicit : quia nec ipse Deus beatus

esset, si se non cognosceret et amaret : non enim in seipso

delectaretur, quod ad bealitudinem requiritur. Ad hoc ergo

quod anima Christi sit beata, praeter unionein ipsius ad

Verbum in persona, requiritur unio per operationem, ut

scilicet videat Deum per essentiam, et videndo fruatur. Hoc

ûutem excedit natuialem potentiam cujuslibel creaturae,

soli autem Deo secundum naturam suam conveniens est.

Oportet igitur supra naturam animae Christi aliquid sibi

addi, per quod ordinctur ad praedictam bealitudinem ; et

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE 12 7

 

 

 

Cette doctrine de saint Thomas, sur le triple

mode de présence substantielle que Dieu peut

avoir dans les choses, se trouve reproduite en

termes presque identiques à la question des

missions divines ^ Le saint Docteur y ajoute

pourtant un trait particulier et de grande impor-

tance, sur lequel nous aurons à revenir ; il dit

que par son opération, c'est-à-dire par ses actes

d'intelligence et de volonté, la créature raison-

nable atteint Dieu en lui-même : Sua operaiione

atiingit ad ipsum Deum. Nous indiquerons plus

loin le sens et la portée de ces paroles.

 

Mais nous ne saurions passer sous silence un

article magistral où Tangélique Docteur donne

à sa pensée des développements plus étendus,

des explications qui la rendent plus accessible à

notre intelligence, mais qu'il n'a pas jugé à

propos de reproduire plus tard dans les œuvres

de sa maturité, où il condensait davantage la

doctrine. Voici cet article. Après s'être demandé

si Dieu est en toutes choses par sa puissance, sa

présence et son essence, dans les saints par la

grâce, et dans le Christ par son être, il répond

de la manière suivante :

 

 

 

hoc dicimus gratiam. Unde necesse est în anima Christi

gratiam creatam ponere. » (S. Th., Qq. disput.. De \erit.,

q. XXIX, a. I.)

 

I. S. Th.. I, q. xLiu, a. 3.

 

 

 

128 MODE DE CETTE PRESENCE

 

{( La distinction de ces modes provient en

partie de la créature, en partie de Dieu. Elle

provient de la créature, en tant que celle-ci est

diversement ordonnée et unie à Dieu, non par

une simple diversité de raison, mais bien par

une diversité réelle. En effet, comme on dit de

Dieu qu'il est dans les choses suivant qu'il leur

est uni et en quelque sorte appliqué, il en résulte

que là où le mode d'union et d'application dif-

fère, le mode de présence est lui-même différent.

Or la créature est unie à Dieu de trois façons :

d'abord, par une simple similitude, car tout être

créé possède en lui-même une participation et une

ressemblance de la bonté divine, sans toutefois

atteindre la substance même de Dieu ; c'est le

mode ordinaire d'union, d'après lequel Dieu est

en toutes choses par son essence, sa présence et

sa puissance.

 

« En second lieu, ce n'est plus par une simple

similitude que la créature est unie à Dieu, mais

elle l'atteint lui-même, considéré dans sa subs-

tance, au moyen de son opération : c'est ce qui

a lieu quand elle adhère par la foi à la vérité

première, et par la charité à la bonté souveraine;

tel est le second mode, suivant lequel Dieu

existe d'une manière spéciale dans les saints, en

vertu de la grâce.

 

(( En troisième lieu, la créature atteint Dieu

non plus seulement par son opération, mais par

son être ; ce qu'il ne faut pas entendre de l'être

qui est l'acte de l'essence, car nulle créature ne

peut se changer en Dieu, mais de l'être qui est

l'acte de l'hypostase ou de la personne, à l'union

de laquelle la nature cr-^^e a été élevée : tel est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE I29

 

le dernier mode suivant lequel Dieu est dans le

Christ par une union liypostatique.

 

« Considérée du côté de Dieu, la diversité des

modes d'union n'est pas réelle, mais seulement

rationnelle ; elle provient de ce que l'on distin-

gue en Dieu l'essence, la puissance et l'opération.

Or l'essence divine, éta«t absolue et indépen-

dante de toute créature, ne se trouve dans les

êtres créés que parce qu'elle les rapproche

d'elle-même par son opération ; et en tant qu'elle

opère dans les choses, elle est en elles par présence,

car il faut que l'agent soit présent de quelque

manière à son œuvre ; et parce que l'opération

divine ne se sépare pas de la vertu active d'où

elle émane, on dit que Dieu est dans les choses

par sa puissance ; enfin, comme la vertu et la

puissance de Dieu est identique à son essence, il

en résulte que Dieu est dans les choses par son

essence*. »

 

Tels sont, d'après saint Thomas, les trois modes

de présence substantielle que Dieu peut avoir

da«ns une créature, les trois sortes de rapproche-

ment et d'union qui peuvent exister entre le

Créateur et l'œuvre de ses mains. Du côté de Dieu,

union avec la créature, avec toute créature à titre

d'agent, pour la conserver et ki mouvoir à ses

différents actes ; union avec la créature raison-

nable et sainte comme objet de sa connaissance et

de son amou/c ; enfin union avec la nature

humaine par assomption de cette nature et son

élévation jusqu'à la personnalité divine pour cons-

 

 

 

j . S. Th., Sent., lib. I, dist. xxxvii, q. i, a. a.

 

HAB. SAINT-ESPRIT. — 9

 

 

 

l3o MODE DE CETTE PRESENCE

 

tîtuer ce composé admirable que nous appelons

l'Homme-Dieu.

 

Du côté de la créature, union avec Dieu par

simple similitade, c'est-à-dire par les dons créés

qui lui ont été départis comme au-tant de parti-

cipations et d'imitations analogiques de la divine

bonté ; union par l'opération, c'est-à-dire par les

actes de l'intelligence et de la volonté, au moyen

desquels l'être créé se porte vers Dieu, vérité

première et souverain Bien, l'atteint en lui-même

et le possède au point de pouvoir en jouir d'une

manière initiale pendant l'état de voie, en atten-

dant la jouissance consommée qui aura lieu

dans le ciel ; union enfin dans l'unité de personne

avec Dieu, que la foi nous montre réalisée en

Jésus-Christ, dont l'humaine nature subsiste par

la subsistance même du Yerbe qui lui a été

communiquée.

 

Il est manifeste que ces divers modes de

présence et d'union sont absolument irréduc-

tibles, et qu'il existe entre eux non pas une

simple différence de degrés, une différence acci-

dentelle ou de plus et de moins, mais une

différence formelle, essentielle et vraiment spé-

cifique. Autre chose, en effet, est d'avoir Dieu

présent en nous en qualité de cause efficiente;

autre chose de le posséder comme notre fin

dernière et Tobjet de notre jouissance ; à plus

forte raison, de ne former qu'une seule personne

avec lui. Dans le premier cas, la créature n'atteint

pas Dieu lui-même, bien qu'il lui soit intimement

présent; elle ne jouit pas de lui, souvent m.ême

elle en est incapable; si elle possède quelque

éhose de Dieu, ce n'est pas sa substance, ce n'est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE l3l

 

qu'une similitude, une participation analogique,

une imitation lointaine de sa bonté. Conjungitur

creaiura Deo tripliciter. Primo modo secundum

similitudinem tantum, in quantum inveniiur in crea-

iura aliqua similitudo divinœ honitatis, non quod

aitingat ipsum Deum secundum substanliam : et

isia conjunctio invenitur in omnibus creaturis per

esseniiam, prœsentiam et potentiam^. Dans le

second cas, au contraire, l'être raisonnable doué

de la grâce possède réellement Dieu au fond de

son cœur, il atteint la substance divine par les

actes de ses facultés intellectuelles, il jouit de

Dieu. Secundo creatura attingit ad ipsum Deum

secundum substantiam suam consideratum, et non

secundum similitudinem tantum; et hoc est per

operationem : scillcet quando aliquls fide adhœret

ipsi primae veritati, et charitate ipsi summae bonitati;

et sic est alias modus quo Deus specialiter est in

sanctis per gratiam*.

 

Ce serait pourtant se tromper que de considérer

ces divers modes de présence comme étant réel-

lement distincts en Dieu ; car, en dehors des

relations opposées d'origine, aussi réellement

distinctes entre elles que les personnes divines

elles-mêmes qu'elles constituent, tout en Dieu

est parfaitement un ; la substance, les facultés,

les opérations, les perfections dont les concepts

paraissent le plus opposés, se fondent en lui dans

une unité et une simplicité parfaite, et ne se

distinguent que virtuellement.

 

 

 

I. S. Th,. loc. cît

a. Ibid.

 

 

 

l32 MODE DE CETTE PRESENCE

 

On nous pardonnera de nous être quelque peu

attardé sur ces notions, elles nous ont paru néces-

saires pour préparer la voie et éclairer notre

marche vers le but désiré; et quiconque sait

qu'une question clairement posée, et dont tous

les termes ont été bien élucidés, est à moitié

résolue, reconnaîtra sans peine qu'elles ne sont

ni un hors-d'œuvre, ni une superfétation.

 

 

 

VI

 

 

 

Avant de pousser plus loin notre marche,

arrêtons-nous un instant, jetons un regard

rapide en arrière pour reconnaître le chemin

parcouru, et prenons solidement possession du

terrain conquis.

 

Quand, se faisant l'interprète de l'Écriture et

de la Tradition, saint Thomas déclare que Dieu

est dans les justes d'une manière nouvelle et

spéciale, qu'il habite le sanctuaire de leur âme,

cela ne signifie point, comme l'entend le D^*

Oberdoerffer, qu'il est en eux pour soutenir et

conserver la grâce sanctifiante, ut sustineat gra-

tiam, pour les mouvoir à leurs opérations surna-

turelles ; il y est assurément de cette manière et

dans ce but, mais c'est le mode ordinaire et

commun de présence.

 

Cela ne signifie pas davantage qu'il leur est

uni par les liens d'une affection particulière,

qu'il les entoure d'une protection spéciale, qu'il

en fait l'objet constant de ses pensées et de sa

sollicitude, comme le prétendait Verani. Borner

à cela l'union de Dieu avec les âmes saintes, c'est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE i33

 

aboutir, bon gré mal gré, à la négation d'une

habitation véritable du Saint-Esprit en elles, et

la remplacer par une simple union morale, aussi

incapable de répondre aux exigences d'une

amitié parfaite que de satisfaire pleinement aux

promesses si claires du Sauveur affirmant que,

si quelqu'un l'aime, il sera aimé du Père et que

les trois divines personnes viendront en lui et y

jQxeront leur séjour i.

 

Pour caractériser nettement ce mode d'union

avec Dieu, qui est propre aux justes, saint

Thomas déclare que Dieu est en eux comme

objet de connaissance et d'amour, en sorte qu'ils

peuvent, par leur opération, atteindre la subs-

tance divine*, et commencer, dès cette vie, à

jouir du Bien souverain 3.

 

Mais suffît-il, pour constituer celte présence

spéciale, que Dieu soit connu et aimé d'une

connaissance et d'un amour surnaturels quel-

conques ? Nullement. Le fidèle en état de péché

mortel connaît Dieu non seulement par les

 

 

 

I. Joan., xjv, 23.

 

3. « Super istum modum autem communem est unus

specialis, qui convenit naturae rationali, in qua Deus dicitur

esse sicut cognitum in cognoscente, et amatum in amante.

Etf quia cognoscendo et amando creatura rationalis sua

operatione attingit ad ipsum Deum, secundum istum specia-

lem modum, Deus non solum dicitur esse in creatura

rationali, sed etiam habitare in ea, sicut in templo suo. »

(S. Th., I., q. xLHi, a. 3.)

 

3. « Per donum gratiae gratum facientis perficitur crea-

tura rationalis ad hoc quod libère non solum ipso dono

creato utatur, sed ut ipsa divina persona fruatur. » (S. Th.»

Ibid., ad i™.)

 

 

 

334 MODE DE CETTE PMF.SE?<CE

 

âiEQières de la raison, mais encore par celles de

let foi ; il l'aime pareillement, non seulement

d'un amour naturel, mais encore d'un amour

surnaturel qui a son principe dans la vertu

d'espérance ; il peut même avoir ce commence-

ment de dilection que le concile de Trente

énumère parmi les dispositions préparatoires à

k justification! ; et pourtant Dieu n'habite pas

encore en lui, il s'apprête seulement à entrer

ians son cœur, il frappe à la porte, demandant

qu'on lui ouvre. Ecce sio ad ostium et palso^.

Aussi avons-nous entendu saint Thomas nous

dire plus haut que la connaissance de Dieu,

même surnaturelle, si elle n'est accompagnée de

sharité, est insuffisante pour faire habiter la

tainte Trinité dans une âme^. A^oilà pourquoi il

déclare, à plusieurs reprises, que la grâce sanc-

tifiante seule, à l'exclusion de toute autre

perfection, produit la présence spéciale de Dieu

 

 

 

1. « Disponuntur autem ad ipsam justitiam, dûm excitati

di>ina gratia, et adjuti, fidem ex auditu concipienles,

libère moventur in Detim, credentes vera esse, quae divinitus

.?evelata et promissa sunt, atque... in spem erigunlur,

Sdentes Deum sibi propter Christum propitium fore;

îliumque, tanquam omnis justitiae fontem, diiigere inci-

lâunt. » (Trid., sess. VI, c. vi.)

 

2. Apocal., ni, 20.

 

3. « Gognilio sine dilectione non sufBcit ad inhabiiatio-

aem Dei secundum illad (i Joan., iv, 16) : Qui manet in

jaritate, in Deo manet, et Deus in eo. Inde est quod multi

eognoscunt Deum vel j>er naturalem cognitioncm, vel per

ûdem informem, quos tamen non inhabitat Spiritus Dei. )>

^^.'Th., in I ad Cor., c. n, lect. 3.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE î3s

 

comme objet de connaissance et d'amour'. Par

conséquent, ni les vertus surnaturelles de foi d,

d'espérance ou les actes qu'elles inspirent, ni les

grâces actuelles, ni les grâces gratuites, comme

le don de prophétie ou le pouA oir de faire des

miracles, ni, à plus forte raison, les qualités

naturelles ne suffisent pour faire habiter Dieu

dans une âme.

 

Pour qu'il y ait vraiment habitation du Smnt-

Esprit, il faut, au jugement de saint Thomas,

autre chose que l'action de Dieu produisant obl

conservant la grâce ; autre chose que la présence

des habitudes surnaturelles et des actes qui en

découlent ; autre chose qu'une providence spé-

ciale, si attentive qu'on la suppose ; il faut la

présence vraie, réelle, substantielle de TEsprit-

Saint comme objet de connaissance et d'amour.;

il faut la possession et la jouissance au moin*

initiale du souverain Bien, atteint en lui-même

par les actes de l'intelligence et de la volonté

créées ; il faut un commencement de cette union

bienheureuse qui se consommera un jour dans

le ciel, et une sorte d'aAant-goût de réternelle

félicité.

 

Mais c'est encore là une énigme ; qui noiis

l'interprétera ? une formule précieuse peut-être^

mais difficile à saisir, si nous en jugeons par les

interprétations diverses qui en ont été données^

 

 

 

I. (f Nulla alia perfectio superaddita substantiee facit»

ûeuni esse in aliquo sicut objectam cognitum et amatum^

nisi gratia ; et ideo sola gratia facit singularem moduai

essenJi Deum in rébus. » (S. Th., 1., q. vm, a. 3^ ad 4.)

 

 

 

l36 MODE DE CETTE PRESENCE

 

OÙ d'autres se sont trompés, serons-nous plus

heureux? Où ils ont failli, pouvons-nous nous

flatter d'atteindre sûrement la vérité? Si, pour

comprendre et expliquer un dogme d'un ordre

si relevé, nous en étions réduit à nos seules

lumières ; si, pour pénétrer dans les profondeurs

d'un mystère fort au-dessus de notre portée,

nous ne pouvions compter que sur nos propres

ressources, nous aurions assurément lieu de

craindre, en nous rappelant les paroles de l'Esprit-

Saint : « Ne vise point à ce qui te dépasse, ne

prétends pas sonder ce qui est au-dessus de tes

forces : Altiora te non quœsieris, et fortlora te

non scruialas fueris » ^ ; car nous touchons ici à ce

qu'il y a de plus grand, de plus saint, de plus

profond dans la vie intérieure et mystique, nous

sommes vraiment au cœur de l'ordre surnaturel.

Mais celui dont nous n'avons fait jusqu'ici que

suivre les enseignements et exposer la doctrine,

saint Thomas, voudra bien, nous l'espérons,

nous assister du haut du ciel et nous obtenir de

Dieu les lumières dont nous avons besoin. Comp-

tant sur son assistance fraternelle et le secours

de son intercession, nous irons humblement et

courageusement de l'avant.

 

 

 

I. Eccli., m, 32.

 

 

 

CHAPITRE IV

 

 

 

Explication du mode particulier de

 

présence dont Dieu honore les justes de

 

la terre et les saints du ciel

 

§ I. — Comment Dieu est présent par sa subs-

tance à l'intelligence et à la volonté des bienheu-

reux, en tant que vérité première et bien souverain.

 

 

 

En énumérant les différents modes de présence

substantielle que Dieu peut avoir dans les êtres

créés, saint Thomas, comme on a pu le remar-

quer, n'en compte que trois : à titre d'agent,

comme objet de connaissance et d'amour, et par

union hypostatique. N'en aurait-il pas, par hasard,

omis ou oublié un quatrième : celui qui convient

aux élus du cieH? Car, si Dieu doit être uni

 

 

 

I. Ne faudrait-il pas également, à ces trois sortes de pré-

sence substantielle de la Divinité, en ajouter une autre,

que nous voyons, semble-t-il, réalisée dans la sainte Eucha-

ristie et dans l'âme qui reçoit cet auguste sacrement, et que

l'on pourrait appeler sa présence sacramentelle ? Nous ne le

pensons pas. Sans doute, Dieu est très réellement présent

dans le sacrement de nos autels, puisque, suivant la défini-

tion du saint concile de Trente (Sess. XIII, c. i, et can. i),

l'Eucharistie contient véritablement, réellement, substan-

 

 

 

p38 explication du mode particulier

 

d'uiic façon effective et intime à ceptaines créa

tares, c'est assurément aux esprits bienheureux

admis à le contempler face à face, et trouvant

dans sa possession leur suprême félicité. Eh

bien ! non : le saint Docteur n'a rien oublié ou

omis, et l'énumération qu'il nous donne est

complète, attendu que l'union de la Divinité avec

 

 

 

tellement, le corps, le sang, l'âme et la dmnité de Xotre-

Seigneur Jésus-Christ, par conséquent le Christ tout entier,

30US '.es espèces du pain et du vin ; mais cette présence de

là Di\inité ne constitue pas un mode nouveau et distinct

'les autres.

 

Ce qui est nouveau, c'est la manière d'exister que l'huma-

mté du Verbe possède dans le Saint-Sacrement, et qui est

fort différente de celle qu'elle a dans le ciel. Dans la sainte

liostie, le corps du Sauveur est contenu tout entier ; et

qpioique composé de parties, il n'y occupe pas d'étendue,

it y est à l'instar d'une substance spirituelle ; c'est ce qui

î?onstitue son état sacramentel, par opposition à son état

ermnaturel. Mais dans quelque état que l'on considère

ïfeumanité du Christ, elle conserve avec la Di\1nité un genre

iFnnion qui ne varie pas et qui est toujours le même, une

anioo bypostatique. C'est ce qui résulte clairement des

pkarolfes du concile de Trente, lorsqu'il déclare que, aussitôt

ïpres îa consécration, le vrai corps et le vrai sang de Notre-

Seigneur existent sous les espèces du pain et du vin, ainsi

•^ue son âme et sa divinité ; toutefois le corps se trouve

sous l'espèce du pain en vertu même des paroles de la con-

sécration, le sang et l'âme y sont également, mais par

soncomitance, en vertu de cette connexité naturelle qui

îéclame l'union de toutes les parties du Christ, lequel, une

Ifeis ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus ; quant à la

Svinité du Sauveur, elle est présente à cause de cette admi-

^ble union hypostatique qui tient le corps et l'âme du

Sauveur indissolublement enchaînés à sa divinité. (Trid.,

îess. XIH, c. ni.)

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU 1 3§

 

les justes de la terre n'est pas d'une nature

abi&oluinenl différente de celle qui est l'apanage

des saints jouissant de la béatitude. D'après la

déclaration expKcite et formelle du SouveraiB

Pontife Léon XIII, « cette admirable union,

appelée de son vrai nom inhabitation, ne diffère

que par la condition ou l'état de celle qui j^iit le

bonheur des habitants du ciel : Hase autem min&

conjunciio, qaae sao noinine inhabitatio dicltur^

condUioixe ianium seu staiu ah ea discrepat qus.

cœUies Deus beando complecliiar^. » Elle en difïère

comme le commencement d'une œuvre se dis-

tingue de son conronnenient, comme la semence

se discerne du fruit arrivé à maturité. La grâce,

en effet , est la semence de la gloire ; elle

inaugure ici-bas, quoique d'une manière impar-

faite, la vie qui nous est réservée dans le ciel.

 

Or la vie éternelle consiste dans la connais-

sance du seul Dieu véritable et de son envoyé

Jésus-Christ : Hœc est viia œierna, ut cognoscanî

te solum Deujn veram, et quem misistl, Jesam

Christum * ; non pas dans celte connaissance

médiate, abstraite, obscure, qui est notre partage

en cette vie, et que nous puisons dans les œuvreig

de Dieu ', et dans la vérité révélée ; mais dans la

vue directe et immédiate, dans la contemplation

 

 

 

1. Encycl.Divinum illud munus.

 

2. Joan., XVII, 3.

 

3. « Quod notum est Dei;, manifestum est in illis. Deu*

enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsiiis, a creatura

mundi, per ea quae facta sunt, intellecta ronspiciuntur. »

(Rom., 1, 19-30.)

 

 

 

l40 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

claire, faciale, intuitive de la divine essence ;

dans la possession et la jouissance du souverain

Bien ; c'est dire, en d'autres termes, qu'elle con-

siste dans la présence réelle et substantielle de

Dieu dans l'esprit et le cœur des bienheureux

en tant qu'object direct de leur connaissance et

de leur amour : ut cogniium in cognoscente et

amatum in amante.

 

Si donc nous voulons nous faire une idée nette

et précise de ce genre de présence, il faut la

considérer non pas telle qu'elle s'offre à nous

dans la personne des justes de la terre, où elle

n'est encore qu'à l'état rudimentaire, sous forme

de germe ; mais telle qu'elle existe dans les

saints du paradis, en qui elle est parvenue à son

complet épanouissement ; de même que, pour

se bien rendre compte de ce qu'est l'homme, de

sa nature, de ses facultés, de ses opérations, il

faut l'étudier non pas à l'état d'embryon ou de

fœtus, pendant les premiers mois de son existence

dans le sein maternel, mais à l'état d'être parfait,

durant cette période de la vie où il est arrivé à

son plein développement, à sa perfection régu-

lière et normale. Cherchons donc comment Dieu

est uni aux bienheureux déjà parvenus au terme

de leur pèlerinage.

 

C'est une vérité de notre foi que les élus dans

le ciel voient Dieu face à face, ouvertement,

clairement, intuitivement, sans intermédiaire, tel

qu'il est dans l'unité de son essence et la trinité

de ses personnes i. C'est dans cette claire vue et

 

 

 

I. « Auctorilate apostolica definimus quod omnes beati.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU I^I

 

dans la jouissance qui l'accompagne que consiste

la couronne de justice promise, comme récom-

pense, à nos œuvres méritoires i. Mais comment

une telle vision qui n'appartient et ne peut

appartenir naturellement qu'à Dieu, devient-elle

possible à la créature ? Comment s'accomplira-

t-elle en fait ?

 

D'après l'enseignement des philosophes scolas-

tiqiies, notre intelligence, ou plutôt toute intel-

ligence créée, quelle qu'elle soit, n'est pas et ne

peut pas être la cause efficiente totale et exclusive

de son acte de connaître. Faculté passive autant

qu'active, indigente de recevoir tout autant qu'elle

est capable de produire, apte à connaître toute

chose, mais indéterminée par elle-même et indif-

férente à saisir ceci ou cela, l'intelligence créée

 

 

 

etiam ante resumptionem suorum corporum..., viderunt et

vident divinam essentiam visione intuitiva et etiam faciali,

nulla mediante creatura in ratione objecti visi se habente,

sed divina essentia immédiate se nude, clare et aperte eis

ostendente, quodque sic videntes eadem divina essentia

perfruuntur, necnoh quod ex tali visione et fruitione,

eorum animae, qui jam decesserunt, sunt vere beatse, et

habent vitam et requiem aeternam. » (Ex Const. Benedidas

Deas, Bened. XTI, an. i336.)

 

Item conc. Florent, (an. idSg) in decreto unionis definivit :

animas sanctorum post mortem « in cœlum mox recipi et

intueri clare ipsum Deum trinum et unum, sicuti est, pro

meritorum tamen diversitate alium alio perfectius. »

 

1. « In reliquo reposita est mihi corona justitiae, quam

reddet mihi Dominus in illa die justus judex : non solum

autem mihi, sed et iis qui diligunt adventum ejus. »

(II Tim., lY, 8.)

 

 

 

l/i2 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

demeure inerte i, tant qu'elle n'est pas complétée»

actuée, fécondée par une qualité accidentelle»

une forme qui lui vient du dehors, s'unit à elle

d'une union très étroite, la perfectionne, la

détermine, la rend capable de produire son acte,

et devient avec elle coprincipe du verbe mental

en qui et par qui elle connaît. Cette forme, cette

détermination, cette actuation de l'intelligence,

n'est autre que Timage ou la représentation

intellectuelle de l'objet qu'il s'agit de connaître,

celui-ci étant presque toujours hors d'état de

pouvoir s^unir directement et par lui-même à la

faculté cognitive. D'où cet axiome emprunté à

saint Augustin, que la connaissance est le produit

d'un double facteur, l'objet et la faculté*.

 

Dans l'ange, nature parfaite qui ne connaît

pas d'enfance, ce complément nécessaire à l'in-

telligence lui A^ent directement de Dieu, de qui,

au moment même de sa création, il reçut, avec

l'être, les idées infuses de toutes choses. Pour

l'homme, au contraire, qui n^arrive que lente-

ment et par degrés, en passant par les différentes

 

 

 

1. Il n'y a d'exception que pour l'intelligence de l'ange

dans la connaissance de lui-même. Pour se connaître, l'ange

n'a pas besoin d'une espèce intelligible distincte de sa pro-

pre substance; car celle-ci, étant immatérielle et intelligible

en acte, et intimement unie à l'entendement, joue par

elle-même le rôle de forme intelligible, en sorte :iue l'ange

se connaît par lui-même, par sa substance. (Cf. S. Th., 1,

q. Lvi, a. I.)

 

2. « Liquido tenendum est, quod omnis res quamcu raque

cognoscimus, congenerat in nobis notitiamsui, ab utroque

enim notitia paritur, a cognoscente et cognito. » (S. Aug.,

De Trin., lib. IX, c. xn. n. i8.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 1^3

 

étapes de l'enfance, de l'adolesceiftee et de la

jeunesse, à cet âge parfait où il a son plein déve-

loppement physique et intellectuel, ce complé-

ment indispensable lai vient originairement

des sens. C'est l'espèce impresse, la forme

inteliigibl-e des scolastiques. Et remarquons en

passant que, nonobstant l'origine extrinsèqiie de

cet élément, notre acte de connaissance intellec-

tuelle, notre intelligere, ne cesse pas pour cela

d'être appelé et d'être réellement un acte vital,

un mouvement immanent, un motus ab intrinseco;

car l'espèce intelligible ou limage de l'objet

s'unit à notre faculté par mode de forme pour

Tactuer, la perfectionner, la spécifier, en la

déterminant à connaître tel objet plutôt que tel

autre.

 

Ces principes posés, demandons-nous quelle

sera, dans la vision béatifîque, la forme intelligible

qui, en s'unissant à notre esprit, lui permettra

de voir Dieu tel qu'il est en lui-même.

 

 

 

H

 

 

 

Toutes les fois que saint Thomas aborde cette

question, et il le fait dans une multitude de

passages, il enseigne qu'aucune image, aucune

forme intelligible créée n'est capable de repré-

senter adéquatement l'essence divine, attendu que

cette essence est infinie, tandis que tout être

créé, quel qu'il soit, substance ou accident, ne

reçoit jamais de l'acte créateur qu'une nature

terminée, finie, limitée à un genre et a une

espèce, et se trouve dès lors radicalement inca-

 

 

 

l44 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

pable de représenter quidditativement celui qui

est la plénitude de l'être. Il est donc de toute

nécessité que l'essence divine elle-même s'unisse

à l'intelligence des bienheureux et joue le rôle

de forme intelligible i. Aussi, d'après l'angélique

Docteur, prétendre que Dieu est vu au moyen

d'une image, d"une espèce intelligible, d'une

représentation créée, c'est nier équivalemment la

vision intuitive : Unde dicere Deum per similitudi-

nem vider i, est dicere divinam essentiam non videri;

quod est erroneum^.

 

Mais cette union de l'essence divine avec l'in-

telligence créée est-elle possible?

 

Oui, car Dieu est la vérité subsistante, comme

il est l'être même, et la vérité est la perfection

de l'intelligence. Ipse enim sicut est suum esse, ita

est sua Veritas, quœ est forma intellecias^. Il y a

 

 

 

1. « Manifestum est quod cuin inlellectus noster nihil

cognoscat nisi per aliquam speciem ejus, impossibile est

quod per speciem rei unius cognoscat essentiam alterius ;

et quanto magis species per quam cognoscit intellectus»

plus distat a re cognita, tanto intellectus noster imperfec-

tiorem cognitionem habet de essentia rei illius... Manifes-

tum est autem ex superioribus quod nuUum creatum

communicat cum Deo in génère. Per quamcumque igitur

speciem creatam non solum sensibilem sed intelligibilem,

Deus cognosci per essentiam non potest. Ad hoc igitur

quod ipse Deus per essentiam cognoscatur, oportet qu« d

ipse Deus fiât forma intellectus ipsum cognoscentis, et

conjungatur ei non ad unam naturam constituendam, sed

sicut species intelligibilis intelligenti. Ipse enim sicut est

suum esse, ita est sua veritas, quae est forma intellectus. >.

(S. Th., Comp. Theol. Opusc. III, cap. cv.)

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