sexta-feira, 22 de janeiro de 2021

parte 1

 



R. P. BARTHELEMY FROGET

 

MAITRE EN THEOLOGIE

DE l'ordre des frères PRÊCHEURS

 

 

 

DE L'HABITATION

 

 

 

DU

 

 

 

SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

D'APRÈS LA DOCTRINE DE SAINT-TBOMAS D'AQUIN

 

Douzième édition

 

 

 

 

PARIS (vr)

 

P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR

 

10. RUE CASSETTE. tO

 

 

 

DE L'H.A.BITATION

 

DU SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

 

 

APPROBATION DE L'ORDRE

 

 

 

Nous, soussignés, avons examiné par commission du

T. R. Père P^o^incial le livre publié une première fois sous

ce titre : De l'Habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes,

par le T. R. Père Maître, Frère Barthélémy Froget, de l'Ordre

des Frères Prêcheurs. Cet ouvrage, très recommandable

par la sohdité de la doctrine et par sa conformité avec les

enseignements de saint Thomas, a mérité l'attention des

théologiens. S'il intéresse le progrès de la science sacrée, il

peut aussi contribuer à l'accroissement de la piété dans les

âmes. Il nous a paru digne d'être réédité, et nous déclarons

en approuver l'impression avec les additions et modifica-

tions que l'auteur a jugé à propos d'y introduire.

 

Lyon, en la Fête de saint Raymond de Pennafort, le a3

janvier 1900.

 

Fr. Marie-Joseph BELOiN, des Fr. Pr..

Maître en S. Théologie.

 

Fr. Denis Mézard,

 

des Frères Prêcheun.

 

 

 

Imprimatur.

 

Fr. Jos. Ambrosius LABORÉ, Ord. Praed.

Prior Provincialis Prov. Lugd.

 

 

 

Imprimxitar,

Parisiis, die i!\ Februarii 1900.

 

 

 

E. THOMAS.

Y. G.

 

 

 

L'aateur et l'éditear réservent tous droits de traduction et de

reproduction.

 

Cet ouvrage a élé déposé, conformément aux lois, en décembre 1900.

 

 

 

R. P. Barthélémy frogst

 

MAITRE EN THÉOLOGIE

DB l'ordre des frères PRÊCHEURS

 

 

 

DE L'HABITATION

 

 

 

DU

 

 

 

SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

D'APRÈS LA DOCTRINE DE SAINT THOMAS D'AQUIN

 

 

 

 

PARIS

P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR

 

TO, RUE CASSKTTE, 10

 

 

 

THE 1NSTITUTE OF WEDI^

TORONTO e.

 

 

 

OOT 3 1 m\

 

(oa.3

 

 

 

A notre cher fils, Barthélémy Frogei, de VOrdre de Saint-

Dominique, à Poitiers.

 

 

 

LÉON XIII, PAPE.

 

 

 

Cher Fils,

Salut et bénédiction Apostolique,

 

La piété des catholiques se plaît à Nous offrir fréquemment

les fruits de leur talent et de leur science. De ces travaux,

ceux-là Nous sont assurément les plus agréables, qui servent

à mettre en lumière Nos propres enseignements. Aussi le

livre dont vous Nous avez récemment fait hommage, mérite-

t-il une faveur particulière.

 

Vous y exposez, d'après les doctrines du Docteur Angélique,

en un traité aussi riche que lumineux, l'admirable habitation

de l'Esprit-Saint dans les âmes justes. Ce point de la foi

catholique si capital et si consolant, Nous l'avons Nous-mème

constamment recommandé dans Notre Encyclique, Dimnum

illud munus, au zèle de ceux qui, suivant le devoir de leur

charge, s'adonnent au soin et au salut éternel des âmes. II

importe souverainement, en effet, de dissiper dans le peuple

chrétien l'ignorance de ces hautes vérités, et il faut, par

conséquent, s'efforcer d'obtenir que tous s'appliquent à

connaître, à aimer et à implorer le don du Dieu Très-Haut,

de qui découlent tant de précieux bienfaits. Votre livre a déjà

grandement contribué à atteindre ce but, Nous vous en féli-

citons, et Nous Nous plaisons à espérer que ce bien se conti-

nuera toujours davantage, ce que Nous désirons vivement.

En louant votre parfaite soumission à Notre Autorité, et vos

sentiments de fils très dévoué envers Notre Personne, Nous

vous accordons, de toute l'affection de Notre Cœur, la béné-

diction apostolique, en signe de Notre paternelle bienveil-

lance et comme gage de grâces divines.

 

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 20 février de l'année

1001 et de Notre Pontificat le vingt-quatrième.

 

Léon XIII, Pape.

 

 

 

LETTRE

 

DE

 

S. Em. Mgr COULLIÉ, Archevêque de Lyon

 

 

 

ARCHEVÊCHÉ DB

 

LYON Lyon, le i6 juillet 1899.

 

Mon Révérend Père,

 

Je vous félicite d'avoir abordé dans votre livre l'un des

points les plus intéressants et les plus consolants de la doc-

trine chrétienne : l'Habitation du Saint-Esprit dans les âmes

justes.

 

Il y a dans l'Evangile et dans les Epîtres des passages que

nous lisons souvent sans en pénétrer les enseignements pro-

fonds ; et cependant ces paroles inspirées nous révèlent la

vraie grandeur de l'âme chrétienne en état de grâce et les

admirables relations qui s'étabhssent entre elle et les Per-

sonnes de la sainte Trinité.

 

Aujourd'hui on étudie avec un soin minutieux la psycho-

logie naturelle, mais on néghge ce que l'on peut appeler la

psychologie surnaturelle, c'est-à-dire les énergies, les actions

et les beautés de l'âme que le Saint-Esprit sanctifie par son

habitation et ses mystérieuses opérations. L'apôtre saint

Paul a tracé les grands traits de cette science admirable ;

les saints Pères, particulièrement saint Augustin, l'ont déve-

loppée par leurs savants commentaires.

 

Ce sont ces vérités que vous exposez avec l'exactitude que

vous donne la connaissance approfondie de la théologie de

saint Thomas d'Aquin, et avec une clarté si remarquable

que votre ouvrage sera apprécié non seulement par les

ecclésiastiques, mais aussi par les fidèles avides de mieux

connaître notre sainte religion.

 

Aussi je suis heureux de le recommander, et, en vouç

exprimant mes sentiments respectueux et dévoués, je prie

Notre- Seigneur de bénir vos travaux et votre ministère

apostolique.

 

t Pierre, Gard. COULLIÉ,

Archevêque de Lyon et de Vianne.

 

 

 

 

 

 

TABLE DES CHAPITRES

 

 

 

Approbation de l'Ordre et Imprimatur de l'Ordi-

naire. . VI

 

Lettre DE S. Ém. M^' Codlué, At^chevêque de Lyon. ix

 

Avant-tPropos de la deuxième édition Xlll

 

Introduction i

 

PREMIÈRE PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE COMMUNE ET ORDINAIRE DE DXBU

EN TOUTE CRÉATURE.

 

Chapitre I. — De la présence de Dieu en toutes choses

 

en qualité d'agent ou de cause efficiente .... 7

 

Chapitre II. — Combien cette présence est intime,

profonde, universelle. — Ses différents degrés . . 3o

 

DEUXIÈME PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DÏEU

 

OU DE

 

l'habitation du SAlNT^ESPRrr DANS LES AMES JUSTES.

 

Chapitre I. — Le fait de la présence si)éciale de Dieu

dans les justes. — Mission, donation, habitation

du Saint-Esprit 53

 

Chapitre U. — Nature de cette présence 79

 

Chapitre III. — Mode de cette présence. — Ce n'est

plus seulement en qualité d'agent que Dieu est

dans l'âme juste, c'est à titre d'hôte et d'ami,

comme objet de connaissance et d'amour. . . . io4

 

Chapitre ÎV. — Exphcation du mode de présence

dont Dieu honore les justes de la terre et les

saints du ciel. — § I. Comment Dieu est présent

par sa substance à l'intelligence et à la volonté des

Bienheureux en tant que vérité première et bien

souverain

 

Chapitre V. — Explication du mode particulier de

présence dont Dieu honore les justes de la terre et

les saintfi du ciel (suite). — § II. Comment la grâce

produit dans les justes de la terre une présence de

Dieu analogue à celle dont jouissent les Satnts du

ciel ,55

 

 

 

137

 

 

 

Xn TABLE DES CHAPITRES

 

TROISIÈME PARTIE

 

l'iNHABITATION divine par la GRACE N EST PAS LA

PROPRIÉTÉ PERSONNELLE DU SAINT-ESPRIT, MAIS LE

PATRIMOINE COMMUN DE TOUTE LA SAINTE TRIMTÊ.

— ELLE EST l'apanage DE TOUS LES JUSTLs, TANT

DE l'ancien que DU NOUVEAU TESTAMENT.

 

Chapitre I. — Quoique attribuée ordinairement à

l'Esprit-Saint, l'inhabitation divine par la grâce ne

lui est pas exclusivement propre, mais commune

aux trois personnes igS

 

Chapitre IL — L'habitation de Dieu dans les âmes

n'est pas l'apanage exclusif des saints de la nouvelle

alliance, mais la dot commune des justes de tous

les temps 221

 

QUATRIÈME PARTIE

 

BUT ET EFFETS DE LA MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

ET DE SON HABITATION DANS LES AMES.

 

Chapitre L — But de la mission invisible de l'Esprit-

Saint et de sa venue dans les âmes : la sanctifi-

cation de la créature. — Pardon des péchés, justi-

fication 2^5

 

Chapitre IL — Notre justification par la grâce est une

véritable déification. — Comment la grâce sancti-

fiante est une participation physique et formelle

de la nature diAine . 268

 

Chapitre III. — Notre filiation divine adoptive —

Analogies et dissemblances entre l'adoption divine

et les adoptions humaines. — Incomparable gran-

deur et dignité du chrétien 3oo

 

Ghapilre IV. — Droit à l'héritage céleste, conséquence

de notre adoption. — Quel est cet héritage ?.. 822

 

Chapitre V. — Effets de l'Habitation du Saint-Esprit :

les vertus infuses théologales et morales .... 354

 

Chapitre VI. — Effets de l'habitation du Saint-

Esprit (suite). — Les dons du Saint-Esprit . . . 878

 

Chapitre VIL — Derniers effets de l'habitation du

Saint-Esprit : les fruits du Saint-Esprit et les

béatitudes ^25

 

APPENDICE

Exposition et réfutation de l'opinion de Petau, rela-

tive à l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes

justes 447

 

Table analytique 477

 

 

 

AVANT-PROPOS

DE LA TROISIÈME ÉDITION

 

 

 

Dans l'admirable Encyclique Divinum illud munas qu'il

adressait au monde catholique en date du 9 mai 1897, le

Souverain Pontife Léon XIII exprimait son ardent désir de

voir la foi en l'auguste mystère de la Trinité se raviver dans

les esprits et la piété envers l'Esprit-Saint s'accroître et

s'embraser dans les cœurs. Pour atteindre ce but, non con-

tent d'entretenir lui-même le peuple fidèle de la présence,

de la vertu merveilleuse, ainsi que de l'action exercée par

ce divin Esprit dans l'Eglise entière et dans chacune des

âmes par l'abondance des dons célestes, le Vicaire de Jésus-

Christ rappelait aux prédicateurs et à ceux qui ont charge

d'âmes le devoir qui leur incombe d'exposer avec soin,

d'une façon claire et suffisamment complète, en écartant

toutefois les controverses ardues et subtiles, tout ce qui

concerne le Saint-Esprit, et notamment les bienfaits sans

nombre que nous en avons reçus et que nous en recevons

sans cesse ; ainsi, ajoutait-il, se dissiperoni l'erreur et l'igno-

rance de ces grandes choses, qui est vraiment indigne des

fils de lumière.

 

Paroles aussi pleines de sagesse que d'à-propos. Combien,

en effet, parmi les chrétiens de nos jours, n'ont qu'une

notion vague et imparfaite de l'Esprit-Saint, de ses dons,

des opérations merveilleuses qu'il vient accomplir dans les

âmes, des richesses et des joies spirituelles dont il comble

quiconque se montre docile à ses inspirations I Peut-être

même ne serait-il pas impossible de rencontrer encore à

t notre époque des fidèles qui, interrogés comme ces prosé-

K lytes auxquels l'Apôtre demandait jadis s'ils avaient reçu le

 

k

 

 

 

XIV AVANT-PROPOS

 

Saint-Esprit, répo.idraiènt comme eux : <f Mais nous n'a-

vons même pas ouï dire qu'il y eût un Esprit-Saint. »

(Act., XIX, 2.) Nombreux, en tout cas, sont ceux qui ignorent

totalement ou ne connaissent que d'une façon absolument

superficielle, et incapable partant de porter des fruits de

salut, cette vérité si belle, si consolante, de la mission invi-

sible, de la venue, de l'habitation du Saint-Esprit dans les

âmes en état de grâce. Et pourtant quel sujet plus digne

d'attention? IS 'est-ce pas là le don par excellence, le don

principe à la fois et couronnement de tous les atutres? Dieu

venant en nous, se donnant à nous, se constituant notre

hôte plein de douceur, notre ami, notre consolateur, l'agent

de notre sanctification, et en même temps le gage, ou plu-

tôt le commencement de notre félicité: n'y a-t-il'pas là de^

quoi intéresser vivement, disons mieux,. de-. quoi passionner

des âmes foncièrement, chrétiennes?

 

Si, après avoir élevé au vrai Dieu un tfempie superbe et

étincelant d'or, Salomon s'écriait avec l'accent d'une foi

vive et d'une profonde admiration : « Est -il croyable que

Dieu habite véritablement sur la terre? Ergone putûndum

est quod vere Deu$ habitée super terrant? Seigneur, mon-

Dieu, si le ciel et les cieux des; cieux ne peuvent vous con-

tenir, combien moins cette maison que j'ai bâtie ^ ! » quels'

doivent donc être les sentiments d'une âme en qui réside',

comme dans un temple vivant, la Majesté infinie, le Gréatèttr

du ciel et de la terre, le Maître du monde ! Or, ce n'est pas

seulement une pieuse croyance, une assertion plus ou moins

problématique, c'est une vérité hors de conteste que Dieu,

par sa grâce, habite véritablement, substantiellement, dans

l'unité de sa nature et la trinité des personnes, en toute

âme juste, et qu'un lien d'amour unit plus étroitement

cette âme à son Créateur qu'un ami ne peut l'être à son

meilleur ami ; aussi coramence-t-elLe dès ici-bas à jouir dé

lui avec une ineffable suavité. Léon XIII va même jusqu%

 

 

 

i. m Reg., Yiii, 27.

 

 

 

AVANT-PROPOS TVtr

 

dire que cette « adtnirable uniofi» ap:pQ\ée Jnhabitationt ne

diffère que par Ifi cpridition ou l'état, de celle q.ui fait le

bonheur des habitants du ciel.* ».

 

Etablir par des arguments inéluctables empruntés^ à la-

révélation le fait de cette présence spéciale de Dieu, dans les

âmes justifiées ; en exposer clairement la nature» le mode,

les merveilleux. effets, celui,no.tamment de notre déification;

par la grâce et de la filiation adoj^tive qpi en est la consé-

quence ; donner par là une compréhension plus parfaite de

la grandeur du.chrétien et de ses- hautes destinées ; inspirer

une estime plus profonde des biens souverainement pré-

cieux qui lui sont départis dès cette vie et un plus vif désir

de l'héritage incomparable qui lui est réservé dans le ciel ;

tracer enfin un tableau du riche et complexe organisme

surnaturel communiqué par le Saint-Esprit aux âmes, en

qui il réside, pour leur permettre de collaborer, sous sa

direction, au grand œuvre de leur sanctification, tel est le

magnifique programme que nous nous sommes efforcé de

remplir dans le présent ouvrage.

 

Dieu a daigné bénir notre travail, et le succès a vraiment

dépassé nos espérances.

 

Cette seconde édition est la reproduction exacte de la

première, sauf quelques légers changements, non de doc-

trine, mais de disposition. Ainsi, nous avons multiplié les

chapitres pour en rendre la lecture plus facile ; renvoyé à la

fin du volume, par mode d'appendice, certaines discussions

goûtées, il est vrai, des théologiens, mais un peu ardues

pour le grand public ; et supprimé, par amour de la paix,

une polémique devenue moins utile, après que la vérité

avait été dûment rétablie. Nous avons également ajouté

quelques éclaircissements sur les dons du Saint-Esprit pour

bien mettre en lumière la pensée de saint Thomas.

 

 

 

i. t Etec aotem mira conjnnetio, qaae siio Domine inhabitaiio dicitur, oondi-

lione tajatum sen stalo ab ea discrepat qua cœlitesDeus beandocomplectitur. »

Ex. Epist. Esctcl. Divinu» iUud munus Leonia PP. XIII, data die 9 maii

 

i^7.

 

 

 

XVI AVANT-PROPOS

 

Daigne rEsprit-Saint bénir ces humbles pages écrites

pour sa gloire et leur faire porter des fruits d'édification.

Nous serions amplement dédommagé du travail qu'elles

nous ont coûté, si elles pouvaient contribuer à répandre la

connaissance et l'estime des dons divins, faire croître dans

les âmes la dévotion et la confiance envers l'Esprit sanctifi-

cateur, et réaliser ainsi, au moins dans une certaine mesure,

les vœux du Père commun des fidèles.

 

Poitiers, le i5 janvier 1900, en la fête du saint Nom de

Jésus.

 

 

 

I

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

S'il est une vérité précieuse à connaître et

douce à contempler, une vérité offrant un inté-

rêt plus qu'ordinaire et contenant en quelque

sorte la moelle du christianisme, une vérité fré-

quemment rappelée dans les Livres saints et

néanmoins laissée pour ainsi dire complètement

dans l'ombre par la chaire contemporaine, même

quand l'orateur s'adresse à cette élite d'âmes qui

ne demande qu'à pénétrer plus avant dans le

mystère du royaume de Dieu, c'est assurément

le dogme si pieux, si consolant, si réconfortant

de la présence et de l'habitation de l'Esprit-Saint

dans* les âmes justes. Cette belle doctrine tant

aimée des Pères, si souvent traitée par eux, soit

dans leurs exhortations aux fidèles sous forme

d'homélies, soit dans leurs controverses avec les

hérétiques adversaires de la divinité du Verbe ou

du Saint-Esprit, fut pieusement recueillie par les

théologiens du Moyen Age, notamment par le

plus grand d'entre eux, le prince de la scolas-

tique, l'angélique Docteur saint Thomas d'Aquin,

qui se l'est pour ainsi dire appropriée et l'a

comme marquée de son sceau, en la formulant

avec toute la précision du langage théologique.

 

On la retrouve plus tard exposée avec amour et

une émotion que l'on sent sous les froideurs de

 

BAB. fAUIT-S3P«lT. — i

 

 

 

2 INTRODUCTION

 

la lettre, par les principaux représentants de la

science sacrée, les Gonet, les Jean de Saint-Tho-

mas, les Suarez, les théologiens de Salamanque;

elle forme, dans leurs œuvres, comme une oasis

pleine de fraîcheur, qui repose agréablement de

l'aridité et de la sécheresse des discussions théo-

logiques. Petau et Thomassin l'ornèrent des tré-

sors de leur érudition, en reproduisant quelques-

uns des plus beaux passages des saints Père& qui

s'y rapportent. Loin d'avoir vieilli de nos jours,

elle a été au contraire remise en honneur par

quelques célébrités contemporaines ; les EEm. car-

dinaux Franzelin et Mazzella dans leurs savants

traités, Mg'' Gay dans ses conférences si remar-

quables sur La Vie et les Vertus chrétiennes^

d'autres encore l'ont abordée avec un incontes-

table talent et des fortunes diverses.

 

D'où vient donc qu'elle est encore si peu

connue, et partant si peu appréciée, même par

les hommes du sanctuaire? On sait bien, sans

doute, au moins vaguement, pour l'avoir entendu

dire sans autre explication, ou l'avoir lu dans le

sainl Evangile, que l'Esprit-Saint , ou plutôt la

sainte Trinité tout entière, habite dans les âmes

qui ont le bonheur d'être en état de grâce et de

posséder la charité ; mais en quoi consiste au

juste cette inhabitation? Comment se distingue-

t-elle de l'omniprésence divine ? Qu'apporte-

t-elle de spécial à celui qui en est gratifié? Quels

en sont les résultats et les effets? Voilà ce que

l'on ignore et ce qu'il importerait extrêmement

de connaître; car sans cela, semblable à ces

astres perdus aux confins du monde et n'en-

voyant à nos yeux qu'une lumière faible et indis-

 

 

 

INTRODUCTION D

 

tincte, la notion que l'on possède de ce point de

la doctrine catholique est trop vague, trop con-

fuse, pour saisir et impressionner fortement les

âmes, en y produisant ces fruits salutaires de

joie et de consolation qu'elle est appelée à

porter.

 

Serait-ce donc une question inabordable pour

les intelligences ordinaires ? Est-ce un livre

scellé, dont quelques rares privilégiés possèdent

'le secret de briser les sceaux et de déchiffrer les

caractères? Mais non; nous espérons bien, avec

la grâce de Dieu, mettre cette doctrine à la por-

tée de tous nos lecteurs. Dira-t-on qu'il s'agit

d'une théorie fort belle, il est vrai, mais sans

influence pratique dans la conduite de la vie?

Il n'en est rien ; cette étude, spéculative en ap-

parence , est féconde en enseignements prati-

ques, et elle offre à ceux qui ne craignent pas

de l'entreprendre, non seulement des joies vives

et pures, mais encore de puissants motifs de

sanctification.

 

Notre dessein, en écrivant ces pages, est de

mettre à la portée des âmes de bonne volonté et

des esprits même peu accoutumés aux spécula-

tions théologiques, mais avides de vérité et

jaloux de quitter le terre-à-terre des discussions

quotidiennes, une doctrine contenant notre plus

haut titre de gloire et de noblesse. Nous nous

efforcerons d'apporter, dans cette étude, toute la

clarté que comportent des matières si relevées,

en prenant pour guide le maître incomparable

dont l'illustre Pontife Léon XIII ne cesse de

recommander les enseignements, et dont nous

sommes fier de nous dire l'humble disciple,

 

 

 

lîNTRODUGTION

 

 

 

saint Thomas d'Aquin, qui a projeté sur cette

question, comme sur tant d'autres, les lumières

de son génie. Ce n'est pas qu'il l'ait traitée avec

cette abondance de détails et cette ampleur de

développements que l'on souhaiterait ; il s'est

plutôt contenté de poser les principes et de con-

denser sa pensée dans une de ces formules brèves,

mais riches de substance, que l'on rencontre à

chaque page de sa Somme théologique. De ce style

ferme, limpide, élevé, qui le caractérise, il a

exprimé en peu de mots tout ce qu'il fallait dire

pour être compris par les esprits initiés à la ter-

minologie scolastique, laissant à d'autres qui en

auraient le loisir, le goût et la facilité, le soin

d'émietter sa doctrine et de la mettre, au moyen

de développements appropriés, à la portée de

toutes les intelligences. C'est le but que nous nous

sommes proposé.

 

Notre tâche consistera donc à mettre en relief

la pensée du saint Docteur, et à traduire, dans

un langage intelligible pour tous, ces formules

savantes si claires pour les initiés, mais n'offrant

au commun des lecteurs qu'une énigme souvent

indéchiffrable. Nous emprunterons également à

la sainte Ecriture et aux Pères de l'Eglise un cer-

tain nombre de témoignages, qui auront le

double avantage d'éclairer notre enseignement

en le corroborant, et de montrer sur quels fonde-

ments solides il repose.

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE COMMUNE ET ORDINAIRE

DE DIEU EN TOUTE CRÉATURE

 

 

 

De rHabîtation du Saint-Esprit

 

DANS LES AJIES JUSTES

 

 

 

CHAPITRE PREAJIER

 

De la présence de Dieu en toutes

choses

 

EN QUALITÉ d'aGENT OU DE CAUSE EFFICIENTE

 

 

 

Avant d'aborder le problème intéressant mais

ardu de l'habitation du Saint-Esprit dans les

âmes justes, et de l'union mystérieuse qui en est

la suite ; avant d'établir le fait d'une présence à

la fois substantielle et spéciale des personnes

divines dans les âmes sanctifiées par la grâce et

transformées par elle en un temple vivant, où

demeure et se complaît l'auguste et adorable Tri-

nité, il nous semble utile, nécessaire même,

dans une certaine mesure, d'exposer au préala-

 

 

 

8 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

ble le mode ordinaire et commun suivant lequel

Dieu est en toutes choses. Comment en effet

s'aventurer raisonnablement à parler d'une pré-

sence de la Divinité spéciale aux justes, si l'on ne

commence par exposer clairement en quoi con-

siste sa présence ordinaire en chacune des créa-

tures ?

 

Pour être en état d'asseoir un jugement sérieux

sur ces deux modes de présence et de les bien

discerner l'un de l'autre, il importe de connaître

leurs caractères respectifs, de savoir ce qu'ils

ont de commun et ce qui les différencie; et pour

cela il les faut analyser, comparer, déterminer

leur nature. En procédant différemment, en dis-

sertant d'une manière plus ou moins savante de

i'inhabitation de Dieu par la grâce, sans avoir,

avant tout, bien établi et convenablement expli-

qué son inexistence dans le monde de la nature,

on s'exposerait à l'inconvénient grave de ne

donner que des notions incomplètes, et de lais-

ser dans Tesprit du lecteur des obscurités regret-

tables. Nous ne nous attarderons cependant pas

à prouver longuement le fait de l'omniprésence

divine, sur lequel tous les catholiques sont d'ac-

cord, nous réservant d'étudier de plus près la

manière de l'entendre afin d'en dégager le vrai

concept de l'immensité divine, et de préparer les

voies à l'intelligence de la présence spéciale de

Dieu dans les justes.

 

I

 

Que Dieu soit partout, au ciel, sur la terre,

en toutes choses et en tous lieux ; qu'il soit inti-

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 9

 

mement présent à chacune de ses créatures,

c'est un dogme de foi, en même temps qu'une

vérité rationnelle connue de tous, non seule-

ment du penseur, philosophe ou théologien,

mais encore de l'enfant lui-même dont l'intelli-

gence commence à peine d'éclore ; c'est une

des premières leçons qu'il reçoit sur les genoux

de sa mère, un des premiers enseignements

qui tombent des lèvres d'un éducateur croyant.

 

Cette doctrine que le plus humble chrétien

possède maintenant dès l'aurore de sa vie morale

et qu'il répète sans en comprendre la portée, ni

en soupçonner la profondeur, l'apôtre saint Paul

l'enseigna jadis devant le plus illustre auditoire

qui fût au monde. En effet, ce n'était point à la

foule ignorante, mais aux représentants en quel-

que sorte officiels de la science humaine, aux

membres de l'Aréopage, qu'il s'adressait, quand,

à propos de l'existence de Dieu au sein des êtres

créés, il disait : « Dieu n'est pas loin de nous,

car nous vivons, nous nous mouvons, nous exis-

tons en lui : Quamvis non longe sil ab unoquoque

nosirum : in ipso enim vivimus, et movemur et

sumus^. »

 

Le Psalmiste avait enseigné, lui aussi, ou plu-

tôt chanté depuis bien des siècles cette omnipré-

sence divine : « Seigneur, avait-il dit, vous con-

naissez tout, l'avenir le plus lointain comme le

passé le plus reculé ; vous m'avez formé et vous

avez posé votre main sur moi. La science que

vous avez de moi est admirable, et je suis inca-

 

 

 

. Act., XVII, 37-28.

 

 

 

10 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

pable de l'atteindre. Où irai-je pour échapper à

votre esprit? Gomment me soustraire à votre

regard? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je

descends dans les enfers, je vous y trouve encore.

Si j'ouvre mes ailes, dès le matin, pour fuir aux

extrémités de la mer, c'est votre main qui m'y

conduit, c'est votre droite qui me soutient. J'ai

dit : Peut-être que les ténèbres me cacheront et

que la nuit enveloppera mes plaisirs. Mais les

ténèbres ne sont pas obscures devant vous, et la

nuit a l'éclat du jour pour vous*. »

 

Et pour bien nous convaincre de l'impossibi-

lité où nous sommes de nous soustraire à son

regard, > Dieu, empruntant l'infirmité de notre

langage afin de se mettre plus complément à

notre portée, nous dit par la bouche du Pro-

phète : w Celui qui se cache espère-t-il se déro-

ber à mes yeux? ne remplis-je pas le ciel et

la terre? Numquid non cœlum et terram ego Im-

pleo^?

 

Il serait superflu d'apporter d'autres témoi-

gnages pour établir une vérité qui est universel-

lement admise par q[uiconque reconnaît l'exis-

tence d'un Être infini, auteur de toutes choses.

On voudra bien cependant nous permettre de

reproduire ici, à cause 4e son iîi.portance, la

preuve philosophique de l'omniprésence divine,

donnée par saint Thomas.

 

Dieu, dit-il, est en toutes choses, non pas

comme partie de leur essence ou comme un élé-

 

 

 

I. Ps. cxxxvin, 5-1»,

a. Jer., xxiii, a4.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES II

 

ment accidentel, mais comme l'agent est présent

aîi* sujet sur lequel il opère. Il est, en effet, de

toute nécessité que la cause eflBciente soit unie au

sujet sur lequel elle exerce une action immé-

diate, et qu'elle entre en contact avec lui sinon

par sa substance, au moins par sa vertu active

et ses énergies. Deas est in omnibus rébus... sicut

agens adest ei in quod agit. Oporiei enim omne

agtns œnjungi ei in qaod immédiate agit, et sua

virtute illud contingere^. C'est ainsi que le soleil,

quoique situé à une distance énorme de notre

planète, l'atteint néanmoins par sa vertu; com-

ment, en effet, serait-il en état dé l'éclairer et de

réchauffer si ses rayons ne parvenaient iusqu'à

elle? Or, Dieu opère en toute créature, non seu-

lement par l'intermédiaire des causes secondes,

mais encore d'une manière directe et immédiate,

y produisant par lui-même, et y conservant

pareillement, ce qu'il y a de plus intime et de

plus profond, l'être. Car, de même que l'effet

propre du feu est de brûler, ainsi l'effet propre

de Dieu, qui est l'Être par essence, est de pro-

duire l'être des créatures. Donc Dieu est en

toutes choses, intimement présent en qualité de

cause efficiente. Unde oporiei quod Deus sit in om-

nibus rébus et intime^, — ut causans omnium esse^.

Il n'en est donc pas de Dieu comme d'un

ouvrier vulgaire, un peintre, par exemple, ou

un sculpteur, qui se tient en dehors de soa

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. yiii, a. i.

a. Ibid., a. i.

3. Ibid., ad i.

 

 

 

la DE LA PRESENCE DE DIEU

 

ouvrage et ne le touche souvent pas d'une ma-

nière immédiate, mais par l'intermédiaire d'un

instrument, et qui, présent à son œuvre au mo-

ment où il la produit, peut se retirer ensuite

sans en compromettre l'existence. Dieu est au

plus intime de ses œuvres, et si, après avoir

donné Fctre à une créature, il retirait sa main

et cessait de la soutenir, elle retomberait immé-

diatement dans le néant d'où elle était sortie.

 

Si maintenant vous demandez à l'angélique

Docteur comment Dieu, substance immatérielle,

inétendue et indivisible, peut se trouver en tous

lieux, au fond de chacun des êtres qui occupent

nos espaces matériels, il vous répondra, en em-

pruntant aux choses d'ici-bas une comparaison

déjà employée par les Pères, qu'il y est de trois

manières : par puissance, par présence et par

essence. Il est partout par sa puissance, parce que

tout est soumis à son empire souverain, de

même qu'un roi de la terre, quoique confiné au

fond de son palais, est réputé présent dans toutes

les parties de ses Etats où se fait sentir son auto-

rité. Il est partout par sa présence, parce qu'il

connaît tout, qu'il voit tout, et que rien, pour

caché que ce soit, n'échappe à son regard ; de

même que les objets qui sont sous nos yeux,

quoique légèrement distants de notre personne,

sont dits être en notre présence. Il est partout

enfin par son essence, aussi réellement et subs-

tantiellement présent à chacune des choses

créées qu'un monarque est présent par sa subs-

tance au trône sur lequel il est assis i.

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. viii, a. 3.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES l3

 

Et la raison de cette présence subsiantielle,

c'est qu'il n'est aucune créature qui puisse se

passer de l'action divine la conservant dans

l'existence et la mouvant à ses opérations ; et

comme en Dieu la substance et l'action ne sont

pas réellement distinctes, il en résulte qu'il est

présent par sa substance partout où il opère,

c'est-à-dire en toutes choses et en tous lieux.

Deus dicitur esse in omnibus per esseniiam... quia

subslantia sua adest omnibus ut causa essendi*.

 

Dans son Commentaire sur le premier livre

des Sentences de Pierre Lombard, saint Thomas

explique ce triple mode de présence d'une ma-

nière un peu différente, qui, sans exclure celle

que nous venons de donner, ni être en opposi-

tion avec elle, a l'avantage de faire mieux res-

sortir la pensée du saint Docteur relativement à

la présence substantielle de Dieu en qualité de

cause efficiente. Voici ses paroles : « Dieu est dans

les choses créées par sa présence, en tant qu'il

y opère, car il faut que l'ouvrier soit présent de

quelque manière à son œuvre ; et parce que

l'opération divine ne se sépare pas de la vertu

active d'oii elle émane, il faut dire que Dieu est

dans les choses par sa puissance; enfin, comme

la vertu ou la puissance de Dieu est identique

à son essence, il en résulte que Dieu est dans

les choses par son essence'^. » Ces paroles de

saint Thomas sont significatives, et méritent que

nous nous y arrêtions.

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. viii, ad i.

 

a. S. Thomas, 1. I, Sent., dist. xixvii, q. i, a. a.

 

 

 

l4 DE LA PRÉSENCE DE. DIEU

 

 

 

II

 

 

 

Quand certains théologiens, étrangers à l'école

thomiste, veulent expliquer Tomniprésence di-

vine, ils disent que Dieu est partout par son

essence, parce que la substance divine, étant

infinie, remplit le ciel et la terre. Pour eux, l'im-

mensité est une propriété en vertu de laquelle

l'essence divine est, pour ainsi dire, répandue

à l'infini, dans tous les espaces existants ou pos-

sibles ; Tomniprésence, c'est la diffusion actuelle

de l'être divin compénétrant, sans se mêler à

eux, tous les êtres et tous les lieux réels ^

 

On pourrait donc, suivant cette opinion, com-

parer l'immensité divine à une mer sans rivages

et sans bornes, capable de contenir des multi-

tudes innombrables d'êtres de toute nature et de

 

 

 

I. f( Non immerito immensitas describi potest ea existendi

divinse essentiae ratio, vi cujus in omnem diinensionem,

quae exstat vel exstare potest, ubique absque sui iermino

non per partes, sed se tota diffunditur... Actualis autem di-

vinee essentiae difîusio est omniprœsentia proprie dicta. »

(Hurter, S. J., Theologiœ dogmat. compend., De Deo uno,

tract. V, th. lxxxiv, n. 6i.) — Ëamdem immensitatis no-

tionem tradit Suarez. « Dens, inquit, per immensitatem

suam inteliigitur esse ita dispositus et quasi diiTusus (nostro

more loquendi) ad existendum per essentiam seu substan-

tialem praesentiam in quacamque re, ut nihil ex parte illius

ad illani desit. » [De atlrib. div., 1. II, c. ii, n. 4. ) — « Ad

immensitatem non satis est rem esse actu preesentem omni-

bus rébus creatis, seu spatiis realibus, sed necessarium est

esse actu praesentem omnibus spatiis imaginariis. » {De sa-

^.ram. Each., d-p. XLvin, sect. iv, n. lo.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES l6

 

toute dimension, let au milieu de laquelle se trou-

verait plongée, dans le temps, une éponge que

les eaux pénètrent et débordent de toutes parts :

image de ce monde, que l'immensité de Dieu

pénètre et déborde de tous côtés ; avec cette dif-

rence, toutefois, que Dieu est tout entier dans le

monde et tout entier dans chacune de ses par-

ties, tandis que chaque portion de l'élément

liquide occupe un espace distinct.

 

Saint Augustin s'était formé, dans sa jeunesse,

une conception semblable de l'immensité divine.

<( mon Dieu, ô la vie de mon âme, dit-il dans

ses Confessions, Je vous croyais grand d'une

grandeur ré,pandue dans des espaces infinis, et

pénétrant la masse entière du monde, de telle

sorte que vous vous étendiez encore de toutes

parts au delà de cet univers, sans avoir ni bornes

ni limites ; et que la terre, le ciel, toutes choses

créées étaient remplies de vous, se terminaient

en vous, qui n'aviez de terme nulle part. Car de

même que cet air grossier qui environne le

monde que nous habitons ne saurait empêcher

la lumière du soleil de se frayer un passage à

travers sa substance , non en la déchirant ou

en la divisant, mais en la pénétrant doucement

et en la remplissant tout entière de ses clartés ;

ainsi je me figurais que vous pass-iez non seule-

ment à travers les substances de l'air et de l'eau,

mais encore que, pénétrant la terre dans sa

miasse et jusque dans ses parties les plus petites,

partout invisible et présent, vous gouverniez, par

cette union secrète et cette influence tant inté-

rieure qu'extérieure, toutes les choses que vout

avez créées.

 

 

 

l6 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

« Telles étaient mes conjectures, parce qu'il

m'était impossible d'imaginer autre chose ; mais

j'étais dans une erreur complète, nam falsum

erat ; car, s'il en était ainsi, une plus grande

partie de la terre contiendrait une partie plus

grande de votre être, une plus petite en contien-

drait une moindre, et toutes choses seraient

remplies de vous, de telle façon que le corps

d'un éléphant contiendrait une plus grande

partie de votre substance que le corps d'un pas-

sereau, parce qu'il est plus grand et occupe un

espace plus étendu; et de même à proportion

dans toutes les parties du monde, les unes en

auraient plus, les autres moins, selon leurs di

verses dimensions. Or, cela n'est pas ainsi :

mais, Seigneur, vous n'aviez point encore éclairé

mes ténèbres 1. w

 

Revenant plus loin sur le même sujet, le saint

Docteur ajoute : « Mon esprit se représentait l'uni-

vers et tout ce qui est visible dans son étendue :

la terre, la mer, l'air, les astres, les plantes, les

animaux ; en même temps tout ce qui s'y dérobe

à nos regards : le firmament, les anges, toutes

les substances spirituelles, que mon imagination

plaçait en de certains espaces, comme s'ils eus-

sent été des corps. De cette universalité des

êtres que vous avez créés, je me faisais une

grande masse... mais finie et bornée de toutes

parts. Et vous, Seigneur, je vous considérais

comme environnant de toutes parts et pénétrant

cette masse, mais infini vous même en tous

 

 

 

;. s. Aug., Conf., 1. VII, c. i.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES I7

 

sens : comme on pourrait se représenter une

mer infinie dans son étendue, et renfermant en

elle-même une éponge d'une grosseur prodi-

gieuse, mais qui, finie néanmoins dans ses di-

mensions, serait ainsi toute pénétrée des eaux de

cette mer immense. C'est ainsi que je vous consi-

dérais dans votre essence infinie, remplissant de

toutes parts cette masse finie, assemblage de

toutes vos créatures*. »

 

Plus tard, devenu évêque d'Hippone, et mieux

instruit de ces choses, Augustin en parlait d'une

tout autre manière : « Quand on dit que Dieu

est partout, il faut éloigner de notre esprit toute

pensée grossière, et nous dégager de l'impression

des sens pour ne pas nous figurer Dieu répandu

partout à la façon d'une grandeur se déployant dans

l'espace, comme est celle de la terre, de l'eau, de

l'air et de la lumière; car toutes les choses de

cette espèce sont moindres dans une de leurs par-

ties que dans le tout. Il faut plutôt concevoir la

grandeur de Dieu comme on se représente une

grande sagesse dans un homme, fût-il de petite

taille 2. ))

 

Cette sorte de diffusion et d'expansion de

 

 

 

1. S. Aug., Conf., 1. VII, C.V.

 

2. « Quamquam et in eo ipso quod dicitur Deus ubique

diffusus, carnali resistendum est cogitationi, et mens a cor-

poris sensibus avocanda, ne quasi spatiosa magnitudine opi-

nemnr Deum per cuncta dijfundi, sicut humus, aut humor,

aul aer, aut lux ista diffunditur (omnis enim hujuscemodi

magnitude minor est in sui parte quam in toto) : sed ita

potius sicutf est magna sapientia, etiam in homine, cujus

corpus est parvum. » (S. Aug., lib. de Prœsentia Dei, seu

Epist. ad Dardanum 187 (alias 67), c. iv, n. 11.)

 

BAB. SAINT-ESPRIT. — 3

 

 

 

|8 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

l'Être divin, si fort improuvée par saint Augus-

tin, et signalée par lui comme une conception

grossière et charnelle qu'il faut écarter, carnali

resistendum est cogitattoni, ne quasi spatiosa ma-

gnitudine opinemur Denm per cuncta diffandi,

ressemble singulièrement à l'idée que nous don-

nent de l'immensité divine ceux qui nous repré-

sentent Dieu présent partout, parce que sa subs-

tance, étant infinie et illimitée, et occupant

actuellement tous les lieux réels ou imaginaires,

se trouve par là même dans une relation de

présence, ou plutôt d'intime pénétration, avec

tout ce qui existe dans l'espace.

 

Ils ne tombent point, il est vrai, dans l'erreur

du fils de Monique, s'imaginant qu'un espace

plus étendu devait contenir une partie plus

grande de la subs^tance divine; car ils savent et

ils enseignent qu'un pur esprit, étant indivisible

et exempt de parties, n'est pas localisé à la façon

des corps dont une partie est à droite et l'autre

à gauche, mais qu'il peut occuper un espace

déterminé de manière à être tout entier dans le

tout, et tout entier dans chaque partie ; néan-

moins, sur le fond de la question et sur la ma-

nière de concevoir l'ubiquité divine, ils nous

semblent partager les idées de jeunesse qu'Au-

gustin devait réformer plus tard à la suite de

méditations plus approfondies.

 

Bien plus spirituelle, et partant plus conforme

à la nature de Dieu, nous apparaît la notion de

l'immensité donnée par saint Thomas. Au lieu

d'admettre, avec les tenants de l'opinion que

nous combattons ici, une sorte de diffusion de la

substance divine, à telles enseignes que Dieu

 

 

 

EN TOUTES CHOSES I^

 

aérait encore substantiellement présent aux créa-

tures semées dans l'espace, lors même que,

par impossible, il n'exercerait sur elles aucune

action', le Docteur angélique enseigne au. con-

traire que la raison formelle de la présence de

Dieu dans les choses créées n'est autre que son

opération, de même que le fondement de l'im-

mensité, c'est la toute-puissance.

 

Par elle-même, la substance divine n'est déter-

minée à occuper aucun lieu, ni grand, ni petit;

elle ne demande, pour s'y déployer, aucun

espace ; elle n'emporte aucune relation de

proximité ou d'éloignement avec les êtres exis-

tants dans l'espace ; si de fait elle entre en rap-

port et en contact avec eux, c'est par sa vertu

et son opération ; si elle est intimement présente

à tout ce qui existe, c'est parce qu'elle produit.

et maintient l'être de toutes choses. Non deier-

minaiur (Deus) ad locum, vel magnum vel parvum,

EX NEGESSiTATE su^ ESSENTLE, qua^i oporteat eum

esse in aUquo hco, quum ipse faerit ab eeterno

ante omnem locum ; sed immensitate su^e virtutis

 

ATTINGIT OMNIA q\3M SUNT IN LOGO, QUUM SIX UNI-

 

VERSALis CAUSA EssENDi. Stc igltup îpse totus est

ubkamque est, quia per simplicem suam virtuiem

universa atttngit^.

 

Si donc Dieu peut être en tous lieux, ou, en

 

 

 

1. « Si per impossibile r>cîs aliqua inciperet esse sine ac-

tione Dei, nihilominus non posset esse diatans ab illo, ob

immensitatem qus, sed necessario simul essent, et quasi

penetrativè secnndiira substantiam et entitatem suam. »

(Suarer, Metaph., disput. ixx, sect. vm, n. 52.)

 

2. S. Thom., 1, III, Contra Gent., c. lxviii.

 

 

 

20 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

d'autres termes, s'il est immense, c'est, au juge-

ment de l'Ange de l'Ecole, parce que, possédant

une puissance infinie, il est capable d'opérer, et

partant de se rendre présent, dans un espace

sans bornes ni limites, même dans un espace

infini, si une telle étendue était possible. Si sit

aliqaa res incorporea habens viriutem infinitam,

oportet quod sit ubiqiie^. — Et hoc proprie conve-

nit Deo; quia quotcumque loca ponantur, etiamsi

ponerentur infinita..., oporteret in omnibus esse

Deam, quia nihil potest esse nisi per ipsum*. S'il

est de fait en tous lieux et dans toute créature,

c'est qu'il n'existe aucun espace réel, aucun être

créé, sur lesquels il n'exerce une action directe

et immédiate, et avec lesquels il ne soit en con-

tact par sa vertu, et conséquemment par sa subs-

tance. Dei proprium est ubique esse; quia cum

sit universale agens, ejus virtas attingit omnia entia,

unde est in omnibus rébus \

 

 

 

III

 

 

 

Cette omniprésence de Dieu, fréquemment

appelée par les théologiens présence d'immen-

sité, a été désignée par saint Thomas sous un

autre vocable ; il l'a appelée présence par mode

-de cause efficiente, per modum causse ageniis^ :

 

 

 

I. S. Thom., 1. III, Contra Gent., c. lxviii, n. a.

 

3. S. Thom., I, q. viii, a. 4.

 

3. Summa TfieoL, I, q. cm, a. i.

 

A. Summa TheoL, I, q. viii, a. 3.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 21

 

-expression caractéristique et profonde, qui a le

double avantage d'écarter toute idée de diffusion

et d'expansion de la nature divine, et d'indiquer

en même temps que l'opération divine est le vrai

fondement des rapports existant entre Dieu et la

créature. Au reste, en se servant de cette locu-

tion, saint Thomas n'a point innové ni exprimé

une opinion purement personnelle, mais il s'est

montré ici, comme toujours, le fidèle écho de la

Tradition.

 

En effet, après être revenu de son erreur rela-

tive à l'immensité divine, saint Augustin expli-

quait à l'illustre correspondant auquel il adres-

sait son livre Sur la présence de Dieu, que Dieu

est partout, non pas à la façon d'un corps qui

s'étend dans l'espace, mais comme substance

créatrice, gouvernant sans peine et conservant

sans fatigue ce monde qu'il a créé^. 11 disait

encore que Dieu est dans le monde comme la

cause efficiente du monde, erat in mando, quo-

modo per quem mundus factus est ; comme l'ou-

vrier est présent à son œuvre pour la régir, quo-

modo artifex regens quod fecit'^. S'il remplit le

 

 

 

I . (( Sic est Deus per cuncta diffusus, ut non sît qualitas

mundi, sed substantia creatrix mundi, sine labore regens,

et sine onere continens mundum. Non tamen per spatialoco-

rum, quasi mole diffusa, ita ut in dimidio mundi corpore

sit dimidius, et in alio dimidio dimidius, atque ita per

totum totus, sed in solo cselo totus, et in sola terra tolus,

€t in caelo et in terra totus, et nuUo contentus loco, sed in

seipso u bique totus. » (S. Aug. lib. De prœsentia Dei, seu

£pist. ad. Dardan. 187, c. iv, n. i4.)

 

a. « In mundo erat (Deus), et mundus per eum factus

 

 

 

2 2 DE LA PRESENCE DE 1>IEU

 

ciel et la terre, c'est par la présence et l'exercice

de sa puissance, et non par la nécessité de sa

nature : implens cœlum- et ierram prœsenle poten-

tia, non indigente natura^; car enfin, si Dieu est

grand, ce n'est pas par la masse, mais par la

puissance : neque enim mole, sed virtute magnas

est Deas\

 

Saint Thomas paraît manifestement s'être ins-

piré de ces divers passages, quand il dit : « II

ne faut pas croire que Dieu soit partout en se

dJAisant dians l'espace, de telle sorte qu'une par-

tie de sa substance soit ici, et une qiutre ailleurs,

mais il est tout entier partout, car étant absolu-

ment simple, il n*a point de parties. Il n'est

cependant pas simple à la façon d'un point qui

termine une ligne, et qui pour cela occupe une

situation déterminée et ne peut être que dans un

lieu indivisible; mais Dieu est indivisible comme

étant absolument en dehors de tout genre de

continu : aussi n'est-il point déterminé, par la

nécessité de sa nature, à occuper un lieu quel-

 

 

 

est... Sed quomodo erat ? Quomodo artifex regens quod fecit.

Non enim sic fecit, quomodo facit faber arcam ; forinsecus

est arca quam facit... Deus autem mundo infusus fabricat,

prœsentia majestatis facit quod facit, praesentia sua guber-

nat quod fecit. Sic ergo erat in mundo, quomodo per

quem mundus factus est. » (S. Aug. in Evang. Joan,

tract. 2. n. lo.)

 

1. (( Deus ubique totus, nullis inclusus locis, nullis vin-

culis alligatus, in nulles partes sectilis, ex nulla parte mu-

tabilis, implens cœlum et terram praesente potentia,

non indigente natura, » (6. Aug., De CivU. Dei, 1. VII»

 

C. XXI.)

 

2. S. Aug., Bpist., m.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 23

 

conque, grand ou petit, comme s'il devait néces-

sairement être localisé quelque part, lui qui

existait de toute éternité, lorsqu'il n'y avait

encore aucun lieu ; mais, grâce à l'infinité de sa

puissance, il atteint tout ce qui est dans le lieu,

étant la cause universelle de l'être. Donc, il est

tout entier partout où il se trouve, parce qu'il

atteint tout par sa vertu, qui est très simple. Il

n'est pourtant pas mêlé aux choses... mais il est

dans ses oeuvres à la façon d'une cause effi-

ciente ^ »

 

Saint Fulgence, disciple de saint AugTistin, ne

parle pas autrement que son maître, a Par sa

substance et sa puissance, dit-il. Dieu est par-

tout, tout entier partout, remplissant tout non

de sa masse, mais de sa puissance : iotas totum

 

 

 

I . « Non est gestimandum Deum wc esse ubîque quod per

locorum spatia dividatur, quasi una pars ejus sit hic et alia

alibi, sed totus ubique est; Deus enim, cum sit omaiv,^

simples, partibus caret.

 

« Neque sic simplex est sicut punctus qui est terminus

continui et qui, propter hoc, determinatum situm in con-

tinuo habet ; unde non potest utius punctus nisi in uno

loco indi>isibili esse. Deus autem indivisibilis est, quasi

omnfno extra genus continui existens ; unde non determi-

natur ad locum, vel magnum vel parvum, ex necessitate

suae essentiœ, quasi oporteat eum esse in aliquo loco, cum

ipse fuerit ab asterno ante omnem locum ; sed immensitate

suœ virtutis attingit omnia quae sunt in loco, cum sit uni-

v«rsalis causa essendi. Sic igitur ipse totus est ubicumque

est, quia per simplicem suana virtutem universa attingit,

— Non est tamen aBstimandum quod sic sit in rébus quasi

in rébus mixtus... ; sed est in operibus per modum causa

agentis. » (S. Th., Contra Cent., 1. m, c. Lxvin.)

 

 

 

24 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

complens virlate, non mole^. » Saint Grégoire de

Nysse va même jusqu'à dire que c'est par une

sorte d'abus que nous disons d'une substance

spirituelle qu'elle est dans îe lieu, à cause de

l'opération qu'elle exerce sur les choses locali-

sées, prenant ainsi le lieu pour l'opération et la

relation qui en résulte. Lorsque nous devrions

dire : Elle opère ici ou là, nous disons : Elle est

là*.

 

Que la présence substantielle de Dieu dans les

choses créées soit fondée sur son opération, c'est

ce qui ressort manifestement, nous semble-t-il,

de tous ces témoignages et d'une multitude d'au-

tres semblables qu'il serait facile d'apporter. On

a cherché néanmoins à infirmer ces autorités, et

l'on a dit : Sans doute l'opération immédiate de

Dieu en toutes choses prouve qu'il est partout,

de même que la parole d'une personne que l'on

entend converser dans un appartement voisin

est une preuve de sa présence, mais elle n'en est

pas la raison. Ce que l'on pourrait traduire

ainsi : Cette personne est ici, puisque je l'entends,

mais elle n'est pas ici parce que je Tentends ;

elle pourrait y être sans que je l'entendisse, si

elle gardait le silence. Ainsi en est-il de Dieu : il

 

 

 

I. « Quantum ad substantiam et potentiam suam,

ubique est Trinitas, unus Deus , totus totum complens

virtute, non mole, n (S. Fulg., 1. 11, ad Traslm., c. xi.)

 

a. « Quum natura intelligibilis fuerit in habitudine ad

locum, vel ad rem in loco sitam, abusive dicimus illam

ibi esse, propter operationem ejus circa rem locatam ;

locum pro habitudine et operatione sumentes. Gum enim

dicendum esset : ibi operatur, dicimus : ibi est ». (S. Greg.

Nyss., lib. De Anima.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 25

 

est partout, puisqu'il opère en toutes choses,

mais il n'y est pas parce qu'il opère ; lors même

que, par impossible, il n'agirait pas dans les

créatures, il leur serait néanmoins intimement

présent, sa substance infinie étant nécessaire-

ment indistante de tout ce qui existe dans l'es-

pace.

 

Ce raisonnement serait concluant si Dieu était

dans l'espace à la façon des corps. Un corps est

présent dans un lieu et l'occupe, non par son

action, ni même directement par sa substance,

mais par ses dimensions, par le contact de ses

parties avec les parties du corps qui l'entoure et

le contient ; et comme ce qui donne à un corps

des parties et des dimensions, ce qui leur permet

de se mettre en contact avec un autre corps et

d'occuper un espace plus ou moins considérable,

c'est la quantité, il est, à proprement parler, dans

le lieu par sa quantité : per quaiilitatem dimen-

sivam, comme parle l'École.

 

Tout autre est la raison de la présence d'un

esprit dans le lieu; substance simple et exempte

de parties, il n'occupe par lui-même aucun lieu,

ni grand ni petit, il ne demande pour se déployer

aucun espace. Cependant, s'il veut se mettre en

relation avec le lieu ou les choses qui y sont

contenues, il le peut, en y exerçant son activité,

en y appliquant son énergie ; de là cette propo-

sition qui a pour ainsi dire la valeur d'un axiome

parmi les scolastiques : les esprits sont dans le

lieu per contacium virtutis^.

 

 

 

I . (« Res corporea est in aliquo sicut in loco secundiim con-

tacium quantilatis dimensivœ. Res autem incorporea in ali-

 

 

 

30 DE LA PRÉSENCE DE DJEU

 

Et comme Factivité d'un être est proportionnée

à lia nature qui en est l-e principe, la sphère

d'action des esprits est plus ou moius vaste, sui-

vant (juïls occupent un degré plus ou moins-

élevé dans l'échelle des êtres. Ainsi un archange

peut occuper un espace corporel plus considé-

racle qu'un ange, parce que sa vertu, sa puis-

sance active, étant plus grande, est par là même

en état de s'exercer sur une plus large échelle,

de même qu'un foyer plus intense rayonne plus-

loin. Mais comme tout esprit créé est lini ei

limité dans- la perfection d€ son essence-,, et par-

tant dans rétendue de sa puissance, il ne peut

occuper qu'un lieu déterminé, fini, borné; celui-

là seul est capable d'être partout, d'occuper tousi

les espaces donnés, si étendus qu'on les suppose,,

dont la puissance infinie, n'ayant ni bornes ni.

limites, peut s'exercer en tous lieux et sur tous;

les êtres qui les occupent, quelles qu'en soient

la multitude et la grandeur i.

 

Par conséquent, ce que la quantité est aux

 

 

 

quo esse dicitur secundum contacium virtutis, cum careat

dimeasiva quantitate. Sic igîtur se liabet res incorporea ad

hoc quod sit in aliquo per aIi tntem suam, sicut se habet

res corporea ad hoc quod sit in aliquo per quanti ta lem

dimensivam. » (S. Th., Contra Gent., 1. III, c. lxvui.)

 

I. « Divina virtus et essentia infinita est, et est universatis

causa omnium ; et ideo sua virtute omnia contingit, et non.

soium in pluribus locis est, sed ubique ; virtus autem

Anjeli, i]u.\i finita est, non se extendit ad omnia, sed ad

aliquid unuia determinatum... Unde cum Angélus sit in

loco per applJcationem virtutis suae ad locum, sequitur quod'

non sit ubique. nec in pluribus locis» sed in uno loco tan-

tum. >; (S. Th., Siimma TheoL, \, q. lu, a. a.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 37

 

corps, c'est-à-dire une propriété distincte de leur

substance, l'étendant dans l'espace, la puissance

active l'est îaux esprits, qu'elle met en contact

avec le lieu et les choses qui y sont localisées.

De 1-à ces paroles de saint Thomas : Incorpo-

ralia non sunt in loco per contactum quantitatis

dimensivœ, sicut corpora, sed per contactum vir~

lutisL

 

Si un esprit créé, non destiné par sa nature,

comme l'âme humaine, à informer un corps,

incapable même, dès lors qu'il est une subs-

tance complète, de s'unir à la matière autrement

qu'en qualité de moteur, nest présent dans le

lieu qu'autant qu'il y opère, en sorte qu'il

dépend de lui d'occuper à son gré, dans la

sphère de son activité, un espace plus ou moins

grand, ou même de n'en occuper aucun, sui-

vant qu'il applique son énergie sur une étendue

plus ou moins vaste, ou qu il suspend son opé-

ration, est il surprenant que l'Esprit par excel-

lence n'ait, abstraction faite de son opération,

aucune relation aA'CC l'espace et les choses c[ui y

sont contenues? Souverainement indépendant

des créatures, -Dieu n'entre en rapport avec elles

qu'en les constituant, par la participation qu'il

leur communique de ses perfections, dans un état

de dépendance essentielle vis-à-vis de lui; il

n'existe en elles que parce qu'il les rapproche de

lui-même et les tient unies à lui par son opéra-

tion. Esseniia ejus (Dei) cum sit ab&oluta ab omni

icreatura, non est in creatura nisi in quaritum appli-

 

 

 

I. Summa TheoL, t, q. vin, a. ;a, ad 1.

 

 

 

28 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

catur sibi per operationem^. Si Dieu n'agissait pas

on nous, il ne serait pas en nous.

 

Aussi, quand il se demande si l'ubiquité est

une propriété qui convient à Dieu de toute éter-

nité, utrum esse uhique conveniat Deo ah œternOr

au lieu de répondre, comme certains théologiens,

que Dieu n'est pas, il est vrai, présent de toute

éternité aux choses qui n'existent pas encore,

mais que sa substance se trouve pourtant réelle-

ment et éternellement dans les espaces que doi-

vent occuper, dans la suite des temps, tous les

êtres créés, saint Thomas répond : « que la pré-

sence de la Divinité en tous lieux emporte une

relation de Dieu aux créatures fondée sur une

opération qui est le principe de son inexistence

dans les choses. Or, toute relation fondée sur

une opération qui passe dans les êtres créés ne

peut être attribuée à Dieu que temporellement,

parce que ces sortes de relations, étant actuelles,

supposent l'existence des deux termes. De même

donc qu'on ne peut pas dire que Dieu opère de

toute éternité dans les créatures, ainsi on ne

peut pas davantage affirmer son éternelle pré-

sence en elles, car cela suppose son opéra-

tion 2 ».

 

 

 

1. S. Th., Sent., 1. I, dist. xxxvn, q. i, a. a,

a. « Gum dicitur, Deus est ubique, importatur quaedam

relatio Dei ad creaturam, fundata super aliquam operatio-

nem, per quam Deus in rebus dicitur esse. Omnis autem

relatio quae fundatur super aliquam operationem in creatu-

ras procedentem, non dicitur de Deo nisi ex tempore, sicut

Dominus cL Creator et hujusmodi; quia hujusmodi rela-

iiones actaaies sunt, et exigunt actu esse utrumque extre-

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 2^

 

Et si VOUS interrogez les saints Pères pour leur

demander où était Dieu avant la création du

inonde V au lieu de répondre qu'il était dans ces

espaces incommensurables qu'occupe actuelle-

ment l'univers et qu'auraient pu occuper des

milliers de mondes plus vastes que le nôtre, ils

vous diront par l'organe de saint Bernard : « Ce

n'est pas la peine de chercher davantage oii il

était; rien n'existait hors de lui, il était donc en

lui-même' ».

 

Ainsi, au jugement de saint Thomas et des

Pères de l'Eglise, l'opération divine formelle-

ment immanente, puisqu'elle ne sort pas et

n'est même pas distincte du principe d'où elle

émane, mais produisant au dehors des effets

créés, et appelée pour cela virtuellement transi-

tive, virtualiler transiens, voilà la raison formelle,

le fondement vrai, le pourquoi définitif de la

présence de Dieu dans les créatures.

 

 

 

morum. Sicut ergo non dicitur operari in rébus ab œterno,

ita nec esse in rébus, quia hoc operationem ipsius dési-

gnât. » (S. Th., Sent., 1. 1, dist. xxxvii. q, n, a. 3.)

 

I. « Ubi erat Deus, antequam mundus fleret? Non est

quod quaeras ultra, ubi erat. Praîter ipsum nihil erat; ergo

in se ipso erat. » (S. Bern., De Consider., 1. V, cap. vi.)

 

 

 

CHAPITRE II

 

Combien cette présence est intime, pro-

fonde, universelle. — Ses différents de

grés.

 

 

 

Combien cette présence est intime, profonde,

universelle, c'est ce qu'il nous est difficile de

concevoir, plus difficile encore d'exprimer. Nous

ne connaissons directement et immédiatement

que les causes créées ; et si efficace que soit leur

action, jamais elle n'atteint l'être tout entier. La

cause créée modifie, transforme le sujet sur

lequel s'exerce son activité, operatur transmu-

tando, elle ne crée pas ; et par suite, elle laisse

toujours au-dessous d'elle, dans les profondeurs

intimes de l'être, quelque chose qu'elle ne donne

pas, qu'elle ne produit pas, et par conséquent

où elle nest pas. Le statuaire, par exemple, peut

bien tirer d'un bloc informe de bois ou de mar-

bre un chef-d'œuvre qui fera l'admiration non

seulement des contemporains, mais encore de la

postérité la plus reculée ; mais si puissant, si

inventif, si créateur que soit son génie, quand il

s'agit de réaliser au dehors l'idéal qu'il a conçu

dans le secret de son esprit, il lui faut une subs-

tance matérielle sur laquelle son burin puisse

s'exercer, une substance qu'il suppose et ne pro-

 

 

 

PRÉSENCE INTIME DE DIfiU 3r

 

duit pas. Notre âme elle-même, si intimement

unie à notre corps, en qualité de forme subs-

tantielle, qu'elle lui communique l'être, la vie,

la sensation, l'action, et ne constitue avec lui

qu'une seule substance, notre âme suppose néan-

moins la matière qu'elle informe et qui ne vient

point d^elle.

 

La causalité divine ne connaît pas ces bar-

rières, elle est universelle et s'étend à tout ; subs-

tances, facultés, habitudes, opérations, tout ce

qu'il y a de réel et de positif vient d'elle, tout

est son œuvre, tout, hormis le mal et le péché.

Sans elle, rien ne peut arriver à l'existence, riea

ne s'y peut maintenir, portans omnia verbo viiHa--

tis suœ^; sans son influence actuelle et immé-

diate, aucun agent créé ne saurait agir : omnia

opéra nostra operatus es nohis (Domine) - ; nos

vouloirs les plus libres ne sauraient échapper

eux-mêmes à son action toute-puissante : Deas

est qui operatur in vobis et velle et perficere pro

bonavoluntate^. Aujssi Dieu, en sa qualité de cause

première, est-il présent partout, au centre,

dans le rayon, et à la, circonférence de tout

être.

 

Quelle que soit la nature de l'effet produit

et l'ordre auquel ili appartient ; qu'il s'agisse

d'un être inanimé ou, d'un vivant, d'une âme à

créer, à conserver ou à justifier, d'un don naturel

ou surnaturel à conférer,, d'une faculté à faire

 

 

 

I. Hebr., 1^3.

a. Is , XXVI, 12

3. Philip., 11, i5.

 

 

 

32 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

passer à l'acte ; bref, dès qu'un effet quelconque

de la causalité divine se rencontre quelque part,

Dieu lui-même s'y trouve en qualité d'agent.

Quia nihil operari poiest ubi non est... necesse est,

ut ubicumque est aliquis ejfectus Dei, ibi sit et ipse

Deus ejfector^.

 

Ce mode -de présence commun à tout être, et

substantiellement le même partout, comporte

néanmoins bien des degrés, suivant le nombre

et l'excellence des effets produits, ou plutôt sui-

vant la mesure plus ou moins grande dans la-

quelle chaque créature participe à la perfection

divine. Ainsi, en qualité de cause efficiente. Dieu

est présent d'une manière plus parfaite, plus

complète, plus plénière, dans le monde des

esprits que dans celui des corps, dans les anges

que dans les hommes, dans les créatures raison-

nables ou vivantes que dans les êtres inintelli-

gents ou privés de vie, dans les justes que dans

les pécheurs.

 

C'est ce qu'enseigne très clairement le pape

saint Grégoire le Grand : « Dieu, dit-il, est par-

tout, et tout entier partout, car il est en contact

avec toutes choses, quoiqu'il ait pour les choses

différentes des contacts divers. Avec les créatures

insensibles, il a des contacts qui donnent l'être

sans la vie; avec les animaux, il a des contacts

qui donnent l'être, la vie et la sensation sans

l'intelligence ; avec la nature humaine ou angé-

lique, il a des contacts par lesquels il donne tout

à la fois l'être, la vie, la sensation et l'intelli-

 

 

 

I. S. Th., Contra Cent., 1. IV, c. xxi.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 33

 

gence; et quoique toujours semblable à lui-même,

il touche diversement les choses dissemblables \ »

Saint Fulgence disait de son côté : u Dieu n'est

pas également présent à toutes choses ; car s'il

est partout par sa puissance, il n'est point par-

tout par sa grâce*. » Et saint Bernard : « Dieu,

qui est également tout entier partout par sa

simple substance, est pourtant présent aux créa-

tures raisonnables autrement qu'aux autres ; il

est de même autrement dans les bons que dans

les méchants, par son efficacité. Ainsi, il est dans

les créatures inintelligentes de telle sorte qu'elles

ne parviennent pas à le saisir. Les êtres raison-

nables, au contraire, peuvent l'atteindre par la

connaissance, mais les bons seuls peuvent le

posséder même par l'amour. Ce n'est donc que

dans les bons qu'il se trouve de manière à être

avec eux par l'accord des volontés 3. ».

 

 

 

1. « Ubique Deiis et ubique totus, quia omnia langit, licet

non aequaliter tangat. Quaedam enini tangit ut sint, nec

tamen ut vivant et sentiant, sicut cuncta insensibiKa. Quaî-

dam tangit ut sint, vivant et sentiant, nec tamen ut discer-

nant, sicut sunt bruta animalia. Quaedam tangit ut sint,

vivant, sentiant et discernant, sicut est humana et angelica

natura. Et cum ipse nunquam sibimetipsi sit dissimilis,

dissimili ter tangit dissimilia. » (S. Greg. M., In Ezech., 1. I,

ho mil. vm, n. i6.)

 

2. (( Non omnibus aequaliter adest : ubique enim adest

per potentiam, non ubique pçr gratiam. » (S. Fulgent.,

Ad Trasim., 1. II, c. vm.)

 

3. (( Deus qui ubique aequaliter totus est per suam sim-

plicem substantiam, aliter tamen in rationalibus creaturis

quam in aliis ; et ipsarum aliter in bonis quam in raalis est

per eCQcaciara. Ita sane est in irrationalibus creaturis, ut

 

aXB. SAINT-KSPniT. — 3

 

 

 

34 PRÉSENCE INTIiVlE DE DIEU

 

 

 

II

 

 

 

Comment concevoir ces divers degrés de pré-

sence? Si la substance divine était étendue et

divisible, on comprend qu'elle pourrait se trou^

ver ici ou là dans une proportion variable comme

les choses elles-mêmes, davantage dans les êtres

plus grands, et moins dans les plus petits, de

même que l'eau du fleuve est contenue en plus

ou moins grande quantité dans le vase employé

pour la puiser, suivant la capacité du récipient.

Mais une substance simple et indivisible est-elle

vraiment susceptible de se trouver plus dans un

endroit que dans un autre? Peut-elle ne pas être

tout entière partout où elle se trouve? Et si elle

est tout entière partout où elle existe, comment

est-il vrai.de dire qu'elle est plu& ici que là?

 

Saint Thomas nous fournit la solution de ce

problème quand il dit : « Il y a un mode ordi-

naire et commun suivant lequel Dieu est en

toutes choses par son essence, sa puissance et sa

présence comme la cause est dans les effets qui

participent à sa bonté. Est unus commanis modus

quo Deas est in omnibus per esseniiamr potentiam

et prœsentiam, sicut causa in effectibus pariicipan-

iibus bonitatem ipsias^. » Pour comprendre le

 

 

 

tamen non capiatur ab ipsis. A rationalibus autem omnibus

quidem capi potest per cognitionem, sed a bonis tantum

capitur etiam per amorem. In solis ergo bonis ita est, ut

etiam sit cum ipsis propter concordiam voluntatis. »

(S. Bern., homil. m, super Evang. Missus est.)

I, S. Th., Samma Theol,^ l, q, xun, a. â.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS D£GRÉS 35

 

sens et la portée de ces paroles, il faut se rap-

peler une belle doctrine empruntée par l'Ange

de l'Ecole aux Pères grecs, notamment à saint

Denys, qui l'avait lui-même puisée dans les écrits

de Platon.

 

D'après la doctrine platonicienne, d'accord sur

ce point avec les enseignements de la foi, tout

être créé est une participation de l'être divin,

toute perfection créée une participation de la

perfection infinie. Ainsi notre nature est une

participation de la perfection divine : Propria

natura uniuscujusque consista secandum qaod per

aliquem modum divinam perfeciionem participât ^ ;

la lumière de notre intelligence, une participation

-de l'intelligence incréée ^; notre vie, une partici-

pation de la vie de Dieu. Bref, tout ce qu'il y a

de bon, de parfait, de positif, d'être, en un mot,

dans une créature quelconque, tout cela est une

participation de l'être et de la bonté de Dieu*.

 

Il ne faut pas concevoir cette communication

que Dieu fait de lui-même aux créatures comme

une division de l'essence divine, à la façon d'un

fruit que l'on partage et dont on distribue les

fragments ; non, l'essence divine conserve son

unité et sa plénitude. Il n« faut pas davantage

 

 

 

1. Summa TheoL, I, q. xiv, a. 6.

 

2 . « Ipsum lumen naturale Tationis participatio quaedam

est dh-ini luminls. » (S. Th., Samnw Th^oL, I, q. xii, a. ii,

«d 3.)

 

3. « A primo igitur per suam essentiam ente «t bano,

unumquodque potest diei bonum et ens, in quantum par-

ticipât ipsum per modum cujusdam assimilationis. »

<S. Th., I, q. VI, a. 4.)

 

 

 

36 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

se la représenter comme une émanation propre-

ment dite, un écoulement, une effusion de la

substance divine, comme lorsque d'une source

unique découlent plusieurs ruisseaux, ou qu'un

corps chaud rayonne autour de lui et imprègne

de sa chaleur les choses qui l'environnent; car

la bonté divine se répand en dehors en produi-

sant des êtres qui lui ressemblent, mais sans qu'il

sorte rien de la divine substance, nihil de sub-

slantia ejus egreditar^ ; ce n'est que sa similitude

qui passe dans les créatures. Tel le sceau laisse

son empreinte dans la cire, sans lui rien com-

muniquer de sa substance.

 

Cette participation des créatures à la bonté

divine ne consiste donc point dans une certaine

communauté de l'être et de la perfection, ce

serait du panthéisme. Les créatures ont un être

propre, une bonté propre, qui leur est intrin-

sèque, et qui est la cause formelle les constituant

ce qu'elles sont : et elles ne se rapportent à Dieu

^ue comme à une cause extrinsèque : à l'idéal

d'après lequel elles ont été créées, à la cause

efficiente qui les a produites, à la fin qu'elles

doivent atteindre 2.

 

Ce n'est pas sans raison que les Pères, et saint

Thomas à leur suite, appellent les créatures des

 

 

 

I. S. Th., Comment, in lib. de diuinis Nom., c. 11, lect. 6.

• 2. « Sic ergo unumquodque dicitur bonum bonitate di-

vina, sicut primo principio exemplari, effectivo, et finali

lotius bonitatis. Nihilominus tamen unumquodque dicitur

bonam similitudine divinse bonitatis sibi inhaerente, qusB

est formaliter sua bonitas, denominans ipsum. » (S. Th..

Summa TheoL, I, q. vi, a. 4.)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 87

 

êtres par participation, entia per participationem,

cl leurs perfections, des perfections participées.

En se servant de ces expressions, ils avaient un

double but : d'abord marquer nettement la diffé-

r nce profonde qui existe entre le Créateur et la

créature, ou plutôt l'abîme qui les sépare ; puis

donner à entendre que tout être créé dépend

essentiellement de Dieu comme de sa cause exem-

plaire et efficiente. En effet, qui dit être participé

dit un être fini, limité, borné ; car participer à

une chose, à un héritage par exemple, c'est en

prendre sa part et ne le posséder pas entière-

ment; il dit encore un être d'emprunt, un être

contingent, reçu d'autrui, et dépendant essentiel-

lement d'une cause qui lui est extrinsèque ; car

dès lors qu'une chose n'est pas l'être lui-même

dans toute sa plénitude, l'océan de l'être, mais

un simple ruisseau ou un filet d'être, ce qu'elle

possède d'être ne lui appartient pas en vertu

même de son essence, mais lui vient du dehors,

car tout ruisseau suppose une source qui l'en-

gendre i.

 

Lors donc qu'on appelle les créatures des êtres

par participation, on veut signifier deux choses :

la première, c'est que les créatures ne possèdent

pas l'être dans toute sa plénitude, qu'elles n'en

ont qu'une part, une dose plus ou moins grande,

mais essentiellement finie et limitée ; la seconde,

c'est que cet être limité et borné ne leur appar-

tient pas essentiellement, en vertu même de leur

 

 

 

I . « Quod alicui convenit ex sua natura et non ex aliqua

causa, minoratum in eo et deficiens esse non potest. »

(S. Th., Contra Gent., 1. II. ch. xv.)

 

 

 

38 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

nature, mais leur a été communiqué par une cause

extrinsèque, qui n'est autre que Dieu ; de même

qu'un fer incandescent ne possède la chaleur et

l'éclat du feu que par l'action d'un agent exté-

rieur, et non en vertu de sa nature, et n'est igné

que par participation.

 

L'être divin, au scontraire, n'est pas un être

d'emprunt, un être reçu d'autrui ; Dieu ne le

tient de personne, il l'a en vertu même de sa

nature ; il est donc d'être qui existe par lui-même,

Ens per se, l'être par essence, Ens per esse/itiam,

par opposition à l'être contingent et dépendant

d'autrui, Ens ab alto, ens per participationem.

Aussi est-il l'être par excellence, l'être même

subsistant par lui-même, ipsam esse per se sub-

sistens, par conséquent l'être infini, la plénitude

de l'être, ipsa plenitudo essendi. S'il est la pléni-

tude de l'être, rien ne peut exister hors de lui,

•qTii ne dérive de lui comme de sa source et ne

soit en lui d'une manière suréminente ; et tout

ce qui existe hors de lui, oe n'est pas l'être sim-

plement dit, Ipsum esse simpUciter, ce sont des

êtres, des participations et des imitations de

l'être, entia per participationem ' .

 

Ce que nous disons de l'être doit aussi s'appli-

quer à toutes les autres perfections. Tout ce que

Dieu «Bt, il l'e&t par lui-même, par ison ;essenjce,

 

 

 

I. « Quod per essentiam dicitur est causa omnium qu«

per participationem dicuntur... Deus autem est enb per

essentiam suam. quia est ipsum esse : omne autem aliud

ene est ens per participationem, quia eus quod ait siium

esse non possetesse nisi unum. » (S. Th., Contra G^nt.^l. Il,

 

G. XV.)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DECRES SQ'

 

et conséqueramejQt sans mesure ; ainsi, il' est non

seulement int€5lligent,. sage, bon, aimant, puis-

sant, mais il est l'intelligence et la sagesse même,

la bonté, l'amour, la puissance infinie, la source

de toute intelligence et de toute bonté. La créa-

ture, au contraire, peut bien être intelligente,

sage, bonne, puissante, mais elle n'est point l'in-

telligence même, ni la sagesse, ni l'amour; ces

perfections ne constituent pas son essence, mais

elles sont simplement ou des facultés, ou des

propriétés, ou des opérations distinctes de les-

sence et limitées comme elle; en un mot, ce sont

des perfections participées.

 

 

 

m

 

 

 

Après les explications que nous venons de don-

ner, il sera facile de saisir la pensée de notre

angélique Docteur lorsqu'il déclare que Dieu est

en toutes cboses comme la cause est dans les effets

qui participent à sa bonté. Gela revient à dire que

Dieu est présent aux créatures, en qualité de cause

efficiente, d'abord par son opération : car tout

agent doit être en contact avec le sujet sur lequel

il agit d'une manière immédiate ; ensuite par

ses dons, qui constituent le terme de cette opé-

ration, c'est-à-dire par les perfections créées»

finies, contingentes, qu'il communique aux êtrea

de ce monde, ei qui sont autant d'imitations^

lointaines^ de copies imparfaites, de participa-

tions analogiques de l'essence divine. En efTet,

c'est le propre de la cause efficiente de communi-

quer à ses effets, dans une mesure plus ou moins

 

 

 

40 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

large, la perfection qu'elle possède, et d'être

ainsi en eux non seulLment par le contact de sa

vertu, au moment même où elle opère et tant

que dure son opération, mais encore par sa simi-

litude ; car il est de la nature même de l'agent

de produire au dehors quelque chose qui lui

ressemble, la perfection de l'effet n'étant qu'une

reproduction, une participation, une ressem-

blance de celle de la causée

 

Or Dieu est la cause universelle de tout ce qui

existe ; car tous les êtres de ce monde sont les

effets de sa puissance. Ils doivent donc tous

posséder en eux quelque chose de Dieu, non pas

une portion de sa substance, mais une similitude

et une participation de sa bonté par mode de

vestige ou d'image. Deas est in omnibus, sed in

quibusdam per participationem suœ bonilatis, ut in

lapide et in aliis hujusmodi; et talia non sunt Deus,

sed habent in se aliquid Dei, non ejus substaniiam,

sed similitadinem ejus bonitatis\ Et comme les

effets de l'activité divine sont très variés dans les

diverses créatures, comme les dons divins sont

distribués d'une manière fort inégale, tant dans

l'ordre de la nature que dans celui de 'la grâce,

 

 

 

I. '< De natura agentis est, ut agens sibi simile agat,

quum unumquodque agat secundum quod actu est. Unde

forma effectus in causa excedente invenitur quidem aliqua-

liter, sed secundum alium modum, et aliam rationem...

Deus omnes perfectiones rébus tribuit, ac per hoc cum

omnibus similitudinem habet et dissimilitudinem simul...

quia id quod in Deo perfecte est, in rébus aliis per quamdatn

deficientem participationem invenitur. » (S. Th., Contra

Cent., 1. I, ch. XXIX.)

 

a. S. Th., In Epist. ad Coloss., c ii, lect. a.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES ^I

 

il en résulte que les êtres qui participent d'une

manière plus éminente aux bienfaits du Créateur

sont par là même plus rapprochés de Dieu, plus

unis à Dieu, plus riches de Dieu.

 

De son côté, Dieu, en qualité d'agent, existe

d'une manière plus parfaite dans les créatures

qui reçoivent de sa munificence de plus grandes

libéralités ; car, étant présent directement et im-

médiatement par son opération, il est consé-

quemment plus étroitement uni aux êtres en qui

il opère de plus grandes choses. Tanto alicui

naturœ perjectius unitar (Deus) quanto in ea magis

suam virtutem exercei\ Si sa très simple, très

une, très indivisible substance, qui pe connaît

ni division ni partage, ne peut se trouver quelque

part sans y être tout entière, il n'en va pas de

même de son opération et de sa vertu toute-

puissante, qui, libre de s'exercer au dehors dans

la mesure où elle le juge à propos, a de fait avec

les diverses créatures des contacts infînim nt

variés.

 

Notre âme nous fournit sur ce point un terme

de comparaison. Présente tout entière par sa

substance à tout le corps et à chacune de ses

parties qu'elle anime et vivifie, elle est par sa

vertu plus spécialement, plus pleinement, plus

parfaitement unie à la tête, où se trouvent tous

les sens, qu'au reste de l'organisme. Et cela se

comprend. Douée, comme elle est, de facultés

multiples, elle a besoin, pour en exercer les

fonctions, d'organes variés qui ne se rencontrent

 

 

 

t. S. Th., Opusc. 2 (alias 3) ad cantorem Antioch., c. vi.

 

 

 

4 2 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

point dans tout le corps et se trouvent réunis

seulement dans la tête. On peut dojic dire en

toute vérité que, présente tout entière par sa

substance dans le corps entier et dans chacune

de ses parties, elle est, par sa vertu, principale-

ment et excellemment dans le cerveau. De là ces

paroles de saint Bernard : Anima cum in toto sit

corpore, excelleniias tamen et singularias est in

capite, in quo sunt omnes sens'is^.

 

On comprend maintenant comment, nonob-

stant sa parfaite simplicité, Dieu peut être plus

ici que là; et comment sa présence, en qualité

de cause efiBciente, quoique formellement et spé-

cifiquement la même pai^tout, peut, si on la

considère dans son extension, varier pour ainsi

dire à l'infîiii, dacs la mesure même où s'exerce

l'activité divine ; en sorU.' que, plus complète,

plus excellente, plus parfaite, là où les termes de

cette activité sont eux-mêmes plus nombreux et

plus relevés, cette présence va en diminuant et

en s'amoindrissant de plus en plus, à mesure

que les effets de la puissance divine s'éloignent

davantage de la perfection de leur cause. Voilà

pourquoi il est dit de certains êtres qu'ils sont

près de Dieu, tandis que d'autres en sont éloi-

gnés , non sans doute par un rapprochement

matériel et local, mais par une similitude ou une

dissemblance de nature ou de grâce 2.

 

 

 

1. S. Bern., serm i in Ps. Qui habitat.

 

2. « Dicuntur res distare a Deo per dissimilîtijTimem

naturae vel gratiae, sicut et ipse est super omnia per excel-

lentiam suae naturae. » (S. Th., Samma Theol., I, q. vni.

a. i.adS.)

 

 

 

SES- DÎFFÉRBNTS DFGKES 43t

 

Ainsi, pendant que ks anges, eespurs miroirs

de la Divinité, mandissima Divinitatis spécula,

comme les appelle saint Denys, habitent en

quelque sorte dans le vestibule de la sainte Tri-

nité ', parce que, étant les plus parfaites des

créatures, ils sont pour ainsi dire voisina de

Dieu, les êtres matériels, au contraire, sont relé-

gués aux derniers confins de la création, et se

trouvent les plus éloignés de Dieu par la dissem-

blance de nature. L'homme tient le milieu entrer

ces deux classes d'êtres ; moins uni à Dieu que

les purs esprits, auxquels il est inférieur par sa^

nature, il est incomparablement plus rapproché

de lui que les créatures inintelligentes, incapables-

de s'élever jusqu'à leur auteur par la connais-

sance et l'amour ; aussi est-il dit de l'homme

qu'il a été fait à l'image et à la ressemblance de

Dieu, Faciamus hominem ad imaginem et similiiu-

dinem nosiram'^, tandis que les animaux, les

plantes et les êtres inorganiques n'offrent plus

qu'un vestige de la Divinité.

 

Mais c'est encore au-dessous du monde maté-

riel qu'il faut placer le pécheur, à cause de sa

dissemblance morale avec Dieu^; et c'est de lui;

uniquement que parle l'Ecriture, quand elle dit

que Dieu est loin des impies, Longe est Dominas

 

 

 

1. v'( Sanctissimae et provectissimae >'irtutes... sicut in ves-

tibulis supersubstantialis Trinitatis collocatse, ab ipsa... esse

habent. » (S. Dionys., De divin, nomin., c. v.)

 

2. Gen., I, 26.

 

3. « Ab eo (Deo) longe esse dicuntur, qui peccando dissi-

millimi facti sunt. » (S. Aug. 1. De prxsentia Dei, ch. v,

n. 17.)

 

 

 

44 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

ab impiis^. Aussi saint Augustin, parlant de sa

vie pécheresse, disait : « J'étais alors bien loin

dans la région de la dissemblance : Longe eram in

regione dissimilitudinis*. » Le langage chrétien a

rendu familières ces sortes de locutions. Veut-on

parler de quelqu'un qui néglige depuis longtemps

ses devoirs religieux et croupit dans le péché :

on dit qu'il vit loin de Dieu ; vient-il à montrer

des dispositions meilleures : on dit qu'il se rap-

proche de Dieu. Et ces expressions sont pleines

de justesse; car, suivant la pensée de saint Pros-

per, ce n'est pas en franchissant les distances

qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne de Dieu,

c'est par la ressemblance avec lui, ou par la dis-

semblance. Non locorum intervallis acceditur ad

Deum, vel recedilur ab eo ; sed similitudo facit

proximum, dissimilitudo longinquam^.

 

 

 

IV

 

 

 

Ainsi donc, quoique Dieu soit partout, et tout

entier partout, il n'est cependant point également

partout; il y a certains lieux où il réside d'une

manière si particulière, qu'on peut les appeler

la demeure de Dieu. Et si vous demandez quels

sont ces lieux privilégiés, saint Jean Damascène

vous répond : Ce sont ceux où l'opération divine

est plus manifeste : Dicilur locus Dei, \ibi ejus

 

 

 

I. Prov., XV, 2).

 

a". S. Aug., Conf., 1. VIT, ch. x.

 

3. S. Prosp., Sentent. ia3.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 45

 

manifesta fit opération. C'est ainsi que le lieu où

Jéhovah daigna se manifester jadis à Jacob par

des visions singulières est appelé la maison de

Dieu et la porte du ciel*. Aux merveilles accom-

plies en sa faveur, à l'échelle mystérieuse qu'il

aperçut en songe, aux promesses magnifiques

qui lui furent faites par le Dieu de ses pères, le

patriarche reconnut la présence particulière de

la Divinité au milieu même du désert, et il s'écria

dans un saint enthousiasme entremêlé de crainte :

(( Le Seigneur est vraiment en ce lieu, et je ne le

savais pas : Vere Dominas est in loco isto, et ego

nesciebam^. » Sous l'ancienne Loi, Dieu habitait

d'une manière spéciale dans le tabernacle cons-

truit par Moïse, et plus tard dans le temple de

Jérusalem, où sa présence se manifestait sous la

forme d'une nuée mystérieuse.

 

Comment ne pas reconnaître également une

présence particulière de la Divinité, même au

simple titre de cause efficiente, dans les prophètes,

auxquels l'Esprit-Saint dévoilait l'avenir? dans

les apôtres et les auteurs inspirés, qu'il éclairait

de sa lumière ? dans les saints, qui reçoivent

 

 

 

1. « Ipse (Deus) sui ipsius locus est, cuncta replens et

super omnia eminens, et ipse continens omnia. Dicitur

autem in loco esse et dicitur locus Dei, ubi ejus manifesta

fit operatio. Ipse enim per omnia pure et impermixtibiliter

méat ; et omnibus suae operationis consortium tradit, secun-

dum uniuscujusque aptitudinem et capacitatis virtutem.

Dicitur igitur Dei locus qui plus participât operationis ejus

et grâtiae. » (S. Joan. Damasc, De fide orthod., 1. I, c. xvi.)

 

2. Gen., xxvni, 17.

S. Gen., xxvin, 16.

 

 

 

46 PRESENCE INTIME DE DIEU

 

plus abondamment les bienfaits de la grâce ?

dans l'Eglise, qu'il assiste pour la préserver de

l'erreur, la sanctifier et la défendre contre ses

ennemis? partout, en un mot, où son opération

se fait sentir davantage et où il répand ses dons

avec plus d'abondance, tant dans l'ordre de la

nature que dans ctlui de la grâce? Et parce que

c'est au ciel que l'action de Dieu apparaît plus

clairement, et s'exerce d'une façon plus splendide ;

parce que c'est là que la divine munificence ne

connaît en quelque sorte plus de bornes; Dieu,

suivant la pensée de saint Bernard, s'y trouve

d'une manière si spéciale que, comparativement

parlant, il n'est pour ainsi dire pas ailleurs ;

voilà pourquoi nous disons dans l'Oraison domi-

nicale : Notre Père qui êtes aux cieuxK

 

Que nous reste-t-il à conclure de tout ce qui

précède, sinon que Dieu est en tout être et en

tout lieu, non pas comme la liqueur est dans le

vase qui la contient, car Dieu ne saurait être

contenu par les créatures, c'est lui plutôt qui les

 

 

 

I. « Licet Deum ubique esse non dubitetur, sic tamen

in caelo est, ut ad ejus coniparationem non esse videatur in

terris. Propter quod et orantes dicimus : Pater noster, qui

es in cœlis. Sicut enim anima cum in toto qnoqne sit cor-

pore, excellentius tamen et singularius est in capite, in qiio

sunt omnes sensus... unde quantum ad eum modum quo

in capite est, cetera membra videtur quodammodo non

tam inhabitare quam regere : ita si prœsentiam illam cogi-

temus, qua beati angeli perfruuntur, videmur vix aliquam

Dei protectionem et nomen habere. » (S. Bern., in Ps. Qui

habitat, serm. i, n. 4-)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 4 7

 

«ontieiit en les coneervant^ ; non pas à titre

d'élément constitutif, comme l'âme est dans

l'homme*, ce -serait du panthéisme ; mais en

qualité de cause, comme l'agent est présent au

sujet sur lequel il exerce une action immédiate?

Il est partout, non pas directement et immédia-

tement par sa substance, quoique celle-ci ne soit

absente nulle part, mais par son opération et le

contact de sa vertu; car d'un côté la substance

divine, étant absolue, n'emporte par elle-même

ri relations ni rapports avec les êtres du temps ;

et d'un autre côté, étant parfaitement simple et

ôxempte de parties, elle ne demande point à se

déployer dans l'espace. Mais comme en Dieu

l'opération, la v^rlu opérative et la substance ne

sont pa« réellement distinctes, il faut bien recon-

naître que partout où se rencontre un effet im-

médiat de la causalité divine, Dieu lui-même s'y

 

 

 

I. Dans .sa Somme Thé.ol., saint Thomas ;se Xait cette ob-

jection : « Quod est in aliquo continetur ab eo. Sed Deus

non continetur a rébus, sed magis continet res. Ergo Deus

non est in rébus, sed magis res sunt in eo. w Et il répond :

« Ucet corporalia dicantur «sse in aliquo sicut in conti-

nente, tamen spiritualia continent ea in quibus sunt, sicut

anima continet corpus. Unde et Deus est in rébus sfcut

continens res ; tamen per quamdam similitudinem dicuntur

omnia esse in Deo, in quantum continentur ab ipso. »

(S. Th., Summ. TheoL, I, q. vm, a. i, ad 2.)

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