a. « Deus est in omnibus rébus, non quidem sicut pars
essenti^... sed sicut agens adest ei in quod agit. Oportet
enim omne agens conjungi ei in quod immédiate agit, et
sua virtute illud contingere. » (S. Th., Summa T/ieoi., I,
q. vm, a. I.)
48 PRÉSENCE INTIME DE DIEU
trouve réellement et substantiellement présenta
Et comme il n'existe absolument aucune créature
dans laquelle Dieu n'exerce son activité pour lui
conserver l'être et la mouvoir à ses opérations,
il en résulte que Dieu est partout, non seulement
par son action ou sa puissance, mais encore par
son essence.
Lors donc que l'Ecriture, parlant de la Divi-
nité, nous la représente remplissant le ciel et la
terre : Numquid non cœlani et ierram ego impleo"^
dicit Dominas \ il ne faut point prendre ces ex-
pressions au pied de la lettre, pas plus que le&
autres anthropomorphismes dont le texte sacré
abonde, et comprendre l'immensité divine par
mode d'extension, comme un océan sans rivages
contenant dans son sein tout ce qui existe et
débordant de toutes parts le monde créé ; c'est
aux exégètes et aux théologiens qu'il appartient
de donner, en de telles occurrences, le sens
véritable caché sous une forme de langage que
l'Espiit-Saint a voulu employer pour se mettre à
la portée de tous. C'est ce qu'a fait saint Thomas
pour le texte qui nous occupe : « Dieu, dit-il,
remplit tous les lieux, non à la façon d'un corps
qui est dit remplir un espace quelconque en en
bannissant toute autre substance matérielle, mais
I. « Quia effectus divini non solum divina operalione esse
incipiunt, sed etiam per eam tenentur in esse, nihil finleni
operari potest ubi non est... necesse est ut, ubicumque est
aliquis effectus Dei, ibi sit et ipse Deus effector. » (S.
Th.,
rontra Gent., 1. IV, c. xxi.)
■2.
Jer., ixni, a4.
SES DIFFÉRENTS DEGRES 49
en donnant et en conservant l'être aux choses qui
remplissent l'espace et y sont localisées'. »
Et comme l'être et les autres perfections sont
communiqués aux créatures à des degrés qui
varient étonnamment, depuis le grain de sable
jusqu'au séraphin qui occupe le sommet des
hiérarchies angéliques, la présence de Dieu, en
qualité de cause elliciente, comporte, elle aussi,
bien des degrés, suivant la mesure dans laquelle
chaque créature participe à la pcTfection divine.
Voilà ce que saint Thomas voulait donner à
entendre par les paroles suivantes, intelligibles
maintenant pour tous : Est anus commanis modus
quo Deus est in omnibus rébus per esseniiam, prœ-
sentiam et poleniiam, sicui causa in ejfectibus
pariicipantibus bonilalem ipsius*.
i. « Deus omnem locum replet : non sicut corpus, corpus
enim dicitur replere locum, in quantum non compatitur
secum aliud corpus ; sed per hoc quod Deus est in aliquo
loco, non excludiiur quin alla sint ibi, imo per hoc replet
omnia loca quod dat esse omnibus lo^atis, quae replent
omtiia loca. » (S. Th., Summa TheoL, l, q. viii, a. a.)
a. S. Th., Summa TheoL, I, q xuii, a. 3.
■IB.
SAtNT-SSrBIT. — •
DEUXIÈME PARTIE
DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEO
OU DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT
DANS LES AMES JUSTES
CHAPITRE PREMIER
Le fait de la présence spéciale de Dieu
dans les justes. — Mission, donation,
habitation du Saint-Esprit.
Au-dessus du mode ordinaire et commun
suivant lequel Dieu est en toutes choses par son
essence, sa puissance et sa présence, comme la
cause est dans les effets qui entrent en partici-
pation de sa bonté, il en est un autre spécial,
qui convient aux seules créatures raisonnables,
dans lesquelles Dieu se trouve comme l'objet
connu et aimé est dans l'être qui connaît et qui
aime. Et parce que la créature raisonnable peut
s'élever jusqu'à Dieu par la connaissance et
l'amour, et l'atteindre en lui-même, au lieu de
dire simplement que Dieu, suivant ce mode par-
ticulier de présence, est dans la créature raison-
nable, on dit qu'il habite en elle comme dans son
temple. Nul autre effet que la grâce sanctifiante
ne peut êtr*-^ la raison de ce noiiyeau mode de
présence do la personne divine. C'est donc uni-
quement par la grâce sanctifiante que la per-
sonne divine est envoyée et qu'elle procède tem-
porellement... Toutefois, avec la grâce, on reçoit
54 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
aussi le Saint-Esprit, qui est lui-même donné et
envoyé, et vient habiter l'homme i. »
Ces paroles si laconiques de saint Thomas con-
tiennent, dans leur brièveté, un admirable résu-
mé de la question qui nous occupe présentement.
Nous y trouvons en effet clairement indiqués r
— a) d'abord le fait de la présence spéciale de
Dieu dans l'âme qui a la grâce : Super istum
modum aatem communem est unus specialis, qui
convenu natures raiiondi; — b) puis la nature de
cette présence, qui est une présence substan-
tielle; Dieu est là non pas simplement par ses
dons, mais en personne : In ipso dono gratiœ
gratum facientis Spiritus Sa/tctus habetur, et inha-
I. « Super istum modum autem communem (quo, scili-
cet, Deus est in omnibus rébus per essentiam, potentiam
et prsesentiam, sicut causa in effectibus participantibus
bonitatem ipsius), est unus specialis, qui convenit naturae
rationali, in qua Deusdicitur esse sicut cognitum in cogno-
scente, et amatura et amante. Et quia cognoscendo et
amando creatura ratioixalis sua operatione attingit ad
ipsum Deum, secunduni istum specialem modum Deus
non solum dicitur esse in rationali creatura, sed etiam
habi-
tare in ea sicut in templo suo. • ic igitur nullus alius
effec-
tus potest esse ratio quod divina persona sit novo modo in
rationali creatura, nisi gratia gratum faciens. Unde secxin-
dum solam gratiam gratum facientem mittitur et procedit
temporal! ter persona divina.
« Similiter illud solum habère dicimur quo libère possu-
mus uti, vel frui. Habere autem potestatem fruendi divina
persona est solum secundum gratiam gratum facientem.
Sed tamen in ipso dono gratiae gratum facientis, Spiritus
Sanctus habetur, et inhabitat hominem. Unde îpsemet Spi-
ritus Sanctus datur et mittitur. » (S. Th., Samma Thêd., h
q. XLUi, a. 3.)
MISSION, DONATION, ilA:B. DU SAINT-ESPRIT 55
èiieU hominem. Unde ipsemet Spiritus Sanctus datur
et mitttiar\ — c) le mode de cette )pré8.eDoe ; ce
n'est prlus en qualité d'ageait ou de cause .effi-
ciente qu'il est dian^ cette ânae; c'^t à titre
d'hôte et d'ami, comme objet de connaissance et
d'amour : Sicut cognitumdn cog^nosoente, et ama-
tum in amante; — d) ie jsujet capable de rece-
voir un tel bienfait, et ce sujet n'est .autre que la
créature raisonnable : Modws iste specialis con-
venit'naiurœ vationali ; — -e) ejiïiTvkixonditionàe cette
présence, c'est-à-dire l'état de.grâce : .Nubllus alias
effectus potest essfe ratio qaod divina persona sit
«ovG modo in ratio nali creabura, nisi gratta g ratum
faciens. — Autant de ch^îfs de considération qui,
pour être bien compris, demandent des éclair-
cissements proportionnés aux diffî;cuités qu'ils
peuvent offriT et k )la mesure de lein* impor-
tance. Aibordoiïs en preiaier )lieu le fait de la
présence spéciale »de Dieu idans les âmes sancti-
fiées fpar la grâce.
I
Il n'est peut-être pas de vérité plus fréquem-
meiït rappelée dans le saint Evangile et dans
les Epîtres de saint Paul que celle de la mission,
de la donation, de V habitation des personnes
divines dans les âmes qui ont la grâce. Sur le
point de quitter la terre pour retourner à son
Père , Notre-Seigneur , voularit conscyler ses
Ajp.ôtres et atténuer la tristesse que devait leur
occasionner son départ, promit de leur envoyer
le Paraclet : « Je vous dis la vérité : il vous es4
56 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
expédient que 'e m'en aille, car si je ne m'en vais
pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si
je m'en vais, je \ou& VenverraV. Quand sera venu
le Paraclet, que je vous enverrai du Père, l'Esprit
de vérité qui procède du Père, il vous rendra
témoignage de moi, et vous aussi vous me ren-
drez témoignage, car vous êtes avec moi dès le
commencement'. »
Il leur disait encore : « Si vous m'aimez,
gardez mes commandements, et, à ma prière, le
Père vous donnera un autre Paraclet, pour qa'il
demeure éternellement avec vous ; l'Esprit de vé-
rité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne
le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, ^ous
le connaîtrez, parce qu'il sera en vous et y fixera
son séjour. Je ne vous laisserai pas orphelins, je
viendrai à vous 3. » Ce nouveau consolateur que
Jésus-Christ promet ici n'est autre que le Saint-
Esprit, l'Esprit de vérité, comme il l'appelle,
c'est-à-dire l'Esprit du Fils, qui est lui-même la
1. « Ego veritatem dico vobis : Expedit vobis ut ego
vadam ; si enim non abiero, Paraclitus non véniel ad vos ;
si autem abiero, mittam eum ad vos. » (Joan., xvi, 7.)
2. « Cum autem venerit Paraclitus, quem ego mittam vobis
a Pâtre, Spiritum veritalis, qui a Pâtre procedit ; ille
tesli-
monium perhibebit de me. Et vos testimonium perhibebi-
tis, quiaab initio mecum eslis. » (Joan., xv, 26-27.)
3. « ST diligiti«me, mandata mea servate. Et ego rogabo
Patrem, et alium Paraclitum dabit vobis, ut maneat vobis-
cum in aeternum; Spiritum veritatis, quem mundus non
potest accipere, quia non videteum, nec scit eum ; vos autem
cognpscetis eum, quia apud vos manebit, et in vobis erit.
Non relinquam vos orphanos; veniam ad vos. » (Joan., xiv,
i5-i8.)
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 67
vérité substantielle : Ego sum veritasK Tant qu'il
-était au milieu d'eux, le divin Maître consolait
lui-même ses disciples; mais son départ devant
les laisser exposés à de nombreuses tribulations,
il leur promet un autre consolateur, l'Esprit-Saint,
qu'il leur enverra du Père.
Cette mission du Saint-Esprit, cette donation
du Paraclet, que Jésus promettait aux siens, ne
devait pas être l'apanage exclusif des Apôtres,
mais la dot commune de tous ceux qui, par la
grâce, deviennent enfants de Dieu. En effet,
écrivant aux Galates, saint Paul leur disait :
(( Parce que vous êtes ses enfants, Dieu a envoyé
dans vos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie :
Père, Père 2. » — a Non pas un esprit de crainte et
de servitude , mais l'esprit d'adoption des
enfants \ » — a La charité de Dieu a été répan-
due dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous
a été donné \ »
Et ce n'est pas seulement l'Esprit-Saint qui nous
est envoyé et donné par la grâce, et avec la grâce,
mais la sainte Trinité tout entière vient habiter
notre âme et y faire sa demeure. Notre-Seigneur
le dit formellement dans l'Evangile selon saint
Jean : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma
I. Joan., XIV, 6.
a. « Quoniam estis filii, misitDeus Spiritum Filii sui in
^corda vestra clamantem : Abba Pater. » (Gai., iv, 6.)
3. « Non enim accepistis spiritum servitutis iterum in
timoré, spdaccepistis Spiritum adoptionisflliorum. » (Rom.,
vm, i5,
4. « Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spi-
ritum Sanctum. qui datus est nobis. » (Rom., v, 5.)
a& PBESENCB SPEGIALB DE. DIEU
parole; et inon\ Père l'ainieai'a, et. itous viendrons
à lui, et nous établirons en lui notre: séjour i^. »
Aussi, pour amener les premiers fidèles à éviter
avec soin le- péché- et à garder pur et sans tache
le sanctuaire de leur âme, le grand Apôtre ne
trouvait-il pas de motif plus puissant, de raison
plus pressante, d'argument plus persuasif que
de leur rappeler qu'ils étaient le temple de Dieu.
« Ne savez-vous pa&, leur disait-il, que vous ête&
le temple de Dieu, et 4ue l'Esprit-Saint habite
en vous? Si quelqu'un viole ce temple, Dieu le
perdrai car le temple de Dieu est saint, et c'est
vous-mêmes qui êtes ce temple ^ n
Je m'arrête, pour ne pas nml-tiplier outre
mesure les passages de l'Ecriture qui établissent
le fait de la mission, de la donation des per-
sonnes divines, de l'habitation de la sainte
Trinité dans les âmes justes. Il importe mainte-
nant de recueillir et de préciser les enseigne-
ments qui résultent die ces- témoignages.
Ce qui ressort à première vue de tous ces
textes pris dans leur sens naturel et obvie, ce qui
brille avec la clarté de l'évidence, c'est le fait
d'une présence spéciale de Dieu dans les âmes qui
so!it en état de grâce. El de vrai, si l'Esprit-Saint
leur est envoyé, n'est-ce pas pour qu'il soit en
r. « Si quis diligit me, sermonem ix^um servabit, et
Pater meus diliget eum, etad eum veExLemus, et mansionem
apud eurn faciemua. » (Joan., xit, aS.)
2. « Nescitis quia templum Dei estia, et Spiritus Dei
Libitatin vobis? Si quis autem templum Dei violaverit,
'Jt>perdet îKuwi Deus. Templum cnim Dei sanctum esU
quod estis vos. » (I Gop., m, 16-17.)
MISSION, DONATION, ELAB. DU SAINT-ESPRIT §9
elles autrement qu'il n'est partout ailleurs? Car
enfin s'il se trouve dans les justes simplement à
la manière ordinaire, comme il est en toutes
choses, on ne conçoit pas ce que peut bien
signifier et apporter cette mission.
D'autre part, si l'Esprit-Saint est donné aux
âmes avec la grâce et par la grâce, c'est appa-
remment pour qu'elles le possèdent et puissent
jouir de lui librement. Or seule la créature rai-
sonnable est capable de posséder Dieu par la
connaissance et l'amour; seule, elle peut jouir
de lui; elle est donc susceptible d'une présence
spéciale de la Divinité, qui dépasse la portée des
êtres inférieurs. Nous verrons plus loin que ce
n'est même pas à toute ci^éature raisonnable
qu'appartient celte possession de Dieu, cette
jouissance commencée ou consommée du souve-
rain Bien, et qu'il faut pour cela, comme dispo-
sition préalable, ou la grâce sanctifiante ou la
lumière de gloire. Mais n'anticipons pas, et con-
tentons-nous pour le moment de soumettre à
l'analyse théologique les concepts de mission,
de donation, d'habitation, pour voir s'ils entraî-
nent nécessairement un mode particulier de
présence des personnes divines dans les âmes
auxquelles elles sont, envoyées ou données, et
qii' elles viennent habiter.
II
Le mot de mission, à?ix\^ le langage humain,
implique ordinairement l'idée de mandat donné
à une personne, avec obligation pour le manda-
6o PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
taire de s'éloigner de la personne qui Tenvoie,
pour se rendre au terme de sa mission. Un chef
d'Etat, par exemple, envoie fréquemment tel ou
tel de ses sujets en mission ordinaire ou extra-
ordinaire auprès d'un souverain étranger, tantôt
pour le représenter à titre d'ambassadeur, tantôt
pour négocier une affaire importante. La mission
ne se donne pourtant pas toujours par voie de
commandement, comme cela a lieu quand un
jupérieur envoie un de ses subordonnés; elle
peut encore se donner par voie de conseil, quand,
par exemple, le premier ministre d'un roi ou
d'un empereur l'envoie guerroyer; il peut même
y avoir mission en vertu d'une simple proces-
sion d'origine, comme lorsque le soleil nous
envoie ses rayons. Mais de quelque manière
qu'elle se fasse, la mission implique toujours un
double rapport : un rapport de la personne
envoyée à celle qui l'envoie, et un rapport au
terme de la mission; car on est envoyé par
quelqu'un auprès d'une personne déterminée
ou dans un lieu désigné d'avance ^
;. « In ratione missionis duo importantur : quorum
unum est habitudo missi ad eum a quo mitiitur ; aliud est
habitudo missi ad terminum ad quem mittitur. Per hoc
autem quod aliquis mittitur, ostenditur processio quaedam
missi a mittente : vel secundam imperiam, sicut dominus
miltit servum ; vel secundam consilium, ut si consiliarius
mit-
tere dicatur regem ad bellandum ; vel secundam originem,
ut si dicatur quod flos emittitur ab arbore. Ostenditur
etiam habitudo ad terminum ad quem mittitur, ut aliquo
modo ibi esse incipiat : vel quia prius ibi omnino non erat
quo mittitur; vel quia incipit ibi aliquo modo esse quo
priusnon erat. » ( S. Th., Summa TheoL, I, q. xun, a. i.)
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINTHESPRIT 6^
Dans la mission créée qui a lieu par voie de
commandemenl ou de conseil, le premier de ces
rapports consiste dans une relation de dépen-
dance ou d'infériorité du mandataire vis-à-vis du
mandant, ou plus généralement de la personne
envoyée vis-à-vis de celle qui l'envoie, car pour
donner une telle mission, il est nécessaire de
posséder ce genre de supériorité que donne l'au-
torité du rang ou le prestige de la sagesse. Rien
de semblable dans les missions divines ; car en
Dieu les trois personnes ayant une même nature
et une même dignité, l'une n'a pas autorité sui
l'autre et ne lui commande pofnt; d'autre part,
comme elles sont parfaitement égales en science
et en sagesse, elles n'ont point à se conseiller
ou à se diriger mutuellement. La mission des
personnes divines ne se fait donc ni par com-
mandement ni par conseil, mais elle implique
simplement l'idée d'origine ou de procession i.
Le second rapport que dénote la mission est
relatif au terme oii l'on est envoyé. Il indique
que le messager doit, s'il n'y est déjà, se rendre
au lieu oii on l'envoie, pour être en mesure de
remplir l'office qui lui a été confié
Dans les missions créées, après avoir pris
congé de son maître, l'ambassadeur d'un prince
I. « Missio importât minorationem in eo qui mittitur»
secundum quod importât processionem a principio mit-
tente, aut secundum imperium, aut secundum consilium ;
quia imperans est major, et consiliansestsapientior. Sed in
divinis non importât nisi processionem originis, quae est
serundum aequalitatem. » (S. Th., SummaTheol.,l,q. xliu,
a. 1. ad I.)
€2 PRÉSENCE SPÉCIALE ETE DIEU
«'éloigne de lui et quitte son pays pour se rendre
à la cour du souverain auprès duquel il est accré-
dité; il y a par conséquent changement de lieu.
Il n'est pourtant pas impossible qu'un sujet,
déjà présent dans une contrée qui n'est pas son
pays d'origine, reçoive de son prince une mis-
sion particulière auprès du monarque sur les
terres duquel il se trouve ; dans ce cas, Tambas-
sadeur n'a point à se rendre au terme de sa
mission puisqu'il y est déjà, mais par le fait du
mandat qui lui est donné, il y devient présent
d'une nouvelle manière, ou plutôt à un nouveau
titre, non plus comme simple particulier, mais
en qualité de représentant. La mission divine ne
comporte ni déplacement ni séparation; Dieu,
étant partout, ne peut se rendre quelque part oii
il ne soit déjà, et la personne envoyée ne se
sépare point de celle qui l'envoie, car les trois
personnes de l'adorable Trinité, n'ayant qu'une
seule et même nature, sont nécessairement insé-
parables ; en vertu de la circamincession, partout
où l'une d'elles se trouve, les deux autres y sont
également 1.
Mais pour qu'il y ait vraiment mission, il faut
que la personne divine commence d'être pré-
I. « niud quod sic mittitur, ut incipiat esse ubi prius
nùllo modo erat, sua Tnissione localiter lanovetur ; unde
oportet quod loco separetur a mittente. Sed hoc non acci-
<iît in missione divinae personœ ; quia persona dirina
missa
sicut non incipit esse ubi prius non fuerat, ita née desinit
«sse ubi fuerat. Unde talis missîo est sine separatione, sed
habet solam distinctionemoriginis. » (S.Th., 8wnma Theol.
i. q. XLiii, a. 1, ad 2.)
MISSION, DONATIOK, HAB;. DU SAINT-ESPRIT 63-
sente s&us un mode nouveau là où elle esi eiiiVQyée.
Ainsi, quand le Fils de Dieu fut envoyé dans
le inonde pour opérer notre! rédemption, il ne
quitta point le sein du Père pour venir au milieu
de nous; il était déjà dans le monde, en qualité
de cause, pour conserver ce qu'il avait primiti-
vement créé : In mundo erat, et mundusper ipsum.
factus est^, mais il y vint à nouveau en tant,
qu'il apparut revêtu de notre chair. Ce que nous
disons de la mission visible du Verbe s'applique
également à la mission invisible de l'Esprit-Saint.
Lors donc que ce divin Esprit est envoyé par le
Père et le Fils pour sanctifier la créature, il. n'y
a en lui ni déplacement ni changement; toute
la mutation se tient du côté de l'être créé, qui,
en recevant la grâce, entre par le fait même
dans un nouveau rapport avec la Divinité, dont
il devient tout à la fois l'ami et le sanctuaire.
On voit par là que la mission, divine implique
seulement deux choses : une procession d'origine
et un nouveau mode de présence ; c'est-à-dire
que la personne envoyée procède de celle qui
l'envoie, et devient présente d'une manière nou-
velle au terme de sa mission'. Et comme le Fils
I. Joan., I, 10.
a. (c Missio igitur divinae personae conTcnire potest?,
seeun-
dum quod importât ex una parte processionem originiff a
mittente, et secundum q^uod importât ex alia parte novum
modum existendi in alio ; sicut Filius dicitur esse missus
a Pâtre in mundum, secundum quod incepit in mundo
esse per carnem assumptam ; et tamen antea in munda
états uit dicitiii? Joan., li, lO. »- (Siwnma. T/i«ûi», I,
q. xun,
a. I.)
(54 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
procède uniquement du Père, il ne peut être
envoyé que par lui ; l'Esprit-Saint au contraire
est envoyé par le Père et le Fils, parce qu'il
procède de l'un et de l'autre. Quant au Père, ne
procédant de personne à raison de son innasci-
bilité, il n'est jamais envoyé; il vient pourtant
de lui-même dans l'âinj juste et accompagne les
deux autres personnes.
III
Les considérations que nous venons de faire
sur la mission invisible du Saint-Esprit s'appli-
quent pareillement à sa donation; avec cette
différence que le mot de mission n'exprime, en
outre du rapport d'origine avec le Père et le Fils
qui l'envoient, qu'un mode spécial de présence
dans la créature qu'il sanctifie, sans indiquer la
nature de cette présence ; tandis que la donation
nous révèle déjà, dans une sorte de demi-jour,
le caractère particulier de l'union que la créature
raisonnable contracte par la grâce avec la per-
sonne divine qui lui est donnée.
En effet, pour qu'il y ait donation du Saint-
Esprit, il ne suffit pas qu'une relation nouvelle
quelconque s'établisse entre l'àme qui le reçoit
et ce divin Esprit, il faut encore que cette âme
possède Celui que l'Eglise appelle si justement le
don de Dieu ; car ce que l'on donne à quelqu'un
devient son bien, sa possession i ; et qu'est-ce
i.« Ad dationem Spiritus Sancti, non sufRcit quod sit
nova relatio, qualiscumque est creaturae ad Deum; sed
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 65
que posséder une chose, sinon avoir la faculté
d'en user librement et d'en jouir à volonté? Ha-
bere autem dicimur id quo libère possumus uti vel
frui ut volumus^. Or, seule la créature raisonnable
est capable de posséder Dieu et de jouir de lui,
ou d'une manière parfaite comme les bienheu-
reux dans le ciel, ou d'une manière initiale et
commencée, comme les justes et les saints d'ici-
bas'.
Les êtres privés de raison peuvent bien recevoir
la motion, l'impulsion, l'action de Dieu; ils ne
sauraient ni jouir de sa présence ni user librement
de ses dons ; ils peuvent avoir en eux une par-
ticipation lointaine et analogique de la perfection
incréée, mais quant à posséder la substance
divine et à jouir du Bien souverain, ils en sont
radicalement incapables, car on ne peut possé-
der Dieu et en jouir que par la connaissance et
l'amour, et l'être intelligent seul est capable de
tels actes. Encore a-t-il besoin pour cela d'être
élevé au-dessus de sa condition native et de
recevoir d'en haut une grâce qui le rende parti-
cipant du Verbe divin et de l'Amour qui pro-
cède du Père et du Fils comme d'un seul prin-
oportet quod referatur in Ipsum sicut ad habitum • quia
quod datur alicui habetur aliquo modo ab illo. » (S. Th.,
Sent., 1. 1, dist. xiv, q. ii, a. 2, ad 2.)
1. S. Th., Summ. TheoL, I, q. xxxvm, a i.
2. « Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi
vel ad fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae :
aut secundum fructum imperfectum, et sic habetur per
donum gratiae gratum facientis. » (S. Th., Sent.t 1. I,
dist.
XIV, q. II, a. a, ad 2.)
BAB. lAIRT-BIPKIT.
66 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
cipe^. Donc la donation d'une personne divine
implique une présence spéciale de la Divinité
dans la créature qui la reçoit ; présence absolu-
ment distincte de celle par laquelle Dieu est en
toules choses en qualité de cause efficiente.
Nombreux en effet sont les caractères qui dit-
férencient ces deux modes de présence. Ainsi, la
présence de Dieu par manière de cause efficiente^
est commune à tous les êtres sans exception; la
présence de Dieu comme objet de connaissance et
d'amour n'est possible que pour les créatures
intelligentes. La première est universelle et se
réalise nécessairement partout où se rencontre
un effet quelconque de la puissance divine; elle
est même inamissible tant que l'être créé est
maintenu dans l'existence, car Dieu doit être là
pour le conserver. La seconde, s'il s'agit d'une pré-
sence substantielle et non purement objective, est
le privilège exclusif des âmes justes; effet du libre
I. « Habere dicimiirid quo libère possumus uti vel frui ut
volumus. Et per hune modum divina persona non potost
haberi nisi a rationali creatura Deo conjuncta ; ali* autem
creaturae moveri quideni possunt a divina persona, non
tamen sic quod in potestate earum sit frui divina persona,
et uti effectu ejus. Ad quod quandoque pertingit rationalis
creatura, utputa cum sic fit particeps divini Verbi et pro-
cedentis amoris, ut possit libère Deum vere cognoscere et
recte amare. Unde sola creatura rationalis potest habere
divinam personam. Sed ad hoc quod sic eam habeat,
non potest propria virtute pervenire , unde oportet quod
hoc ei desuper detur ; hoc enim dari nobis dicitur quod
aliunde habemus. Et sic divinae personae competit dari et
Csse donum. » (S. Th., Summa TheoL, I, q. xxx.viii, a. i.)
a. Samma Theol., I, q. vni, a. 3.
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT ESPRIT 67
vouloir de Dieu, elle vient avec la grâco et se
perd avec elle. L'une n'apporte, au moins directe-
ment, ni ioie ni consolation; elle est souvent
inconsciente ou ignorée; et combien, parmi les
êtres raisonnables capables de la connaître ou la
connaissant effectivement, voudraient, dans leur
malice, pouvoir s'en défaire en chassant de leur
cœur Celui qu'ils considèrent comme le témoin
importun de leur inconduite et le vengeur de
leurs crimes! L'autre, au contraire, est pleine
de douceur et de suavité; c'est une union de
jouissance commencée ou consommée. Qui pour-
rait confondre deux modes de présence si diffé-
rents l'un de l'autre? Dans l'un. Dieu est en
nous à titre d'agent; dans l'autre, Dieu est à
jious, en qualité de protecteur et d'ami.
IV
Dieu se trouve donc dans les justes d'une manière
toute spéciale, il y habite, suivant l'expression
employée par nos saints Livres. Mais, chose
étonnante. Dieu n'habite pas partout où il est.
Combien d'êtres auxquels il est réellement et
substantiellement présent à titre de cause effi-
ciente, y exerçant son activité, y produisant tel
ou tel effet, et dans lesquels néanmoins il n'ha-
bite pas, au sens que l'Ecriture donne à cette
expression ! Et cela se comprend. Le lieu qui
est l'habitacle de Dieu a, dans toutes les langues,
un nom spécial, c'est un tempile. Or, on ne sau-
rait donner le nom de temple à une demeure
vulgaire, destinée à des usages profanes : le tem-
68 PRÉSENCE ?PFrT\LTî DE DIEU
pie est un lieu consacré et Hédié au culte de
Dieu, qui daigne y habiter et accueillir favora-
blement les prières de pes adorateurs. « Le
temple est un lieu consacré au Seigneur pour
qu'il y habite »), nous dit l'angélique Docteur :
Templum est locus Dei ad inhahitandum sibi conse-
cratas^.
Dans les temples matériels, cette consécration
se fait par le ministère du pontife, avec tout un
ensemble de prières, d'onctions, de cérémonies,
capable de faire comprendre au peuple chrétien
que désormais ce lieu est saint, et qu'il faut s'y
présenter et s'y tenir avec tout le respect dû à
la Majesté souveraine qui l'habite. Dans les tem-
ples spirituels, c'est-à-dire dans les âmes, cette
consécration se fait par la grâce, que nous rece-
vons primitivement dans le saint baptême'; et
si nous avons le malheur de polluer par le
péché ce sanctuaire intérieur, la divine Miséri-
corde a daigné nous donner, dans le sacrement
de pénitence, un moyen d'opérer sa réconcilia-
tion.
Mais parce que la violation d'une chose sainte
est un sacrilège capable d'attirer la colère
divine sur la tête de celui qui le commet, l'apô-
tre saint Paul, voulant faire comprendre aux
i' S. Th., Commeiu. in II Cor., n, 16
a. « Et quidem in materiali templo est quaedam sacra-
mentalis sanctitas, prout templum divino cultui dedicatur ;
sed in fidelibus Christi est sanctitas gratiœ, quam
consecuti
sunt per baptismum, secundum illud, infra yi, 11 : Abluti
estis, tanctifwati estis. » (S. Th., in I Cor m, 17.)
MISSION, DONATION, HA.B. DU SAINT-ESPRIT 69
fidèles de Corinthe la gravité d'une telle profa-
nation et les conséquences redoutables qu'elle
peut entraîner, leur disait : « Si quelqu'un viole
le temple de Dieu, Dieu le perdra : Si quis iem-
plum Dei violaverit, disperdet illum Deas^. » Et la
raison qu'il en donnait, c'est que le temple de
Dieu est saint; « et c'est vous-mêmes, ajoutait-il,
qui êtes ce temple : Templum enim Dei sancium
est, quod esiis vos'. »
Et pour qu'on ne soit pas tenté de croire que
Dieu habite, quoique avec peine et répugnance,
dans les pécheurs, l'Ecriture nous déclare for-
mellement qu'il n'en est point ainsi. Elle nous
dit en effet que la sagesse (et l'on peut entendre
par cette expression la Sagesse incréée et engen-
drée, c'est-à-dire le Verbe) n'entrera pas dans
une âme mauvaise, qu'elle n'habitera pas dans
un corps assujetti au péché : In malevolam ani-
mam non iniroibii sapientia, nec habitabit in corpore
subdito peccatis^. Elle ajoute que l'Esprit-Saint,
lui aussi, qui est un esprit de science, aban-
donne celai qui n'a que l'apparence du bien, et
que la survenance de l'iniquité le met en fuite :
Spiritus enim sancias disciplinée ejfagiet ficium...,
et corripietur a superveniente iniquitate^. Et pour
écarter toute erreur, pour prévenir toute illu-
sion, elle va jusqu'à dire que non seulement
Dieu n'habite pas dans les pécheurs, mais encore
1. I Ccr.. III, 17,
2. Ibid.
3. Sap., I, 4.
4. Sap., I, 5.
J]0 PRESENCE SPÉCIALE DE DIEU
qu'il est loin d'eux : Longe est Dominas ah
impiis ' .
Il est intéressant d'entendre sur ce point le
grand évêque d'Hippone. Dans son livre Sur la
présence de Dieu, adressé à Dardanus, où il traite
ex professo la question de l'habitation divine,
saint Augustin commence par exposer que Dieu
est partout, tout entier dans chaque être et
chaque partie de l'être, puis il ajoute : « Mais ce
qui est plus surprenant, c'est que Dieu, quoique
tout entier partout, n'habite cependant pas dans
tous les hommes. En effet, ce n'est pas à tous
que peuvent s'appliquer les paroles de l'Apôtre :
Ae savez-voas pas que vous êtes le temple de Dieu,
et que le Saint-Esprit habite en vous? (I Cor., m,
i6), car il dit de quelques-uns : Celui qui n'a
pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas. (Rom.,
VIII, 9.) Or, qui oserait penser, à moins d'igno-
rer complètement l'inséparabilité des personnes
divines, que le Père ou le Fils puissent habiter
où le Saint-Esprit n'habite pas, et que le Saint-
Esprit habite quelque part sans le Père et le
Fils? Il faut donc avouer que Dieu est partout
parla présence de sa divinité, mais non par une
grâce d'habitation : Unde fatendum est ubique esse
Deum per divinitatis prœsentiam, sed non ubique
per habitationis gratiam.
« Dieu donc, qui est partout, n'habite pas
dans tous les hommes ; et il n'habite pas non
plus au même degré dans ceux où il établit sa
demeure : Etiam in qaibus habitat, non œqualiter
I. Prov., XV, 29,
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT jy
habitai. N'est-ce pas- en effet pour cela qu'Elisée
demanda le double esprit qui était dans Elle?
(4 Reg , II, 9.) Et d'oii vient que, parmi les
saints, les uns le sont plus que les autres, sinon
parce que Dieu habite plus pleinement en eux?
Mais si Dieu est plus dans les uns que
dans les autres , que devient la vérité de ce que
nous avons avancé précédemment, savoir que
Dieu est tout entier partout? Pour le savoir,
il faut considérer attentivement ce que nous
avons dit, que c'est en lui-même que Dieu est
tout entier partout, et non dans les hommes, qui
le reçoivent les uns plus, les autres moins. On
dit en efTet qu'il est partout, parce qu'il n'est
absent d'aucune partie de l'univers ; qu'il est
tout entier partout, parce qu'il n'est pas partiel-
lement présent à chaque chose, en sorte qu'une
partie plus ou moins grande de son être réponde
à chaque partie plus ou moins grande des cho-
ses ; mais il est tout entier présent non seulement
à l'universalité des créatures, mais encore à
chaque partie de l'univers. Ceux qui, par le
péché, lui deviennent dissemblables, sont dits
éloignés de lui; ceux-là, au contraire, s'en rap-
prochent, qui lui ressemblent par une pieuse et
sainte vie.
u Mais ceux à qui I)ieu est présent ont beau
être moins capables de le recevoir, il n'en est pas
pour cela moindre lui-même. Et de même qu'il
n'est pas absent de ceux en qui il n'habite pas,
et qu'il est même tout entier en eux, quoiqu'ils ne
le possèdent pas ; ainsi il est présent tout entier
dans ceux en qui il habite, bien qu'ils ne le sai-
sissent pas totalement.
ya PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU
« Pour habiter dans les hommes, Dieu ne se
partage pas dans leurs cœurs ou dans leurs
corps, en attribuant une partie de lui-même à
ceux-ci et une autre à ceux-là...; mais tout en
demeurant éternellement immuable en lui même,
il peut être présent tout entier à toutes choses,
et tout entier à chacune, quoique ceux en qui il
habite, et dont il s'est fait, par sa bonté et sa
grâce, un temple très cher, le possèdent les uns
plus, les autres moins, selon leur diverse capa-
cité'. »
Ainsi donc, au sentiment de saint Augustin,
Dieu n'habite dans une âme qu'à la condition
d'être saisi et possédé par elle, ce qui a lieu par
la connaissance et l'amour; car posséder Dieu,
c'est le connaître : Hoc est Deum habere, quod
nosse*, non pas, il est vrai, d'une connaissance
quelconque, car « *ls n'appartiennent pas au
temple de Dieu, ces philosophes superbes qui
l'ont connu sans le glorifier et lui rendre
grâces 3 », mais d'une connaissance accompagnée
de charité, et voilà pourquoi u ils appartiennent
au temple de Dieu, ces enfants qui ont été sanc-
tifiés par le sacrement du Christ, et régénérés
par l'Esprit-Saint, et que leur âge rend incapa-
bles de connaître Dieu. Ainsi celui que les phi-
losophes ont connu et n'ont point j^ossédé, est
possédé par les enfants avant même qu'ils soient
I. S. Aug., lib. De Prassentia Dei, seu Epist. ad Dardan.
187 (alias 57), c. v et vi, n. 16-19.
a. Ibid., c. VI, n. 21
3. Ibid.
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 78
en état de le connaître. Mais bienheureux ceux
pour qui connaître Dieu, c'est le posséder; car
cette connaissance est la plus complète, la plus
vraie et la plus heureuse i ». En sorte que, chose
extrêmement étonnante, Dieu habite dans quel-
ques-uns de ceux qui ne le connaissent pas
encore, tandis qu'il n'habite point en d'autres qui
le connaissent.
Pour être le temple et rhabîtacle de la Divinité,
il faut avoir la grâce et la charité, c'est la con-
dition indispensable ; aussi non seulement ceux
qui connaissent Dieu sans l'aimer ne possèdent
pas en eux l'hôte divin, mais ceux-là mêmes qui
font des miracles sans être en état de grâce ne le
possèdent pas non plus; car toutes ces choses sont
faites par Dieu en vertu de sa présence ordinaire, ou
par le ministère des saints anges : Agit enim hœc
Deus tanquam ubique prœsens, vel per sanctos
angelos suos^. Et saint Augustin conclut enfin
par ces paroles, qui résument cette longue mais
instructive citation : « Dieu est donc présent par-
tout et tout entier partout ; il n'habite cepen-
dant point partout, mais seulement dans ceux
qui forment son temple et sur lesquels il répand
les trésors de sa grâce et de sa miséricordieuse
bonté. Et ceux en qui il habite le possèdent à des
degrés divers, les uns plus, les autres moins*. »
1. S. Aug., lib. De Prœsentia Dei, c. vi, n. 21.
a. Ibid., c. XII, n. 36.
3. « Deus igitur ubique prœsens est, et ubique totus prae-
sens : nec ubique habitans, sed in templo suo, eu. per gra-
tiam benignus est et propitius. Capitur autem habitans ab
aliis amplius, ab aliis minus. » (Ibid., c. xiii, n. 38.)
74 PI\ÉSEx>CE SPÉCIALE DE DIEU
Cette doctrine de la présence spéciale, de TAût-
bitation de Dieu dans les justes, que le Docteur
de la grâce affirme, quant au fait, en termes si
formels, mais qu'il laisse isuite, relativement à
la manière dont il faut l'entendre, dans une
sorte de pénombre, a été mise en pleine lumière
par son fidèle disciple et interprète, le Docteur
angélique. Voici, en effet, comment celui-ci s'ex-
prime dans son Commentaire sur les paroles de
l'Apôtre : Vous êtes le temple da Dieu vivant :
« Quoique Dieu soit en toutes choses par sa
présence, sa puissance et son essence, il n'habite
pourtant point partout, mais seulement dans
les saints par la grâce. Et la raison en est
que, s'il est en toutes choses par son action y
en tant qu'il s'unit aux créatures pour leur
donner et leur conserver l'être, il n'y a que
les saints qui, par leur opération, c'est-à-dire
par la connaissance et l'amour , peuvent
atteindre Dieu, et 'le contenir en quelque sorte en
eux. Car celui qui connaît et qui aime possède en
lui-même 1 objet connu et aimé^. »
I. « Licet Deus in omnibus rébus dicatur esse perpraesen-
tiam, potentiam et essentiam, non tamen dicitur in eîs
habitare, sed in solis sanctis per gratiam. Gujus ratio est,
quia Deus est in omnibus rébus per suam actionem in quan-
tum conjungit se eis, ut dans esse et conservans in esse. In
sanctis autem est per ipsorum operationem qua attingunt
ad Deum, et quodam modo comprehendunt ipsum, qusB
«st diligere et oognoscere. Nam diligens et cognoscens dici-
tur in se habere cognita et dilecta. » (S. Th., in II Cor.,
c. Ti, i6, lect. 3.)
MISSION. DONATION, HAB, DU SAÎNT-ESPRIT 76
Déjà sur cet autre texte du même Apôtre : Ne
savez^vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et
que VEsprit-Saint habite' en vous? saint Thomas
avait fait les réflexions suivantes : (( U est de la
nature d'un temple d'être l'habitacle de Dieu,
selon ces paroles du Psalmiste : Dieu habite dans
son saint temple (Ps. x, 5) : par conséquent tout
ce qui est la demeure de Dieu peut être appelé
temple. Or Dieu demeure principalement en lui-
même, parce qu'il est seul à se comprendre ; il
peut donc être appelé son propre temple... Il
habite aussi dans une maison consacrée par le
culte spécial qu'il y reçoit... Il habite encore
dans les hommes par la foi que la charité rend
active, suivant ces paroles de l'Apôtre aux Ephé-
siens : Le Christ habite dans vos cœurs par la
foi. (Ephes., m, 17.) Et pour prouver que les
fidèles sont le temple de Dieu, l'Apôtre ajoute
que Dieu habite en eux : et l'Esprit de Dieu habite
en vous... 11 est donc manifeste que le Saint-
Esprit est Dieu, puisque, en établissant son séjour
dans les fidèles, il en fait des temples de Dieu;
car ce n'est que l'habitation de la Divinité qui
constitue un temple : Sola enim inhabitaiio Del,
iemplum Deifacit.
« Mais il faut considérer que Dieu est dans
tout être créé par son essence, sa puissance et sa
présence, remplissant tout des effets de sa bonté,
suivant cette parole de Jérémie : Je remplis le
ciel et la terre. (Jer., xxm, 2/i.) Spirituellement,
Dieu habite comme en sa maison de famille, tan-
quani in familiari domo , dans les saints, dont Tesprit
est capable de le posséder par la connaissance et
l'amour, quorum mens capax est Dei per cognitio-
^6 PKÉSENCE SPECIALE DE DIEU
nem et amorem, lors même qu'ils ne le connais-
sent pas et ne laiment pas d'une manière
actuelle, à condition cependant qu'ils aient, avec
la grâce et par elle, la vertu de foi et de charité,
comme cela a lieu pour les enfants baptisés.
Mais une connaissance qui n'est pas accompa-
gnée de charité est insufQsante pour établir Iha-
bitation de Dieu, comme l'indiquent les paroles
de saint Jean : « Celui qui demeure dans la cha-
rité demeure en Dieu, et Dieu en lui. » (1 Jean.,
IV, i6 ) Voilà pourquoi beaucoup connaissent
Dieu par une connaissance naturelle ou par la
foi informe, et n'ont pas cependant l'Esprit de
Dieu à demeure dans leur cœuri. »
Gest donc une vérité acquise et incontes-
table que Dieu existe d'une manière spéciale
dans les justes ; l'Ecriture, la Tradition, ren-
seignement théologique, s'accordent pour affir-
mer le fait dune présence particuHère de la
Divinité dans les âmes auxquelles lEsprit-Saint
est envoyé ou donné, et qui deviennent par la
grâce le temple et Ihabitacle de l'adorable Tri-
nité. Ce n'est plus simplement par son opération,
à titre d'agent ou de cause efficiente, que Dieu
est en elles ; c'est en qualité d'hôte, d'ami, de
bien souverain, dont elles peuvent déjà commen-
cer à jouir dès cette vie.
Ce nouveau mode de présence, qui n'exclut
point les autres, mais s'y surajoute, n'emporte
aucun changement en Dieu, qui est immuable.
1. S. Th., in I Cor., m, i6, lect. S.
MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 77
mais il suppose dans la créature une modifica-
tion', un e^ t nouveau produit en elle et deve-
nant le principe d'une nouvelle relation, en vertu
de laquelle la créature se rapporte à Dieu non
plus seulement comme l'effet à sa cause, mais
comme le possesseur à l'objet devenu sa pro-
priété et la matière de sa jouissance; et, de son
coté, au lieu d'une vulgaire relation de causalité
qu'il avait auparavant avec la créature, Dieu
eatre avec elle dans un rapport d'appartenance
et de possession : il devient son bien, son ami,
son époux, l'objet de sa connaissance et de son
amoir.
Cet effet nouveau qui fonde, entre l'âme juste
et Dieu, des rapports si différents de ceux qui
existent entre une créature quelconque et son
Créateur, n'est autre aue la grâce sanctifiante.
Ni les dons de la nature, si élevés et si brillants
qu'on les suppose, ni les grâces gratuites, comme
le don des niracles ou de prophétie, ni la foi
elle-même ou l'espérance séparées de la chanté,
ne suffisent pour nouer de pareilles relations,
pour établir des liens à la fois si doux et si
étroits. « N allas alias ejfectas potest esse ratio qaod
divina persona sit novo modo in creatara raiionali,
nisi gratia gratam faciens *. Nul autre effet que la
1. « Dicendum quod divînam personam esse novo modo
in aliquo, vel ab aliquo haberi temporaliter, non est prop-
ter mutationem divinae personae, sed propter mutationem
creaturae, sicut et Devis temporaliter dicitur Dominus
propter mutationem creaturae. » (S. Th., Summa TheoL, I,
q. îun, a. 2, ad 2.)
2. S. Th., Samma Theol.t I, q. xuii, a. 3.
•yS PRÉSE^'(TE SPéciALE DE DIEU
grâce sanctifiante ne peut être la raison de ce
nouveau mode de présence de la personne
divine. » Mais quelle est an juste la nature de
celte présence? C'est ce qu'il nous ffeiut examiner
maintenant.
CHAPITRE II
Nature de cette présence
I
Quand les saintes Lettres nous disent que
TEsprit-Saint nous est envoyé, nous est donné
lour sanctifier nos âmes, que les personnes
livines habitent en nous par la grâce, comment
■aut-il
entendre ces textes? Faut-il les prendre
ians leur sens naturel et obvie, et admettre la
venue réelle de l'Esprit-Saint, la présence vraie,
physique, substantielle, de l'adorable Trinité dans
l'âme justifiée? ou devons-nous expliquer ces
expressions dans un sens métonymique, et
n'y voir qu'une de ces figures dont abonde le
langage humain, attribuant à l'effet le nom de
la cause? En d'autres termes, est-ce bien la per-
sonne même du Saint-Esprit qui nous est don-
née par la. grâce et avec la grâce, et qui accom-
pagne ses dons en venant elle-même dans nos
cœurs? ou ne recevons-nous en réalité que les
dons créés, la grâce et les vertus infuses qui
forment son inséparable cortège?
11 pourrait sembler, à première vue, que la
mission ou la donation d'une personne divine
doit s'entendre uniijuement de la présence de
cette personne par ses effets et ses dons, par la
communication d'une perfection qui lui est
80 NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU
appropriée et qui la manifeste, et non de sa
venue réelle et personnelle; car enfin puisque
Dieu est partout, comment peut-il venir quelque
part autrement que par ses effets?
Aussi les ariens et les macédoniens, ces néga>
teurs obstinés de la divinité du Verbe et du
Saint-Esprit au IV^ siècle, se refusaient-ils à
voir, dans les passages de l'Ecriture où il ejt
question de la mission invisible du Fils et ài
Saint-Esprit, autre chose que l'effusion d^s
grâces créées, à l'exclusion des personnes
divines. Ils avaient pour cela, à leur point de
vue, une excellente raison. Comment admettre
en effet que c'était bien réellement la personne
même du Saint-Esprit que Notre-Seigneur prc-
mettait d'envoyer et qu'il envoya effectivement i
ses apôtres, sans reconnaître la divinité du Sau-
veur? Il n'y a qu'un Dieu qui puisse envoyer
une personne divine. D'autre part, si l'Esprit dt
vérité promis par Jésus-Christ, l'Esprit qui
en répandant la grâce et la charité dans nos
cœurs, fait de nous les enfants adoptifs de Dieu,
est vraiment une personne, il ne peut être, lui
aussi, qu'une personne divine; car il n'y a qu'un!
Dieu qui puisse déifier en communiquant sa
nature.
ku \Ve siècle, les Grecs schismatiques, vou-
lant se soustraire à la nécessité de confesser,
avec les catholiques, que le Saint-Esprit procède
du Père et du Fils, soutinrent, eux aussi, au
concile de Florence, que les promesses faites par
Jésus-Christ aux apôtres de leur envoyer le
Saint-Esprit devaient s'entendre de ses dons, et
non de sa personne. Et pour confirmer leur
NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 8l
prétention, en l'appuyant sur des témoignages
empruntés aux Livres saints, ils en appelaient
aux passages de l'Ecriture où les dons du Saint-
Esprit sont désignés sous son nom, comme dans
le texte d'Isaïe, où le prophète, parlant du Messie
à venir, s'exprimait ainsi : « L'Esprit du Sei-
gneur se reposera sur lui : l'esprit de sagesse et
d'intelligence, l'esprit de conseil et de lorce,
l'esprit de science et de piété, l'esprit de crainte
du Seigneur le remplira i. n
Par des voies différentes, et pour des motifs
d'une tout autre nature, des théologiens catho-
liques, Vasquez en particulier et Alarcon, S. J.,
sont arrivés à la même conclusion. Ne compre-
nant pas comment une personne divine, qui est
déjà réellement et substantiellement présente en
nous, en vertu de son immensité, peut y venir
de nouveau autrement que par ses dons, ils
enseignent que la mission du Saint-Esprit, et son
habitation en nous par la grâce, n'impliquent
nullement une présence substantielle de ce divin
Esprit, spécifiquement distincte de celle qu'il a
en toute créature, mais simplement une exten-
sion de cette présence commune ; en sorte que
là où Dieu était déjà pour conserver les dons de
la nature, il s'y trouve maintenant pour pro-
duire et conserver ceux de la grâce.
Et si on leur dit, avec saint Thomas, que
Dieu est présent dans les justes comme objet de
connaissance et d'amoui:, sicat cogniLum in cogno-
i. Is., XI, a-3.
HAB. lAINT-BSPMT. — f
Sa NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU
^cente et amatum in amante'^, ce qui est fort diffé-
rent de sa présence ordinaire en qualité de cause
efficiente, per modum causas agentis*, ils répon-
dent que cela constitue bien efîectivement une
présence spéciale, qui est l'apanage exclusif des
êtres raisonnables, seuls capables de connaître
et d'aimer Dieu, mais une présence qui n'est
point réelle, ni physique, ni substantielle,
attendu que nous pouvons connaître et aimer
des objets distants et éloignés de nous; et si
cette connaissance et cet amour nous rendent
ces objets présents d'une certaine manière, pré-
sents à notre esprit d'une présence idéale et
objective, par leur image et leur forme intelli-
gible, présents à notre cœur d'une présence
morale et affective, ils ne suffisent point cepen-
dant pour les rendre réellement et QkkQciiyQuUîni
présents dans notre âme.
Sainte Thérèse se plaint, dans le récit de sa
vie, d'avoir rencontré de ces théologiens; et
voici comment elle en parle : « J'étais, au com-
mencement, dans une telle ignorance, que je ne
savais pas que Dieu fût dans tous les êtres. Mais
comme, durant cette oraison, je le trouvais si
présent à mon âme, comme la vue que j'avais
de cette présence me semblait si claire, il m'était
absolument impossible d'en douter. Des gens
qui n'étaient pas doctes me disaient qu'il s'y
trouvait seulement par sa grâce. Persuadée du
contraire, je ne pouvais m« rendre à leur senti-
1. S. Th., Summa TheoL, I, q. xliii, a. 3.
3. Id., I, q. VIII, a. 3.
NATURE DE LA PIŒSEÎSCB DE DIEU 8^-
ment, et j'en avais de la peine. Un très savant
théologien de l'Ordre du glorieux saint Domi-
nique me tira de ce doute ; il me dit que Dieu
était réellement présent dans tous les êtres, et il
m'expliqua' de quelle manière il se communique
à nous, ce qui me remplit de là pliis vive con-
solation ^ ))
Aussi, loin de se laisser arrêter par les diffi-
cultés soulevées par Vasquez et les tenants de
son opinion, l'immense majorité des théologiens
a reconnu et confessé que ce ne sont point seu-
lement les dons créés que Dieu nous commu-
nique, quand il verso en nous la grâce sanctir-
fiante, mais que le donateur lui-même accom-
pagne ses dons. Et saint Thomas, toujours si
modéré dans ses- appréciations, ne craint pas de
taxer d'erreur le sentiment contraire : error
diceniium Spiritum Sanctum non dari, sed ejus
dona * ; et il enseigne comme une vérité théolo-
giquement certaine que, par la grâce et avec la
grâce, on reçoit en même temps le Saint-Esprit,
qui devient ainsi l'hôte de notre âme : In ipso
dono gratiœ gralum facientis Spiviias Sanclus habe-
tur, et inhabUat konùnem *.
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