sexta-feira, 22 de janeiro de 2021

R. P. BARTHELEMY FROGET

 



R. P. BARTHELEMY FROGET

 

MAITRE EN THEOLOGIE

DE l'ordre des frères PRÊCHEURS

 

 

 

DE L'HABITATION

 

 

 

DU

 

 

 

SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

D'APRÈS LA DOCTRINE DE SAINT-TBOMAS D'AQUIN

 

Douzième édition

 

 

 

 

PARIS (vr)

 

P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR

 

10. RUE CASSETTE. tO

 

 

 

DE L'H.A.BITATION

 

DU SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

 

 

APPROBATION DE L'ORDRE

 

 

 

Nous, soussignés, avons examiné par commission du

T. R. Père P^o^incial le livre publié une première fois sous

ce titre : De l'Habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes,

par le T. R. Père Maître, Frère Barthélémy Froget, de l'Ordre

des Frères Prêcheurs. Cet ouvrage, très recommandable

par la sohdité de la doctrine et par sa conformité avec les

enseignements de saint Thomas, a mérité l'attention des

théologiens. S'il intéresse le progrès de la science sacrée, il

peut aussi contribuer à l'accroissement de la piété dans les

âmes. Il nous a paru digne d'être réédité, et nous déclarons

en approuver l'impression avec les additions et modifica-

tions que l'auteur a jugé à propos d'y introduire.

 

Lyon, en la Fête de saint Raymond de Pennafort, le a3

janvier 1900.

 

Fr. Marie-Joseph BELOiN, des Fr. Pr..

Maître en S. Théologie.

 

Fr. Denis Mézard,

 

des Frères Prêcheun.

 

 

 

Imprimatur.

 

Fr. Jos. Ambrosius LABORÉ, Ord. Praed.

Prior Provincialis Prov. Lugd.

 

 

 

Imprimxitar,

Parisiis, die i!\ Februarii 1900.

 

 

 

E. THOMAS.

Y. G.

 

 

 

L'aateur et l'éditear réservent tous droits de traduction et de

reproduction.

 

Cet ouvrage a élé déposé, conformément aux lois, en décembre 1900.

 

 

 

R. P. Barthélémy frogst

 

MAITRE EN THÉOLOGIE

DB l'ordre des frères PRÊCHEURS

 

 

 

DE L'HABITATION

 

 

 

DU

 

 

 

SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

D'APRÈS LA DOCTRINE DE SAINT THOMAS D'AQUIN

 

 

 

 

PARIS

P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR

 

TO, RUE CASSKTTE, 10

 

 

 

THE 1NSTITUTE OF WEDI^

TORONTO e.

 

 

 

OOT 3 1 m\

 

(oa.3

 

 

 

A notre cher fils, Barthélémy Frogei, de VOrdre de Saint-

Dominique, à Poitiers.

 

 

 

LÉON XIII, PAPE.

 

 

 

Cher Fils,

Salut et bénédiction Apostolique,

 

La piété des catholiques se plaît à Nous offrir fréquemment

les fruits de leur talent et de leur science. De ces travaux,

ceux-là Nous sont assurément les plus agréables, qui servent

à mettre en lumière Nos propres enseignements. Aussi le

livre dont vous Nous avez récemment fait hommage, mérite-

t-il une faveur particulière.

 

Vous y exposez, d'après les doctrines du Docteur Angélique,

en un traité aussi riche que lumineux, l'admirable habitation

de l'Esprit-Saint dans les âmes justes. Ce point de la foi

catholique si capital et si consolant, Nous l'avons Nous-mème

constamment recommandé dans Notre Encyclique, Dimnum

illud munus, au zèle de ceux qui, suivant le devoir de leur

charge, s'adonnent au soin et au salut éternel des âmes. II

importe souverainement, en effet, de dissiper dans le peuple

chrétien l'ignorance de ces hautes vérités, et il faut, par

conséquent, s'efforcer d'obtenir que tous s'appliquent à

connaître, à aimer et à implorer le don du Dieu Très-Haut,

de qui découlent tant de précieux bienfaits. Votre livre a déjà

grandement contribué à atteindre ce but, Nous vous en féli-

citons, et Nous Nous plaisons à espérer que ce bien se conti-

nuera toujours davantage, ce que Nous désirons vivement.

En louant votre parfaite soumission à Notre Autorité, et vos

sentiments de fils très dévoué envers Notre Personne, Nous

vous accordons, de toute l'affection de Notre Cœur, la béné-

diction apostolique, en signe de Notre paternelle bienveil-

lance et comme gage de grâces divines.

 

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 20 février de l'année

1001 et de Notre Pontificat le vingt-quatrième.

 

Léon XIII, Pape.

 

 

 

LETTRE

 

DE

 

S. Em. Mgr COULLIÉ, Archevêque de Lyon

 

 

 

ARCHEVÊCHÉ DB

 

LYON Lyon, le i6 juillet 1899.

 

Mon Révérend Père,

 

Je vous félicite d'avoir abordé dans votre livre l'un des

points les plus intéressants et les plus consolants de la doc-

trine chrétienne : l'Habitation du Saint-Esprit dans les âmes

justes.

 

Il y a dans l'Evangile et dans les Epîtres des passages que

nous lisons souvent sans en pénétrer les enseignements pro-

fonds ; et cependant ces paroles inspirées nous révèlent la

vraie grandeur de l'âme chrétienne en état de grâce et les

admirables relations qui s'étabhssent entre elle et les Per-

sonnes de la sainte Trinité.

 

Aujourd'hui on étudie avec un soin minutieux la psycho-

logie naturelle, mais on néghge ce que l'on peut appeler la

psychologie surnaturelle, c'est-à-dire les énergies, les actions

et les beautés de l'âme que le Saint-Esprit sanctifie par son

habitation et ses mystérieuses opérations. L'apôtre saint

Paul a tracé les grands traits de cette science admirable ;

les saints Pères, particulièrement saint Augustin, l'ont déve-

loppée par leurs savants commentaires.

 

Ce sont ces vérités que vous exposez avec l'exactitude que

vous donne la connaissance approfondie de la théologie de

saint Thomas d'Aquin, et avec une clarté si remarquable

que votre ouvrage sera apprécié non seulement par les

ecclésiastiques, mais aussi par les fidèles avides de mieux

connaître notre sainte religion.

 

Aussi je suis heureux de le recommander, et, en vouç

exprimant mes sentiments respectueux et dévoués, je prie

Notre- Seigneur de bénir vos travaux et votre ministère

apostolique.

 

t Pierre, Gard. COULLIÉ,

Archevêque de Lyon et de Vianne.

 

 

 

 

 

 

TABLE DES CHAPITRES

 

 

 

Approbation de l'Ordre et Imprimatur de l'Ordi-

naire. . VI

 

Lettre DE S. Ém. M^' Codlué, At^chevêque de Lyon. ix

 

Avant-tPropos de la deuxième édition Xlll

 

Introduction i

 

PREMIÈRE PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE COMMUNE ET ORDINAIRE DE DXBU

EN TOUTE CRÉATURE.

 

Chapitre I. — De la présence de Dieu en toutes choses

 

en qualité d'agent ou de cause efficiente .... 7

 

Chapitre II. — Combien cette présence est intime,

profonde, universelle. — Ses différents degrés . . 3o

 

DEUXIÈME PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DÏEU

 

OU DE

 

l'habitation du SAlNT^ESPRrr DANS LES AMES JUSTES.

 

Chapitre I. — Le fait de la présence si)éciale de Dieu

dans les justes. — Mission, donation, habitation

du Saint-Esprit 53

 

Chapitre U. — Nature de cette présence 79

 

Chapitre III. — Mode de cette présence. — Ce n'est

plus seulement en qualité d'agent que Dieu est

dans l'âme juste, c'est à titre d'hôte et d'ami,

comme objet de connaissance et d'amour. . . . io4

 

Chapitre ÎV. — Exphcation du mode de présence

dont Dieu honore les justes de la terre et les

saints du ciel. — § I. Comment Dieu est présent

par sa substance à l'intelligence et à la volonté des

Bienheureux en tant que vérité première et bien

souverain

 

Chapitre V. — Explication du mode particulier de

présence dont Dieu honore les justes de la terre et

les saintfi du ciel (suite). — § II. Comment la grâce

produit dans les justes de la terre une présence de

Dieu analogue à celle dont jouissent les Satnts du

ciel ,55

 

 

 

137

 

 

 

Xn TABLE DES CHAPITRES

 

TROISIÈME PARTIE

 

l'iNHABITATION divine par la GRACE N EST PAS LA

PROPRIÉTÉ PERSONNELLE DU SAINT-ESPRIT, MAIS LE

PATRIMOINE COMMUN DE TOUTE LA SAINTE TRIMTÊ.

— ELLE EST l'apanage DE TOUS LES JUSTLs, TANT

DE l'ancien que DU NOUVEAU TESTAMENT.

 

Chapitre I. — Quoique attribuée ordinairement à

l'Esprit-Saint, l'inhabitation divine par la grâce ne

lui est pas exclusivement propre, mais commune

aux trois personnes igS

 

Chapitre IL — L'habitation de Dieu dans les âmes

n'est pas l'apanage exclusif des saints de la nouvelle

alliance, mais la dot commune des justes de tous

les temps 221

 

QUATRIÈME PARTIE

 

BUT ET EFFETS DE LA MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

ET DE SON HABITATION DANS LES AMES.

 

Chapitre L — But de la mission invisible de l'Esprit-

Saint et de sa venue dans les âmes : la sanctifi-

cation de la créature. — Pardon des péchés, justi-

fication 2^5

 

Chapitre IL — Notre justification par la grâce est une

véritable déification. — Comment la grâce sancti-

fiante est une participation physique et formelle

de la nature diAine . 268

 

Chapitre III. — Notre filiation divine adoptive —

Analogies et dissemblances entre l'adoption divine

et les adoptions humaines. — Incomparable gran-

deur et dignité du chrétien 3oo

 

Ghapilre IV. — Droit à l'héritage céleste, conséquence

de notre adoption. — Quel est cet héritage ?.. 822

 

Chapitre V. — Effets de l'Habitation du Saint-Esprit :

les vertus infuses théologales et morales .... 354

 

Chapitre VI. — Effets de l'habitation du Saint-

Esprit (suite). — Les dons du Saint-Esprit . . . 878

 

Chapitre VIL — Derniers effets de l'habitation du

Saint-Esprit : les fruits du Saint-Esprit et les

béatitudes ^25

 

APPENDICE

Exposition et réfutation de l'opinion de Petau, rela-

tive à l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes

justes 447

 

Table analytique 477

 

 

 

AVANT-PROPOS

DE LA TROISIÈME ÉDITION

 

 

 

Dans l'admirable Encyclique Divinum illud munas qu'il

adressait au monde catholique en date du 9 mai 1897, le

Souverain Pontife Léon XIII exprimait son ardent désir de

voir la foi en l'auguste mystère de la Trinité se raviver dans

les esprits et la piété envers l'Esprit-Saint s'accroître et

s'embraser dans les cœurs. Pour atteindre ce but, non con-

tent d'entretenir lui-même le peuple fidèle de la présence,

de la vertu merveilleuse, ainsi que de l'action exercée par

ce divin Esprit dans l'Eglise entière et dans chacune des

âmes par l'abondance des dons célestes, le Vicaire de Jésus-

Christ rappelait aux prédicateurs et à ceux qui ont charge

d'âmes le devoir qui leur incombe d'exposer avec soin,

d'une façon claire et suffisamment complète, en écartant

toutefois les controverses ardues et subtiles, tout ce qui

concerne le Saint-Esprit, et notamment les bienfaits sans

nombre que nous en avons reçus et que nous en recevons

sans cesse ; ainsi, ajoutait-il, se dissiperoni l'erreur et l'igno-

rance de ces grandes choses, qui est vraiment indigne des

fils de lumière.

 

Paroles aussi pleines de sagesse que d'à-propos. Combien,

en effet, parmi les chrétiens de nos jours, n'ont qu'une

notion vague et imparfaite de l'Esprit-Saint, de ses dons,

des opérations merveilleuses qu'il vient accomplir dans les

âmes, des richesses et des joies spirituelles dont il comble

quiconque se montre docile à ses inspirations I Peut-être

même ne serait-il pas impossible de rencontrer encore à

t notre époque des fidèles qui, interrogés comme ces prosé-

K lytes auxquels l'Apôtre demandait jadis s'ils avaient reçu le

 

k

 

 

 

XIV AVANT-PROPOS

 

Saint-Esprit, répo.idraiènt comme eux : <f Mais nous n'a-

vons même pas ouï dire qu'il y eût un Esprit-Saint. »

(Act., XIX, 2.) Nombreux, en tout cas, sont ceux qui ignorent

totalement ou ne connaissent que d'une façon absolument

superficielle, et incapable partant de porter des fruits de

salut, cette vérité si belle, si consolante, de la mission invi-

sible, de la venue, de l'habitation du Saint-Esprit dans les

âmes en état de grâce. Et pourtant quel sujet plus digne

d'attention? IS 'est-ce pas là le don par excellence, le don

principe à la fois et couronnement de tous les atutres? Dieu

venant en nous, se donnant à nous, se constituant notre

hôte plein de douceur, notre ami, notre consolateur, l'agent

de notre sanctification, et en même temps le gage, ou plu-

tôt le commencement de notre félicité: n'y a-t-il'pas là de^

quoi intéresser vivement, disons mieux,. de-. quoi passionner

des âmes foncièrement, chrétiennes?

 

Si, après avoir élevé au vrai Dieu un tfempie superbe et

étincelant d'or, Salomon s'écriait avec l'accent d'une foi

vive et d'une profonde admiration : « Est -il croyable que

Dieu habite véritablement sur la terre? Ergone putûndum

est quod vere Deu$ habitée super terrant? Seigneur, mon-

Dieu, si le ciel et les cieux des; cieux ne peuvent vous con-

tenir, combien moins cette maison que j'ai bâtie ^ ! » quels'

doivent donc être les sentiments d'une âme en qui réside',

comme dans un temple vivant, la Majesté infinie, le Gréatèttr

du ciel et de la terre, le Maître du monde ! Or, ce n'est pas

seulement une pieuse croyance, une assertion plus ou moins

problématique, c'est une vérité hors de conteste que Dieu,

par sa grâce, habite véritablement, substantiellement, dans

l'unité de sa nature et la trinité des personnes, en toute

âme juste, et qu'un lien d'amour unit plus étroitement

cette âme à son Créateur qu'un ami ne peut l'être à son

meilleur ami ; aussi coramence-t-elLe dès ici-bas à jouir dé

lui avec une ineffable suavité. Léon XIII va même jusqu%

 

 

 

i. m Reg., Yiii, 27.

 

 

 

AVANT-PROPOS TVtr

 

dire que cette « adtnirable uniofi» ap:pQ\ée Jnhabitationt ne

diffère que par Ifi cpridition ou l'état, de celle q.ui fait le

bonheur des habitants du ciel.* ».

 

Etablir par des arguments inéluctables empruntés^ à la-

révélation le fait de cette présence spéciale de Dieu, dans les

âmes justifiées ; en exposer clairement la nature» le mode,

les merveilleux. effets, celui,no.tamment de notre déification;

par la grâce et de la filiation adoj^tive qpi en est la consé-

quence ; donner par là une compréhension plus parfaite de

la grandeur du.chrétien et de ses- hautes destinées ; inspirer

une estime plus profonde des biens souverainement pré-

cieux qui lui sont départis dès cette vie et un plus vif désir

de l'héritage incomparable qui lui est réservé dans le ciel ;

tracer enfin un tableau du riche et complexe organisme

surnaturel communiqué par le Saint-Esprit aux âmes, en

qui il réside, pour leur permettre de collaborer, sous sa

direction, au grand œuvre de leur sanctification, tel est le

magnifique programme que nous nous sommes efforcé de

remplir dans le présent ouvrage.

 

Dieu a daigné bénir notre travail, et le succès a vraiment

dépassé nos espérances.

 

Cette seconde édition est la reproduction exacte de la

première, sauf quelques légers changements, non de doc-

trine, mais de disposition. Ainsi, nous avons multiplié les

chapitres pour en rendre la lecture plus facile ; renvoyé à la

fin du volume, par mode d'appendice, certaines discussions

goûtées, il est vrai, des théologiens, mais un peu ardues

pour le grand public ; et supprimé, par amour de la paix,

une polémique devenue moins utile, après que la vérité

avait été dûment rétablie. Nous avons également ajouté

quelques éclaircissements sur les dons du Saint-Esprit pour

bien mettre en lumière la pensée de saint Thomas.

 

 

 

i. t Etec aotem mira conjnnetio, qaae siio Domine inhabitaiio dicitur, oondi-

lione tajatum sen stalo ab ea discrepat qua cœlitesDeus beandocomplectitur. »

Ex. Epist. Esctcl. Divinu» iUud munus Leonia PP. XIII, data die 9 maii

 

i^7.

 

 

 

XVI AVANT-PROPOS

 

Daigne rEsprit-Saint bénir ces humbles pages écrites

pour sa gloire et leur faire porter des fruits d'édification.

Nous serions amplement dédommagé du travail qu'elles

nous ont coûté, si elles pouvaient contribuer à répandre la

connaissance et l'estime des dons divins, faire croître dans

les âmes la dévotion et la confiance envers l'Esprit sanctifi-

cateur, et réaliser ainsi, au moins dans une certaine mesure,

les vœux du Père commun des fidèles.

 

Poitiers, le i5 janvier 1900, en la fête du saint Nom de

Jésus.

 

 

 

I

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

S'il est une vérité précieuse à connaître et

douce à contempler, une vérité offrant un inté-

rêt plus qu'ordinaire et contenant en quelque

sorte la moelle du christianisme, une vérité fré-

quemment rappelée dans les Livres saints et

néanmoins laissée pour ainsi dire complètement

dans l'ombre par la chaire contemporaine, même

quand l'orateur s'adresse à cette élite d'âmes qui

ne demande qu'à pénétrer plus avant dans le

mystère du royaume de Dieu, c'est assurément

le dogme si pieux, si consolant, si réconfortant

de la présence et de l'habitation de l'Esprit-Saint

dans* les âmes justes. Cette belle doctrine tant

aimée des Pères, si souvent traitée par eux, soit

dans leurs exhortations aux fidèles sous forme

d'homélies, soit dans leurs controverses avec les

hérétiques adversaires de la divinité du Verbe ou

du Saint-Esprit, fut pieusement recueillie par les

théologiens du Moyen Age, notamment par le

plus grand d'entre eux, le prince de la scolas-

tique, l'angélique Docteur saint Thomas d'Aquin,

qui se l'est pour ainsi dire appropriée et l'a

comme marquée de son sceau, en la formulant

avec toute la précision du langage théologique.

 

On la retrouve plus tard exposée avec amour et

une émotion que l'on sent sous les froideurs de

 

BAB. fAUIT-S3P«lT. — i

 

 

 

2 INTRODUCTION

 

la lettre, par les principaux représentants de la

science sacrée, les Gonet, les Jean de Saint-Tho-

mas, les Suarez, les théologiens de Salamanque;

elle forme, dans leurs œuvres, comme une oasis

pleine de fraîcheur, qui repose agréablement de

l'aridité et de la sécheresse des discussions théo-

logiques. Petau et Thomassin l'ornèrent des tré-

sors de leur érudition, en reproduisant quelques-

uns des plus beaux passages des saints Père& qui

s'y rapportent. Loin d'avoir vieilli de nos jours,

elle a été au contraire remise en honneur par

quelques célébrités contemporaines ; les EEm. car-

dinaux Franzelin et Mazzella dans leurs savants

traités, Mg'' Gay dans ses conférences si remar-

quables sur La Vie et les Vertus chrétiennes^

d'autres encore l'ont abordée avec un incontes-

table talent et des fortunes diverses.

 

D'où vient donc qu'elle est encore si peu

connue, et partant si peu appréciée, même par

les hommes du sanctuaire? On sait bien, sans

doute, au moins vaguement, pour l'avoir entendu

dire sans autre explication, ou l'avoir lu dans le

sainl Evangile, que l'Esprit-Saint , ou plutôt la

sainte Trinité tout entière, habite dans les âmes

qui ont le bonheur d'être en état de grâce et de

posséder la charité ; mais en quoi consiste au

juste cette inhabitation? Comment se distingue-

t-elle de l'omniprésence divine ? Qu'apporte-

t-elle de spécial à celui qui en est gratifié? Quels

en sont les résultats et les effets? Voilà ce que

l'on ignore et ce qu'il importerait extrêmement

de connaître; car sans cela, semblable à ces

astres perdus aux confins du monde et n'en-

voyant à nos yeux qu'une lumière faible et indis-

 

 

 

INTRODUCTION D

 

tincte, la notion que l'on possède de ce point de

la doctrine catholique est trop vague, trop con-

fuse, pour saisir et impressionner fortement les

âmes, en y produisant ces fruits salutaires de

joie et de consolation qu'elle est appelée à

porter.

 

Serait-ce donc une question inabordable pour

les intelligences ordinaires ? Est-ce un livre

scellé, dont quelques rares privilégiés possèdent

'le secret de briser les sceaux et de déchiffrer les

caractères? Mais non; nous espérons bien, avec

la grâce de Dieu, mettre cette doctrine à la por-

tée de tous nos lecteurs. Dira-t-on qu'il s'agit

d'une théorie fort belle, il est vrai, mais sans

influence pratique dans la conduite de la vie?

Il n'en est rien ; cette étude, spéculative en ap-

parence , est féconde en enseignements prati-

ques, et elle offre à ceux qui ne craignent pas

de l'entreprendre, non seulement des joies vives

et pures, mais encore de puissants motifs de

sanctification.

 

Notre dessein, en écrivant ces pages, est de

mettre à la portée des âmes de bonne volonté et

des esprits même peu accoutumés aux spécula-

tions théologiques, mais avides de vérité et

jaloux de quitter le terre-à-terre des discussions

quotidiennes, une doctrine contenant notre plus

haut titre de gloire et de noblesse. Nous nous

efforcerons d'apporter, dans cette étude, toute la

clarté que comportent des matières si relevées,

en prenant pour guide le maître incomparable

dont l'illustre Pontife Léon XIII ne cesse de

recommander les enseignements, et dont nous

sommes fier de nous dire l'humble disciple,

 

 

 

lîNTRODUGTION

 

 

 

saint Thomas d'Aquin, qui a projeté sur cette

question, comme sur tant d'autres, les lumières

de son génie. Ce n'est pas qu'il l'ait traitée avec

cette abondance de détails et cette ampleur de

développements que l'on souhaiterait ; il s'est

plutôt contenté de poser les principes et de con-

denser sa pensée dans une de ces formules brèves,

mais riches de substance, que l'on rencontre à

chaque page de sa Somme théologique. De ce style

ferme, limpide, élevé, qui le caractérise, il a

exprimé en peu de mots tout ce qu'il fallait dire

pour être compris par les esprits initiés à la ter-

minologie scolastique, laissant à d'autres qui en

auraient le loisir, le goût et la facilité, le soin

d'émietter sa doctrine et de la mettre, au moyen

de développements appropriés, à la portée de

toutes les intelligences. C'est le but que nous nous

sommes proposé.

 

Notre tâche consistera donc à mettre en relief

la pensée du saint Docteur, et à traduire, dans

un langage intelligible pour tous, ces formules

savantes si claires pour les initiés, mais n'offrant

au commun des lecteurs qu'une énigme souvent

indéchiffrable. Nous emprunterons également à

la sainte Ecriture et aux Pères de l'Eglise un cer-

tain nombre de témoignages, qui auront le

double avantage d'éclairer notre enseignement

en le corroborant, et de montrer sur quels fonde-

ments solides il repose.

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE COMMUNE ET ORDINAIRE

DE DIEU EN TOUTE CRÉATURE

 

 

 

De rHabîtation du Saint-Esprit

 

DANS LES AJIES JUSTES

 

 

 

CHAPITRE PREAJIER

 

De la présence de Dieu en toutes

choses

 

EN QUALITÉ d'aGENT OU DE CAUSE EFFICIENTE

 

 

 

Avant d'aborder le problème intéressant mais

ardu de l'habitation du Saint-Esprit dans les

âmes justes, et de l'union mystérieuse qui en est

la suite ; avant d'établir le fait d'une présence à

la fois substantielle et spéciale des personnes

divines dans les âmes sanctifiées par la grâce et

transformées par elle en un temple vivant, où

demeure et se complaît l'auguste et adorable Tri-

nité, il nous semble utile, nécessaire même,

dans une certaine mesure, d'exposer au préala-

 

 

 

8 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

ble le mode ordinaire et commun suivant lequel

Dieu est en toutes choses. Comment en effet

s'aventurer raisonnablement à parler d'une pré-

sence de la Divinité spéciale aux justes, si l'on ne

commence par exposer clairement en quoi con-

siste sa présence ordinaire en chacune des créa-

tures ?

 

Pour être en état d'asseoir un jugement sérieux

sur ces deux modes de présence et de les bien

discerner l'un de l'autre, il importe de connaître

leurs caractères respectifs, de savoir ce qu'ils

ont de commun et ce qui les différencie; et pour

cela il les faut analyser, comparer, déterminer

leur nature. En procédant différemment, en dis-

sertant d'une manière plus ou moins savante de

i'inhabitation de Dieu par la grâce, sans avoir,

avant tout, bien établi et convenablement expli-

qué son inexistence dans le monde de la nature,

on s'exposerait à l'inconvénient grave de ne

donner que des notions incomplètes, et de lais-

ser dans Tesprit du lecteur des obscurités regret-

tables. Nous ne nous attarderons cependant pas

à prouver longuement le fait de l'omniprésence

divine, sur lequel tous les catholiques sont d'ac-

cord, nous réservant d'étudier de plus près la

manière de l'entendre afin d'en dégager le vrai

concept de l'immensité divine, et de préparer les

voies à l'intelligence de la présence spéciale de

Dieu dans les justes.

 

I

 

Que Dieu soit partout, au ciel, sur la terre,

en toutes choses et en tous lieux ; qu'il soit inti-

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 9

 

mement présent à chacune de ses créatures,

c'est un dogme de foi, en même temps qu'une

vérité rationnelle connue de tous, non seule-

ment du penseur, philosophe ou théologien,

mais encore de l'enfant lui-même dont l'intelli-

gence commence à peine d'éclore ; c'est une

des premières leçons qu'il reçoit sur les genoux

de sa mère, un des premiers enseignements

qui tombent des lèvres d'un éducateur croyant.

 

Cette doctrine que le plus humble chrétien

possède maintenant dès l'aurore de sa vie morale

et qu'il répète sans en comprendre la portée, ni

en soupçonner la profondeur, l'apôtre saint Paul

l'enseigna jadis devant le plus illustre auditoire

qui fût au monde. En effet, ce n'était point à la

foule ignorante, mais aux représentants en quel-

que sorte officiels de la science humaine, aux

membres de l'Aréopage, qu'il s'adressait, quand,

à propos de l'existence de Dieu au sein des êtres

créés, il disait : « Dieu n'est pas loin de nous,

car nous vivons, nous nous mouvons, nous exis-

tons en lui : Quamvis non longe sil ab unoquoque

nosirum : in ipso enim vivimus, et movemur et

sumus^. »

 

Le Psalmiste avait enseigné, lui aussi, ou plu-

tôt chanté depuis bien des siècles cette omnipré-

sence divine : « Seigneur, avait-il dit, vous con-

naissez tout, l'avenir le plus lointain comme le

passé le plus reculé ; vous m'avez formé et vous

avez posé votre main sur moi. La science que

vous avez de moi est admirable, et je suis inca-

 

 

 

. Act., XVII, 37-28.

 

 

 

10 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

pable de l'atteindre. Où irai-je pour échapper à

votre esprit? Gomment me soustraire à votre

regard? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je

descends dans les enfers, je vous y trouve encore.

Si j'ouvre mes ailes, dès le matin, pour fuir aux

extrémités de la mer, c'est votre main qui m'y

conduit, c'est votre droite qui me soutient. J'ai

dit : Peut-être que les ténèbres me cacheront et

que la nuit enveloppera mes plaisirs. Mais les

ténèbres ne sont pas obscures devant vous, et la

nuit a l'éclat du jour pour vous*. »

 

Et pour bien nous convaincre de l'impossibi-

lité où nous sommes de nous soustraire à son

regard, > Dieu, empruntant l'infirmité de notre

langage afin de se mettre plus complément à

notre portée, nous dit par la bouche du Pro-

phète : w Celui qui se cache espère-t-il se déro-

ber à mes yeux? ne remplis-je pas le ciel et

la terre? Numquid non cœlum et terram ego Im-

pleo^?

 

Il serait superflu d'apporter d'autres témoi-

gnages pour établir une vérité qui est universel-

lement admise par q[uiconque reconnaît l'exis-

tence d'un Être infini, auteur de toutes choses.

On voudra bien cependant nous permettre de

reproduire ici, à cause 4e son iîi.portance, la

preuve philosophique de l'omniprésence divine,

donnée par saint Thomas.

 

Dieu, dit-il, est en toutes choses, non pas

comme partie de leur essence ou comme un élé-

 

 

 

I. Ps. cxxxvin, 5-1»,

a. Jer., xxiii, a4.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES II

 

ment accidentel, mais comme l'agent est présent

aîi* sujet sur lequel il opère. Il est, en effet, de

toute nécessité que la cause eflBciente soit unie au

sujet sur lequel elle exerce une action immé-

diate, et qu'elle entre en contact avec lui sinon

par sa substance, au moins par sa vertu active

et ses énergies. Deas est in omnibus rébus... sicut

agens adest ei in quod agit. Oporiei enim omne

agtns œnjungi ei in qaod immédiate agit, et sua

virtute illud contingere^. C'est ainsi que le soleil,

quoique situé à une distance énorme de notre

planète, l'atteint néanmoins par sa vertu; com-

ment, en effet, serait-il en état dé l'éclairer et de

réchauffer si ses rayons ne parvenaient iusqu'à

elle? Or, Dieu opère en toute créature, non seu-

lement par l'intermédiaire des causes secondes,

mais encore d'une manière directe et immédiate,

y produisant par lui-même, et y conservant

pareillement, ce qu'il y a de plus intime et de

plus profond, l'être. Car, de même que l'effet

propre du feu est de brûler, ainsi l'effet propre

de Dieu, qui est l'Être par essence, est de pro-

duire l'être des créatures. Donc Dieu est en

toutes choses, intimement présent en qualité de

cause efficiente. Unde oporiei quod Deus sit in om-

nibus rébus et intime^, — ut causans omnium esse^.

Il n'en est donc pas de Dieu comme d'un

ouvrier vulgaire, un peintre, par exemple, ou

un sculpteur, qui se tient en dehors de soa

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. yiii, a. i.

a. Ibid., a. i.

3. Ibid., ad i.

 

 

 

la DE LA PRESENCE DE DIEU

 

ouvrage et ne le touche souvent pas d'une ma-

nière immédiate, mais par l'intermédiaire d'un

instrument, et qui, présent à son œuvre au mo-

ment où il la produit, peut se retirer ensuite

sans en compromettre l'existence. Dieu est au

plus intime de ses œuvres, et si, après avoir

donné Fctre à une créature, il retirait sa main

et cessait de la soutenir, elle retomberait immé-

diatement dans le néant d'où elle était sortie.

 

Si maintenant vous demandez à l'angélique

Docteur comment Dieu, substance immatérielle,

inétendue et indivisible, peut se trouver en tous

lieux, au fond de chacun des êtres qui occupent

nos espaces matériels, il vous répondra, en em-

pruntant aux choses d'ici-bas une comparaison

déjà employée par les Pères, qu'il y est de trois

manières : par puissance, par présence et par

essence. Il est partout par sa puissance, parce que

tout est soumis à son empire souverain, de

même qu'un roi de la terre, quoique confiné au

fond de son palais, est réputé présent dans toutes

les parties de ses Etats où se fait sentir son auto-

rité. Il est partout par sa présence, parce qu'il

connaît tout, qu'il voit tout, et que rien, pour

caché que ce soit, n'échappe à son regard ; de

même que les objets qui sont sous nos yeux,

quoique légèrement distants de notre personne,

sont dits être en notre présence. Il est partout

enfin par son essence, aussi réellement et subs-

tantiellement présent à chacune des choses

créées qu'un monarque est présent par sa subs-

tance au trône sur lequel il est assis i.

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. viii, a. 3.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES l3

 

Et la raison de cette présence subsiantielle,

c'est qu'il n'est aucune créature qui puisse se

passer de l'action divine la conservant dans

l'existence et la mouvant à ses opérations ; et

comme en Dieu la substance et l'action ne sont

pas réellement distinctes, il en résulte qu'il est

présent par sa substance partout où il opère,

c'est-à-dire en toutes choses et en tous lieux.

Deus dicitur esse in omnibus per esseniiam... quia

subslantia sua adest omnibus ut causa essendi*.

 

Dans son Commentaire sur le premier livre

des Sentences de Pierre Lombard, saint Thomas

explique ce triple mode de présence d'une ma-

nière un peu différente, qui, sans exclure celle

que nous venons de donner, ni être en opposi-

tion avec elle, a l'avantage de faire mieux res-

sortir la pensée du saint Docteur relativement à

la présence substantielle de Dieu en qualité de

cause efficiente. Voici ses paroles : « Dieu est dans

les choses créées par sa présence, en tant qu'il

y opère, car il faut que l'ouvrier soit présent de

quelque manière à son œuvre ; et parce que

l'opération divine ne se sépare pas de la vertu

active d'oii elle émane, il faut dire que Dieu est

dans les choses par sa puissance; enfin, comme

la vertu ou la puissance de Dieu est identique

à son essence, il en résulte que Dieu est dans

les choses par son essence'^. » Ces paroles de

saint Thomas sont significatives, et méritent que

nous nous y arrêtions.

 

 

 

I. Summa theoL, I, q. viii, ad i.

 

a. S. Thomas, 1. I, Sent., dist. xixvii, q. i, a. a.

 

 

 

l4 DE LA PRÉSENCE DE. DIEU

 

 

 

II

 

 

 

Quand certains théologiens, étrangers à l'école

thomiste, veulent expliquer Tomniprésence di-

vine, ils disent que Dieu est partout par son

essence, parce que la substance divine, étant

infinie, remplit le ciel et la terre. Pour eux, l'im-

mensité est une propriété en vertu de laquelle

l'essence divine est, pour ainsi dire, répandue

à l'infini, dans tous les espaces existants ou pos-

sibles ; Tomniprésence, c'est la diffusion actuelle

de l'être divin compénétrant, sans se mêler à

eux, tous les êtres et tous les lieux réels ^

 

On pourrait donc, suivant cette opinion, com-

parer l'immensité divine à une mer sans rivages

et sans bornes, capable de contenir des multi-

tudes innombrables d'êtres de toute nature et de

 

 

 

I. f( Non immerito immensitas describi potest ea existendi

divinse essentiae ratio, vi cujus in omnem diinensionem,

quae exstat vel exstare potest, ubique absque sui iermino

non per partes, sed se tota diffunditur... Actualis autem di-

vinee essentiae difîusio est omniprœsentia proprie dicta. »

(Hurter, S. J., Theologiœ dogmat. compend., De Deo uno,

tract. V, th. lxxxiv, n. 6i.) — Ëamdem immensitatis no-

tionem tradit Suarez. « Dens, inquit, per immensitatem

suam inteliigitur esse ita dispositus et quasi diiTusus (nostro

more loquendi) ad existendum per essentiam seu substan-

tialem praesentiam in quacamque re, ut nihil ex parte illius

ad illani desit. » [De atlrib. div., 1. II, c. ii, n. 4. ) — « Ad

immensitatem non satis est rem esse actu preesentem omni-

bus rébus creatis, seu spatiis realibus, sed necessarium est

esse actu praesentem omnibus spatiis imaginariis. » {De sa-

^.ram. Each., d-p. XLvin, sect. iv, n. lo.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES l6

 

toute dimension, let au milieu de laquelle se trou-

verait plongée, dans le temps, une éponge que

les eaux pénètrent et débordent de toutes parts :

image de ce monde, que l'immensité de Dieu

pénètre et déborde de tous côtés ; avec cette dif-

rence, toutefois, que Dieu est tout entier dans le

monde et tout entier dans chacune de ses par-

ties, tandis que chaque portion de l'élément

liquide occupe un espace distinct.

 

Saint Augustin s'était formé, dans sa jeunesse,

une conception semblable de l'immensité divine.

<( mon Dieu, ô la vie de mon âme, dit-il dans

ses Confessions, Je vous croyais grand d'une

grandeur ré,pandue dans des espaces infinis, et

pénétrant la masse entière du monde, de telle

sorte que vous vous étendiez encore de toutes

parts au delà de cet univers, sans avoir ni bornes

ni limites ; et que la terre, le ciel, toutes choses

créées étaient remplies de vous, se terminaient

en vous, qui n'aviez de terme nulle part. Car de

même que cet air grossier qui environne le

monde que nous habitons ne saurait empêcher

la lumière du soleil de se frayer un passage à

travers sa substance , non en la déchirant ou

en la divisant, mais en la pénétrant doucement

et en la remplissant tout entière de ses clartés ;

ainsi je me figurais que vous pass-iez non seule-

ment à travers les substances de l'air et de l'eau,

mais encore que, pénétrant la terre dans sa

miasse et jusque dans ses parties les plus petites,

partout invisible et présent, vous gouverniez, par

cette union secrète et cette influence tant inté-

rieure qu'extérieure, toutes les choses que vout

avez créées.

 

 

 

l6 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

« Telles étaient mes conjectures, parce qu'il

m'était impossible d'imaginer autre chose ; mais

j'étais dans une erreur complète, nam falsum

erat ; car, s'il en était ainsi, une plus grande

partie de la terre contiendrait une partie plus

grande de votre être, une plus petite en contien-

drait une moindre, et toutes choses seraient

remplies de vous, de telle façon que le corps

d'un éléphant contiendrait une plus grande

partie de votre substance que le corps d'un pas-

sereau, parce qu'il est plus grand et occupe un

espace plus étendu; et de même à proportion

dans toutes les parties du monde, les unes en

auraient plus, les autres moins, selon leurs di

verses dimensions. Or, cela n'est pas ainsi :

mais, Seigneur, vous n'aviez point encore éclairé

mes ténèbres 1. w

 

Revenant plus loin sur le même sujet, le saint

Docteur ajoute : « Mon esprit se représentait l'uni-

vers et tout ce qui est visible dans son étendue :

la terre, la mer, l'air, les astres, les plantes, les

animaux ; en même temps tout ce qui s'y dérobe

à nos regards : le firmament, les anges, toutes

les substances spirituelles, que mon imagination

plaçait en de certains espaces, comme s'ils eus-

sent été des corps. De cette universalité des

êtres que vous avez créés, je me faisais une

grande masse... mais finie et bornée de toutes

parts. Et vous, Seigneur, je vous considérais

comme environnant de toutes parts et pénétrant

cette masse, mais infini vous même en tous

 

 

 

;. s. Aug., Conf., 1. VII, c. i.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES I7

 

sens : comme on pourrait se représenter une

mer infinie dans son étendue, et renfermant en

elle-même une éponge d'une grosseur prodi-

gieuse, mais qui, finie néanmoins dans ses di-

mensions, serait ainsi toute pénétrée des eaux de

cette mer immense. C'est ainsi que je vous consi-

dérais dans votre essence infinie, remplissant de

toutes parts cette masse finie, assemblage de

toutes vos créatures*. »

 

Plus tard, devenu évêque d'Hippone, et mieux

instruit de ces choses, Augustin en parlait d'une

tout autre manière : « Quand on dit que Dieu

est partout, il faut éloigner de notre esprit toute

pensée grossière, et nous dégager de l'impression

des sens pour ne pas nous figurer Dieu répandu

partout à la façon d'une grandeur se déployant dans

l'espace, comme est celle de la terre, de l'eau, de

l'air et de la lumière; car toutes les choses de

cette espèce sont moindres dans une de leurs par-

ties que dans le tout. Il faut plutôt concevoir la

grandeur de Dieu comme on se représente une

grande sagesse dans un homme, fût-il de petite

taille 2. ))

 

Cette sorte de diffusion et d'expansion de

 

 

 

1. S. Aug., Conf., 1. VII, C.V.

 

2. « Quamquam et in eo ipso quod dicitur Deus ubique

diffusus, carnali resistendum est cogitationi, et mens a cor-

poris sensibus avocanda, ne quasi spatiosa magnitudine opi-

nemnr Deum per cuncta dijfundi, sicut humus, aut humor,

aul aer, aut lux ista diffunditur (omnis enim hujuscemodi

magnitude minor est in sui parte quam in toto) : sed ita

potius sicutf est magna sapientia, etiam in homine, cujus

corpus est parvum. » (S. Aug., lib. de Prœsentia Dei, seu

Epist. ad Dardanum 187 (alias 67), c. iv, n. 11.)

 

BAB. SAINT-ESPRIT. — 3

 

 

 

|8 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

l'Être divin, si fort improuvée par saint Augus-

tin, et signalée par lui comme une conception

grossière et charnelle qu'il faut écarter, carnali

resistendum est cogitattoni, ne quasi spatiosa ma-

gnitudine opinemur Denm per cuncta diffandi,

ressemble singulièrement à l'idée que nous don-

nent de l'immensité divine ceux qui nous repré-

sentent Dieu présent partout, parce que sa subs-

tance, étant infinie et illimitée, et occupant

actuellement tous les lieux réels ou imaginaires,

se trouve par là même dans une relation de

présence, ou plutôt d'intime pénétration, avec

tout ce qui existe dans l'espace.

 

Ils ne tombent point, il est vrai, dans l'erreur

du fils de Monique, s'imaginant qu'un espace

plus étendu devait contenir une partie plus

grande de la subs^tance divine; car ils savent et

ils enseignent qu'un pur esprit, étant indivisible

et exempt de parties, n'est pas localisé à la façon

des corps dont une partie est à droite et l'autre

à gauche, mais qu'il peut occuper un espace

déterminé de manière à être tout entier dans le

tout, et tout entier dans chaque partie ; néan-

moins, sur le fond de la question et sur la ma-

nière de concevoir l'ubiquité divine, ils nous

semblent partager les idées de jeunesse qu'Au-

gustin devait réformer plus tard à la suite de

méditations plus approfondies.

 

Bien plus spirituelle, et partant plus conforme

à la nature de Dieu, nous apparaît la notion de

l'immensité donnée par saint Thomas. Au lieu

d'admettre, avec les tenants de l'opinion que

nous combattons ici, une sorte de diffusion de la

substance divine, à telles enseignes que Dieu

 

 

 

EN TOUTES CHOSES I^

 

aérait encore substantiellement présent aux créa-

tures semées dans l'espace, lors même que,

par impossible, il n'exercerait sur elles aucune

action', le Docteur angélique enseigne au. con-

traire que la raison formelle de la présence de

Dieu dans les choses créées n'est autre que son

opération, de même que le fondement de l'im-

mensité, c'est la toute-puissance.

 

Par elle-même, la substance divine n'est déter-

minée à occuper aucun lieu, ni grand, ni petit;

elle ne demande, pour s'y déployer, aucun

espace ; elle n'emporte aucune relation de

proximité ou d'éloignement avec les êtres exis-

tants dans l'espace ; si de fait elle entre en rap-

port et en contact avec eux, c'est par sa vertu

et son opération ; si elle est intimement présente

à tout ce qui existe, c'est parce qu'elle produit.

et maintient l'être de toutes choses. Non deier-

minaiur (Deus) ad locum, vel magnum vel parvum,

EX NEGESSiTATE su^ ESSENTLE, qua^i oporteat eum

esse in aUquo hco, quum ipse faerit ab eeterno

ante omnem locum ; sed immensitate su^e virtutis

 

ATTINGIT OMNIA q\3M SUNT IN LOGO, QUUM SIX UNI-

 

VERSALis CAUSA EssENDi. Stc igltup îpse totus est

ubkamque est, quia per simplicem suam virtuiem

universa atttngit^.

 

Si donc Dieu peut être en tous lieux, ou, en

 

 

 

1. « Si per impossibile r>cîs aliqua inciperet esse sine ac-

tione Dei, nihilominus non posset esse diatans ab illo, ob

immensitatem qus, sed necessario simul essent, et quasi

penetrativè secnndiira substantiam et entitatem suam. »

(Suarer, Metaph., disput. ixx, sect. vm, n. 52.)

 

2. S. Thom., 1, III, Contra Gent., c. lxviii.

 

 

 

20 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

d'autres termes, s'il est immense, c'est, au juge-

ment de l'Ange de l'Ecole, parce que, possédant

une puissance infinie, il est capable d'opérer, et

partant de se rendre présent, dans un espace

sans bornes ni limites, même dans un espace

infini, si une telle étendue était possible. Si sit

aliqaa res incorporea habens viriutem infinitam,

oportet quod sit ubiqiie^. — Et hoc proprie conve-

nit Deo; quia quotcumque loca ponantur, etiamsi

ponerentur infinita..., oporteret in omnibus esse

Deam, quia nihil potest esse nisi per ipsum*. S'il

est de fait en tous lieux et dans toute créature,

c'est qu'il n'existe aucun espace réel, aucun être

créé, sur lesquels il n'exerce une action directe

et immédiate, et avec lesquels il ne soit en con-

tact par sa vertu, et conséquemment par sa subs-

tance. Dei proprium est ubique esse; quia cum

sit universale agens, ejus virtas attingit omnia entia,

unde est in omnibus rébus \

 

 

 

III

 

 

 

Cette omniprésence de Dieu, fréquemment

appelée par les théologiens présence d'immen-

sité, a été désignée par saint Thomas sous un

autre vocable ; il l'a appelée présence par mode

-de cause efficiente, per modum causse ageniis^ :

 

 

 

I. S. Thom., 1. III, Contra Gent., c. lxviii, n. a.

 

3. S. Thom., I, q. viii, a. 4.

 

3. Summa TfieoL, I, q. cm, a. i.

 

A. Summa TheoL, I, q. viii, a. 3.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 21

 

-expression caractéristique et profonde, qui a le

double avantage d'écarter toute idée de diffusion

et d'expansion de la nature divine, et d'indiquer

en même temps que l'opération divine est le vrai

fondement des rapports existant entre Dieu et la

créature. Au reste, en se servant de cette locu-

tion, saint Thomas n'a point innové ni exprimé

une opinion purement personnelle, mais il s'est

montré ici, comme toujours, le fidèle écho de la

Tradition.

 

En effet, après être revenu de son erreur rela-

tive à l'immensité divine, saint Augustin expli-

quait à l'illustre correspondant auquel il adres-

sait son livre Sur la présence de Dieu, que Dieu

est partout, non pas à la façon d'un corps qui

s'étend dans l'espace, mais comme substance

créatrice, gouvernant sans peine et conservant

sans fatigue ce monde qu'il a créé^. 11 disait

encore que Dieu est dans le monde comme la

cause efficiente du monde, erat in mando, quo-

modo per quem mundus factus est ; comme l'ou-

vrier est présent à son œuvre pour la régir, quo-

modo artifex regens quod fecit'^. S'il remplit le

 

 

 

I . (( Sic est Deus per cuncta diffusus, ut non sît qualitas

mundi, sed substantia creatrix mundi, sine labore regens,

et sine onere continens mundum. Non tamen per spatialoco-

rum, quasi mole diffusa, ita ut in dimidio mundi corpore

sit dimidius, et in alio dimidio dimidius, atque ita per

totum totus, sed in solo cselo totus, et in sola terra tolus,

€t in caelo et in terra totus, et nuUo contentus loco, sed in

seipso u bique totus. » (S. Aug. lib. De prœsentia Dei, seu

£pist. ad. Dardan. 187, c. iv, n. i4.)

 

a. « In mundo erat (Deus), et mundus per eum factus

 

 

 

2 2 DE LA PRESENCE DE 1>IEU

 

ciel et la terre, c'est par la présence et l'exercice

de sa puissance, et non par la nécessité de sa

nature : implens cœlum- et ierram prœsenle poten-

tia, non indigente natura^; car enfin, si Dieu est

grand, ce n'est pas par la masse, mais par la

puissance : neque enim mole, sed virtute magnas

est Deas\

 

Saint Thomas paraît manifestement s'être ins-

piré de ces divers passages, quand il dit : « II

ne faut pas croire que Dieu soit partout en se

dJAisant dians l'espace, de telle sorte qu'une par-

tie de sa substance soit ici, et une qiutre ailleurs,

mais il est tout entier partout, car étant absolu-

ment simple, il n*a point de parties. Il n'est

cependant pas simple à la façon d'un point qui

termine une ligne, et qui pour cela occupe une

situation déterminée et ne peut être que dans un

lieu indivisible; mais Dieu est indivisible comme

étant absolument en dehors de tout genre de

continu : aussi n'est-il point déterminé, par la

nécessité de sa nature, à occuper un lieu quel-

 

 

 

est... Sed quomodo erat ? Quomodo artifex regens quod fecit.

Non enim sic fecit, quomodo facit faber arcam ; forinsecus

est arca quam facit... Deus autem mundo infusus fabricat,

prœsentia majestatis facit quod facit, praesentia sua guber-

nat quod fecit. Sic ergo erat in mundo, quomodo per

quem mundus factus est. » (S. Aug. in Evang. Joan,

tract. 2. n. lo.)

 

1. (( Deus ubique totus, nullis inclusus locis, nullis vin-

culis alligatus, in nulles partes sectilis, ex nulla parte mu-

tabilis, implens cœlum et terram praesente potentia,

non indigente natura, » (6. Aug., De CivU. Dei, 1. VII»

 

C. XXI.)

 

2. S. Aug., Bpist., m.

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 23

 

conque, grand ou petit, comme s'il devait néces-

sairement être localisé quelque part, lui qui

existait de toute éternité, lorsqu'il n'y avait

encore aucun lieu ; mais, grâce à l'infinité de sa

puissance, il atteint tout ce qui est dans le lieu,

étant la cause universelle de l'être. Donc, il est

tout entier partout où il se trouve, parce qu'il

atteint tout par sa vertu, qui est très simple. Il

n'est pourtant pas mêlé aux choses... mais il est

dans ses oeuvres à la façon d'une cause effi-

ciente ^ »

 

Saint Fulgence, disciple de saint AugTistin, ne

parle pas autrement que son maître, a Par sa

substance et sa puissance, dit-il. Dieu est par-

tout, tout entier partout, remplissant tout non

de sa masse, mais de sa puissance : iotas totum

 

 

 

I . « Non est gestimandum Deum wc esse ubîque quod per

locorum spatia dividatur, quasi una pars ejus sit hic et alia

alibi, sed totus ubique est; Deus enim, cum sit omaiv,^

simples, partibus caret.

 

« Neque sic simplex est sicut punctus qui est terminus

continui et qui, propter hoc, determinatum situm in con-

tinuo habet ; unde non potest utius punctus nisi in uno

loco indi>isibili esse. Deus autem indivisibilis est, quasi

omnfno extra genus continui existens ; unde non determi-

natur ad locum, vel magnum vel parvum, ex necessitate

suae essentiœ, quasi oporteat eum esse in aliquo loco, cum

ipse fuerit ab asterno ante omnem locum ; sed immensitate

suœ virtutis attingit omnia quae sunt in loco, cum sit uni-

v«rsalis causa essendi. Sic igitur ipse totus est ubicumque

est, quia per simplicem suana virtutem universa attingit,

— Non est tamen aBstimandum quod sic sit in rébus quasi

in rébus mixtus... ; sed est in operibus per modum causa

agentis. » (S. Th., Contra Cent., 1. m, c. Lxvin.)

 

 

 

24 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

complens virlate, non mole^. » Saint Grégoire de

Nysse va même jusqu'à dire que c'est par une

sorte d'abus que nous disons d'une substance

spirituelle qu'elle est dans îe lieu, à cause de

l'opération qu'elle exerce sur les choses locali-

sées, prenant ainsi le lieu pour l'opération et la

relation qui en résulte. Lorsque nous devrions

dire : Elle opère ici ou là, nous disons : Elle est

là*.

 

Que la présence substantielle de Dieu dans les

choses créées soit fondée sur son opération, c'est

ce qui ressort manifestement, nous semble-t-il,

de tous ces témoignages et d'une multitude d'au-

tres semblables qu'il serait facile d'apporter. On

a cherché néanmoins à infirmer ces autorités, et

l'on a dit : Sans doute l'opération immédiate de

Dieu en toutes choses prouve qu'il est partout,

de même que la parole d'une personne que l'on

entend converser dans un appartement voisin

est une preuve de sa présence, mais elle n'en est

pas la raison. Ce que l'on pourrait traduire

ainsi : Cette personne est ici, puisque je l'entends,

mais elle n'est pas ici parce que je Tentends ;

elle pourrait y être sans que je l'entendisse, si

elle gardait le silence. Ainsi en est-il de Dieu : il

 

 

 

I. « Quantum ad substantiam et potentiam suam,

ubique est Trinitas, unus Deus , totus totum complens

virtute, non mole, n (S. Fulg., 1. 11, ad Traslm., c. xi.)

 

a. « Quum natura intelligibilis fuerit in habitudine ad

locum, vel ad rem in loco sitam, abusive dicimus illam

ibi esse, propter operationem ejus circa rem locatam ;

locum pro habitudine et operatione sumentes. Gum enim

dicendum esset : ibi operatur, dicimus : ibi est ». (S. Greg.

Nyss., lib. De Anima.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 25

 

est partout, puisqu'il opère en toutes choses,

mais il n'y est pas parce qu'il opère ; lors même

que, par impossible, il n'agirait pas dans les

créatures, il leur serait néanmoins intimement

présent, sa substance infinie étant nécessaire-

ment indistante de tout ce qui existe dans l'es-

pace.

 

Ce raisonnement serait concluant si Dieu était

dans l'espace à la façon des corps. Un corps est

présent dans un lieu et l'occupe, non par son

action, ni même directement par sa substance,

mais par ses dimensions, par le contact de ses

parties avec les parties du corps qui l'entoure et

le contient ; et comme ce qui donne à un corps

des parties et des dimensions, ce qui leur permet

de se mettre en contact avec un autre corps et

d'occuper un espace plus ou moins considérable,

c'est la quantité, il est, à proprement parler, dans

le lieu par sa quantité : per quaiilitatem dimen-

sivam, comme parle l'École.

 

Tout autre est la raison de la présence d'un

esprit dans le lieu; substance simple et exempte

de parties, il n'occupe par lui-même aucun lieu,

ni grand ni petit, il ne demande pour se déployer

aucun espace. Cependant, s'il veut se mettre en

relation avec le lieu ou les choses qui y sont

contenues, il le peut, en y exerçant son activité,

en y appliquant son énergie ; de là cette propo-

sition qui a pour ainsi dire la valeur d'un axiome

parmi les scolastiques : les esprits sont dans le

lieu per contacium virtutis^.

 

 

 

I . (« Res corporea est in aliquo sicut in loco secundiim con-

tacium quantilatis dimensivœ. Res autem incorporea in ali-

 

 

 

30 DE LA PRÉSENCE DE DJEU

 

Et comme Factivité d'un être est proportionnée

à lia nature qui en est l-e principe, la sphère

d'action des esprits est plus ou moius vaste, sui-

vant (juïls occupent un degré plus ou moins-

élevé dans l'échelle des êtres. Ainsi un archange

peut occuper un espace corporel plus considé-

racle qu'un ange, parce que sa vertu, sa puis-

sance active, étant plus grande, est par là même

en état de s'exercer sur une plus large échelle,

de même qu'un foyer plus intense rayonne plus-

loin. Mais comme tout esprit créé est lini ei

limité dans- la perfection d€ son essence-,, et par-

tant dans rétendue de sa puissance, il ne peut

occuper qu'un lieu déterminé, fini, borné; celui-

là seul est capable d'être partout, d'occuper tousi

les espaces donnés, si étendus qu'on les suppose,,

dont la puissance infinie, n'ayant ni bornes ni.

limites, peut s'exercer en tous lieux et sur tous;

les êtres qui les occupent, quelles qu'en soient

la multitude et la grandeur i.

 

Par conséquent, ce que la quantité est aux

 

 

 

quo esse dicitur secundum contacium virtutis, cum careat

dimeasiva quantitate. Sic igîtur se liabet res incorporea ad

hoc quod sit in aliquo per aIi tntem suam, sicut se habet

res corporea ad hoc quod sit in aliquo per quanti ta lem

dimensivam. » (S. Th., Contra Gent., 1. III, c. lxvui.)

 

I. « Divina virtus et essentia infinita est, et est universatis

causa omnium ; et ideo sua virtute omnia contingit, et non.

soium in pluribus locis est, sed ubique ; virtus autem

Anjeli, i]u.\i finita est, non se extendit ad omnia, sed ad

aliquid unuia determinatum... Unde cum Angélus sit in

loco per applJcationem virtutis suae ad locum, sequitur quod'

non sit ubique. nec in pluribus locis» sed in uno loco tan-

tum. >; (S. Th., Siimma TheoL, \, q. lu, a. a.)

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 37

 

corps, c'est-à-dire une propriété distincte de leur

substance, l'étendant dans l'espace, la puissance

active l'est îaux esprits, qu'elle met en contact

avec le lieu et les choses qui y sont localisées.

De 1-à ces paroles de saint Thomas : Incorpo-

ralia non sunt in loco per contactum quantitatis

dimensivœ, sicut corpora, sed per contactum vir~

lutisL

 

Si un esprit créé, non destiné par sa nature,

comme l'âme humaine, à informer un corps,

incapable même, dès lors qu'il est une subs-

tance complète, de s'unir à la matière autrement

qu'en qualité de moteur, nest présent dans le

lieu qu'autant qu'il y opère, en sorte qu'il

dépend de lui d'occuper à son gré, dans la

sphère de son activité, un espace plus ou moins

grand, ou même de n'en occuper aucun, sui-

vant qu'il applique son énergie sur une étendue

plus ou moins vaste, ou qu il suspend son opé-

ration, est il surprenant que l'Esprit par excel-

lence n'ait, abstraction faite de son opération,

aucune relation aA'CC l'espace et les choses c[ui y

sont contenues? Souverainement indépendant

des créatures, -Dieu n'entre en rapport avec elles

qu'en les constituant, par la participation qu'il

leur communique de ses perfections, dans un état

de dépendance essentielle vis-à-vis de lui; il

n'existe en elles que parce qu'il les rapproche de

lui-même et les tient unies à lui par son opéra-

tion. Esseniia ejus (Dei) cum sit ab&oluta ab omni

icreatura, non est in creatura nisi in quaritum appli-

 

 

 

I. Summa TheoL, t, q. vin, a. ;a, ad 1.

 

 

 

28 DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

catur sibi per operationem^. Si Dieu n'agissait pas

on nous, il ne serait pas en nous.

 

Aussi, quand il se demande si l'ubiquité est

une propriété qui convient à Dieu de toute éter-

nité, utrum esse uhique conveniat Deo ah œternOr

au lieu de répondre, comme certains théologiens,

que Dieu n'est pas, il est vrai, présent de toute

éternité aux choses qui n'existent pas encore,

mais que sa substance se trouve pourtant réelle-

ment et éternellement dans les espaces que doi-

vent occuper, dans la suite des temps, tous les

êtres créés, saint Thomas répond : « que la pré-

sence de la Divinité en tous lieux emporte une

relation de Dieu aux créatures fondée sur une

opération qui est le principe de son inexistence

dans les choses. Or, toute relation fondée sur

une opération qui passe dans les êtres créés ne

peut être attribuée à Dieu que temporellement,

parce que ces sortes de relations, étant actuelles,

supposent l'existence des deux termes. De même

donc qu'on ne peut pas dire que Dieu opère de

toute éternité dans les créatures, ainsi on ne

peut pas davantage affirmer son éternelle pré-

sence en elles, car cela suppose son opéra-

tion 2 ».

 

 

 

1. S. Th., Sent., 1. I, dist. xxxvn, q. i, a. a,

a. « Gum dicitur, Deus est ubique, importatur quaedam

relatio Dei ad creaturam, fundata super aliquam operatio-

nem, per quam Deus in rebus dicitur esse. Omnis autem

relatio quae fundatur super aliquam operationem in creatu-

ras procedentem, non dicitur de Deo nisi ex tempore, sicut

Dominus cL Creator et hujusmodi; quia hujusmodi rela-

iiones actaaies sunt, et exigunt actu esse utrumque extre-

 

 

 

EN TOUTES CHOSES 2^

 

Et si VOUS interrogez les saints Pères pour leur

demander où était Dieu avant la création du

inonde V au lieu de répondre qu'il était dans ces

espaces incommensurables qu'occupe actuelle-

ment l'univers et qu'auraient pu occuper des

milliers de mondes plus vastes que le nôtre, ils

vous diront par l'organe de saint Bernard : « Ce

n'est pas la peine de chercher davantage oii il

était; rien n'existait hors de lui, il était donc en

lui-même' ».

 

Ainsi, au jugement de saint Thomas et des

Pères de l'Eglise, l'opération divine formelle-

ment immanente, puisqu'elle ne sort pas et

n'est même pas distincte du principe d'où elle

émane, mais produisant au dehors des effets

créés, et appelée pour cela virtuellement transi-

tive, virtualiler transiens, voilà la raison formelle,

le fondement vrai, le pourquoi définitif de la

présence de Dieu dans les créatures.

 

 

 

morum. Sicut ergo non dicitur operari in rébus ab œterno,

ita nec esse in rébus, quia hoc operationem ipsius dési-

gnât. » (S. Th., Sent., 1. 1, dist. xxxvii. q, n, a. 3.)

 

I. « Ubi erat Deus, antequam mundus fleret? Non est

quod quaeras ultra, ubi erat. Praîter ipsum nihil erat; ergo

in se ipso erat. » (S. Bern., De Consider., 1. V, cap. vi.)

 

 

 

CHAPITRE II

 

Combien cette présence est intime, pro-

fonde, universelle. — Ses différents de

grés.

 

 

 

Combien cette présence est intime, profonde,

universelle, c'est ce qu'il nous est difficile de

concevoir, plus difficile encore d'exprimer. Nous

ne connaissons directement et immédiatement

que les causes créées ; et si efficace que soit leur

action, jamais elle n'atteint l'être tout entier. La

cause créée modifie, transforme le sujet sur

lequel s'exerce son activité, operatur transmu-

tando, elle ne crée pas ; et par suite, elle laisse

toujours au-dessous d'elle, dans les profondeurs

intimes de l'être, quelque chose qu'elle ne donne

pas, qu'elle ne produit pas, et par conséquent

où elle nest pas. Le statuaire, par exemple, peut

bien tirer d'un bloc informe de bois ou de mar-

bre un chef-d'œuvre qui fera l'admiration non

seulement des contemporains, mais encore de la

postérité la plus reculée ; mais si puissant, si

inventif, si créateur que soit son génie, quand il

s'agit de réaliser au dehors l'idéal qu'il a conçu

dans le secret de son esprit, il lui faut une subs-

tance matérielle sur laquelle son burin puisse

s'exercer, une substance qu'il suppose et ne pro-

 

 

 

PRÉSENCE INTIME DE DIfiU 3r

 

duit pas. Notre âme elle-même, si intimement

unie à notre corps, en qualité de forme subs-

tantielle, qu'elle lui communique l'être, la vie,

la sensation, l'action, et ne constitue avec lui

qu'une seule substance, notre âme suppose néan-

moins la matière qu'elle informe et qui ne vient

point d^elle.

 

La causalité divine ne connaît pas ces bar-

rières, elle est universelle et s'étend à tout ; subs-

tances, facultés, habitudes, opérations, tout ce

qu'il y a de réel et de positif vient d'elle, tout

est son œuvre, tout, hormis le mal et le péché.

Sans elle, rien ne peut arriver à l'existence, riea

ne s'y peut maintenir, portans omnia verbo viiHa--

tis suœ^; sans son influence actuelle et immé-

diate, aucun agent créé ne saurait agir : omnia

opéra nostra operatus es nohis (Domine) - ; nos

vouloirs les plus libres ne sauraient échapper

eux-mêmes à son action toute-puissante : Deas

est qui operatur in vobis et velle et perficere pro

bonavoluntate^. Aujssi Dieu, en sa qualité de cause

première, est-il présent partout, au centre,

dans le rayon, et à la, circonférence de tout

être.

 

Quelle que soit la nature de l'effet produit

et l'ordre auquel ili appartient ; qu'il s'agisse

d'un être inanimé ou, d'un vivant, d'une âme à

créer, à conserver ou à justifier, d'un don naturel

ou surnaturel à conférer,, d'une faculté à faire

 

 

 

I. Hebr., 1^3.

a. Is , XXVI, 12

3. Philip., 11, i5.

 

 

 

32 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

passer à l'acte ; bref, dès qu'un effet quelconque

de la causalité divine se rencontre quelque part,

Dieu lui-même s'y trouve en qualité d'agent.

Quia nihil operari poiest ubi non est... necesse est,

ut ubicumque est aliquis ejfectus Dei, ibi sit et ipse

Deus ejfector^.

 

Ce mode -de présence commun à tout être, et

substantiellement le même partout, comporte

néanmoins bien des degrés, suivant le nombre

et l'excellence des effets produits, ou plutôt sui-

vant la mesure plus ou moins grande dans la-

quelle chaque créature participe à la perfection

divine. Ainsi, en qualité de cause efficiente. Dieu

est présent d'une manière plus parfaite, plus

complète, plus plénière, dans le monde des

esprits que dans celui des corps, dans les anges

que dans les hommes, dans les créatures raison-

nables ou vivantes que dans les êtres inintelli-

gents ou privés de vie, dans les justes que dans

les pécheurs.

 

C'est ce qu'enseigne très clairement le pape

saint Grégoire le Grand : « Dieu, dit-il, est par-

tout, et tout entier partout, car il est en contact

avec toutes choses, quoiqu'il ait pour les choses

différentes des contacts divers. Avec les créatures

insensibles, il a des contacts qui donnent l'être

sans la vie; avec les animaux, il a des contacts

qui donnent l'être, la vie et la sensation sans

l'intelligence ; avec la nature humaine ou angé-

lique, il a des contacts par lesquels il donne tout

à la fois l'être, la vie, la sensation et l'intelli-

 

 

 

I. S. Th., Contra Cent., 1. IV, c. xxi.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 33

 

gence; et quoique toujours semblable à lui-même,

il touche diversement les choses dissemblables \ »

Saint Fulgence disait de son côté : u Dieu n'est

pas également présent à toutes choses ; car s'il

est partout par sa puissance, il n'est point par-

tout par sa grâce*. » Et saint Bernard : « Dieu,

qui est également tout entier partout par sa

simple substance, est pourtant présent aux créa-

tures raisonnables autrement qu'aux autres ; il

est de même autrement dans les bons que dans

les méchants, par son efficacité. Ainsi, il est dans

les créatures inintelligentes de telle sorte qu'elles

ne parviennent pas à le saisir. Les êtres raison-

nables, au contraire, peuvent l'atteindre par la

connaissance, mais les bons seuls peuvent le

posséder même par l'amour. Ce n'est donc que

dans les bons qu'il se trouve de manière à être

avec eux par l'accord des volontés 3. ».

 

 

 

1. « Ubique Deiis et ubique totus, quia omnia langit, licet

non aequaliter tangat. Quaedam enini tangit ut sint, nec

tamen ut vivant et sentiant, sicut cuncta insensibiKa. Quaî-

dam tangit ut sint, vivant et sentiant, nec tamen ut discer-

nant, sicut sunt bruta animalia. Quaedam tangit ut sint,

vivant, sentiant et discernant, sicut est humana et angelica

natura. Et cum ipse nunquam sibimetipsi sit dissimilis,

dissimili ter tangit dissimilia. » (S. Greg. M., In Ezech., 1. I,

ho mil. vm, n. i6.)

 

2. (( Non omnibus aequaliter adest : ubique enim adest

per potentiam, non ubique pçr gratiam. » (S. Fulgent.,

Ad Trasim., 1. II, c. vm.)

 

3. (( Deus qui ubique aequaliter totus est per suam sim-

plicem substantiam, aliter tamen in rationalibus creaturis

quam in aliis ; et ipsarum aliter in bonis quam in raalis est

per eCQcaciara. Ita sane est in irrationalibus creaturis, ut

 

aXB. SAINT-KSPniT. — 3

 

 

 

34 PRÉSENCE INTIiVlE DE DIEU

 

 

 

II

 

 

 

Comment concevoir ces divers degrés de pré-

sence? Si la substance divine était étendue et

divisible, on comprend qu'elle pourrait se trou^

ver ici ou là dans une proportion variable comme

les choses elles-mêmes, davantage dans les êtres

plus grands, et moins dans les plus petits, de

même que l'eau du fleuve est contenue en plus

ou moins grande quantité dans le vase employé

pour la puiser, suivant la capacité du récipient.

Mais une substance simple et indivisible est-elle

vraiment susceptible de se trouver plus dans un

endroit que dans un autre? Peut-elle ne pas être

tout entière partout où elle se trouve? Et si elle

est tout entière partout où elle existe, comment

est-il vrai.de dire qu'elle est plu& ici que là?

 

Saint Thomas nous fournit la solution de ce

problème quand il dit : « Il y a un mode ordi-

naire et commun suivant lequel Dieu est en

toutes choses par son essence, sa puissance et sa

présence comme la cause est dans les effets qui

participent à sa bonté. Est unus commanis modus

quo Deas est in omnibus per esseniiamr potentiam

et prœsentiam, sicut causa in effectibus pariicipan-

iibus bonitatem ipsias^. » Pour comprendre le

 

 

 

tamen non capiatur ab ipsis. A rationalibus autem omnibus

quidem capi potest per cognitionem, sed a bonis tantum

capitur etiam per amorem. In solis ergo bonis ita est, ut

etiam sit cum ipsis propter concordiam voluntatis. »

(S. Bern., homil. m, super Evang. Missus est.)

I, S. Th., Samma Theol,^ l, q, xun, a. â.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS D£GRÉS 35

 

sens et la portée de ces paroles, il faut se rap-

peler une belle doctrine empruntée par l'Ange

de l'Ecole aux Pères grecs, notamment à saint

Denys, qui l'avait lui-même puisée dans les écrits

de Platon.

 

D'après la doctrine platonicienne, d'accord sur

ce point avec les enseignements de la foi, tout

être créé est une participation de l'être divin,

toute perfection créée une participation de la

perfection infinie. Ainsi notre nature est une

participation de la perfection divine : Propria

natura uniuscujusque consista secandum qaod per

aliquem modum divinam perfeciionem participât ^ ;

la lumière de notre intelligence, une participation

-de l'intelligence incréée ^; notre vie, une partici-

pation de la vie de Dieu. Bref, tout ce qu'il y a

de bon, de parfait, de positif, d'être, en un mot,

dans une créature quelconque, tout cela est une

participation de l'être et de la bonté de Dieu*.

 

Il ne faut pas concevoir cette communication

que Dieu fait de lui-même aux créatures comme

une division de l'essence divine, à la façon d'un

fruit que l'on partage et dont on distribue les

fragments ; non, l'essence divine conserve son

unité et sa plénitude. Il n« faut pas davantage

 

 

 

1. Summa TheoL, I, q. xiv, a. 6.

 

2 . « Ipsum lumen naturale Tationis participatio quaedam

est dh-ini luminls. » (S. Th., Samnw Th^oL, I, q. xii, a. ii,

«d 3.)

 

3. « A primo igitur per suam essentiam ente «t bano,

unumquodque potest diei bonum et ens, in quantum par-

ticipât ipsum per modum cujusdam assimilationis. »

<S. Th., I, q. VI, a. 4.)

 

 

 

36 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

se la représenter comme une émanation propre-

ment dite, un écoulement, une effusion de la

substance divine, comme lorsque d'une source

unique découlent plusieurs ruisseaux, ou qu'un

corps chaud rayonne autour de lui et imprègne

de sa chaleur les choses qui l'environnent; car

la bonté divine se répand en dehors en produi-

sant des êtres qui lui ressemblent, mais sans qu'il

sorte rien de la divine substance, nihil de sub-

slantia ejus egreditar^ ; ce n'est que sa similitude

qui passe dans les créatures. Tel le sceau laisse

son empreinte dans la cire, sans lui rien com-

muniquer de sa substance.

 

Cette participation des créatures à la bonté

divine ne consiste donc point dans une certaine

communauté de l'être et de la perfection, ce

serait du panthéisme. Les créatures ont un être

propre, une bonté propre, qui leur est intrin-

sèque, et qui est la cause formelle les constituant

ce qu'elles sont : et elles ne se rapportent à Dieu

^ue comme à une cause extrinsèque : à l'idéal

d'après lequel elles ont été créées, à la cause

efficiente qui les a produites, à la fin qu'elles

doivent atteindre 2.

 

Ce n'est pas sans raison que les Pères, et saint

Thomas à leur suite, appellent les créatures des

 

 

 

I. S. Th., Comment, in lib. de diuinis Nom., c. 11, lect. 6.

• 2. « Sic ergo unumquodque dicitur bonum bonitate di-

vina, sicut primo principio exemplari, effectivo, et finali

lotius bonitatis. Nihilominus tamen unumquodque dicitur

bonam similitudine divinse bonitatis sibi inhaerente, qusB

est formaliter sua bonitas, denominans ipsum. » (S. Th..

Summa TheoL, I, q. vi, a. 4.)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 87

 

êtres par participation, entia per participationem,

cl leurs perfections, des perfections participées.

En se servant de ces expressions, ils avaient un

double but : d'abord marquer nettement la diffé-

r nce profonde qui existe entre le Créateur et la

créature, ou plutôt l'abîme qui les sépare ; puis

donner à entendre que tout être créé dépend

essentiellement de Dieu comme de sa cause exem-

plaire et efficiente. En effet, qui dit être participé

dit un être fini, limité, borné ; car participer à

une chose, à un héritage par exemple, c'est en

prendre sa part et ne le posséder pas entière-

ment; il dit encore un être d'emprunt, un être

contingent, reçu d'autrui, et dépendant essentiel-

lement d'une cause qui lui est extrinsèque ; car

dès lors qu'une chose n'est pas l'être lui-même

dans toute sa plénitude, l'océan de l'être, mais

un simple ruisseau ou un filet d'être, ce qu'elle

possède d'être ne lui appartient pas en vertu

même de son essence, mais lui vient du dehors,

car tout ruisseau suppose une source qui l'en-

gendre i.

 

Lors donc qu'on appelle les créatures des êtres

par participation, on veut signifier deux choses :

la première, c'est que les créatures ne possèdent

pas l'être dans toute sa plénitude, qu'elles n'en

ont qu'une part, une dose plus ou moins grande,

mais essentiellement finie et limitée ; la seconde,

c'est que cet être limité et borné ne leur appar-

tient pas essentiellement, en vertu même de leur

 

 

 

I . « Quod alicui convenit ex sua natura et non ex aliqua

causa, minoratum in eo et deficiens esse non potest. »

(S. Th., Contra Gent., 1. II. ch. xv.)

 

 

 

38 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

nature, mais leur a été communiqué par une cause

extrinsèque, qui n'est autre que Dieu ; de même

qu'un fer incandescent ne possède la chaleur et

l'éclat du feu que par l'action d'un agent exté-

rieur, et non en vertu de sa nature, et n'est igné

que par participation.

 

L'être divin, au scontraire, n'est pas un être

d'emprunt, un être reçu d'autrui ; Dieu ne le

tient de personne, il l'a en vertu même de sa

nature ; il est donc d'être qui existe par lui-même,

Ens per se, l'être par essence, Ens per esse/itiam,

par opposition à l'être contingent et dépendant

d'autrui, Ens ab alto, ens per participationem.

Aussi est-il l'être par excellence, l'être même

subsistant par lui-même, ipsam esse per se sub-

sistens, par conséquent l'être infini, la plénitude

de l'être, ipsa plenitudo essendi. S'il est la pléni-

tude de l'être, rien ne peut exister hors de lui,

•qTii ne dérive de lui comme de sa source et ne

soit en lui d'une manière suréminente ; et tout

ce qui existe hors de lui, oe n'est pas l'être sim-

plement dit, Ipsum esse simpUciter, ce sont des

êtres, des participations et des imitations de

l'être, entia per participationem ' .

 

Ce que nous disons de l'être doit aussi s'appli-

quer à toutes les autres perfections. Tout ce que

Dieu «Bt, il l'e&t par lui-même, par ison ;essenjce,

 

 

 

I. « Quod per essentiam dicitur est causa omnium qu«

per participationem dicuntur... Deus autem est enb per

essentiam suam. quia est ipsum esse : omne autem aliud

ene est ens per participationem, quia eus quod ait siium

esse non possetesse nisi unum. » (S. Th., Contra G^nt.^l. Il,

 

G. XV.)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DECRES SQ'

 

et conséqueramejQt sans mesure ; ainsi, il' est non

seulement int€5lligent,. sage, bon, aimant, puis-

sant, mais il est l'intelligence et la sagesse même,

la bonté, l'amour, la puissance infinie, la source

de toute intelligence et de toute bonté. La créa-

ture, au contraire, peut bien être intelligente,

sage, bonne, puissante, mais elle n'est point l'in-

telligence même, ni la sagesse, ni l'amour; ces

perfections ne constituent pas son essence, mais

elles sont simplement ou des facultés, ou des

propriétés, ou des opérations distinctes de les-

sence et limitées comme elle; en un mot, ce sont

des perfections participées.

 

 

 

m

 

 

 

Après les explications que nous venons de don-

ner, il sera facile de saisir la pensée de notre

angélique Docteur lorsqu'il déclare que Dieu est

en toutes cboses comme la cause est dans les effets

qui participent à sa bonté. Gela revient à dire que

Dieu est présent aux créatures, en qualité de cause

efficiente, d'abord par son opération : car tout

agent doit être en contact avec le sujet sur lequel

il agit d'une manière immédiate ; ensuite par

ses dons, qui constituent le terme de cette opé-

ration, c'est-à-dire par les perfections créées»

finies, contingentes, qu'il communique aux êtrea

de ce monde, ei qui sont autant d'imitations^

lointaines^ de copies imparfaites, de participa-

tions analogiques de l'essence divine. En efTet,

c'est le propre de la cause efficiente de communi-

quer à ses effets, dans une mesure plus ou moins

 

 

 

40 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

large, la perfection qu'elle possède, et d'être

ainsi en eux non seulLment par le contact de sa

vertu, au moment même où elle opère et tant

que dure son opération, mais encore par sa simi-

litude ; car il est de la nature même de l'agent

de produire au dehors quelque chose qui lui

ressemble, la perfection de l'effet n'étant qu'une

reproduction, une participation, une ressem-

blance de celle de la causée

 

Or Dieu est la cause universelle de tout ce qui

existe ; car tous les êtres de ce monde sont les

effets de sa puissance. Ils doivent donc tous

posséder en eux quelque chose de Dieu, non pas

une portion de sa substance, mais une similitude

et une participation de sa bonté par mode de

vestige ou d'image. Deas est in omnibus, sed in

quibusdam per participationem suœ bonilatis, ut in

lapide et in aliis hujusmodi; et talia non sunt Deus,

sed habent in se aliquid Dei, non ejus substaniiam,

sed similitadinem ejus bonitatis\ Et comme les

effets de l'activité divine sont très variés dans les

diverses créatures, comme les dons divins sont

distribués d'une manière fort inégale, tant dans

l'ordre de la nature que dans celui de 'la grâce,

 

 

 

I. '< De natura agentis est, ut agens sibi simile agat,

quum unumquodque agat secundum quod actu est. Unde

forma effectus in causa excedente invenitur quidem aliqua-

liter, sed secundum alium modum, et aliam rationem...

Deus omnes perfectiones rébus tribuit, ac per hoc cum

omnibus similitudinem habet et dissimilitudinem simul...

quia id quod in Deo perfecte est, in rébus aliis per quamdatn

deficientem participationem invenitur. » (S. Th., Contra

Cent., 1. I, ch. XXIX.)

 

a. S. Th., In Epist. ad Coloss., c ii, lect. a.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES ^I

 

il en résulte que les êtres qui participent d'une

manière plus éminente aux bienfaits du Créateur

sont par là même plus rapprochés de Dieu, plus

unis à Dieu, plus riches de Dieu.

 

De son côté, Dieu, en qualité d'agent, existe

d'une manière plus parfaite dans les créatures

qui reçoivent de sa munificence de plus grandes

libéralités ; car, étant présent directement et im-

médiatement par son opération, il est consé-

quemment plus étroitement uni aux êtres en qui

il opère de plus grandes choses. Tanto alicui

naturœ perjectius unitar (Deus) quanto in ea magis

suam virtutem exercei\ Si sa très simple, très

une, très indivisible substance, qui pe connaît

ni division ni partage, ne peut se trouver quelque

part sans y être tout entière, il n'en va pas de

même de son opération et de sa vertu toute-

puissante, qui, libre de s'exercer au dehors dans

la mesure où elle le juge à propos, a de fait avec

les diverses créatures des contacts infînim nt

variés.

 

Notre âme nous fournit sur ce point un terme

de comparaison. Présente tout entière par sa

substance à tout le corps et à chacune de ses

parties qu'elle anime et vivifie, elle est par sa

vertu plus spécialement, plus pleinement, plus

parfaitement unie à la tête, où se trouvent tous

les sens, qu'au reste de l'organisme. Et cela se

comprend. Douée, comme elle est, de facultés

multiples, elle a besoin, pour en exercer les

fonctions, d'organes variés qui ne se rencontrent

 

 

 

t. S. Th., Opusc. 2 (alias 3) ad cantorem Antioch., c. vi.

 

 

 

4 2 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

point dans tout le corps et se trouvent réunis

seulement dans la tête. On peut dojic dire en

toute vérité que, présente tout entière par sa

substance dans le corps entier et dans chacune

de ses parties, elle est, par sa vertu, principale-

ment et excellemment dans le cerveau. De là ces

paroles de saint Bernard : Anima cum in toto sit

corpore, excelleniias tamen et singularias est in

capite, in quo sunt omnes sens'is^.

 

On comprend maintenant comment, nonob-

stant sa parfaite simplicité, Dieu peut être plus

ici que là; et comment sa présence, en qualité

de cause efiBciente, quoique formellement et spé-

cifiquement la même pai^tout, peut, si on la

considère dans son extension, varier pour ainsi

dire à l'infîiii, dacs la mesure même où s'exerce

l'activité divine ; en sorU.' que, plus complète,

plus excellente, plus parfaite, là où les termes de

cette activité sont eux-mêmes plus nombreux et

plus relevés, cette présence va en diminuant et

en s'amoindrissant de plus en plus, à mesure

que les effets de la puissance divine s'éloignent

davantage de la perfection de leur cause. Voilà

pourquoi il est dit de certains êtres qu'ils sont

près de Dieu, tandis que d'autres en sont éloi-

gnés , non sans doute par un rapprochement

matériel et local, mais par une similitude ou une

dissemblance de nature ou de grâce 2.

 

 

 

1. S. Bern., serm i in Ps. Qui habitat.

 

2. « Dicuntur res distare a Deo per dissimilîtijTimem

naturae vel gratiae, sicut et ipse est super omnia per excel-

lentiam suae naturae. » (S. Th., Samma Theol., I, q. vni.

a. i.adS.)

 

 

 

SES- DÎFFÉRBNTS DFGKES 43t

 

Ainsi, pendant que ks anges, eespurs miroirs

de la Divinité, mandissima Divinitatis spécula,

comme les appelle saint Denys, habitent en

quelque sorte dans le vestibule de la sainte Tri-

nité ', parce que, étant les plus parfaites des

créatures, ils sont pour ainsi dire voisina de

Dieu, les êtres matériels, au contraire, sont relé-

gués aux derniers confins de la création, et se

trouvent les plus éloignés de Dieu par la dissem-

blance de nature. L'homme tient le milieu entrer

ces deux classes d'êtres ; moins uni à Dieu que

les purs esprits, auxquels il est inférieur par sa^

nature, il est incomparablement plus rapproché

de lui que les créatures inintelligentes, incapables-

de s'élever jusqu'à leur auteur par la connais-

sance et l'amour ; aussi est-il dit de l'homme

qu'il a été fait à l'image et à la ressemblance de

Dieu, Faciamus hominem ad imaginem et similiiu-

dinem nosiram'^, tandis que les animaux, les

plantes et les êtres inorganiques n'offrent plus

qu'un vestige de la Divinité.

 

Mais c'est encore au-dessous du monde maté-

riel qu'il faut placer le pécheur, à cause de sa

dissemblance morale avec Dieu^; et c'est de lui;

uniquement que parle l'Ecriture, quand elle dit

que Dieu est loin des impies, Longe est Dominas

 

 

 

1. v'( Sanctissimae et provectissimae >'irtutes... sicut in ves-

tibulis supersubstantialis Trinitatis collocatse, ab ipsa... esse

habent. » (S. Dionys., De divin, nomin., c. v.)

 

2. Gen., I, 26.

 

3. « Ab eo (Deo) longe esse dicuntur, qui peccando dissi-

millimi facti sunt. » (S. Aug. 1. De prxsentia Dei, ch. v,

n. 17.)

 

 

 

44 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

ab impiis^. Aussi saint Augustin, parlant de sa

vie pécheresse, disait : « J'étais alors bien loin

dans la région de la dissemblance : Longe eram in

regione dissimilitudinis*. » Le langage chrétien a

rendu familières ces sortes de locutions. Veut-on

parler de quelqu'un qui néglige depuis longtemps

ses devoirs religieux et croupit dans le péché :

on dit qu'il vit loin de Dieu ; vient-il à montrer

des dispositions meilleures : on dit qu'il se rap-

proche de Dieu. Et ces expressions sont pleines

de justesse; car, suivant la pensée de saint Pros-

per, ce n'est pas en franchissant les distances

qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne de Dieu,

c'est par la ressemblance avec lui, ou par la dis-

semblance. Non locorum intervallis acceditur ad

Deum, vel recedilur ab eo ; sed similitudo facit

proximum, dissimilitudo longinquam^.

 

 

 

IV

 

 

 

Ainsi donc, quoique Dieu soit partout, et tout

entier partout, il n'est cependant point également

partout; il y a certains lieux où il réside d'une

manière si particulière, qu'on peut les appeler

la demeure de Dieu. Et si vous demandez quels

sont ces lieux privilégiés, saint Jean Damascène

vous répond : Ce sont ceux où l'opération divine

est plus manifeste : Dicilur locus Dei, \ibi ejus

 

 

 

I. Prov., XV, 2).

 

a". S. Aug., Conf., 1. VIT, ch. x.

 

3. S. Prosp., Sentent. ia3.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 45

 

manifesta fit opération. C'est ainsi que le lieu où

Jéhovah daigna se manifester jadis à Jacob par

des visions singulières est appelé la maison de

Dieu et la porte du ciel*. Aux merveilles accom-

plies en sa faveur, à l'échelle mystérieuse qu'il

aperçut en songe, aux promesses magnifiques

qui lui furent faites par le Dieu de ses pères, le

patriarche reconnut la présence particulière de

la Divinité au milieu même du désert, et il s'écria

dans un saint enthousiasme entremêlé de crainte :

(( Le Seigneur est vraiment en ce lieu, et je ne le

savais pas : Vere Dominas est in loco isto, et ego

nesciebam^. » Sous l'ancienne Loi, Dieu habitait

d'une manière spéciale dans le tabernacle cons-

truit par Moïse, et plus tard dans le temple de

Jérusalem, où sa présence se manifestait sous la

forme d'une nuée mystérieuse.

 

Comment ne pas reconnaître également une

présence particulière de la Divinité, même au

simple titre de cause efficiente, dans les prophètes,

auxquels l'Esprit-Saint dévoilait l'avenir? dans

les apôtres et les auteurs inspirés, qu'il éclairait

de sa lumière ? dans les saints, qui reçoivent

 

 

 

1. « Ipse (Deus) sui ipsius locus est, cuncta replens et

super omnia eminens, et ipse continens omnia. Dicitur

autem in loco esse et dicitur locus Dei, ubi ejus manifesta

fit operatio. Ipse enim per omnia pure et impermixtibiliter

méat ; et omnibus suae operationis consortium tradit, secun-

dum uniuscujusque aptitudinem et capacitatis virtutem.

Dicitur igitur Dei locus qui plus participât operationis ejus

et grâtiae. » (S. Joan. Damasc, De fide orthod., 1. I, c. xvi.)

 

2. Gen., xxvni, 17.

S. Gen., xxvin, 16.

 

 

 

46 PRESENCE INTIME DE DIEU

 

plus abondamment les bienfaits de la grâce ?

dans l'Eglise, qu'il assiste pour la préserver de

l'erreur, la sanctifier et la défendre contre ses

ennemis? partout, en un mot, où son opération

se fait sentir davantage et où il répand ses dons

avec plus d'abondance, tant dans l'ordre de la

nature que dans ctlui de la grâce? Et parce que

c'est au ciel que l'action de Dieu apparaît plus

clairement, et s'exerce d'une façon plus splendide ;

parce que c'est là que la divine munificence ne

connaît en quelque sorte plus de bornes; Dieu,

suivant la pensée de saint Bernard, s'y trouve

d'une manière si spéciale que, comparativement

parlant, il n'est pour ainsi dire pas ailleurs ;

voilà pourquoi nous disons dans l'Oraison domi-

nicale : Notre Père qui êtes aux cieuxK

 

Que nous reste-t-il à conclure de tout ce qui

précède, sinon que Dieu est en tout être et en

tout lieu, non pas comme la liqueur est dans le

vase qui la contient, car Dieu ne saurait être

contenu par les créatures, c'est lui plutôt qui les

 

 

 

I. « Licet Deum ubique esse non dubitetur, sic tamen

in caelo est, ut ad ejus coniparationem non esse videatur in

terris. Propter quod et orantes dicimus : Pater noster, qui

es in cœlis. Sicut enim anima cum in toto qnoqne sit cor-

pore, excellentius tamen et singularius est in capite, in qiio

sunt omnes sensus... unde quantum ad eum modum quo

in capite est, cetera membra videtur quodammodo non

tam inhabitare quam regere : ita si prœsentiam illam cogi-

temus, qua beati angeli perfruuntur, videmur vix aliquam

Dei protectionem et nomen habere. » (S. Bern., in Ps. Qui

habitat, serm. i, n. 4-)

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 4 7

 

«ontieiit en les coneervant^ ; non pas à titre

d'élément constitutif, comme l'âme est dans

l'homme*, ce -serait du panthéisme ; mais en

qualité de cause, comme l'agent est présent au

sujet sur lequel il exerce une action immédiate?

Il est partout, non pas directement et immédia-

tement par sa substance, quoique celle-ci ne soit

absente nulle part, mais par son opération et le

contact de sa vertu; car d'un côté la substance

divine, étant absolue, n'emporte par elle-même

ri relations ni rapports avec les êtres du temps ;

et d'un autre côté, étant parfaitement simple et

ôxempte de parties, elle ne demande point à se

déployer dans l'espace. Mais comme en Dieu

l'opération, la v^rlu opérative et la substance ne

sont pa« réellement distinctes, il faut bien recon-

naître que partout où se rencontre un effet im-

médiat de la causalité divine, Dieu lui-même s'y

 

 

 

I. Dans .sa Somme Thé.ol., saint Thomas ;se Xait cette ob-

jection : « Quod est in aliquo continetur ab eo. Sed Deus

non continetur a rébus, sed magis continet res. Ergo Deus

non est in rébus, sed magis res sunt in eo. w Et il répond :

« Ucet corporalia dicantur «sse in aliquo sicut in conti-

nente, tamen spiritualia continent ea in quibus sunt, sicut

anima continet corpus. Unde et Deus est in rébus sfcut

continens res ; tamen per quamdam similitudinem dicuntur

omnia esse in Deo, in quantum continentur ab ipso. »

(S. Th., Summ. TheoL, I, q. vm, a. i, ad 2.)

 

a. « Deus est in omnibus rébus, non quidem sicut pars

essenti^... sed sicut agens adest ei in quod agit. Oportet

enim omne agens conjungi ei in quod immédiate agit, et

sua virtute illud contingere. » (S. Th., Summa T/ieoi., I,

q. vm, a. I.)

 

 

 

48 PRÉSENCE INTIME DE DIEU

 

trouve réellement et substantiellement présenta

Et comme il n'existe absolument aucune créature

dans laquelle Dieu n'exerce son activité pour lui

conserver l'être et la mouvoir à ses opérations,

il en résulte que Dieu est partout, non seulement

par son action ou sa puissance, mais encore par

son essence.

 

Lors donc que l'Ecriture, parlant de la Divi-

nité, nous la représente remplissant le ciel et la

terre : Numquid non cœlani et ierram ego impleo"^

dicit Dominas \ il ne faut point prendre ces ex-

pressions au pied de la lettre, pas plus que le&

autres anthropomorphismes dont le texte sacré

abonde, et comprendre l'immensité divine par

mode d'extension, comme un océan sans rivages

contenant dans son sein tout ce qui existe et

débordant de toutes parts le monde créé ; c'est

aux exégètes et aux théologiens qu'il appartient

de donner, en de telles occurrences, le sens

véritable caché sous une forme de langage que

l'Espiit-Saint a voulu employer pour se mettre à

la portée de tous. C'est ce qu'a fait saint Thomas

pour le texte qui nous occupe : « Dieu, dit-il,

remplit tous les lieux, non à la façon d'un corps

qui est dit remplir un espace quelconque en en

bannissant toute autre substance matérielle, mais

 

 

 

I. « Quia effectus divini non solum divina operalione esse

incipiunt, sed etiam per eam tenentur in esse, nihil finleni

operari potest ubi non est... necesse est ut, ubicumque est

aliquis effectus Dei, ibi sit et ipse Deus effector. » (S. Th.,

rontra Gent., 1. IV, c. xxi.)

 

2. Jer., ixni, a4.

 

 

 

SES DIFFÉRENTS DEGRES 49

 

en donnant et en conservant l'être aux choses qui

remplissent l'espace et y sont localisées'. »

 

Et comme l'être et les autres perfections sont

communiqués aux créatures à des degrés qui

varient étonnamment, depuis le grain de sable

jusqu'au séraphin qui occupe le sommet des

hiérarchies angéliques, la présence de Dieu, en

qualité de cause elliciente, comporte, elle aussi,

bien des degrés, suivant la mesure dans laquelle

chaque créature participe à la pcTfection divine.

Voilà ce que saint Thomas voulait donner à

entendre par les paroles suivantes, intelligibles

maintenant pour tous : Est anus commanis modus

quo Deus est in omnibus rébus per esseniiam, prœ-

sentiam et poleniiam, sicui causa in ejfectibus

pariicipantibus bonilalem ipsius*.

 

 

 

i. « Deus omnem locum replet : non sicut corpus, corpus

enim dicitur replere locum, in quantum non compatitur

secum aliud corpus ; sed per hoc quod Deus est in aliquo

loco, non excludiiur quin alla sint ibi, imo per hoc replet

omnia loca quod dat esse omnibus lo^atis, quae replent

omtiia loca. » (S. Th., Summa TheoL, l, q. viii, a. a.)

 

a. S. Th., Summa TheoL, I, q xuii, a. 3.

 

 

 

IB. SAtNT-SSrBIT.

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

 

 

DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEO

 

OU DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

DANS LES AMES JUSTES

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

Le fait de la présence spéciale de Dieu

dans les justes. — Mission, donation,

habitation du Saint-Esprit.

 

 

 

Au-dessus du mode ordinaire et commun

suivant lequel Dieu est en toutes choses par son

essence, sa puissance et sa présence, comme la

cause est dans les effets qui entrent en partici-

pation de sa bonté, il en est un autre spécial,

qui convient aux seules créatures raisonnables,

dans lesquelles Dieu se trouve comme l'objet

connu et aimé est dans l'être qui connaît et qui

aime. Et parce que la créature raisonnable peut

s'élever jusqu'à Dieu par la connaissance et

l'amour, et l'atteindre en lui-même, au lieu de

dire simplement que Dieu, suivant ce mode par-

ticulier de présence, est dans la créature raison-

nable, on dit qu'il habite en elle comme dans son

temple. Nul autre effet que la grâce sanctifiante

ne peut êtr*-^ la raison de ce noiiyeau mode de

présence do la personne divine. C'est donc uni-

quement par la grâce sanctifiante que la per-

sonne divine est envoyée et qu'elle procède tem-

porellement... Toutefois, avec la grâce, on reçoit

 

 

 

54 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

aussi le Saint-Esprit, qui est lui-même donné et

envoyé, et vient habiter l'homme i. »

 

Ces paroles si laconiques de saint Thomas con-

tiennent, dans leur brièveté, un admirable résu-

mé de la question qui nous occupe présentement.

Nous y trouvons en effet clairement indiqués r

— a) d'abord le fait de la présence spéciale de

Dieu dans l'âme qui a la grâce : Super istum

modum aatem communem est unus specialis, qui

convenu natures raiiondi; — b) puis la nature de

cette présence, qui est une présence substan-

tielle; Dieu est là non pas simplement par ses

dons, mais en personne : In ipso dono gratiœ

gratum facientis Spiritus Sa/tctus habetur, et inha-

 

 

 

I. « Super istum modum autem communem (quo, scili-

cet, Deus est in omnibus rébus per essentiam, potentiam

et prsesentiam, sicut causa in effectibus participantibus

bonitatem ipsius), est unus specialis, qui convenit naturae

rationali, in qua Deusdicitur esse sicut cognitum in cogno-

scente, et amatura et amante. Et quia cognoscendo et

amando creatura ratioixalis sua operatione attingit ad

ipsum Deum, secunduni istum specialem modum Deus

non solum dicitur esse in rationali creatura, sed etiam habi-

tare in ea sicut in templo suo. • ic igitur nullus alius effec-

tus potest esse ratio quod divina persona sit novo modo in

rationali creatura, nisi gratia gratum faciens. Unde secxin-

dum solam gratiam gratum facientem mittitur et procedit

temporal! ter persona divina.

 

« Similiter illud solum habère dicimur quo libère possu-

mus uti, vel frui. Habere autem potestatem fruendi divina

persona est solum secundum gratiam gratum facientem.

Sed tamen in ipso dono gratiae gratum facientis, Spiritus

Sanctus habetur, et inhabitat hominem. Unde îpsemet Spi-

ritus Sanctus datur et mittitur. » (S. Th., Samma Thêd., h

q. XLUi, a. 3.)

 

 

 

MISSION, DONATION, ilA:B. DU SAINT-ESPRIT 55

 

èiieU hominem. Unde ipsemet Spiritus Sanctus datur

et mitttiar\ — c) le mode de cette )pré8.eDoe ; ce

n'est prlus en qualité d'ageait ou de cause .effi-

ciente qu'il est dian^ cette ânae; c'^t à titre

d'hôte et d'ami, comme objet de connaissance et

d'amour : Sicut cognitumdn cog^nosoente, et ama-

tum in amante; — d) ie jsujet capable de rece-

voir un tel bienfait, et ce sujet n'est .autre que la

créature raisonnable : Modws iste specialis con-

venit'naiurœ vationali ; — -e) ejiïiTvkixonditionàe cette

présence, c'est-à-dire l'état de.grâce : .Nubllus alias

effectus potest essfe ratio qaod divina persona sit

«ovG modo in ratio nali creabura, nisi gratta g ratum

faciens. — Autant de ch^îfs de considération qui,

pour être bien compris, demandent des éclair-

cissements proportionnés aux diffî;cuités qu'ils

peuvent offriT et k )la mesure de lein* impor-

tance. Aibordoiïs en preiaier )lieu le fait de la

présence spéciale »de Dieu idans les âmes sancti-

fiées fpar la grâce.

 

 

 

I

 

 

 

Il n'est peut-être pas de vérité plus fréquem-

meiït rappelée dans le saint Evangile et dans

les Epîtres de saint Paul que celle de la mission,

de la donation, de V habitation des personnes

divines dans les âmes qui ont la grâce. Sur le

point de quitter la terre pour retourner à son

Père , Notre-Seigneur , voularit conscyler ses

Ajp.ôtres et atténuer la tristesse que devait leur

occasionner son départ, promit de leur envoyer

le Paraclet : « Je vous dis la vérité : il vous es4

 

 

 

56 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

expédient que 'e m'en aille, car si je ne m'en vais

pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si

je m'en vais, je \ou& VenverraV. Quand sera venu

le Paraclet, que je vous enverrai du Père, l'Esprit

de vérité qui procède du Père, il vous rendra

témoignage de moi, et vous aussi vous me ren-

drez témoignage, car vous êtes avec moi dès le

commencement'. »

 

Il leur disait encore : « Si vous m'aimez,

gardez mes commandements, et, à ma prière, le

Père vous donnera un autre Paraclet, pour qa'il

demeure éternellement avec vous ; l'Esprit de vé-

rité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne

le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, ^ous

le connaîtrez, parce qu'il sera en vous et y fixera

son séjour. Je ne vous laisserai pas orphelins, je

viendrai à vous 3. » Ce nouveau consolateur que

Jésus-Christ promet ici n'est autre que le Saint-

Esprit, l'Esprit de vérité, comme il l'appelle,

c'est-à-dire l'Esprit du Fils, qui est lui-même la

 

 

 

1. « Ego veritatem dico vobis : Expedit vobis ut ego

vadam ; si enim non abiero, Paraclitus non véniel ad vos ;

si autem abiero, mittam eum ad vos. » (Joan., xvi, 7.)

 

2. « Cum autem venerit Paraclitus, quem ego mittam vobis

a Pâtre, Spiritum veritalis, qui a Pâtre procedit ; ille tesli-

monium perhibebit de me. Et vos testimonium perhibebi-

tis, quiaab initio mecum eslis. » (Joan., xv, 26-27.)

 

3. « ST diligiti«me, mandata mea servate. Et ego rogabo

Patrem, et alium Paraclitum dabit vobis, ut maneat vobis-

cum in aeternum; Spiritum veritatis, quem mundus non

potest accipere, quia non videteum, nec scit eum ; vos autem

cognpscetis eum, quia apud vos manebit, et in vobis erit.

Non relinquam vos orphanos; veniam ad vos. » (Joan., xiv,

i5-i8.)

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 67

 

vérité substantielle : Ego sum veritasK Tant qu'il

-était au milieu d'eux, le divin Maître consolait

lui-même ses disciples; mais son départ devant

les laisser exposés à de nombreuses tribulations,

il leur promet un autre consolateur, l'Esprit-Saint,

qu'il leur enverra du Père.

 

Cette mission du Saint-Esprit, cette donation

du Paraclet, que Jésus promettait aux siens, ne

devait pas être l'apanage exclusif des Apôtres,

mais la dot commune de tous ceux qui, par la

grâce, deviennent enfants de Dieu. En effet,

écrivant aux Galates, saint Paul leur disait :

(( Parce que vous êtes ses enfants, Dieu a envoyé

dans vos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie :

Père, Père 2. » — a Non pas un esprit de crainte et

de servitude , mais l'esprit d'adoption des

enfants \ » — a La charité de Dieu a été répan-

due dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous

a été donné \ »

 

Et ce n'est pas seulement l'Esprit-Saint qui nous

est envoyé et donné par la grâce, et avec la grâce,

mais la sainte Trinité tout entière vient habiter

notre âme et y faire sa demeure. Notre-Seigneur

le dit formellement dans l'Evangile selon saint

Jean : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma

 

 

 

I. Joan., XIV, 6.

 

a. « Quoniam estis filii, misitDeus Spiritum Filii sui in

^corda vestra clamantem : Abba Pater. » (Gai., iv, 6.)

 

3. « Non enim accepistis spiritum servitutis iterum in

timoré, spdaccepistis Spiritum adoptionisflliorum. » (Rom.,

vm, i5,

 

4. « Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spi-

ritum Sanctum. qui datus est nobis. » (Rom., v, 5.)

 

 

 

a& PBESENCB SPEGIALB DE. DIEU

 

parole; et inon\ Père l'ainieai'a, et. itous viendrons

à lui, et nous établirons en lui notre: séjour i^. »

Aussi, pour amener les premiers fidèles à éviter

avec soin le- péché- et à garder pur et sans tache

le sanctuaire de leur âme, le grand Apôtre ne

trouvait-il pas de motif plus puissant, de raison

plus pressante, d'argument plus persuasif que

de leur rappeler qu'ils étaient le temple de Dieu.

« Ne savez-vous pa&, leur disait-il, que vous ête&

le temple de Dieu, et 4ue l'Esprit-Saint habite

en vous? Si quelqu'un viole ce temple, Dieu le

perdrai car le temple de Dieu est saint, et c'est

vous-mêmes qui êtes ce temple ^ n

 

Je m'arrête, pour ne pas nml-tiplier outre

mesure les passages de l'Ecriture qui établissent

le fait de la mission, de la donation des per-

sonnes divines, de l'habitation de la sainte

Trinité dans les âmes justes. Il importe mainte-

nant de recueillir et de préciser les enseigne-

ments qui résultent die ces- témoignages.

 

Ce qui ressort à première vue de tous ces

textes pris dans leur sens naturel et obvie, ce qui

brille avec la clarté de l'évidence, c'est le fait

d'une présence spéciale de Dieu dans les âmes qui

so!it en état de grâce. El de vrai, si l'Esprit-Saint

leur est envoyé, n'est-ce pas pour qu'il soit en

 

 

 

r. « Si quis diligit me, sermonem ix^um servabit, et

Pater meus diliget eum, etad eum veExLemus, et mansionem

apud eurn faciemua. » (Joan., xit, aS.)

 

2. « Nescitis quia templum Dei estia, et Spiritus Dei

Libitatin vobis? Si quis autem templum Dei violaverit,

'Jt>perdet îKuwi Deus. Templum cnim Dei sanctum esU

quod estis vos. » (I Gop., m, 16-17.)

 

 

 

MISSION, DONATION, ELAB. DU SAINT-ESPRIT §9

 

elles autrement qu'il n'est partout ailleurs? Car

enfin s'il se trouve dans les justes simplement à

la manière ordinaire, comme il est en toutes

choses, on ne conçoit pas ce que peut bien

signifier et apporter cette mission.

 

D'autre part, si l'Esprit-Saint est donné aux

âmes avec la grâce et par la grâce, c'est appa-

remment pour qu'elles le possèdent et puissent

jouir de lui librement. Or seule la créature rai-

sonnable est capable de posséder Dieu par la

connaissance et l'amour; seule, elle peut jouir

de lui; elle est donc susceptible d'une présence

spéciale de la Divinité, qui dépasse la portée des

êtres inférieurs. Nous verrons plus loin que ce

n'est même pas à toute ci^éature raisonnable

qu'appartient celte possession de Dieu, cette

jouissance commencée ou consommée du souve-

rain Bien, et qu'il faut pour cela, comme dispo-

sition préalable, ou la grâce sanctifiante ou la

lumière de gloire. Mais n'anticipons pas, et con-

tentons-nous pour le moment de soumettre à

l'analyse théologique les concepts de mission,

de donation, d'habitation, pour voir s'ils entraî-

nent nécessairement un mode particulier de

présence des personnes divines dans les âmes

auxquelles elles sont, envoyées ou données, et

qii' elles viennent habiter.

 

 

 

II

 

 

 

Le mot de mission, à?ix\^ le langage humain,

implique ordinairement l'idée de mandat donné

à une personne, avec obligation pour le manda-

 

 

 

6o PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

taire de s'éloigner de la personne qui Tenvoie,

pour se rendre au terme de sa mission. Un chef

d'Etat, par exemple, envoie fréquemment tel ou

tel de ses sujets en mission ordinaire ou extra-

ordinaire auprès d'un souverain étranger, tantôt

pour le représenter à titre d'ambassadeur, tantôt

pour négocier une affaire importante. La mission

ne se donne pourtant pas toujours par voie de

commandement, comme cela a lieu quand un

jupérieur envoie un de ses subordonnés; elle

peut encore se donner par voie de conseil, quand,

par exemple, le premier ministre d'un roi ou

d'un empereur l'envoie guerroyer; il peut même

y avoir mission en vertu d'une simple proces-

sion d'origine, comme lorsque le soleil nous

envoie ses rayons. Mais de quelque manière

qu'elle se fasse, la mission implique toujours un

double rapport : un rapport de la personne

envoyée à celle qui l'envoie, et un rapport au

terme de la mission; car on est envoyé par

quelqu'un auprès d'une personne déterminée

ou dans un lieu désigné d'avance ^

 

 

 

;. « In ratione missionis duo importantur : quorum

unum est habitudo missi ad eum a quo mitiitur ; aliud est

habitudo missi ad terminum ad quem mittitur. Per hoc

autem quod aliquis mittitur, ostenditur processio quaedam

missi a mittente : vel secundam imperiam, sicut dominus

miltit servum ; vel secundam consilium, ut si consiliarius mit-

tere dicatur regem ad bellandum ; vel secundam originem,

ut si dicatur quod flos emittitur ab arbore. Ostenditur

etiam habitudo ad terminum ad quem mittitur, ut aliquo

modo ibi esse incipiat : vel quia prius ibi omnino non erat

quo mittitur; vel quia incipit ibi aliquo modo esse quo

priusnon erat. » ( S. Th., Summa TheoL, I, q. xun, a. i.)

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINTHESPRIT 6^

 

Dans la mission créée qui a lieu par voie de

commandemenl ou de conseil, le premier de ces

rapports consiste dans une relation de dépen-

dance ou d'infériorité du mandataire vis-à-vis du

mandant, ou plus généralement de la personne

envoyée vis-à-vis de celle qui l'envoie, car pour

donner une telle mission, il est nécessaire de

posséder ce genre de supériorité que donne l'au-

torité du rang ou le prestige de la sagesse. Rien

de semblable dans les missions divines ; car en

Dieu les trois personnes ayant une même nature

et une même dignité, l'une n'a pas autorité sui

l'autre et ne lui commande pofnt; d'autre part,

comme elles sont parfaitement égales en science

et en sagesse, elles n'ont point à se conseiller

ou à se diriger mutuellement. La mission des

personnes divines ne se fait donc ni par com-

mandement ni par conseil, mais elle implique

simplement l'idée d'origine ou de procession i.

 

Le second rapport que dénote la mission est

relatif au terme oii l'on est envoyé. Il indique

que le messager doit, s'il n'y est déjà, se rendre

au lieu oii on l'envoie, pour être en mesure de

remplir l'office qui lui a été confié

 

Dans les missions créées, après avoir pris

congé de son maître, l'ambassadeur d'un prince

 

 

 

I. « Missio importât minorationem in eo qui mittitur»

secundum quod importât processionem a principio mit-

tente, aut secundum imperium, aut secundum consilium ;

quia imperans est major, et consiliansestsapientior. Sed in

divinis non importât nisi processionem originis, quae est

serundum aequalitatem. » (S. Th., SummaTheol.,l,q. xliu,

a. 1. ad I.)

 

 

 

€2 PRÉSENCE SPÉCIALE ETE DIEU

 

«'éloigne de lui et quitte son pays pour se rendre

à la cour du souverain auprès duquel il est accré-

dité; il y a par conséquent changement de lieu.

Il n'est pourtant pas impossible qu'un sujet,

déjà présent dans une contrée qui n'est pas son

pays d'origine, reçoive de son prince une mis-

sion particulière auprès du monarque sur les

terres duquel il se trouve ; dans ce cas, Tambas-

sadeur n'a point à se rendre au terme de sa

mission puisqu'il y est déjà, mais par le fait du

mandat qui lui est donné, il y devient présent

d'une nouvelle manière, ou plutôt à un nouveau

titre, non plus comme simple particulier, mais

en qualité de représentant. La mission divine ne

comporte ni déplacement ni séparation; Dieu,

étant partout, ne peut se rendre quelque part oii

il ne soit déjà, et la personne envoyée ne se

sépare point de celle qui l'envoie, car les trois

personnes de l'adorable Trinité, n'ayant qu'une

seule et même nature, sont nécessairement insé-

parables ; en vertu de la circamincession, partout

où l'une d'elles se trouve, les deux autres y sont

également 1.

 

Mais pour qu'il y ait vraiment mission, il faut

que la personne divine commence d'être pré-

 

 

 

I. « niud quod sic mittitur, ut incipiat esse ubi prius

nùllo modo erat, sua Tnissione localiter lanovetur ; unde

oportet quod loco separetur a mittente. Sed hoc non acci-

<iît in missione divinae personœ ; quia persona dirina missa

sicut non incipit esse ubi prius non fuerat, ita née desinit

«sse ubi fuerat. Unde talis missîo est sine separatione, sed

habet solam distinctionemoriginis. » (S.Th., 8wnma Theol.

i. q. XLiii, a. 1, ad 2.)

 

 

 

MISSION, DONATIOK, HAB;. DU SAINT-ESPRIT 63-

 

sente s&us un mode nouveau là où elle esi eiiiVQyée.

 

Ainsi, quand le Fils de Dieu fut envoyé dans

le inonde pour opérer notre! rédemption, il ne

quitta point le sein du Père pour venir au milieu

de nous; il était déjà dans le monde, en qualité

de cause, pour conserver ce qu'il avait primiti-

vement créé : In mundo erat, et mundusper ipsum.

factus est^, mais il y vint à nouveau en tant,

qu'il apparut revêtu de notre chair. Ce que nous

disons de la mission visible du Verbe s'applique

également à la mission invisible de l'Esprit-Saint.

Lors donc que ce divin Esprit est envoyé par le

Père et le Fils pour sanctifier la créature, il. n'y

a en lui ni déplacement ni changement; toute

la mutation se tient du côté de l'être créé, qui,

en recevant la grâce, entre par le fait même

dans un nouveau rapport avec la Divinité, dont

il devient tout à la fois l'ami et le sanctuaire.

 

On voit par là que la mission, divine implique

seulement deux choses : une procession d'origine

et un nouveau mode de présence ; c'est-à-dire

que la personne envoyée procède de celle qui

l'envoie, et devient présente d'une manière nou-

velle au terme de sa mission'. Et comme le Fils

 

 

 

I. Joan., I, 10.

 

a. (c Missio igitur divinae personae conTcnire potest?, seeun-

dum quod importât ex una parte processionem originiff a

mittente, et secundum q^uod importât ex alia parte novum

modum existendi in alio ; sicut Filius dicitur esse missus

a Pâtre in mundum, secundum quod incepit in mundo

esse per carnem assumptam ; et tamen antea in munda

états uit dicitiii? Joan., li, lO. »- (Siwnma. T/i«ûi», I, q. xun,

a. I.)

 

 

 

(54 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

procède uniquement du Père, il ne peut être

envoyé que par lui ; l'Esprit-Saint au contraire

est envoyé par le Père et le Fils, parce qu'il

procède de l'un et de l'autre. Quant au Père, ne

procédant de personne à raison de son innasci-

bilité, il n'est jamais envoyé; il vient pourtant

de lui-même dans l'âinj juste et accompagne les

deux autres personnes.

 

III

 

Les considérations que nous venons de faire

sur la mission invisible du Saint-Esprit s'appli-

quent pareillement à sa donation; avec cette

différence que le mot de mission n'exprime, en

outre du rapport d'origine avec le Père et le Fils

qui l'envoient, qu'un mode spécial de présence

dans la créature qu'il sanctifie, sans indiquer la

nature de cette présence ; tandis que la donation

nous révèle déjà, dans une sorte de demi-jour,

le caractère particulier de l'union que la créature

raisonnable contracte par la grâce avec la per-

sonne divine qui lui est donnée.

 

En effet, pour qu'il y ait donation du Saint-

Esprit, il ne suffit pas qu'une relation nouvelle

quelconque s'établisse entre l'àme qui le reçoit

et ce divin Esprit, il faut encore que cette âme

possède Celui que l'Eglise appelle si justement le

don de Dieu ; car ce que l'on donne à quelqu'un

devient son bien, sa possession i ; et qu'est-ce

 

 

 

i.« Ad dationem Spiritus Sancti, non sufRcit quod sit

nova relatio, qualiscumque est creaturae ad Deum; sed

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 65

 

que posséder une chose, sinon avoir la faculté

d'en user librement et d'en jouir à volonté? Ha-

bere autem dicimur id quo libère possumus uti vel

frui ut volumus^. Or, seule la créature raisonnable

est capable de posséder Dieu et de jouir de lui,

ou d'une manière parfaite comme les bienheu-

reux dans le ciel, ou d'une manière initiale et

commencée, comme les justes et les saints d'ici-

bas'.

 

Les êtres privés de raison peuvent bien recevoir

la motion, l'impulsion, l'action de Dieu; ils ne

sauraient ni jouir de sa présence ni user librement

de ses dons ; ils peuvent avoir en eux une par-

ticipation lointaine et analogique de la perfection

incréée, mais quant à posséder la substance

divine et à jouir du Bien souverain, ils en sont

radicalement incapables, car on ne peut possé-

der Dieu et en jouir que par la connaissance et

l'amour, et l'être intelligent seul est capable de

tels actes. Encore a-t-il besoin pour cela d'être

élevé au-dessus de sa condition native et de

recevoir d'en haut une grâce qui le rende parti-

cipant du Verbe divin et de l'Amour qui pro-

cède du Père et du Fils comme d'un seul prin-

 

 

 

oportet quod referatur in Ipsum sicut ad habitum • quia

quod datur alicui habetur aliquo modo ab illo. » (S. Th.,

Sent., 1. 1, dist. xiv, q. ii, a. 2, ad 2.)

 

1. S. Th., Summ. TheoL, I, q. xxxvm, a i.

 

2. « Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi

vel ad fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae :

aut secundum fructum imperfectum, et sic habetur per

donum gratiae gratum facientis. » (S. Th., Sent.t 1. I, dist.

XIV, q. II, a. a, ad 2.)

 

 

 

BAB. lAIRT-BIPKIT.

 

 

 

66 PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

cipe^. Donc la donation d'une personne divine

implique une présence spéciale de la Divinité

dans la créature qui la reçoit ; présence absolu-

ment distincte de celle par laquelle Dieu est en

toules choses en qualité de cause efficiente.

 

Nombreux en effet sont les caractères qui dit-

férencient ces deux modes de présence. Ainsi, la

présence de Dieu par manière de cause efficiente^

est commune à tous les êtres sans exception; la

présence de Dieu comme objet de connaissance et

d'amour n'est possible que pour les créatures

intelligentes. La première est universelle et se

réalise nécessairement partout où se rencontre

un effet quelconque de la puissance divine; elle

est même inamissible tant que l'être créé est

maintenu dans l'existence, car Dieu doit être là

pour le conserver. La seconde, s'il s'agit d'une pré-

sence substantielle et non purement objective, est

le privilège exclusif des âmes justes; effet du libre

 

 

 

I. « Habere dicimiirid quo libère possumus uti vel frui ut

volumus. Et per hune modum divina persona non potost

haberi nisi a rationali creatura Deo conjuncta ; ali* autem

creaturae moveri quideni possunt a divina persona, non

tamen sic quod in potestate earum sit frui divina persona,

et uti effectu ejus. Ad quod quandoque pertingit rationalis

creatura, utputa cum sic fit particeps divini Verbi et pro-

cedentis amoris, ut possit libère Deum vere cognoscere et

recte amare. Unde sola creatura rationalis potest habere

divinam personam. Sed ad hoc quod sic eam habeat,

non potest propria virtute pervenire , unde oportet quod

hoc ei desuper detur ; hoc enim dari nobis dicitur quod

aliunde habemus. Et sic divinae personae competit dari et

Csse donum. » (S. Th., Summa TheoL, I, q. xxx.viii, a. i.)

 

a. Samma Theol., I, q. vni, a. 3.

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT ESPRIT 67

 

vouloir de Dieu, elle vient avec la grâco et se

perd avec elle. L'une n'apporte, au moins directe-

ment, ni ioie ni consolation; elle est souvent

inconsciente ou ignorée; et combien, parmi les

êtres raisonnables capables de la connaître ou la

connaissant effectivement, voudraient, dans leur

malice, pouvoir s'en défaire en chassant de leur

cœur Celui qu'ils considèrent comme le témoin

importun de leur inconduite et le vengeur de

leurs crimes! L'autre, au contraire, est pleine

de douceur et de suavité; c'est une union de

jouissance commencée ou consommée. Qui pour-

rait confondre deux modes de présence si diffé-

rents l'un de l'autre? Dans l'un. Dieu est en

nous à titre d'agent; dans l'autre, Dieu est à

jious, en qualité de protecteur et d'ami.

 

 

 

IV

 

 

 

Dieu se trouve donc dans les justes d'une manière

toute spéciale, il y habite, suivant l'expression

employée par nos saints Livres. Mais, chose

étonnante. Dieu n'habite pas partout où il est.

Combien d'êtres auxquels il est réellement et

substantiellement présent à titre de cause effi-

ciente, y exerçant son activité, y produisant tel

ou tel effet, et dans lesquels néanmoins il n'ha-

bite pas, au sens que l'Ecriture donne à cette

expression ! Et cela se comprend. Le lieu qui

est l'habitacle de Dieu a, dans toutes les langues,

un nom spécial, c'est un tempile. Or, on ne sau-

rait donner le nom de temple à une demeure

vulgaire, destinée à des usages profanes : le tem-

 

 

 

68 PRÉSENCE ?PFrT\LTî DE DIEU

 

pie est un lieu consacré et Hédié au culte de

Dieu, qui daigne y habiter et accueillir favora-

blement les prières de pes adorateurs. « Le

temple est un lieu consacré au Seigneur pour

qu'il y habite »), nous dit l'angélique Docteur :

Templum est locus Dei ad inhahitandum sibi conse-

cratas^.

 

Dans les temples matériels, cette consécration

se fait par le ministère du pontife, avec tout un

ensemble de prières, d'onctions, de cérémonies,

capable de faire comprendre au peuple chrétien

que désormais ce lieu est saint, et qu'il faut s'y

présenter et s'y tenir avec tout le respect dû à

la Majesté souveraine qui l'habite. Dans les tem-

ples spirituels, c'est-à-dire dans les âmes, cette

consécration se fait par la grâce, que nous rece-

vons primitivement dans le saint baptême'; et

si nous avons le malheur de polluer par le

péché ce sanctuaire intérieur, la divine Miséri-

corde a daigné nous donner, dans le sacrement

de pénitence, un moyen d'opérer sa réconcilia-

tion.

 

Mais parce que la violation d'une chose sainte

est un sacrilège capable d'attirer la colère

divine sur la tête de celui qui le commet, l'apô-

tre saint Paul, voulant faire comprendre aux

 

 

 

i' S. Th., Commeiu. in II Cor., n, 16

 

a. « Et quidem in materiali templo est quaedam sacra-

mentalis sanctitas, prout templum divino cultui dedicatur ;

sed in fidelibus Christi est sanctitas gratiœ, quam consecuti

sunt per baptismum, secundum illud, infra yi, 11 : Abluti

estis, tanctifwati estis. » (S. Th., in I Cor m, 17.)

 

 

 

MISSION, DONATION, HA.B. DU SAINT-ESPRIT 69

 

fidèles de Corinthe la gravité d'une telle profa-

nation et les conséquences redoutables qu'elle

peut entraîner, leur disait : « Si quelqu'un viole

le temple de Dieu, Dieu le perdra : Si quis iem-

plum Dei violaverit, disperdet illum Deas^. » Et la

raison qu'il en donnait, c'est que le temple de

Dieu est saint; « et c'est vous-mêmes, ajoutait-il,

qui êtes ce temple : Templum enim Dei sancium

est, quod esiis vos'. »

 

Et pour qu'on ne soit pas tenté de croire que

Dieu habite, quoique avec peine et répugnance,

dans les pécheurs, l'Ecriture nous déclare for-

mellement qu'il n'en est point ainsi. Elle nous

dit en effet que la sagesse (et l'on peut entendre

par cette expression la Sagesse incréée et engen-

drée, c'est-à-dire le Verbe) n'entrera pas dans

une âme mauvaise, qu'elle n'habitera pas dans

un corps assujetti au péché : In malevolam ani-

mam non iniroibii sapientia, nec habitabit in corpore

subdito peccatis^. Elle ajoute que l'Esprit-Saint,

lui aussi, qui est un esprit de science, aban-

donne celai qui n'a que l'apparence du bien, et

que la survenance de l'iniquité le met en fuite :

Spiritus enim sancias disciplinée ejfagiet ficium...,

et corripietur a superveniente iniquitate^. Et pour

écarter toute erreur, pour prévenir toute illu-

sion, elle va jusqu'à dire que non seulement

Dieu n'habite pas dans les pécheurs, mais encore

 

 

 

1. I Ccr.. III, 17,

 

2. Ibid.

 

3. Sap., I, 4.

 

4. Sap., I, 5.

 

 

 

J]0 PRESENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

qu'il est loin d'eux : Longe est Dominas ah

impiis ' .

 

Il est intéressant d'entendre sur ce point le

grand évêque d'Hippone. Dans son livre Sur la

présence de Dieu, adressé à Dardanus, où il traite

ex professo la question de l'habitation divine,

saint Augustin commence par exposer que Dieu

est partout, tout entier dans chaque être et

chaque partie de l'être, puis il ajoute : « Mais ce

qui est plus surprenant, c'est que Dieu, quoique

tout entier partout, n'habite cependant pas dans

tous les hommes. En effet, ce n'est pas à tous

que peuvent s'appliquer les paroles de l'Apôtre :

Ae savez-voas pas que vous êtes le temple de Dieu,

et que le Saint-Esprit habite en vous? (I Cor., m,

i6), car il dit de quelques-uns : Celui qui n'a

pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas. (Rom.,

VIII, 9.) Or, qui oserait penser, à moins d'igno-

rer complètement l'inséparabilité des personnes

divines, que le Père ou le Fils puissent habiter

où le Saint-Esprit n'habite pas, et que le Saint-

Esprit habite quelque part sans le Père et le

Fils? Il faut donc avouer que Dieu est partout

parla présence de sa divinité, mais non par une

grâce d'habitation : Unde fatendum est ubique esse

Deum per divinitatis prœsentiam, sed non ubique

per habitationis gratiam.

 

« Dieu donc, qui est partout, n'habite pas

dans tous les hommes ; et il n'habite pas non

plus au même degré dans ceux où il établit sa

demeure : Etiam in qaibus habitat, non œqualiter

 

 

 

I. Prov., XV, 29,

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT jy

 

habitai. N'est-ce pas- en effet pour cela qu'Elisée

demanda le double esprit qui était dans Elle?

(4 Reg , II, 9.) Et d'oii vient que, parmi les

saints, les uns le sont plus que les autres, sinon

parce que Dieu habite plus pleinement en eux?

Mais si Dieu est plus dans les uns que

dans les autres , que devient la vérité de ce que

nous avons avancé précédemment, savoir que

Dieu est tout entier partout? Pour le savoir,

il faut considérer attentivement ce que nous

avons dit, que c'est en lui-même que Dieu est

tout entier partout, et non dans les hommes, qui

le reçoivent les uns plus, les autres moins. On

dit en efTet qu'il est partout, parce qu'il n'est

absent d'aucune partie de l'univers ; qu'il est

tout entier partout, parce qu'il n'est pas partiel-

lement présent à chaque chose, en sorte qu'une

partie plus ou moins grande de son être réponde

à chaque partie plus ou moins grande des cho-

ses ; mais il est tout entier présent non seulement

à l'universalité des créatures, mais encore à

chaque partie de l'univers. Ceux qui, par le

péché, lui deviennent dissemblables, sont dits

éloignés de lui; ceux-là, au contraire, s'en rap-

prochent, qui lui ressemblent par une pieuse et

sainte vie.

 

u Mais ceux à qui I)ieu est présent ont beau

être moins capables de le recevoir, il n'en est pas

pour cela moindre lui-même. Et de même qu'il

n'est pas absent de ceux en qui il n'habite pas,

et qu'il est même tout entier en eux, quoiqu'ils ne

le possèdent pas ; ainsi il est présent tout entier

dans ceux en qui il habite, bien qu'ils ne le sai-

sissent pas totalement.

 

 

 

ya PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU

 

« Pour habiter dans les hommes, Dieu ne se

partage pas dans leurs cœurs ou dans leurs

corps, en attribuant une partie de lui-même à

ceux-ci et une autre à ceux-là...; mais tout en

demeurant éternellement immuable en lui même,

il peut être présent tout entier à toutes choses,

et tout entier à chacune, quoique ceux en qui il

habite, et dont il s'est fait, par sa bonté et sa

grâce, un temple très cher, le possèdent les uns

plus, les autres moins, selon leur diverse capa-

cité'. »

 

Ainsi donc, au sentiment de saint Augustin,

Dieu n'habite dans une âme qu'à la condition

d'être saisi et possédé par elle, ce qui a lieu par

la connaissance et l'amour; car posséder Dieu,

c'est le connaître : Hoc est Deum habere, quod

nosse*, non pas, il est vrai, d'une connaissance

quelconque, car « *ls n'appartiennent pas au

temple de Dieu, ces philosophes superbes qui

l'ont connu sans le glorifier et lui rendre

grâces 3 », mais d'une connaissance accompagnée

de charité, et voilà pourquoi u ils appartiennent

au temple de Dieu, ces enfants qui ont été sanc-

tifiés par le sacrement du Christ, et régénérés

par l'Esprit-Saint, et que leur âge rend incapa-

bles de connaître Dieu. Ainsi celui que les phi-

losophes ont connu et n'ont point j^ossédé, est

possédé par les enfants avant même qu'ils soient

 

 

 

I. S. Aug., lib. De Prassentia Dei, seu Epist. ad Dardan.

187 (alias 57), c. v et vi, n. 16-19.

a. Ibid., c. VI, n. 21

3. Ibid.

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 78

 

en état de le connaître. Mais bienheureux ceux

pour qui connaître Dieu, c'est le posséder; car

cette connaissance est la plus complète, la plus

vraie et la plus heureuse i ». En sorte que, chose

extrêmement étonnante, Dieu habite dans quel-

ques-uns de ceux qui ne le connaissent pas

encore, tandis qu'il n'habite point en d'autres qui

le connaissent.

 

Pour être le temple et rhabîtacle de la Divinité,

il faut avoir la grâce et la charité, c'est la con-

dition indispensable ; aussi non seulement ceux

qui connaissent Dieu sans l'aimer ne possèdent

pas en eux l'hôte divin, mais ceux-là mêmes qui

font des miracles sans être en état de grâce ne le

possèdent pas non plus; car toutes ces choses sont

faites par Dieu en vertu de sa présence ordinaire, ou

par le ministère des saints anges : Agit enim hœc

Deus tanquam ubique prœsens, vel per sanctos

angelos suos^. Et saint Augustin conclut enfin

par ces paroles, qui résument cette longue mais

instructive citation : « Dieu est donc présent par-

tout et tout entier partout ; il n'habite cepen-

dant point partout, mais seulement dans ceux

qui forment son temple et sur lesquels il répand

les trésors de sa grâce et de sa miséricordieuse

bonté. Et ceux en qui il habite le possèdent à des

degrés divers, les uns plus, les autres moins*. »

 

 

 

1. S. Aug., lib. De Prœsentia Dei, c. vi, n. 21.

 

a. Ibid., c. XII, n. 36.

 

3. « Deus igitur ubique prœsens est, et ubique totus prae-

sens : nec ubique habitans, sed in templo suo, eu. per gra-

tiam benignus est et propitius. Capitur autem habitans ab

aliis amplius, ab aliis minus. » (Ibid., c. xiii, n. 38.)

 

 

 

74 PI\ÉSEx>CE SPÉCIALE DE DIEU

 

 

 

Cette doctrine de la présence spéciale, de TAût-

bitation de Dieu dans les justes, que le Docteur

de la grâce affirme, quant au fait, en termes si

formels, mais qu'il laisse isuite, relativement à

la manière dont il faut l'entendre, dans une

sorte de pénombre, a été mise en pleine lumière

par son fidèle disciple et interprète, le Docteur

angélique. Voici, en effet, comment celui-ci s'ex-

prime dans son Commentaire sur les paroles de

l'Apôtre : Vous êtes le temple da Dieu vivant :

« Quoique Dieu soit en toutes choses par sa

présence, sa puissance et son essence, il n'habite

pourtant point partout, mais seulement dans

les saints par la grâce. Et la raison en est

que, s'il est en toutes choses par son action y

en tant qu'il s'unit aux créatures pour leur

donner et leur conserver l'être, il n'y a que

les saints qui, par leur opération, c'est-à-dire

par la connaissance et l'amour , peuvent

atteindre Dieu, et 'le contenir en quelque sorte en

eux. Car celui qui connaît et qui aime possède en

lui-même 1 objet connu et aimé^. »

 

 

 

I. « Licet Deus in omnibus rébus dicatur esse perpraesen-

tiam, potentiam et essentiam, non tamen dicitur in eîs

habitare, sed in solis sanctis per gratiam. Gujus ratio est,

quia Deus est in omnibus rébus per suam actionem in quan-

tum conjungit se eis, ut dans esse et conservans in esse. In

sanctis autem est per ipsorum operationem qua attingunt

ad Deum, et quodam modo comprehendunt ipsum, qusB

«st diligere et oognoscere. Nam diligens et cognoscens dici-

tur in se habere cognita et dilecta. » (S. Th., in II Cor.,

c. Ti, i6, lect. 3.)

 

 

 

MISSION. DONATION, HAB, DU SAÎNT-ESPRIT 76

 

Déjà sur cet autre texte du même Apôtre : Ne

savez^vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et

que VEsprit-Saint habite' en vous? saint Thomas

avait fait les réflexions suivantes : (( U est de la

nature d'un temple d'être l'habitacle de Dieu,

selon ces paroles du Psalmiste : Dieu habite dans

son saint temple (Ps. x, 5) : par conséquent tout

ce qui est la demeure de Dieu peut être appelé

temple. Or Dieu demeure principalement en lui-

même, parce qu'il est seul à se comprendre ; il

peut donc être appelé son propre temple... Il

habite aussi dans une maison consacrée par le

culte spécial qu'il y reçoit... Il habite encore

dans les hommes par la foi que la charité rend

active, suivant ces paroles de l'Apôtre aux Ephé-

siens : Le Christ habite dans vos cœurs par la

foi. (Ephes., m, 17.) Et pour prouver que les

fidèles sont le temple de Dieu, l'Apôtre ajoute

que Dieu habite en eux : et l'Esprit de Dieu habite

en vous... 11 est donc manifeste que le Saint-

Esprit est Dieu, puisque, en établissant son séjour

dans les fidèles, il en fait des temples de Dieu;

car ce n'est que l'habitation de la Divinité qui

constitue un temple : Sola enim inhabitaiio Del,

iemplum Deifacit.

 

« Mais il faut considérer que Dieu est dans

tout être créé par son essence, sa puissance et sa

présence, remplissant tout des effets de sa bonté,

suivant cette parole de Jérémie : Je remplis le

ciel et la terre. (Jer., xxm, 2/i.) Spirituellement,

Dieu habite comme en sa maison de famille, tan-

quani in familiari domo , dans les saints, dont Tesprit

est capable de le posséder par la connaissance et

l'amour, quorum mens capax est Dei per cognitio-

 

 

 

^6 PKÉSENCE SPECIALE DE DIEU

 

nem et amorem, lors même qu'ils ne le connais-

sent pas et ne laiment pas d'une manière

actuelle, à condition cependant qu'ils aient, avec

la grâce et par elle, la vertu de foi et de charité,

comme cela a lieu pour les enfants baptisés.

Mais une connaissance qui n'est pas accompa-

gnée de charité est insufQsante pour établir Iha-

bitation de Dieu, comme l'indiquent les paroles

de saint Jean : « Celui qui demeure dans la cha-

rité demeure en Dieu, et Dieu en lui. » (1 Jean.,

IV, i6 ) Voilà pourquoi beaucoup connaissent

Dieu par une connaissance naturelle ou par la

foi informe, et n'ont pas cependant l'Esprit de

Dieu à demeure dans leur cœuri. »

 

Gest donc une vérité acquise et incontes-

table que Dieu existe d'une manière spéciale

dans les justes ; l'Ecriture, la Tradition, ren-

seignement théologique, s'accordent pour affir-

mer le fait dune présence particuHère de la

Divinité dans les âmes auxquelles lEsprit-Saint

est envoyé ou donné, et qui deviennent par la

grâce le temple et Ihabitacle de l'adorable Tri-

nité. Ce n'est plus simplement par son opération,

à titre d'agent ou de cause efficiente, que Dieu

est en elles ; c'est en qualité d'hôte, d'ami, de

bien souverain, dont elles peuvent déjà commen-

cer à jouir dès cette vie.

 

Ce nouveau mode de présence, qui n'exclut

point les autres, mais s'y surajoute, n'emporte

aucun changement en Dieu, qui est immuable.

 

 

 

1. S. Th., in I Cor., m, i6, lect. S.

 

 

 

MISSION, DONATION, HAB. DU SAINT-ESPRIT 77

 

mais il suppose dans la créature une modifica-

tion', un e^ t nouveau produit en elle et deve-

nant le principe d'une nouvelle relation, en vertu

de laquelle la créature se rapporte à Dieu non

plus seulement comme l'effet à sa cause, mais

comme le possesseur à l'objet devenu sa pro-

priété et la matière de sa jouissance; et, de son

coté, au lieu d'une vulgaire relation de causalité

qu'il avait auparavant avec la créature, Dieu

eatre avec elle dans un rapport d'appartenance

et de possession : il devient son bien, son ami,

son époux, l'objet de sa connaissance et de son

amoir.

 

Cet effet nouveau qui fonde, entre l'âme juste

et Dieu, des rapports si différents de ceux qui

existent entre une créature quelconque et son

Créateur, n'est autre aue la grâce sanctifiante.

Ni les dons de la nature, si élevés et si brillants

qu'on les suppose, ni les grâces gratuites, comme

le don des niracles ou de prophétie, ni la foi

elle-même ou l'espérance séparées de la chanté,

ne suffisent pour nouer de pareilles relations,

pour établir des liens à la fois si doux et si

étroits. « N allas alias ejfectas potest esse ratio qaod

divina persona sit novo modo in creatara raiionali,

nisi gratia gratam faciens *. Nul autre effet que la

 

 

 

1. « Dicendum quod divînam personam esse novo modo

in aliquo, vel ab aliquo haberi temporaliter, non est prop-

ter mutationem divinae personae, sed propter mutationem

creaturae, sicut et Devis temporaliter dicitur Dominus

propter mutationem creaturae. » (S. Th., Summa TheoL, I,

q. îun, a. 2, ad 2.)

 

2. S. Th., Samma Theol.t I, q. xuii, a. 3.

 

 

 

•yS PRÉSE^'(TE SPéciALE DE DIEU

 

grâce sanctifiante ne peut être la raison de ce

nouveau mode de présence de la personne

divine. » Mais quelle est an juste la nature de

celte présence? C'est ce qu'il nous ffeiut examiner

maintenant.

 

 

 

CHAPITRE II

Nature de cette présence

 

I

 

Quand les saintes Lettres nous disent que

TEsprit-Saint nous est envoyé, nous est donné

lour sanctifier nos âmes, que les personnes

livines habitent en nous par la grâce, comment

aut-il entendre ces textes? Faut-il les prendre

ians leur sens naturel et obvie, et admettre la

venue réelle de l'Esprit-Saint, la présence vraie,

physique, substantielle, de l'adorable Trinité dans

l'âme justifiée? ou devons-nous expliquer ces

expressions dans un sens métonymique, et

n'y voir qu'une de ces figures dont abonde le

langage humain, attribuant à l'effet le nom de

la cause? En d'autres termes, est-ce bien la per-

sonne même du Saint-Esprit qui nous est don-

née par la. grâce et avec la grâce, et qui accom-

pagne ses dons en venant elle-même dans nos

cœurs? ou ne recevons-nous en réalité que les

dons créés, la grâce et les vertus infuses qui

forment son inséparable cortège?

 

11 pourrait sembler, à première vue, que la

mission ou la donation d'une personne divine

doit s'entendre uniijuement de la présence de

cette personne par ses effets et ses dons, par la

communication d'une perfection qui lui est

 

 

 

80 NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

appropriée et qui la manifeste, et non de sa

venue réelle et personnelle; car enfin puisque

Dieu est partout, comment peut-il venir quelque

part autrement que par ses effets?

 

Aussi les ariens et les macédoniens, ces néga>

teurs obstinés de la divinité du Verbe et du

Saint-Esprit au IV^ siècle, se refusaient-ils à

voir, dans les passages de l'Ecriture où il ejt

question de la mission invisible du Fils et ài

Saint-Esprit, autre chose que l'effusion d^s

grâces créées, à l'exclusion des personnes

divines. Ils avaient pour cela, à leur point de

vue, une excellente raison. Comment admettre

en effet que c'était bien réellement la personne

même du Saint-Esprit que Notre-Seigneur prc-

mettait d'envoyer et qu'il envoya effectivement i

ses apôtres, sans reconnaître la divinité du Sau-

veur? Il n'y a qu'un Dieu qui puisse envoyer

une personne divine. D'autre part, si l'Esprit dt

vérité promis par Jésus-Christ, l'Esprit qui

en répandant la grâce et la charité dans nos

cœurs, fait de nous les enfants adoptifs de Dieu,

est vraiment une personne, il ne peut être, lui

aussi, qu'une personne divine; car il n'y a qu'un!

Dieu qui puisse déifier en communiquant sa

nature.

 

ku \Ve siècle, les Grecs schismatiques, vou-

lant se soustraire à la nécessité de confesser,

avec les catholiques, que le Saint-Esprit procède

du Père et du Fils, soutinrent, eux aussi, au

concile de Florence, que les promesses faites par

Jésus-Christ aux apôtres de leur envoyer le

Saint-Esprit devaient s'entendre de ses dons, et

non de sa personne. Et pour confirmer leur

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 8l

 

prétention, en l'appuyant sur des témoignages

empruntés aux Livres saints, ils en appelaient

aux passages de l'Ecriture où les dons du Saint-

Esprit sont désignés sous son nom, comme dans

le texte d'Isaïe, où le prophète, parlant du Messie

à venir, s'exprimait ainsi : « L'Esprit du Sei-

gneur se reposera sur lui : l'esprit de sagesse et

d'intelligence, l'esprit de conseil et de lorce,

l'esprit de science et de piété, l'esprit de crainte

du Seigneur le remplira i. n

 

Par des voies différentes, et pour des motifs

d'une tout autre nature, des théologiens catho-

liques, Vasquez en particulier et Alarcon, S. J.,

sont arrivés à la même conclusion. Ne compre-

nant pas comment une personne divine, qui est

déjà réellement et substantiellement présente en

nous, en vertu de son immensité, peut y venir

de nouveau autrement que par ses dons, ils

enseignent que la mission du Saint-Esprit, et son

habitation en nous par la grâce, n'impliquent

nullement une présence substantielle de ce divin

Esprit, spécifiquement distincte de celle qu'il a

en toute créature, mais simplement une exten-

sion de cette présence commune ; en sorte que

là où Dieu était déjà pour conserver les dons de

la nature, il s'y trouve maintenant pour pro-

duire et conserver ceux de la grâce.

 

Et si on leur dit, avec saint Thomas, que

Dieu est présent dans les justes comme objet de

connaissance et d'amoui:, sicat cogniLum in cogno-

 

 

 

i. Is., XI, a-3.

 

HAB. lAINT-BSPMT. — f

 

 

 

Sa NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

^cente et amatum in amante'^, ce qui est fort diffé-

rent de sa présence ordinaire en qualité de cause

efficiente, per modum causas agentis*, ils répon-

dent que cela constitue bien efîectivement une

présence spéciale, qui est l'apanage exclusif des

êtres raisonnables, seuls capables de connaître

et d'aimer Dieu, mais une présence qui n'est

point réelle, ni physique, ni substantielle,

attendu que nous pouvons connaître et aimer

des objets distants et éloignés de nous; et si

cette connaissance et cet amour nous rendent

ces objets présents d'une certaine manière, pré-

sents à notre esprit d'une présence idéale et

objective, par leur image et leur forme intelli-

gible, présents à notre cœur d'une présence

morale et affective, ils ne suffisent point cepen-

dant pour les rendre réellement et QkkQciiyQuUîni

présents dans notre âme.

 

Sainte Thérèse se plaint, dans le récit de sa

vie, d'avoir rencontré de ces théologiens; et

voici comment elle en parle : « J'étais, au com-

mencement, dans une telle ignorance, que je ne

savais pas que Dieu fût dans tous les êtres. Mais

comme, durant cette oraison, je le trouvais si

présent à mon âme, comme la vue que j'avais

de cette présence me semblait si claire, il m'était

absolument impossible d'en douter. Des gens

qui n'étaient pas doctes me disaient qu'il s'y

trouvait seulement par sa grâce. Persuadée du

contraire, je ne pouvais m« rendre à leur senti-

 

 

 

1. S. Th., Summa TheoL, I, q. xliii, a. 3.

3. Id., I, q. VIII, a. 3.

 

 

 

NATURE DE LA PIŒSEÎSCB DE DIEU 8^-

 

ment, et j'en avais de la peine. Un très savant

théologien de l'Ordre du glorieux saint Domi-

nique me tira de ce doute ; il me dit que Dieu

était réellement présent dans tous les êtres, et il

m'expliqua' de quelle manière il se communique

à nous, ce qui me remplit de là pliis vive con-

solation ^ ))

 

Aussi, loin de se laisser arrêter par les diffi-

cultés soulevées par Vasquez et les tenants de

son opinion, l'immense majorité des théologiens

a reconnu et confessé que ce ne sont point seu-

lement les dons créés que Dieu nous commu-

nique, quand il verso en nous la grâce sanctir-

fiante, mais que le donateur lui-même accom-

pagne ses dons. Et saint Thomas, toujours si

modéré dans ses- appréciations, ne craint pas de

taxer d'erreur le sentiment contraire : error

diceniium Spiritum Sanctum non dari, sed ejus

dona * ; et il enseigne comme une vérité théolo-

giquement certaine que, par la grâce et avec la

grâce, on reçoit en même temps le Saint-Esprit,

qui devient ainsi l'hôte de notre âme : In ipso

dono gratiœ gralum facientis Spiviias Sanclus habe-

tur, et inhabUat konùnem *.

 

 

 

1. vie de sainte Thérèse écrite pnr elle-même, c. xvin; tra-

duction du R P. Marcel Bouix, S. J.

 

2. S. Th., Samma. TheoL, l, q. xliii, a. 3, obj. i *.

 

3. Ibid., in corp. art.

 

 

 

\!i NATURE DE LA PHKSENCE DE DIEU

 

 

 

II

 

Et de fait, l'Ecriture est tellement claire, telle-

ment explicite, tellement formelle sur ce point,

dans une multitude de passages, qu'il paraît

impossible, sans faire violence au texte, de ne

pas admettre la réalité de cette habitation. Ainsi

quand l'apôtre saint Paul, écrivant aux fidèles de

Corinthe et de Rome, leur disait : « Ne savez-

vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que

TEsprit de Dieu habite en vous ^ ? — Ignorez-

vous que vos membres sont le temple de l'Esprit-

Saint, qui est en vous, que vous tenez de Dieu,

et que vous ne vous appartenez pas 2 ? — Si

quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il n'est pas

son vrai disciple... Mais si l'Esprit de celui qui

a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts habite

en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ

rendra aussi la vie à vos corps mortels à cause

de son Esprit qui habite en vous* » ; est-il pos-

sible à tout esprit non prévenu de ne pas recon-

naître, dans les membres vivants de Jésus-Christ,

la présence réelle, effective, personnelle de l'Es-

 

 

 

1. « nescitis quia templum Dei estis. et Spiritus Dei habi-

tat in vobis? » {I Cor., m, 16.)

 

2. « An nescitis quoniam membra vestra templum sunt

Spiritus Sancti, qui in vobis est, quem habetis a Deo, et

non estis vestri? » (I Cor., vi, 19).

 

3. « Si quis Spiritum Christi non habet, hic non est

ejus... Quod si Spiritus ejus qui suscitavit Jesum a mortuis,

habitat in vobis ; qui suscitavit Jesum Christum a mortuis,

N-ivificabit et mortaiia corpora vestra, propter inhabitantem

Spiritum ejus in vobis. » (Rom., viii., 9-1 1.)

 

 

 

NATUKE DE LA PRÉSENCE DE DIEU 85

 

prit-Sainl, et de ne voir, dans cet Esprit qui est

en nous, que nous tenons de Dieu, et qui habite

nos âmes devenues son temple, rien autre chose

que des dons créés?

 

Mais si le grand Apôtre avait voulu réellement

affirmer la présence substantielle de l'Esprit-

Saint dans les justes, comment aurait-il pu

s'exprimer d'une façon plus nette et plus lim-

pide? Et par contre, quel singulier langage que

le sien, si, en déclarant que nous sommes le

temple de l'Esprit-Saint, qui est en nous, qui habite

en nous, qui nous a été donné par Dieu, il voulait

simplement nous donner à entendre que Dieu

a déposé dans notre âme le don créé de la

grâce ! Mais c'est à Dieu qu'on élève un temple

et non a ses dons. De plus, une créature ne

devient pas la maison de Dieu parce qu'elle est

ornée des dons divins ou que Dieu opère en elle,

mais bien parce qu'elle est consacrée pour être

vraiment la demeure et l'habitacle de la Divinité.

 

Puis donc que rien ne nous oblige ici à don-

ner aux termes scripturaires une signification

violente et détournée, un sens figuré que tout

réprouve, ce serait aller contre les règles les plus

élémentaires de l'exégèse que de ne point con-

server aux expressions qui indiquent la présence

réelle de l'Esprit-Saint dans les âmes justes leur

sens naturel et obvie.

 

De même, quand Notre-Seigneur promet à ses

Apôtres un consolateur autre que lui, alium

Paraclitum^, l'Esprit de vérité qui procède du

 

 

 

1. Joan., XIV, i6.

 

 

 

8B NATURE DE LA PIlÉSENCP DE DIEU

 

Père, Spiritum veritatis qui a Pâtre procedit i, et

qui doit rendre témoignage au Christ, ille testi-

monium perhibebit de me *, est-il possible de

prendre ces paroles dans un sens métonymique,

et de n'y voir que la promesse du don de la

grâce? Mais la grâce nest pas un consolateur;

elle ne peut pas témoigner en faveur de quel-

qu'un; elle ne procède pas du Père, mais de

toute la sainte Trinité ; et si l'on veut en attribuer

la collation à une personne divine en vertu de

la loi d'appropriation, ce n'est pas au Père, mais

à TEsprit-Saint qu'il faut l'attribuer.

 

Enfin quand, après sa résurrection, Jésus-

Christ souffla sur les Apôtres en leur disant :

« Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront

remis à qui vous les remettrez, ils seront retenus

à qui vous les retiendrez ^ », faudra-t-il ne voir là

encore qu'une figure de langage?

 

Pour prévenir cette interprétation amoindrie

des Ecritures et nous donner de sa mission

invisible une notion plus exacte, TEsprit-Saint a

pris la précaution de nous dire, par l'organe de

l'Apôtre, que, dans l'œuvre de notre justification,

ce n'est point seulement la grâce et la charité

créée qu'il répand dans nos cœurs, mais qu'il y

vient lui-même en se donnant personnellement

à nous : Charita^ Dei diffusa est in cordibus nostrU

per Spiritum Sanctum qui datas est nobis ^.

 

 

 

1. Joan., XV, 36.

 

2. Ibid.

 

3. Joan., XX, 22-a3.

 

4. Rom.. V, 5.

 

 

 

IIAÏURE DE LA PBÉSEBiîGE DE DIEU 87

 

Impossible de s'y méprendre ou de tergiverser;

le don créé est ici parfaitement distingué du

donateur; la charité est répandue dans nos

cœurs, l'Esprit-Saint nous est donné ; l'un et

l'autre nous sont communiqués. Aussi saint

Paul nous représente-il, à plusieurs reprises,

le Saint Esprit comme un sceau imprimé sur nos

âmes, comme le gage de la gloire céleste, ou mieux

encore, comme les arrhes de notre béatitude*.

Sur quoi saint Augustin fait cette remarque :

« Que sera donc la chose elle-même qui nous est

promise, si le gage est si précieux? ou plutôt ce

n'est pas un gage, ce sont des arrhes. Car le

gage, donné en nantissement, se reprend quand

la dette est payée, tandis que les arrhes, faisant

partie de la chose promise et étant un commen-

cement de paiement, ne se reprennent pas, mais

se complètent*. » C'est donc bien réellement la

personne même du Saint-Esprit qui vient en

nous avec la grâce.

 

 

 

1. -« ïn quo (Christo) et credentes signatî estîs Spiritu

promissionis sancto, qui est pignus (le grec porte appajSrav,

les arrhes) haereditatis Bostrae. » (Eph., i, i3-i4.)

 

« Unxit nos Deus, qui et signavit nos, et dédit pignus

Spiritus in cordîbus nostris. » (II Cor., i, 31-22.)

 

2. « Qualis res est, si pignus taie est! Nec pignus, sed

arrha dicendus est. Pignus enim quando ponitur, quum

fuerit res ipsa reddita, pignus aufertur. Arrha autem de

ipsa re datur quae danda promittitur, ut, res quando reddi.

tuT, impleatur quod datum est, non mutetur. » (S. Aug.,

De Verbis Apost., sermo xiii.)

 

 

 

8S NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

 

 

III

 

 

 

Les saints Pores ne sont ni moins affîrmatifs ni

moins clairs que FEcriture, pour enseigner que

la mission proprement dite d'une personne

divine — nous parlons de la mission invisible

— entraîne, en outre de la collation d'un don

créé, la présence effective et substantielle de cette

personne. Aussi saint Augustin, parlant de l'effu-

sion du Saint-Esprit qui eut lieu le jour de la

Pentecôte, s'exprime de la manière suivante :

(( L'Esprit-Saint vint donc en ce jour à ses

fidèles, non plus par une simple opération ou

une grâce de visite, mais par la présence même

de sa majesté; et ce ne fut pas seulement

l'arôme du parfum sacré, mais sa substance

même qui s'éco/a dans le vase de leurs cœurs i. »

Que dire de plus formel et de plus gracieux en

même temps?

 

Dans leurs controverses avec les ariens et les

macédoniens, les saints Pères alléguaient fré-

quemment l'habitation du Fils et du Saint-Esprit

dans les âmes comme une preuve manifeste de

leur divinité. Et la raison est assurément excel-

lente ; car pour habiter dans une âme, pour pro-

duire et conserver en elle la grâce sanctifiante,

 

 

 

I. « AfTuit ergo în hac die fidelibus suis, non jam per

gratiam \isitationis et operationis, sed per praesentiam

majestatis; atque in vasa non jam odor basalmi, sed Ipsa

substantia sacri defluxlt unguenti. » (S. Aug., sermo i85,

de Temp.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 8g

 

il est nécessaire de pénétrer dans l'essence même

de cette âme, ce qui est le propre de la Divinités

Voici comment Didyme l'Aveugle, ce docteur

d'Alexandrie qui y voyait si clair dans les choses

de Dieu, proposait cet argument dans son traité

jadis fameux Du Saint-Esprit, où, suivant l'expres-

sion de saint Jérôme, les Latins ont puisé tout

ce qu'ils ont dit sur cette matière : « Il y aurait

de l'impiété à mettre le Saint-Esprit au rang des

créatures. Un être créé n'habite pas dans un

autre ; les arts et les sciences, les vertus et les

vices, habitent en quelque manière en nous, mais

comme des qualités accidentelles, et non comme

des substances... Or, c'est la propre substance

du Saint-Esprit qui habite dans les justes et qui

les sanctifie, et il n'appartient qu'aux trois per-

sonnes de la Trinité de pouvoir, par leur sub-

stance, pénétrer dans les âmes*. » '

 

 

 

1. « Opcrari aliquem effeclum contingit dupliciter : uno

modo per modum principalis agenlis ; alio modo per mo-

dum inslrumenti. Primo quidem modo, solus Deus opera-

tur interiorem effectum sacramenti : tum quia solus Deus

illabitur animae, in qua sacramenti effectus existit; non

autem potest aliquid immédiate operarî ubi non est ; tum

quia gratia, quae est interior sacrament effectus, est a solo

Deo. » (S. Th., Summma TheoL, 111, q. lxiv, a. i.)

 

2. « Cum ergo Spiritus Sanctus, similiter ut Pater et

Filius, mentem et interiorem hominem inhabitare docea-

tur, non dicam ineptum, sed impium est eum dicere

creaturam. Disciplinas quippe, vlrtutes dico et artes... et

affectus in animabus habitare possibile est : nor tamen ut

substantivas, sed ut accidentes. Greatam vero naturam in

sensu habitare impossibile est. » (Didymus, De Spirita

Sancto, n. a5.)

 

 

 

go NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

Et prévenant l'objection qu'on aurait pu lui

faire, en opposant à son sentiment les paroles

de l'Évangile où il est dit que Satan entra dans

le cceur de Judas : Post baccellam introivit in enm

Saionas^, il répond que Satan y entra, non par^

sa substance, ce qui n'appartient qu'à Dieu,

mais par son opération, c'est-à-dire par ses sug-

gestions perfides et ses déceptions pleines de

malice ^.

 

C'est la doctrine que devait embrasser et sou-

tenir plus tard saint Thomas, lequel prouve, à

la suite de Didyme, la divinité du Saint-Esprit

par le fait de son habitation dans les âmes^.

Quant au démon, il peut bien, il est A^ai, péné-

trer dans le oorps, en mouvoir les membres

malgré la résistance de la volonté, agir sur les

sens et sur l'imagination el indirecLi^ment sur la

 

 

 

1. Joan., XIII, 27.

 

2. « Introivit ergo Satanas, non sccuncl'nm substnntiam,

sed secundum operationem ; quia introire in aliquem,

increatae naturae est, ejus quae participatur a pluribus...

Non ergo participatione naturae, sive substantiae; implet

quempiam diabolus, aut ejus habitator effîcitur, sed per

fraudulentiam et deceptionem et malitiam habitaie in eo

creditur quem replevit. »> (Didymus, De Splritu Sanato,

n. 61.)

 

3. « Si Spiritus Sanctus non est Deus, oportet quod sit

aliqua creatura. Planum est autem quod non est creatura

corporalis, nec etiam spiritualis; nulla enim creatura spiri-

tuali creaturae infunditur, cum creatura non sit participa-

bilis, sed magis participans; Spiritus autem Sanctus infnn-

ditur sanctorum mentibus, quasi ab eis parlicipatus : le-

gitur enim et Ghristus (eo) plenus fuisse, et etiam Apostoli.

Non est ergo Spiritus Sanctus creatura, sed Deus. » (S. Th.»

Contra Gent., 1. IV, c. xvii.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSE?sCE DE DIEU

 

 

 

91

 

 

 

volonté, comme on le voit dans les énergu-

mènes; mais il ne saurait envahir le fond de

notre être, ni pénétrer, au moins directement,

dans le sanctuaire de l'intelligence et de la

volonté. Si donc il entre dans le cœur de quel-

qu'un, ce n'est point par sa substance, mais par

les effets de sa malice : par les pensées mau-

vaises qu'il inspire, les actes criminels qu'il

suggère et qu'il ne réussit que trop souvent à

faire accomplir'. C'est le privilège exclusif et

inaliénable de Dieu, la suite naturelle de son

action créatrice et conservatrice, la conséquence

de son absolue souveraineté sur les esprits créés,

de pouvoir pénétrer, par sa substance, jusqu'au

plus intime de leur être pour le soutenir, eti

 

 

 

I. « Sic ergo, cum ex prsemissîs auctoritatibus multipll-

citer appareat Spiritum Sanctum non esse creaturam, sed

verum Deum, manifestum est quod non cogimur dicere

«odem modo esse intelligenduin quod Spiritiig Sanctus

mentes sanctorum impleat et eos inhabitet, sicut diabolos

aliquos implere vel inhabitare dicitur. Habetur enim de

Juda quod post buccellam introivit in eum Satanas (Joan.,

XIII, 27) : et dicit Petrus, ut quidam libri habent : Anania,

cur implevit Satanas cor taum? (Act., v, 3.) Cum enim dia-

bolus creatura sit, non implet aliquem participa tione sui,

neque potest mentem inhabitare sua participatione vel per

suam substantiam, sed dicitur aliquos implere per effectum'

suae malitiœ ; unde et Paulus dicit ad quemdam : plene

omni dolo et omnifallacia, fili diaboli. (Act., xiii, 10.) Spiri-

tus autem Sanctus, cum Deus sit, per suam substantiam

mentem inhabitat et sui participatione bonos facit; ipse est

enim sua bonitas, cum sit Deus; quod de nulia creatura

verum esse potest. Nec tamen per hoc removetur quin per

effectum suse virtutis sanctorum impleat mentes. » (S. Th.,

<lontra Gent., 1. IV, c. xviii.)

 

 

 

92 NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

dans le sanctuaire de la volonté, pour la faire

agir à son gré, l'inclinant directement et immé-

diatement à tel ou tel acte sans jamais lui faire

violence ^ conformément à ces paroles de lÉcri-

ture : « Cor régis in manu Domini, quociimque

volaerit, inclinahit illad^ : Le cœur du roi est

dans la main du Seigneur, il l'inclinera où il

voudra. »

 

Saint Cyrille d'Alex-andrie consacre tout un

dialogue à prouver que l'Esprit-Saint habite en

nous, et nous rend, par son union avec notre

âme, participants de la nature divine. S'adressant

à son interlocuteur, Hermias, il lui demande ;

« Ne dit- on pas que l'homme est fait à l'image

de Dieu? — Sans aucun doute, répond Hermias.

— Or, qui imprime en nous cette image, sinon

l'Espiit Saint? — Oui, mais ce n'est pas en tant

que Dieu, c'est comme simple dispensateur de

la grâce. — Alors ce n'est pas lui-même qui

s'imprime comme un sceau sur notre âme, il se

contente d'y graver la grâce? — C'est ce qui

me semble. — Il faut alors appeler l'homme

l'image de la grâce, et non l'image de Dieu 3. »

 

 

 

1. S. Th., Quxst. disput. de verit., q. xxii, a. 8 et 9.

 

2. Prov., XXI, I.

 

3. « A. Nonne ad imaginem Dei fabricatum esse in terra

hominem dicimus? — B. Quis dubitat? — A. Quod autem

divinam nobis imprimit imaginem et signaculi instar supra-

mundanam pulchritudinem inserit, nonne Spiritus est? —

B. At non tanquam Deus, sed tanquam divinae gratia&

subministrator. — A. Non ipse itaque in nobis, sed per

ipsum gratia imprimitur? — B. Ita videtur. — A. Oportet

igitur imaginem gratiae, non imaginem Dei vocari homi-

nem. » (S. Cyril. Alex., Dial, 7 de Trinit.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 9^

 

Nous serions interminable si nous voulions

rapporter, même sommairement, les innombra-

bles passages où les saints Pères établissent la

réalité de l'habitation du Saint-Esprit dans nos

âmes ; ils abondent sur ce point en comparai-

sons aussi gracieuses que variées.

 

Suivant eux, TEsprit-Saint est un parfum

(l'Église dit : une onction spirituelle, spiritalis

anciio) dont les suaves et pénétrantes émana-

tions s'insinuent dans nos âmes pour les impré-

gner, les transformer, les diviniser et les rendre

capables de répandre autour d'elles la bonne

odeur de Jésus-Christ : Christi bonus odor suinas

Deo (II Cor., n, i5)i.

 

C'est un sceau qui nous marque à l'eflîgie de

Dieu, qui réforme en nous l'image divine dété-

riorée par le péché, de même qu'un cachet

imprime sa ressemblance sur la cire qu'il presse*.

 

 

 

1. « Si aromatum fragrantia propriam vim in vestes

exprimit, et ad se quodammodo transformat ea in quibus

inest : quomodo non possit Spiritus Sanctus, quandoqui-

dein ex Deo naturaliter existit, divinae naturae participes

illos facere per seipsum in quibus insit? » (S. Cyril. Alex.^

1. XI, in Joan., c. 11.)

 

2. « Signati estis Spiritu promissionis Sando. Si Spiritu

Sancto signati ad Deum reformamur, quomodo erit crea-

tum id per quod divinae essentiae imago et increatœ naturae

signa nobis imprimuntur? Neque enim Spiritus Sanctus,

pictoris instar, in nobis divinam essentiam depingit, aliud

quidpiam ab illa existens; neque hoc modo nos ad Dei

similitudinem ducit ; sed quod ipse sit Deus et ex Deo pro-

cédât, in cordibus eorum qui ipsum suscipiunt velut in

cera Invisibiliter instar sigilli imprimitur, et naturam suam

per communicationem et similitudinem sui ad archetyp

pulchritudinem depingit, Deique imaginera homini resti-

tuit. » (S. Cyril., Thésaurus, assertio xxxiv.)

 

 

 

^94 NATUUE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

Ou plutôt : à l'instar de l'homme qui imprime

le caractère de ses idées aux matières qu'il

façonne, l'Esprit- Saint, ce sceau de Dieu,

s'imprime lui-même dans les âmes, avec cette

différence pourtant, que le caractère divin qui

nous est communiqué est vivant et fait de nous

les vivantes images de la substance divine ^ !

 

C'est un feu qui nous pénètre, comme le feu

naturel pénètre le métal jusque dans ses plus

intimes profondeurs et lui communique ses pro-

priétés, son éclat, sa chaleur, son rayonnement,

sans toutefois changer sa nature '.

 

 

 

I. (c Quod si homines ad similitudineTn informare mate-

rias nequeunt aliter, nisi ideas ipsorum participent : quo-

modo ad Dei simllitudinem ascendat creatura, nisi divini

characteris sit particeps? Divinus porro charactcr non talis

est, cujusmodi est humanus, sed vivens et vere exislens imago,

imaginis effectrix, qua omnia quae participant, imagines

Dei constituuntur, » (S. Bas., 1. V, Contra Eiinom.)

 

a. « Sicut fcrrum quod in medio ignejacet, ferri naturam

non amisit, vehementi tamen cum igné conjunctione igni-

tura, quum universam ignis naturam acceperit, et colore, et

calore, et actione ad ignem transit; sic sanctae virtutes ex

communione quam cum illo habent qui natura sanctus

est, per totam suam subsistentiam acceptam et quasi inna-

tam sanctificationem habent. Diversitas vero ipsis a Spiritu

Sancto hœc est, quod Spiritus natura sanclitas est, illis

vero participatione inest sanctificatio. » (S. Bas., I. III,

Contra Eunom.)

 

« Accipe exemplum corporeum, parvum quidem et facile,

sed utile simplicioribus. Si ignis per ferri crassitudinem

interius penetrans, totum illud ignem efficit, adeo ut quod

erat frigidum, fiât ferveiis, et quod nigrum erat, fiât splen-

didum; si ignis, cum sit corpus, in ferri corpus subiens,

obstante nullo agit : quid miraris, si Spiritus Sanctus in

intimos animae recessus ingreditur? » (S. Cyril. Hieros,,

Gatech. 17.)

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 9&

 

C'est un or très pur qui dore pour ainsi dire

les âmes et les rend souverainement belles aux

yeux, de Dieu et de ses anges ^.

 

C'est une lumière qui, tombant sur les âmes

pures comme les rayons du soleil sur un cristal

transparent, les rend elles-mêmes lumineuses et

capables de répandre autour d'elles la grâce et

la charité'.

 

C'est un hôte plein de douceur, dulcis hospes

animae, qui vient en nous pour nous réjouir par

sa présence, pour converser familièrement avec

nous, nous incliner au bien, nous consoler dans

nos peines, nous enrichir de ses dons ; mais un

hôte qui, étant Dieu, veut un temple pour

demeure. Aussi consacre-t-il notre âme par sa

grâce, afin qu'elle devienne de la sorte un habi-

tacle digne de lui '.

 

 

 

1. « Quod igitur nos, in terra, filionim gloria veluti

deaurat, hoc est Spiritus Sanctus. » (S. Cyril. Alex., Dial. 7

de Trinit.)

 

2. « Spiritus cum anima conjunctio non fit appropin-

quando secundum locum... Hic eis qui ab omni sorde pur-

gati sunt illucescens per coinmunionem cum ipso spiritua*

les reddit; et quemadmodum corpora nitida ac pellucida

incidente eis radio fiunt et ipsa splendida, et alium fulgo-

rem «x sese profundunt ; ita animée quae Spiritum in s©

habent illustranturque a Spiritu, fiunt et ipsae spirituales,

et in alios gratiam emittunt. » (S. Bas., De Spirilu Sancto,

c. IX, n. 23.)

 

3. « Eam ob rem dii nuncupamur, non gratia solum ad

supernaturalem gloriam evecti, sed quod Deum jam in

nobis habitantem atque diversantem habeamus juxta illud

Prophetae : Quia inhabitabo in ipsiS) et inambalabo inter eos

(Levit., XXVI, 12). Alioqui respondeant, quœso, nobis qui

tanta pleni sunt inscitia, quomodo templa Dei sumus.

 

 

 

gÔ NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

Enfin, c'est Dieu donnant à notre âme une

forme divine, Dieu se faisant la vie de notre

âme, comme l'âme elle-même est la vie de notre

chair ; non pas sans doute que l'Esprit-Saint soit

le principe formel de notre vie surnaturelle,

mais il en est la cause efficiente et intérieure ^.

 

 

 

IV

 

 

 

Devant une telle nuée de témoins, tanlam

hahenies imposiiam nubem iestium \ en face de

témoignages si nombreux, si autorisés, si expli-

 

 

 

juxta Paulum, inhabitantem in nobis Spîrîlum habentes,

nisi Spiritus sit natura Deus. » (S. Cyril., in Euang. Joan.^

 

I. 9-)

 

« Si templum Dei, ob illam Sancti Spiritus habitationem,

vocemur, quis Spiritum repudiare audeat, et a Dei substan-

tia rejicere, cum diserte hoc Apostolus asserat, templum

nos esse Dei, propter Spiritum Sanctum, qui in dignis

habitat? » (S. Epiphan., Hœres., 74, n. i3.)

 

1. « Quatenus Spiritus Sanctus vim habet perficiendi

rationales creaturas absolvens fastigium earum perfectio-

nis, formae rationem habet. Nam qui jam non vivlt secun-

dum carnem sed Spiritu Dei agitur, et filiusDei nominatur,

et conformis imagini Filii Dei factus est, spiritualis dici-

tur. Et sicut Ais videndi in sano oculo. ita est operatio Spi-

ritus in anima munda. » (S. Bas., De Spiritu Sancto, c. xivi,

n. 61.)

 

« Unde vivit caro tua? De anima tua. Unde vivlt anima

tua? De Deo tuo. Unaquaeque harum secundum vitamsuam

\1vat : caro enim sibi non est vita. sed anima carnis est

vita; anima sibi non est vita, sed Deus est animae vita. »

{S. Aug.. Sermo i56, c. vi, n. 6.)

 

2. Hebr.. xn, 1.

 

 

 

NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU 97

 

rit-as, est-il possible de contester encore le fait

d'une présence vraie, réelle, substantielle de

TEsprit-Saint dans les âmes sanctifiées par la

grâce? AA^ec quel amour les fidèles des premiers

siècles embrassaient cette consolante et précieuse

vérité, avec quelle foi et quelle intrépidité ils la

confessaient au besoin devant les tribunaux,

l'histoire si touchante de sainte Lucie nous le

rappellerait au besoin.

 

L'illustre vierge de Syracuse venait de faire

distribuer aux pauvres la riche dot que sa mère

avait mise en réserve pour son mariage. Informé

de cette conduite et outré de dépit, le jeune sei-

gneur qui avait demandé sa main et auquel

Lucie avait été fiancée contre sa volonté la

dénonça au préteur Paschase. Celui-ci fit arrêter

sur-le-champ la jeune vierge, et lorsqu'elle com-

parut devant son tribunal, il n'épargna rien

pour lui persuader de renoncer à la religion

chrétienne, qu'il appelait une vaine superstition,

et de sacrifier aux dieux. « Le vrai sacrifice que

nous devons offrir, lui répondit Lucie, c'est de

visiter les veuves et les orphelins, et d'assister

les pauvres dans leurs besoins. Il y a trois ans

que j'offre ce sacrifice au Dieu vivant, et il ne

me reste plus qu'à me sacrifier moi-même

comme une victime qui est due à sa divine

Majesté. — Dites cela aux chrétiens, répliqua

Paschase, et non pas à moi, qui suis obligé de

garder les édits des empereurs mes maîtres. »

Sainte Lucie lui répondit avec une merveilleuse

constance : « Vous gardez les lois de ces princes,

et moi celles de mon Dieu; vous craignez les

empereurs de la terre, et moi celui du ciel; vous

 

HAB. SAIM-r;»PRlT. — 7

 

 

 

9 8 NATURE DE LA PRÉSE-\CE DE DIEU

 

avez peur d'offenser un homme, et moi je redoute

le Roi immortel ; vous désirez plaire à vos

maîtres, et moi à mon Créateur; ne pensez pas

pouvoir me séparer de l'amour de Jésus-Christ.

— Tous ces discours finiront, dit le préteur

impatienté, quand on en viendra aux coups. —

Les paroles, repartit la jeune et intrépide vierge,

ne sauraient manquer à ceux à qui Jésus-Christ

a dit : Lorsque vous serez traduits devant les rois

et les présidents, ne vous inquiétez pas de ce que

vous leur répondrez ni de la manière de le faire;

vous trouverez à l'heure même sur vos lèvres ce

que vous aurez à dire ; car ce n'est pas vous qui

parlerez, mais le Saint-Esprit parlera par votre

bouche. — Vous croyez donc que le Saint-Esprit

est en vous ? — Ceux qui vivent pieusement et

chastement sont le temple de l'Esprit-Saint. —

Hé bien! dit Paschase, je vous ferai conduire

dans un lieu infâme afin que le Saint-Esprit vous

abandonne. — La violence extérieure faite au

corps n'ôte rien à la pureté de Tâme ; et si vous

ii.e faites outrager, j'aurai au ciel une double

couronne... » On sait la fin de l'histoire et com-

ment Dieu, par un miracle, sauva l'honneur de

son épouse.

 

Autre fait non moicis touchant. Eusèbe raconte

de Léonidès, père d'Origène, que durant la nuit,

pendant que l'enfant dormait, le pieux chrétien

qui devait bientôt devenir martyr s'approchait

doucement de son fils et, lui découvrant reli-

gieusement la poitrine, la baisait avec respect

c^^wme un sanctuaire où résidait l'Esprit-Safint.

Concluons donc, avec les théologiens et les

saints, qu'une âme en état de grâce n'est paç

 

 

 

NATUBE DE LA PRÉSE\CE DE DIEU QQ

 

seulement ornée d'un don créé et souveraine-

ment précieiix, qui la rend participante de la

nature divine, mais qu'elle possède encore véri-

tablement la présence du Saint-Esprit. Le môme

instant physique la met en possession de ce

double trésor ; toutefois nous pouvons, à la suite

de saint Thomas, distinguer, entre la collation

du don créé et celle du don incréé, une double

priorité de raison, suivant le genre de causalité

auquel ils appartiennent. Si nous considérons la

grâce comme une disposition préalable, comme

une préparation nécessaire à la venue de l'hôte

divin, c'est elle qui nous est communiquée tout

d'abord, car la disposition précède naturelle-

ment la forme ou la perfection à laquelle elle

prépare ; si, au contraire, nous considérons

TEsprit-Saint comme l'auteur de la grâce et le

terme auquel elle est ordonnée, c'est lui qui nous

est donné le premier. Et voilà, remarque saint

Thomas, ce qui, absolument parlant, est vrai-

ment primordial : Et hoc est simpliciter esse

priusK

 

Enfin, ce qui met véritablement le comble aux

 

 

 

I . « Ordo aliquorum secundum naturam potest duplici-

ter considerari. Aut ex parte recipientis vel materiae, et sic

dispositio est prior quam id ad quod disponit; et sic per

prius recipimus dona Spiritus Sancti quam ipsum Spiritum,

quia per ipsa dona recepta Spiritui Sancto assimilamur.

Aut ex parte agentis et finis ; et sic quod propinquius erit

fini et agenti dicitur esse prius : et ita per prius recipimus

Spiritum Sanctum quam dona ejus, quia et Filius per amo-

rem suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse

prius, )) (S. Th., Sent. 1. I, d'st. i4, q. n, a. i, quœst^* 2

sol. 2..)

 

 

 

lOO NATURE DE LA PRESENCE DE DIEU

 

divines libéralités, c'est que ce n'est pas seule-

ment une fois dans la vie, à l'heure solennelle

de notre justification, que nous recevons le

Saint-Esprit; il y a encore mission invisible et

donation de sa divine personne à chaque nou-

veau progrès que nous faisons dans la vertu, à

chaque accroissement de la grâce et de la cha-

rité : par exemple, lorsque nous recevons les

sacrements avec les dispositions requises, ou

que, sous l'influence de la grâce actuelle, nous

produisons des actes de charité plus fervents;

lorsqu'un chrétien renonce au siècle pour em-

brasser un état de perfection ou qu'il affronte le

martyre pour la défense de sa foi i.

 

Esprit-Saint, combien de fois n'êtes-vous pas

venu dans mon âme! Avec quel incompréhen-

sible amour n'avez-vous pas daigné y fixer votre

demeure! Et je ne le savais pas ; ou, du moins,

cette adorable vérité ne m'apparaissatt que d'une

manière vague et confuse comme dans un rêve.

Aussi quel accueil avez-vous reçu ! Et cependant

vous ne m'avez point abandonné. Daignez, je

vous en conjure, me donner, avec l'intelligence

de vos dons, un cœur pur et vraiment filial, afin

 

 

 

I. « Secundum profectum virtutis aut augmentum gra-

tiae fil missio invisibilis.... sed tamen secundum illud

augmentum gratiœ praecipue missio invisibilis attenditur,

quando aliquis proficit in aliquem novum actum, vel no-

Yum statum gratiae ; ut puta cum aliquis proficit in gra-

tiam miraculorum, aut prophétise; vel in hoc quod ex

fervore charilatis exponit se martyrio, aut abrenuntiat his

quse possidet, aut quodcumque opus arduum aggreditur. »

(S. Th.. Summa TheoL, 1, q. xuii, a. 6, ad a.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU lOI

 

que mon âme vous fasse fête à chacune de vos

visites, qu'elle mette sa joie et son bonheur à

vous recevoir, à vous tenir compagnie, qu'elle

oublie tout le créé pour ne plus se souvenir que

de vous, son hôte plein de douceur, son ami, son

consolateur ici-bas, en attendant que vous soyez

un jour l'objet de sa béatitude.

 

Il est, en effet, une dernière mission de

l'Esprit-Saint qui nous est réservée pour le mo-

ment de notre entrée au ciel et de la prise de

possession du souverain Bien^. Alors ce divin

Esprit viendra en nous non plus dans lombre

et le mystère, mais dans la pleine lumière et les

clartés de la vision ; il se donnera à notre âme

d'une manière parfaite et consommée; il s'ins-

tallera définitivement en elle pour être éternel-

lement, avec le Père et le Fils, sa joie et sa féli-

cité.

 

 

 

Comment faut-il entendre et expliquer cette

présence spéciale, cette venue itérative de l'Esprit-

Saint dans les âmes justes? C'est ce qui fera

l'objet d'un chapitre ultérieur, qu'il nous suffise

pour le moment d'avoir constaté le fait.

 

Une dernière question avant de clore le pré-

sent chapitre. De quel nom faut-il appeler

l'union établie par la grâce entre notre âme et

 

 

 

I. « Ad beatos est facta missio in ipso principio bea-

titudlnis. » (S. Th., Summa Theol.,l, q. xliii , a. 6, ad 3.)

 

 

 

103 NATURE DE LA PRÉSENCE DE DIEU

 

TEsprit-Saint? Est-ce une union substantielle,

semblable à celle qui existe eiUre notre corps et

notre âme, ou une simple union par accident,

analogue à celle qui existe entre le cavalier et

sa monture, entre le vase et la liqueur qu'il con-

tient?

 

Pour écarter plus efficacement l'erreur de ceux

^i restreignent la mission d'une personne

divine à la collation de dons créés, certains

théologiens et publicistes n'ont pas craint de

donner au rapprochement que la grâce établit

entre le Saint-Esprit et l'âme juste le nom d'union

substantielle', mais cette locution doit être abso-

lument mise de côté, comme inexacte et capable

d'engendrer une idée fausse ; et si le choix de

vocables traduisant fidèlement la pensée doit

être, en toute circonstance, l'objet d'une sérieuse

attention, c'est surtout dan.s un ordre de ques-

tions si difficiles et si délicates, où tout est de

conséquence, qu'il importe d'éviter avec le plus

grand soin les expressions fausses ou incorrectes.

Or, une union substantielle, c'est, à parler rigou-

reusement, celle qui a pour terme une unité de

substance, soit que l'on prenne le mot de sub-

stance pour désigner une nature substantielle,

soit qu'on l'emploie pour signifier une personne

ou un suppôt 1.

 

L'homme nous fournit un exemple de cette

double unité substantielle : car de l'union du

 

 

 

1. « Substantia dupliciter dicitur, uno modo pro esscntia

sive natura; alio modo pro supposito, sive hypostasi. »

îàTxh., Samma Theol, lil, q. ii, a. 6, ad 3.)

 

 

 

NATURE DE LA PRÉSENC-E DE DIEU Io3

 

corps et de l'âme résulte en lui une seule nature

et une seule personne. En Jésus-Christ il y a deux

natures et une seule personne, parce que ces deux

natures n'ont qu'une subsistance, celle du Verbe

qui, en prenant la nature humaine, se l'est unie

substantiellement. Rien de semblable entre notre

âme et FEsprit-Saint; leur union ne supprime ni

la dualité des natures ni la distinction des per-

sonnes. Gardons-nous donc de parler ici d'union

substantielle, et servons-nous exclusivement des

termes de présence substantielle, d'habitation vraie

et réelle, qui ont l'avantage de traduire exacte-

ment la doctrine de l'Écriture et l'enseignement

théologique ; ils disent toute la vérité sans expo-

ser le lecteur à des méprises dangereuses.

 

 

 

CHAPITRE III

 

 

 

Mode de cette présence

 

Ce n'est plus seulement en qualité d'agent que

Dieu est dans l'âme juste, c'est à titre d'hôte et

d'ami, comme objet de connaissance et d'amour.

 

 

 

C'est une vérité incontestable, hautement

afiRrmée par la sainte Écriture, les Pères et les

théologiens : en versant la grâce dans nos âmes,

l'Esprit-Saint y vient lui-même personnellement

et s'y établit à demeure. Reste à déterminer le

mode de cette présence particulière aux justes

et à montrer comment Dieu est en eux, non

plus seulement en qualité d'agent ou de cause

efficiente, mais encore à un titre nouveau par-

faitement distinct du premier. Quel est ce titre?

Tel est le problème dont il s'agit maintenant de

donner la solution.

 

Nous abordons la partie la plus délicate et la

plus abstruse de la question que nous nous

sommes proposé de traiter ; et c'est tout particu-

lièrement ici qu'un guide sûr et expérimenté

est vraiment nécessaire. Grâce à Dieu, pas n'est

besoin d'gJler le chercher au loin, car nous avons

la bonne fortune de le posséder en notre angé-

lique Docteur saint Thomas, en qui l'esprit le plus

pénétrant se trouvait allié à la plus haute sain-

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE lOb

 

teté. Il pourra donc parler d'expérience; à nous

de le suivre de très près et de ne le quitter point,

si nous ne voulons nous exposer, comme tant

d'autres, ou bien à rester en deçà de la vérité,

en n'apportant qu'une explication défectueuse et

insuffisante, ou bien à dépasser le but, en tom-

bant dans l'exagération et l'erreur, et en faisant

de l'habitation du Saint-Esprit une sorte d'union

hypostatique : double écueil contre lequel nom-

bre d'écrivains sont venus se briser.

 

Nul ne sera surpris de rencontrer sur cette

question de l'union de notre âme avec Dieu, et

surtout de la manière dont il faut la concevoir,

une certaine diversité de sentiments entre les

théologiens catholiques; le contraire serait plu-

tôt assez étonnant dans une matière aussi ardue,

où la révélation ne projette que de faibles et

obliques rayons. La plupart des docteurs se sont

rangés, il est vrai, à la suite de saint Thomas;

mais quelques-uns l'ont fait en interprétant d'une

façon peu coî*recte, pour ne pas dire complète-

ment inexacte, la pensée du maître, qui leur

paraissait manquer de clarté, non pas qu'elle fût

obscure en réalité, mais ils la jugeaient ainsi

parce qu'ils ne l'avaient pas considérée sous son

véritable jour ; d'autres ont cru pouvoir s'éman-

ciper d'une tutelle qui leur semblait gênante et

qui n'était, en définitive, qu'une condition de

sécurité, et ils ont tenté, à leur détriment, de se

frayer une voie nouvelle; un petit nombre a

poussé la témérité jusqu'à condamner ouverte-

ment l'explication donnée par l'angélique Doc-

teur. Chemin faisant, nous examinerons les

raisons des uns et des autres.

 

 

 

30& MODE DE CETTE PBÉSE?;CE

 

Mais comment discerner, parmi les diverses

opinions qui ont été soutenues et les explica-

tions variées qui ont été tentées, celle qui offre

le plus de garanties de vérité et qui doit réunir

tous les suffrages ? A quels signes reconnaître le

bien ou le mal fondé de tel ou tel sentiment?

 

Nous avons pour cela un critérium excellent,

-ane norme facile et sûre, prise des entrailles

mêmes du sujet. Pour être plausible, l'explication

de la présence spéciale de Dieu dans les justes

doit réaliser tout ce que promet, tout ce que

contient le concept de mission, de donation,

d'habitation du Saint-Esprit; elle doit consé-

quemment impliquer une présence à la fois

substantielle et spéciale de la Divinité. Si l'une ou

Fautre de ces conditions fait défaut,, si, par

exemple, la manière d'entendre l'habitation du

Saint-Esprit dans l'âme juste, proposée par tel

ou tel théologien, suppose effectivement une

présence substantielle de cette divine personne,

mais uniquement à titre de cause efficiente,

, l'explication susdite est, par le fait même, con-

Taincue de caducité, et doit être rejetce sans

plus ample examen; car nous n'y retrouvons pas

eette présence spéciale que suppose la mission

invisible de l'Esprit-Saint. De même, si l'explica-

Uon proposée entraîne*une présence particulière,

il est vrai, mais purement idéale, — les philoso-

phes disent objective, — de la personne envoyée,

elle est encore manifestement insuffisante ; car

Thabitation de Dieu en nous suppose une pré-

sence effective et réelle de la Divinité.

 

Examinons, à la lumière de ces principes, les

différentes solutions qui ont été données à l'in-

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE IO7

 

téressant problème de Funion de notre âme avec

Dieu par la grâce.

 

 

 

I

 

 

 

Dans un opuscule en langue latine publié à

Tournai en 1890, et contenant par ailleurs d'excel-

lentes choses, un docteur en théologie du diocèse

de Cologne, M. l'abbé Oberdoerffer, trouvant que

la doctrine de saint Thomas sur l'inexistence

substantielle de Dieu dans les justes était assez

obscure, voire même incomplète, et contenait

plutôt une indication du fruit et de l'efTet de

l'habitation divine qu'une explication propre-

ment dite de ce mode particulier de présence,

tentait de pénétrer plus avant dans l'intelligence

de ce mystère, et d'en donner une explicatioa

plus claire, plus précise et plus complète 1. Voici

en résumé celle qu'il proposait.

 

Par son opération et sa vertu toute-puissante.

 

 

 

I. « Etiam adjecta hac S. Bonaventurae expositione, noa.

possumus non lateri satis obscuram permanere S. Thoniaî

doctrinam; eamque adhuc mancam apparere, declaranti

non dissentimus. Continent quidem S. Thomae effata

totam veritatem, sed indigere nobis videntur explicatione.

S. Doctor potius fructuni et effectum inliabitationis indi-

casse videtur, quam explicuisse in quonam proprie consi-

stât singularis preesentiae modus. Ut profundius penetre-

mus hoc niysteriuni, considerabimus accuratius et pressius

id quod docet S. Thomas, dicendo nos possidere Spiritum

Sanctum per gratiam gratum facientem. » (D^ P. Ober-

doerffer, De inhabita tione Spir. S. in animabus jusiorum^

c. II, p. 3i.)

 

 

 

I08 MODE DE CETTE PRESENCE

 

et cofiséquemment par sa substance qui s'iden-

tifie avec elles, Dieu est présent en toutes choses,

comme auteur de la nature, pour les conserver

dans l'existence, les mouvoir à l'action et les

conduire à leur fin naturelle. Or, ce n'est pas

seulement à ce tiire qu'il est dans les justes,

mais encore en qualité d'auteur surnaturel pour

conserver en eux la grâce sanctifiante, ai sasti-

neat grotiam, pour leur prêter son concours dans

la production des actes salutaires et les amener

finalement à la gloire, terme suprême de leurs

destinées. « Nous avons donc ici, conclut le

docte écrivain, en outre du mode ordinaire, un

mode particulier de présence spécial à l'âme

juste : Hahemus igitur eiiam sub hac ratione, prseter

modam ordinariam prasseniiae pariicalarein quem-

dam^. »

 

Est-ce que tel est bien le concept que nous

devons nous faire de cette présence nouvelle et

spéciale, de cette habitation de Dieu en nous qui

est le fruit de la grâce sanctifiante et l'apanage

exclusif des justes? Nous avons le regret de ne

pouvoir partager sur ce point l'opinion du doc-

teur allemand.

 

En eflet, dire que Dieu est dans les justes, non

plus seulement pour conserver leur être et les

mouvoir à leurs opérations naturelles, mais

encore pour soutenir et conserver la grâce et

les mouvoir à des actes surnaturels, qu'est-ce

autre chose qu'affirmer sa présence en eux en

 

 

 

1, D'' Oberdoerffer, op. cit., c. n, p. 33.

 

 

 

MODE DE CETTE PKÉSENCB

 

 

 

109

 

 

 

qualité de cause efficiente? Or, ce n'est point là

un mode de présence spécial aux justes, un mode

formellement et spéciJQquement distinct de celui

qui appartient à tous les autres êtres ; ce n'est

que le mode ordinaire, élevé, si l'on veut,

agrandi, perfectionné, plus large, plus étendu,

mais au fond le même que dans l'ordre naturel :

c'est la présence de Dieu en qualité d'agent, per

modum caasse ageniis^.

 

Le savant auteur l'a soupçonné, sinon claire-

ment compris, car il se fait cette objection :

« Les pécheurs qui se préparent à la justification

peuvent, avec le secours de la grâce actuelle,

faire des actes surnaturels : pourquoi donc alors

dit-on que Dieu n'habite pas en eux, mais seu-

lement dans les justes''? »

 

Nous ajouterons, nous : Ce ne sont pas seule-

ment des motions actuelles que l'Esprit-Saint

opère dans les pécheurs, des grâces d'illumina-

tion et d'inspiration qu'il daigne leur accorder;

souvent encore il conserve dans leurs âmes les

vertus théologales de foi et d'espérance. Or, si

la présence spéciale de Dieu dans la créature

raisonnable consiste à soutenir, à conserver les

dons gratuits et infus, et à concourir avec elle à

la production des actes surnaturels, pourquoi

dit-on que Dieu n'habite pas dans les pécheurs ?

 

Et il le faut bien dire, puisque telle est la doc-

trine unanime des théologiens, fondée sur les

 

 

 

I. S. Th„ I, q. VIII, a. 3.

 

a. D^ Oberdoerffer, loc. cit., p. 33.

 

 

 

IIO MODE DE CETTE PRÉSENCE

 

données de la révélation ; puisque tel est l'ensei-

gnement formel du saint concile de Trente, qui

déclare, en termes d'une clarté parfaite, que

toutes les bonnes œuvres pratiquées par un chré-

tien en état de péché, tous les actes de vertu

qu'il peut faire, sous linfluence de la grâce

actuelle, pour se préparer à la justification, ne

sont point l'effet de la présence du Saint-Esprit

au fond de son âme, mais la conséquence d'une

simple impulsion de ce divin Esprit frappant à

la porte d'un cœur qu'il n'habite pas encore :

Spiritiis Sancti impulsum, non adhuc quidem inha-

hiiantis, sed tantam moveniis i.

 

Les vertus mêmes de foi et d'espérance,

miséricordieusement conservées par la bonté

divine, au milieu du cataclysme occasionné par

le péché, comme une étincelle cachée sous la

cendre et facile à rallumer, comme un germe de

vie surnaturelle qui ne demande qu'à se déve-

lopper, ne sont point le fruit de l'habitation du

Saint-Esprit, puisque ce n'est que par la grâce

sanctifiante que l'Esprit du Père et du Fils pro-

cède temporellement et vient habiter nos âmes*.

Ce n'est donc point une opinion personnelle que

défendait saint Thomas, mais la doctrine de

l'Église qu'il formulait, quand il enseignait que

la grâce sanctifiante seule est le principe d'un

nouveau mode de présence divine en nous, et

 

 

 

1. Trid. sess. XIV, c. iv.

 

2. <f Secundum solam gratiam gratum facientem mittitur

et prpcedit temporaliter persona divina. » (S. Th., Summa

Tkeol., I, q. xLiii, a. 3.;

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE III

 

que nulle autre perfection surajoutée à la subs-

tance de notre âme n'est capable de lui rendre

Dieu présent comme objet de connaissance et

d'amour 1.

 

Or si, pour constituer cette présence spéciale,

il suffisait que Dieu se trouvât quelque part

comme auteur de la vie surnaturelle, à l'effet de

conserver la grâce et de mouvoir la créature

raisonnable à des actes surnaturels, nous le

demandons derechef : pourquoi prétendre que

Dieu n'habite pas dans les pécheurs? Ne con-

serve-t-il pas en beaucoup d'entre eux des

principes de vie surnaturelle, la foi et l'espérance?

Ne concourt-il pas avec eux, par l'influence de

la grâce actuelle, à la production des actes

préparatoires à la justification?

 

M. l'abbé Oberdoerffer répond : « Cette objec-

tion n'est pas dénuée de fondement. On peut-

dire que l'existence de Dieu dans les pécheurs

par la grâce actuelle est une ombre de la pré-

sence qu'il a dans les justes. Mais la puissance

opérative qui sanctifie la créature et l'élève

jusqu'à la ressemblance divine établit en elle

une présence de Dieu si singulière et si sublime,

que la raison humaine est incapable de la con-

cevoir et de la comprendre parfaitement. C'est

donc avec raison que cette présence est appelée

 

 

 

I. « NuUa alia perfectîo superaddita substantise facit

Deum esse in aliquo sicut objectum cognitum et amatum,

nisi gratia; et ideo sola gratia facit singularem modum

essendi Deum in rébus. » (S. Th. Summa Theol., I, q. viii,

a. 3, ad 4.)

 

 

 

112 MODE DE CETTE PRESENCE

 

la présence et l'habitation de Dieu par excel-

lence 1. »

 

Que la présence de Dieu dans les justes, aux-

quels il confère, avec la grâce qui les justifie,

tout ce magnifique cortège de vertus infuses et

de dons du Saint-Esprit qui accompagnent la

grâce sanctifiante, puisse légitimement être appe-

lée l'habitation de Dieu par excellence, du moins

pendant l'état de voie, nous n'y contredirons

pas. Mais si le mode spécial de présence, qui est

le fruit et la conséquence de la mission invisible

ou de la donation d'une personne divine, consiste

essentiellement à soutenir la grâce, à conserver

les dons gratuits qui sont en nous les principes

de la vie divine, à nous faire accomplir des actes

surnaturels, nous ne concevons plus pourquoi on

ne peut pas dire, en rigueur de termes, que Dieu

habite véritablement dans les pécheurs qui ont

conservé la foi et l'espérance, et pourquoi cette

présence n'est qu'une ombre de celle que possè-

dent les justes. Qu'elle soit moins parfaite, d'ac-

cord ; qu'elle soit d'une autre nature, non seule-

ment rien ne le prouve, mais tout, au contraire,

nous autorise à le nier. Cette explication n'étant

pas satisfaisante, il en faut chercher une autre

plus plausible,

 

n

 

Un savant chanoine régulier qui enseignait la

théologie à Munich au commencement du siècle

 

 

 

I. D' OberdoerfTer, loc. cit., p. 33.

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE Il3

 

dernier, Gaétan-Félix Yerani, pensa l'avoir trou-

vée. Après avoir examiné avec soin l'explication

thomiste, ne parvenant pas à comprendre com-

ment la présence de Dieu dans les justes, en

tant qu'objet de connaissance et d'amour, pou-

vait être une présence réelle et physique,

puisqu'on peut connaître et aimer des choses

absentes! — toujours la même objection, —

il se tourna d'un autre côté. Volontiers, nous

dit-il, il aurait adopté, par motif de piélé, l'opi-

nion qualifiée de pieuse par Suarez, d'après

laquelle la grâce sanctifiante et la charité

réclament par elles-mêmes, en vertu d'une

exigence connaturelle, la présence intime, vraie,

personnelle de Dieu dans l'âme sainte, si la

raison avait pu également le lui persuader; mais,

ajoute-t-il mélancoliquement, les fondements sur

lesquels repose ce sentiment ne sont pas assez

convaincants '.

 

 

 

1. « Censent plures Thomistae personas divînas esse in

justis tanquam objectum cognitum in cognoscente, vel

amatum in amante. Sed hoc videtur captu difficile, quia

possumus cognoscere, et amare res omnino dissitas, adeo ut

objecta ita cognita et amata non sint in cognoscente secun-

dum proprium esse reale, quod habent in se, sed ad sum-

mum in ratione cogniti : quo pacto non recte dicerentur

personae divinae esse in justis ex \i missionis, cum peccatores

etiam cognoscunt per habitum fidei personas divinas, adeo

ut istse in esse cognito dicantur esse in peccatoribus. »

(Verani, Theologia speculativa universa, t. III., de Trin.^

disp. XV, sect.vii, n. 3.)

 

2. « Hanc sententiam Suarez vocat piam, et ob pietatem,

libenter ipsi adhaererem, si ratio id etiam mihi suaderet ;

etenim rationes, quibus innititur, non adeo convincunt. »

(Verani, ibid., n. l\.)

 

BAB. SAIST-ESPRIT. — 8

 

 

 

Il4 MODE DE CETTE PRÉSET^CE

 

Et après s'être mis en quête d'une explication

mieux fondée, Aoici celle qu'il propose : « Je

pense, dit-il, que le mode nouveau et spécial

suivant lequel la personne divine se trouve dans

la créature raisonnable en raison de la gTace

sanctifiante consiste en ce que Dieu est présent

à l'âme comme un époux à son épouse, un ami à

son ami intime, o^ mieux encore comme un

père est dans son fils tendrement aimé efe l'objet

constant de ses pensées, de ses affections, de sa

sollicitude à lui créer une position brillante :

car, en faisant de l'homme un ami et un fils

adoptif de Dieu, la grâce sanctifiante exige que

Dieu prenne de lui un soin tout spécial, qu'il

l'entoure d'une providence particulière.

 

« Par cette façon de parler, ajoute le docte

chanoine, il est facile de comprendre que Dieu

est dans les justes d'une manière tout à fait

distincte de celle par laquelle il se trouve en

toute chose par son essence, sa présence et sa

puissance ; car si sa providence est universelle

et s'étend à tous les êtres, elle est plus attentive à

l'égard du just^, en raison même de l'amour

dont il est l'objet. Aussi quand, par le don de

la grâce sanctifiante, les personnes divines sont

envoyées pour la première fois à une créature

raisonnable, celle-ci commence d'être aimée par

Dieu d'un, amour spécial, d'être gouvernée

d'une manière particulière ; et l'on comprend

ainsi comment les personnes divines se trouvent,

en vertu même de leur mission invisible, pré-

sentes d'une nouvelle manière dans les justes.

'^Fn effet, si l'on peut dire, conformé:: ent à l'adage

bien connu, que l'âme se trouve plus dans l'objet

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE Il5

 

qu'elle aime que dans le corps qu'elle anime,

parce que toutes ses pensées, toutes ses solli-

citudes se portent vers l'objet aimé, on peut affir-

mer également, avec non moins de vérité, que par

la grâce sanctifiante les personnes divines se

trouvent d'une manière nouvelle et spéciale dans

les justes, en raison de la providence particulière

dont ils sont l'objet *. »

 

Nous admettons sans difficulté cette providence

spéciale, cette sollicitude paternelle de Dieu à

l'égard des justes ; et quand il s'agit de ceux qui

possèdent la grâce non point seulement pour un

temps, mais qui doivent la conserver jusqu'à la

fin, ou du moins la recouvrer un jour pour ne

plus la perdre, c'est-à-dire des élus, cette provi-

dence a, en théologie, un nom particulier, elle

s'appelle la prédestination. Mais cette sollicitude

de Dieu pour ceux qui l'aiment et qui en sont

aimés, si attentive qu'on la suppose, ne suffît

point, par elle-même, pour leur procurer une

présence à la fois substantielle et spéciale de la

Divinité, comme le reconnaît du reste très loya-

lement l'ancien professeur de Munich*. Son

 

 

 

1. Verani, loc. cit., n. n-12.

 

2. « Licet Deus dicatur esse in justo ut amicus in amico,

inde non sequitur praesentia physica personae missae in crea-

lura, ad quam dicitur missa ; etenim ex eo quod amicus

intime diligatur, non constituitur per hoc physice praesens

amico inti^ie diligenti ; sed tantum affective et objective,

ut objcctam intime amatum. Ergo, licet Deus per gratiam

gratum facientem dicatur esse in creatura rationali, ut

amicus in amico intime dilecto, non sequitur praesentia

physica Dei in creatura amata ratione donorura gratiae. »

(Vt-rani. ibid., n. 1:4.)

 

 

 

Il6 MODE DE CETTE PRESENCE

 

explication n'entraîne point une véritable habi-

tation, une présence effective et réelle de Dieu

dans l'âme en état de grâce, distincte de la

présence d'immensité, mais une simple union

d'affection. Mais, se hâte-t-il d'ajouter : la grâce

et l'amour d'amitié n'exigent point une présence

physique et réelle de Dieu dans l'âme juste i.

 

A rencontre de cette opinion, nous avons

établi dans un précédent chapitre, et prouvé,

croyons-nous, jusqu'à l'évidence, que la mission

invisible ou la donation d'une personne divine,

réalisée à chaque collation ou accroissement de

la grâce sanctifiante, implique au contraire une

présence nouvelle et substantielle de la Divinité,

par conséquent une présence vraie, réelle, phy-

sique, et non pas seulement objective et morale.

Nous verrons plus loin que l'amour de charité

exige, lui aussi, une présence effective de Dieu

dans l'âme sanctifiée et ne saurait se contenter

d'une simple union d'affection.

 

 

 

III

 

 

 

Pour compléter l'énumération des opinions

plus ou moins défectueuses relatives à la manière

d'entendre et d'expliquer l'habitation du Saint-

Esprit dans les justes, ce serait ici le lieu d'exa-

 

 

 

I. « Amor, quem creatura rationalis elicit in statu viae

circa Deum, non exigit terminari ad Deum ut bonum

intime prœsens per realem et physicam praesentiam amati. »

(Ibid.. n. lAO

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE

 

 

 

117

 

 

 

miner et de juger la célèbre théorie de Petau,

d'après laquelle l'inhabitation divine par la grâce

est propre à la personne du Saint-Esprit, au lieu

d'être, suivant le sentiment général des théolo-

giens, commune à toute la sainte Trinité et

simplement appropriée à la troisième personne ;

mais cette question demande une étude à part,

que nous aborderons en son temps ^

 

Mal accueillie à son apparition et jusqu'à notre

époque par les écoles théologiques qui l'ont

communément réprouvée, cette théorie a trouvé

de nos jours une certaine faveur auprès de quel-

ques individualités de France et d'Allemagne.

Elle a eu notamment pour défenseur et pour

patron un religieux français, prématurément

enlevé à son Ordre, qu'il honorait par ses talents,

et à l'Église, qu'il édifiait par son zèle, le R. P.

Ramière, de la Compagnie de Jésus. Voici en

quels termes il s'en expliquait dans un ouvrage

intitulé : Les Espérances de r Église.

 

(( Lessius donne comme parfaitement certaine

la doctrine d'après laquelle le Saint-Esprit est

présent dans l'âme juste, non seulement par ses

dons, mais encore par sa substance. Il en a

le droit, puisque la doctrine opposée, manifeste-

ment contraire à l'Écriture et à la Tradition, est

qualifiée d'erreur par les docteurs les plus

autorisés. Il n'est dans cette grande question

qu'un seul point sur lequel plane encore quelque

obscurité. C'est la part spéciale du SaintrEsprit,

 

 

 

I. Cf. supra.

 

 

 

Il8 MODE DE CETTE PT^Éf^E^CB

 

dans cette œu^re de sanctification qui lui est

partout attribuée dans les saintes Écritures. Deux

choses sont indubitables : d'abord que le Saint-

Esprit ne saurait venir habiter dans l'âme juste

sans que les autres divines personnes y habitent

avec lui. Aussi Notre-Seigneur dit-il que si quel-

qu'un l'aime, il sera aimé de son Père, et que les

trois, divines personnes viendront en lui et feront

en lui leur demeure'. D'un autre côté, ce n'est

certainement pas sans motif que la mission qui a

pour objet la sanctification des âmes est attribuée

au Saint-Esprit, et non au Fils. Si dans cette mis-

sion il n'y avait rien de propre au Saint-Esprit,

s'il ne faisait rien que le Père et le Fils ne fissent

également, il ne serait donc pas réellement

enA'oyé par le Père et le Fils, et les assurances si

positives que Jésus-Christ nous donne dans He

discours après le Cène, qu'il nous enverra ce

divin Esprit et que son Père nous l'enverra en

son nom, ne seraient que de vaines paroles.

// Jaut donc admelire nécessairement qu'il y a entre

l'aine juste et V Esprit-Saint une union qui ne

s'étend pas de la même manière aux autres per-

sonnes, ^lais quelle est cette union? C*est ce que

le Père Pet!au lui-même n'ose déterminer'^ ; on

nous permettra de n^être pas plus hardi que

 

lui ^ »

 

Ce n'est effectivement pas sans motif que la

mission invisible qui a pour objet la sanctifica-

 

 

 

j. Joan., XIV, 23.

 

^j. Petav., De Triait. ,\. VIII, cap. vi, n. 6.

3. Ramière, Les Espérances de l'Éjlse. Appendice, xii. note

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE IIQ

 

tion des âmes et l'union à Dieu par la charité

est attribuée au Saint-Esprit, La raison de cette

attribution, comme nous l'expliquerons plus au

long dans un chapitre ultérieur, se trouve dans

Tanalogie frappante qui existe entre le caractère

propre de la troisième personne, savoir la bonté

et l'amour, et Tinhabitation divine par la grâce,

cette efîusion merveilleuse d^amour et de bonté.

Aussi, quoique effectuée en réalité par les trois

personnes, quoique commune à la Trinité tout

entière, cette admirable union de la créature et

du Créateur est-elle attribuée au Saint-Esprit

comme si elle lui appartenait en propre ^. Et c'est

à juste titre, observe Léon XIII, car u si des

vestiges de la puissance et de la sagesse divine

se manifestent même chez le pécheur, le juste

seul participe à l'amour, qui est la caractéristi-

que de l'Esprit-Saint. Ajoutez à cela que ce même

Esprit est appelé saint, parce qu'étant le premier

et suprême amour, il pousse les âmes à la

sainteté, qui consiste en définitive dans l'amour

de Dieu. Voilà pourquoi l'Apôtre, qui appelle les

justes le temple de Dieu, ne les nomme pas

expressément le temple du Père et du Fils, mais

du Saint-Esprit (I Cor., vi. 19) : Ne savez-vous

pas que vos membres sont le temple de rEspvlt-

 

 

 

I. a Haec autem mira conjunctio, quae suo nomine

inhahltatlo dicitur, tametsi verissime elBcitur praesenti

totius Trinitatis numine, ad eum veniemiis et mansionem

apad eum faciemus (Joan., xiv, aS), attamen de Spiritu

Sancto tanquam peculiaris praedicatur. » (Encyel. Divinuin

illud munus Leonis PP. XIII.)

 

 

 

120 MODE DE CETTE PRESENCE

 

Saint qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu^? »

Lors donc que l'Écriture ou les Pères nous

représentent l'Esprit-Saint comme Thôte de nos

âmes, il ne faut voir en cela qu'une simple

appropriation fondée sur l'usage en vigueur

dans l'Église, d'attribuer au Saint-Esprit les

œuvres de la Divinité où domine l'amour. Mais

partir de là pour affirmer entre ce divin Esprit

et les âmes justes je ne sais quelle union parti-

culière à la troisième personne et ne s'étendant

pas de la même manière aux deux autres, et

surtout pour lui attribuer en propre la produc-

tion d'un effet quelconque dans les créatures,

prétendre que « si dans la mission (invisible) il

n'y avait rien de propre au Saint-Esprit, s'il ne

faisait rien que le Père et le Fils ne fissent

également, il ne serait pas réellement envoyé »,

c'est se méprendre étrangement sur le sens et la

portée des paroles de l'Écriture et des Pères, c'est

scinder l'unité d'opération en Dieu, contrairement

au dogme catholique, d'après lequel toutes les

œuvres extérieures sont communes aux trois per-

 

 

 

I . « Siquidem divinae potentîae et sapîentîae vel in homîne

improbo apparent vestigia ; caritatis, quse propria Spiritus

veluti nota est, alius nemo nisi justus est particeps. Atque

illud cura re cohaeret, eumdem Spiritum nominari Sanctum,

ideo etiam quod ipse, primus summusque Amor, animos

moveat agatqae ad sanctitatem, quae demum amore in

Deum continetur. Quapropter Apostolus quum justos

appellat templum Del, taies non expresse Patris aut Filii

appellat, sed Spiritus Sancti : An nescitis quoniam membra

vestra templum sunt Spiritus Sancti, qui in vobit est, quem

hahetis a Deo ? » (Ibid.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRÉSENCK 121

 

sonnes à cause de l'unité de leur nature ; car où

il n'y a qu'une nature, il ne doit y avoir qu'une

seule puissance et une seule opération*.

 

 

 

IV

 

 

 

Apr^s toutes ces tentatives infructueuses abou-

tissant invariablement, en dehors de l'opinion

de Petau, la plus improbable de toutes, à l'une

ou à l'autre de ces deux hypothèses : ou d'une

présence substantielle de Dieu dans les justes,

mais en qualité de cause efficiente, présence

commune à tous les êtres et ne différant qu'ac-

cidentellement dans les saints de ce qu'elle est

dans les pécheurs et même dans les êtres

inanimés ; ou d'une présence spéciale aux êtres

raisonnables doués de la grâce, mais purement

objective ; il est temps de proposer enfin le vrai

mode de cette présence de l'Esprit-Saint, à la

fois substantielle et spéciale, que la grâce sancti-

fiante vaut à l'âme juste, sans sacrifier ni l'une

ni l'autre de ces deux conditions, et sans intro-

duire cette union propre et personnelle au

Saint-Esprit, que préconisait le Père Ramière, à

la suite de Petau. Il nous suffira pour cela

d'exposer le sentiment de saint Thomas, non

pas tel qu'il a été compris par celui-ci ou celui-

 

 

 

1. «

 

 

 

Facere quemcumque eflfectum in creaturis est com-

mune toti Trinitati propler unitatem naturae, quia ubi est

una natura, oportet quod sit una virtus et una opéra tio. »

(S. Th , m, q. XXIII, a. a.)

 

 

 

122 MODE DE CETTE PRESENCE

 

là, mais tel qu'il résulte des paroles mêmes et

des textes comparés du saint Docteur.

 

D'après l'enseignement de l'angélique maître»

Dieu peut être substantiellement présent à une

créature de trois manières différentes : d'abord

à titre d'agent, ou de cause efficiente, c'est le

mode ordinaire commun à tous les êtres sans

exception ; en second lieu, comme objet de connais-

sance et d'amour, c'est la présence spéciale aux

justes de la terre et aux saints du ciel ; enfin en

vertu d'une union hypostatique, c'est ainsi que le

Yerbe s'est uni à notre humanité en ISotre-

Seigneur 1.

 

Le premier mode de présence est universel ;

il se rencontre partout où il existe un effet quel-

conque de la puissance divine, naturel ou

surnaturel ; car tout être créé, étant essentielle-

ment dépendant vis-à-vis de Dieu, ne peut

ni arriver à l'existence ni s'y maintenir sans

 

 

 

I. « Deus dicitur esse in re alîqua dnpliciter : uno modo

per modam causie agentis, et sic est in omnibus rébus creatis

ab ipso ; alio modo sicut objectum operationis est in opé-

rante, quod proprium est in operationibus ànxmse, secundum

quod cognitain est in cognoscenie, et desideratum in deside-

rante. Hoc igitur secundo modo Deus specialiter est in

rationali creatura, quae cognoscit et diligit illum actu vel

habitu. Et quia hoc habet rationalis creatura per gratiam,

dicitur esse hoc modo in sanctis per gratiam. i> (S. Th., 1,

q. vm, a. 3.)

 

En ajoutant aux deux modes précédents celui qui est

indiqué dans la réponse ad U"" du même article, nous avons

bien les trois modes de présence substantielle. Le troisième

est ainsi formulé : « Est autem alius singularis modus

essendi Deum in homineper unionem. » (Ib.J., ad 4"°.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE 123

 

Faction immédiate, et parlant sans la présence

intime de son Créateur. Nous avons suffisam-

ment expliqué plus haut ce mode de présence

pour être dispensé d'y revenir.

 

La présence de Dieu comme objet de connais-

sance et d'amour n'appartient qu'aux créatures

raisonnables, seules capables de le connaître et

de l'aimer. Mais ce second mode de présence

peut s'offrir à nous sous une double forme qu'il

importe extrêmement de bien discerner, si nous

Aoulons éviter la méprise dans laquelle sont

tombés un cerlain nombre de théologiens, et

prévenir l'objection que nous avons déjà ren-

contrée sur notre chemin, et qui revient sans

cesse sous la plume des adversaires de la doctrine

de saint Thomas. Ou bien, en effet, il s'agit

d'une présence purement objective et morale,

ou, au contraire, il est question d'une présence

effective et réelle. Dans la première hypothèse,

tous ceux qui connaissent et aiment Dieu, fut-ce

par une connaissance et un amour purement

naturels, jouissent d'une certaine présence de

Dieu; car il est dans leur intelligence par son

image, son idée, sa similitude intellectuelle ;

dans leur volonté par un attrait qui les porte

vers lui, par un lien d'affection qui les unit

à lui. Mais ce n'est point là une présence vraie et

réelle ; et, lors même que, par impossible, Dieu

résiderait exclusivement dans le ciel, il serait

néanmoins présent, de cette présence idéale et

affective, à quiconque fait de la Divinité Tobjet

de sa contemplation et de son amour. Dans la

seconde hypothèse au contraire, c'est-à-dire, s'il

s'agit d'une présence physique et substantielle,

 

 

 

124 MODE DE CETTE PRESENCE

 

non seulement la connaissance et l'amour natu-

rels ne sont pas capables de faire habiter Dieu

dans une âme, mais ni la connaissance surnatu-

relle que donne la foi, ni l'amour de désir

qu'engendre l'espérance, ne peuvent donner un

tel résultat ; seule la grâce sanctifiante et la

charité nous valent un si grand honneur ^

 

Quant au troisième mode de présence subs-

tantielle, il ne se rencontre que dans le Christ^

par suite de Tunion hypostatique : union

ineffable et incompréhensible, qui nous autorise

à attribuer au Fils de Dieu tout ce que fait ou

souffre la nature humaine par lui assumée ; union

admirable, qui donne un prix infini à chacune

des actions et des souffrances de l'Homme-Dieu,

et lui permet de satisfaire, d'une manière adé-

quate, à la justice de Dieu outragé par le

péché.

 

Ces trois modes de présence se trouvent réunis

en Notre-Seigneur. En effet, Dieu est en lui,

comme en toute créature, à titre d'agent, conser-

vant l'humanité sainte du Sauveur qu'il a créée

et unie au Verbe. Il y est encore, par la grâce

sanctifiante, de cette présence qui est spéciale aux

justes et aux saints ; car depuis le premier instant

de son existence, Tâme du Christ connaît et aime

Dieu d'une connaissance surnaturelle accompa-

gnée de charité ; elle le connaît, non à travers

 

 

 

i. « Nulla alia perfectîo superaddita substantîœ facit

Deum esse in aliquo sicut objectum cognitum et amatum,

aisi gratia ; et ideo sola gratia facit singularem modum

essendi Deum in rébus. » (S. Th., I, q. vin, a. 3 ad 4".)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE I2&

 

les ombres de la foi, mais dans les clartés de la

vision béatifîque ; elle le possède aussi parfaite-

ment qu'il peut être possédé par une créature

elle l'aime d^un amour de jouissance consommée,,

aussi est-elle vraiment bienheureuse . Enfin ,

comme couronnement de cette double union,

déjà pourtant si parfaite, vient s'ajouter V union

hypostatlqae, par laquelle le Verbe communique

à la nature humaine, qu^il a épousée dans le

sein de la bienheureuse Vierge, sa propre

subsistance, en sorte que, suivant la parole de

l'Apôtre, la plénitude de la Divinité habite cor-

porellement dans le Christ*, étant unie non

seulement à son âme, mais encore à son corps'.

Et qu'on ne dise pas que Thabitation de Dieu

par la grâce est parfaitement inutile, sinon

impossible, à une âme qui a Tincomparable

avantage d'être unie personnellement au Verbe.

Elle est si peu inutile que l'union hypostatique

 

 

 

1 . « In ipso inhabitat omnis plénitude divinitatis corpo-

raliter. » (Col. ii, g.)

 

2. « Gratia habitualis est solum in anima; sed gratia»

idest, gratuitum Dei donum, quod est uniri divinae per-

sonae, pertinet ad totam naturam humanam, quae

componitur ex anima et corpore. Et per hune modum

dicitur plenitudo divinitatis in Christo corporaliter habitare :

quia est unita divina natura non solum animae, sed etiam

corpori. Dicunt etiam quidam quod divinitas dicitur in

Christo habitare corporaliter, idest, tribus modis, sicut

corpus habet très dimensiones : uno modo, per essentiam,

praesentiam et potentiam, sicut in ceteris creaturis ; alio

modo per gratiam gratum facientem, sicut, in sanctis ; tertio,

per unionem personalem, quod est proprium ipsi Christo. »

(S. Th., III, q, n, a. lo, ad a.)

 

 

 

126 MODE DE CETTE PBÉSEItCE

 

elle-même, sans la possession et la jouissance

de Dieu par les actes de l'intelligence et de la

volonté, ne suffirait pas pour béatifier celte âme.

Dieu lui-même, la félicité subsistante, serait

incapable de bonheur s'il ne se connaissait pas

et ne s'aimait pas ; car il ne pourrait sans

cela jouir du bien infini et trouver, dans la con-

templation de sa divine essence, cette suprême

délectation qui est requise pour la béatitude. Afin

donc que l'âme du Christ soit bienheureuse, elle

doit avoir, en outre de son union personnelle

avec le Verbe, celte union à Dieu par l'opération

qui consiste dans la vision de la divine essence

et dans la fruition qui l'accompagne ; et pour cela

il lui faut une grâce créée qui la dispose et la

rende apte à produire des actes si fort élevés

au-dessus de toute puissance naturelle, et n'étant

naturellement à la portée que de Dieu seuP.

 

 

 

I. « Necesse est ponere in Ghristo gratiam creatam. Cujus

ratio necessitatis hinc sumi potest quod animae ad Deum

duplex potest esse conjunctio : una secundum esse in iina

persona, quse singulariter est animae Christi ; alia secundum

operationem, quse est communis omnibus cognoscentibus

et amantibus Deum. Prima quidem conjunctio sine secunda

ad bealitudinem non sufïicit : quia nec ipse Deus beatus

esset, si se non cognosceret et amaret : non enim in seipso

delectaretur, quod ad bealitudinem requiritur. Ad hoc ergo

quod anima Christi sit beata, praeter unionein ipsius ad

Verbum in persona, requiritur unio per operationem, ut

scilicet videat Deum per essentiam, et videndo fruatur. Hoc

ûutem excedit natuialem potentiam cujuslibel creaturae,

soli autem Deo secundum naturam suam conveniens est.

Oportet igitur supra naturam animae Christi aliquid sibi

addi, per quod ordinctur ad praedictam bealitudinem ; et

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE 12 7

 

 

 

Cette doctrine de saint Thomas, sur le triple

mode de présence substantielle que Dieu peut

avoir dans les choses, se trouve reproduite en

termes presque identiques à la question des

missions divines ^ Le saint Docteur y ajoute

pourtant un trait particulier et de grande impor-

tance, sur lequel nous aurons à revenir ; il dit

que par son opération, c'est-à-dire par ses actes

d'intelligence et de volonté, la créature raison-

nable atteint Dieu en lui-même : Sua operaiione

atiingit ad ipsum Deum. Nous indiquerons plus

loin le sens et la portée de ces paroles.

 

Mais nous ne saurions passer sous silence un

article magistral où Tangélique Docteur donne

à sa pensée des développements plus étendus,

des explications qui la rendent plus accessible à

notre intelligence, mais qu'il n'a pas jugé à

propos de reproduire plus tard dans les œuvres

de sa maturité, où il condensait davantage la

doctrine. Voici cet article. Après s'être demandé

si Dieu est en toutes choses par sa puissance, sa

présence et son essence, dans les saints par la

grâce, et dans le Christ par son être, il répond

de la manière suivante :

 

 

 

hoc dicimus gratiam. Unde necesse est în anima Christi

gratiam creatam ponere. » (S. Th., Qq. disput.. De \erit.,

q. XXIX, a. I.)

 

I. S. Th.. I, q. xLiu, a. 3.

 

 

 

128 MODE DE CETTE PRESENCE

 

{( La distinction de ces modes provient en

partie de la créature, en partie de Dieu. Elle

provient de la créature, en tant que celle-ci est

diversement ordonnée et unie à Dieu, non par

une simple diversité de raison, mais bien par

une diversité réelle. En effet, comme on dit de

Dieu qu'il est dans les choses suivant qu'il leur

est uni et en quelque sorte appliqué, il en résulte

que là où le mode d'union et d'application dif-

fère, le mode de présence est lui-même différent.

Or la créature est unie à Dieu de trois façons :

d'abord, par une simple similitude, car tout être

créé possède en lui-même une participation et une

ressemblance de la bonté divine, sans toutefois

atteindre la substance même de Dieu ; c'est le

mode ordinaire d'union, d'après lequel Dieu est

en toutes choses par son essence, sa présence et

sa puissance.

 

« En second lieu, ce n'est plus par une simple

similitude que la créature est unie à Dieu, mais

elle l'atteint lui-même, considéré dans sa subs-

tance, au moyen de son opération : c'est ce qui

a lieu quand elle adhère par la foi à la vérité

première, et par la charité à la bonté souveraine;

tel est le second mode, suivant lequel Dieu

existe d'une manière spéciale dans les saints, en

vertu de la grâce.

 

(( En troisième lieu, la créature atteint Dieu

non plus seulement par son opération, mais par

son être ; ce qu'il ne faut pas entendre de l'être

qui est l'acte de l'essence, car nulle créature ne

peut se changer en Dieu, mais de l'être qui est

l'acte de l'hypostase ou de la personne, à l'union

de laquelle la nature cr-^^e a été élevée : tel est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE I29

 

le dernier mode suivant lequel Dieu est dans le

Christ par une union liypostatique.

 

« Considérée du côté de Dieu, la diversité des

modes d'union n'est pas réelle, mais seulement

rationnelle ; elle provient de ce que l'on distin-

gue en Dieu l'essence, la puissance et l'opération.

Or l'essence divine, éta«t absolue et indépen-

dante de toute créature, ne se trouve dans les

êtres créés que parce qu'elle les rapproche

d'elle-même par son opération ; et en tant qu'elle

opère dans les choses, elle est en elles par présence,

car il faut que l'agent soit présent de quelque

manière à son œuvre ; et parce que l'opération

divine ne se sépare pas de la vertu active d'où

elle émane, on dit que Dieu est dans les choses

par sa puissance ; enfin, comme la vertu et la

puissance de Dieu est identique à son essence, il

en résulte que Dieu est dans les choses par son

essence*. »

 

Tels sont, d'après saint Thomas, les trois modes

de présence substantielle que Dieu peut avoir

da«ns une créature, les trois sortes de rapproche-

ment et d'union qui peuvent exister entre le

Créateur et l'œuvre de ses mains. Du côté de Dieu,

union avec la créature, avec toute créature à titre

d'agent, pour la conserver et ki mouvoir à ses

différents actes ; union avec la créature raison-

nable et sainte comme objet de sa connaissance et

de son amou/c ; enfin union avec la nature

humaine par assomption de cette nature et son

élévation jusqu'à la personnalité divine pour cons-

 

 

 

j . S. Th., Sent., lib. I, dist. xxxvii, q. i, a. a.

 

HAB. SAINT-ESPRIT. — 9

 

 

 

l3o MODE DE CETTE PRESENCE

 

tîtuer ce composé admirable que nous appelons

l'Homme-Dieu.

 

Du côté de la créature, union avec Dieu par

simple similitade, c'est-à-dire par les dons créés

qui lui ont été départis comme au-tant de parti-

cipations et d'imitations analogiques de la divine

bonté ; union par l'opération, c'est-à-dire par les

actes de l'intelligence et de la volonté, au moyen

desquels l'être créé se porte vers Dieu, vérité

première et souverain Bien, l'atteint en lui-même

et le possède au point de pouvoir en jouir d'une

manière initiale pendant l'état de voie, en atten-

dant la jouissance consommée qui aura lieu

dans le ciel ; union enfin dans l'unité de personne

avec Dieu, que la foi nous montre réalisée en

Jésus-Christ, dont l'humaine nature subsiste par

la subsistance même du Yerbe qui lui a été

communiquée.

 

Il est manifeste que ces divers modes de

présence et d'union sont absolument irréduc-

tibles, et qu'il existe entre eux non pas une

simple différence de degrés, une différence acci-

dentelle ou de plus et de moins, mais une

différence formelle, essentielle et vraiment spé-

cifique. Autre chose, en effet, est d'avoir Dieu

présent en nous en qualité de cause efficiente;

autre chose de le posséder comme notre fin

dernière et Tobjet de notre jouissance ; à plus

forte raison, de ne former qu'une seule personne

avec lui. Dans le premier cas, la créature n'atteint

pas Dieu lui-même, bien qu'il lui soit intimement

présent; elle ne jouit pas de lui, souvent m.ême

elle en est incapable; si elle possède quelque

éhose de Dieu, ce n'est pas sa substance, ce n'est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE l3l

 

qu'une similitude, une participation analogique,

une imitation lointaine de sa bonté. Conjungitur

creaiura Deo tripliciter. Primo modo secundum

similitudinem tantum, in quantum inveniiur in crea-

iura aliqua similitudo divinœ honitatis, non quod

aitingat ipsum Deum secundum substanliam : et

isia conjunctio invenitur in omnibus creaturis per

esseniiam, prœsentiam et potentiam^. Dans le

second cas, au contraire, l'être raisonnable doué

de la grâce possède réellement Dieu au fond de

son cœur, il atteint la substance divine par les

actes de ses facultés intellectuelles, il jouit de

Dieu. Secundo creatura attingit ad ipsum Deum

secundum substantiam suam consideratum, et non

secundum similitudinem tantum; et hoc est per

operationem : scillcet quando aliquls fide adhœret

ipsi primae veritati, et charitate ipsi summae bonitati;

et sic est alias modus quo Deus specialiter est in

sanctis per gratiam*.

 

Ce serait pourtant se tromper que de considérer

ces divers modes de présence comme étant réel-

lement distincts en Dieu ; car, en dehors des

relations opposées d'origine, aussi réellement

distinctes entre elles que les personnes divines

elles-mêmes qu'elles constituent, tout en Dieu

est parfaitement un ; la substance, les facultés,

les opérations, les perfections dont les concepts

paraissent le plus opposés, se fondent en lui dans

une unité et une simplicité parfaite, et ne se

distinguent que virtuellement.

 

 

 

I. S. Th,. loc. cît

a. Ibid.

 

 

 

l32 MODE DE CETTE PRESENCE

 

On nous pardonnera de nous être quelque peu

attardé sur ces notions, elles nous ont paru néces-

saires pour préparer la voie et éclairer notre

marche vers le but désiré; et quiconque sait

qu'une question clairement posée, et dont tous

les termes ont été bien élucidés, est à moitié

résolue, reconnaîtra sans peine qu'elles ne sont

ni un hors-d'œuvre, ni une superfétation.

 

 

 

VI

 

 

 

Avant de pousser plus loin notre marche,

arrêtons-nous un instant, jetons un regard

rapide en arrière pour reconnaître le chemin

parcouru, et prenons solidement possession du

terrain conquis.

 

Quand, se faisant l'interprète de l'Écriture et

de la Tradition, saint Thomas déclare que Dieu

est dans les justes d'une manière nouvelle et

spéciale, qu'il habite le sanctuaire de leur âme,

cela ne signifie point, comme l'entend le D^*

Oberdoerffer, qu'il est en eux pour soutenir et

conserver la grâce sanctifiante, ut sustineat gra-

tiam, pour les mouvoir à leurs opérations surna-

turelles ; il y est assurément de cette manière et

dans ce but, mais c'est le mode ordinaire et

commun de présence.

 

Cela ne signifie pas davantage qu'il leur est

uni par les liens d'une affection particulière,

qu'il les entoure d'une protection spéciale, qu'il

en fait l'objet constant de ses pensées et de sa

sollicitude, comme le prétendait Verani. Borner

à cela l'union de Dieu avec les âmes saintes, c'est

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE i33

 

aboutir, bon gré mal gré, à la négation d'une

habitation véritable du Saint-Esprit en elles, et

la remplacer par une simple union morale, aussi

incapable de répondre aux exigences d'une

amitié parfaite que de satisfaire pleinement aux

promesses si claires du Sauveur affirmant que,

si quelqu'un l'aime, il sera aimé du Père et que

les trois divines personnes viendront en lui et y

jQxeront leur séjour i.

 

Pour caractériser nettement ce mode d'union

avec Dieu, qui est propre aux justes, saint

Thomas déclare que Dieu est en eux comme

objet de connaissance et d'amour, en sorte qu'ils

peuvent, par leur opération, atteindre la subs-

tance divine*, et commencer, dès cette vie, à

jouir du Bien souverain 3.

 

Mais suffît-il, pour constituer celte présence

spéciale, que Dieu soit connu et aimé d'une

connaissance et d'un amour surnaturels quel-

conques ? Nullement. Le fidèle en état de péché

mortel connaît Dieu non seulement par les

 

 

 

I. Joan., xjv, 23.

 

3. « Super istum modum autem communem est unus

specialis, qui convenit naturae rationali, in qua Deus dicitur

esse sicut cognitum in cognoscente, et amatum in amante.

Etf quia cognoscendo et amando creatura rationalis sua

operatione attingit ad ipsum Deum, secundum istum specia-

lem modum, Deus non solum dicitur esse in creatura

rationali, sed etiam habitare in ea, sicut in templo suo. »

(S. Th., I., q. xLHi, a. 3.)

 

3. « Per donum gratiae gratum facientis perficitur crea-

tura rationalis ad hoc quod libère non solum ipso dono

creato utatur, sed ut ipsa divina persona fruatur. » (S. Th.»

Ibid., ad i™.)

 

 

 

334 MODE DE CETTE PMF.SE?<CE

 

âiEQières de la raison, mais encore par celles de

let foi ; il l'aime pareillement, non seulement

d'un amour naturel, mais encore d'un amour

surnaturel qui a son principe dans la vertu

d'espérance ; il peut même avoir ce commence-

ment de dilection que le concile de Trente

énumère parmi les dispositions préparatoires à

k justification! ; et pourtant Dieu n'habite pas

encore en lui, il s'apprête seulement à entrer

ians son cœur, il frappe à la porte, demandant

qu'on lui ouvre. Ecce sio ad ostium et palso^.

Aussi avons-nous entendu saint Thomas nous

dire plus haut que la connaissance de Dieu,

même surnaturelle, si elle n'est accompagnée de

sharité, est insuffisante pour faire habiter la

tainte Trinité dans une âme^. A^oilà pourquoi il

déclare, à plusieurs reprises, que la grâce sanc-

tifiante seule, à l'exclusion de toute autre

perfection, produit la présence spéciale de Dieu

 

 

 

1. « Disponuntur autem ad ipsam justitiam, dûm excitati

di>ina gratia, et adjuti, fidem ex auditu concipienles,

libère moventur in Detim, credentes vera esse, quae divinitus

.?evelata et promissa sunt, atque... in spem erigunlur,

Sdentes Deum sibi propter Christum propitium fore;

îliumque, tanquam omnis justitiae fontem, diiigere inci-

lâunt. » (Trid., sess. VI, c. vi.)

 

2. Apocal., ni, 20.

 

3. « Gognilio sine dilectione non sufBcit ad inhabiiatio-

aem Dei secundum illad (i Joan., iv, 16) : Qui manet in

jaritate, in Deo manet, et Deus in eo. Inde est quod multi

eognoscunt Deum vel j>er naturalem cognitioncm, vel per

ûdem informem, quos tamen non inhabitat Spiritus Dei. )>

^^.'Th., in I ad Cor., c. n, lect. 3.)

 

 

 

MODE DE CETTE PRESENCE î3s

 

comme objet de connaissance et d'amour'. Par

conséquent, ni les vertus surnaturelles de foi d,

d'espérance ou les actes qu'elles inspirent, ni les

grâces actuelles, ni les grâces gratuites, comme

le don de prophétie ou le pouA oir de faire des

miracles, ni, à plus forte raison, les qualités

naturelles ne suffisent pour faire habiter Dieu

dans une âme.

 

Pour qu'il y ait vraiment habitation du Smnt-

Esprit, il faut, au jugement de saint Thomas,

autre chose que l'action de Dieu produisant obl

conservant la grâce ; autre chose que la présence

des habitudes surnaturelles et des actes qui en

découlent ; autre chose qu'une providence spé-

ciale, si attentive qu'on la suppose ; il faut la

présence vraie, réelle, substantielle de TEsprit-

Saint comme objet de connaissance et d'amour.;

il faut la possession et la jouissance au moin*

initiale du souverain Bien, atteint en lui-même

par les actes de l'intelligence et de la volonté

créées ; il faut un commencement de cette union

bienheureuse qui se consommera un jour dans

le ciel, et une sorte d'aAant-goût de réternelle

félicité.

 

Mais c'est encore là une énigme ; qui noiis

l'interprétera ? une formule précieuse peut-être^

mais difficile à saisir, si nous en jugeons par les

interprétations diverses qui en ont été données^

 

 

 

I. (f Nulla alia perfectio superaddita substantiee facit»

ûeuni esse in aliquo sicut objectam cognitum et amatum^

nisi gratia ; et ideo sola gratia facit singularem moduai

essenJi Deum in rébus. » (S. Th., 1., q. vm, a. 3^ ad 4.)

 

 

 

l36 MODE DE CETTE PRESENCE

 

OÙ d'autres se sont trompés, serons-nous plus

heureux? Où ils ont failli, pouvons-nous nous

flatter d'atteindre sûrement la vérité? Si, pour

comprendre et expliquer un dogme d'un ordre

si relevé, nous en étions réduit à nos seules

lumières ; si, pour pénétrer dans les profondeurs

d'un mystère fort au-dessus de notre portée,

nous ne pouvions compter que sur nos propres

ressources, nous aurions assurément lieu de

craindre, en nous rappelant les paroles de l'Esprit-

Saint : « Ne vise point à ce qui te dépasse, ne

prétends pas sonder ce qui est au-dessus de tes

forces : Altiora te non quœsieris, et fortlora te

non scruialas fueris » ^ ; car nous touchons ici à ce

qu'il y a de plus grand, de plus saint, de plus

profond dans la vie intérieure et mystique, nous

sommes vraiment au cœur de l'ordre surnaturel.

Mais celui dont nous n'avons fait jusqu'ici que

suivre les enseignements et exposer la doctrine,

saint Thomas, voudra bien, nous l'espérons,

nous assister du haut du ciel et nous obtenir de

Dieu les lumières dont nous avons besoin. Comp-

tant sur son assistance fraternelle et le secours

de son intercession, nous irons humblement et

courageusement de l'avant.

 

 

 

I. Eccli., m, 32.

 

 

 

CHAPITRE IV

 

 

 

Explication du mode particulier de

 

présence dont Dieu honore les justes de

 

la terre et les saints du ciel

 

§ I. — Comment Dieu est présent par sa subs-

tance à l'intelligence et à la volonté des bienheu-

reux, en tant que vérité première et bien souverain.

 

 

 

En énumérant les différents modes de présence

substantielle que Dieu peut avoir dans les êtres

créés, saint Thomas, comme on a pu le remar-

quer, n'en compte que trois : à titre d'agent,

comme objet de connaissance et d'amour, et par

union hypostatique. N'en aurait-il pas, par hasard,

omis ou oublié un quatrième : celui qui convient

aux élus du cieH? Car, si Dieu doit être uni

 

 

 

I. Ne faudrait-il pas également, à ces trois sortes de pré-

sence substantielle de la Divinité, en ajouter une autre,

que nous voyons, semble-t-il, réalisée dans la sainte Eucha-

ristie et dans l'âme qui reçoit cet auguste sacrement, et que

l'on pourrait appeler sa présence sacramentelle ? Nous ne le

pensons pas. Sans doute, Dieu est très réellement présent

dans le sacrement de nos autels, puisque, suivant la défini-

tion du saint concile de Trente (Sess. XIII, c. i, et can. i),

l'Eucharistie contient véritablement, réellement, substan-

 

 

 

p38 explication du mode particulier

 

d'uiic façon effective et intime à ceptaines créa

tares, c'est assurément aux esprits bienheureux

admis à le contempler face à face, et trouvant

dans sa possession leur suprême félicité. Eh

bien ! non : le saint Docteur n'a rien oublié ou

omis, et l'énumération qu'il nous donne est

complète, attendu que l'union de la Divinité avec

 

 

 

tellement, le corps, le sang, l'âme et la dmnité de Xotre-

Seigneur Jésus-Christ, par conséquent le Christ tout entier,

30US '.es espèces du pain et du vin ; mais cette présence de

là Di\inité ne constitue pas un mode nouveau et distinct

'les autres.

 

Ce qui est nouveau, c'est la manière d'exister que l'huma-

mté du Verbe possède dans le Saint-Sacrement, et qui est

fort différente de celle qu'elle a dans le ciel. Dans la sainte

liostie, le corps du Sauveur est contenu tout entier ; et

qpioique composé de parties, il n'y occupe pas d'étendue,

it y est à l'instar d'une substance spirituelle ; c'est ce qui

î?onstitue son état sacramentel, par opposition à son état

ermnaturel. Mais dans quelque état que l'on considère

ïfeumanité du Christ, elle conserve avec la Di\1nité un genre

iFnnion qui ne varie pas et qui est toujours le même, une

anioo bypostatique. C'est ce qui résulte clairement des

pkarolfes du concile de Trente, lorsqu'il déclare que, aussitôt

ïpres îa consécration, le vrai corps et le vrai sang de Notre-

Seigneur existent sous les espèces du pain et du vin, ainsi

•^ue son âme et sa divinité ; toutefois le corps se trouve

sous l'espèce du pain en vertu même des paroles de la con-

sécration, le sang et l'âme y sont également, mais par

soncomitance, en vertu de cette connexité naturelle qui

îéclame l'union de toutes les parties du Christ, lequel, une

Ifeis ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus ; quant à la

Svinité du Sauveur, elle est présente à cause de cette admi-

^ble union hypostatique qui tient le corps et l'âme du

Sauveur indissolublement enchaînés à sa divinité. (Trid.,

îess. XIH, c. ni.)

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU 1 3§

 

les justes de la terre n'est pas d'une nature

abi&oluinenl différente de celle qui est l'apanage

des saints jouissant de la béatitude. D'après la

déclaration expKcite et formelle du SouveraiB

Pontife Léon XIII, « cette admirable union,

appelée de son vrai nom inhabitation, ne diffère

que par la condition ou l'état de celle qui j^iit le

bonheur des habitants du ciel : Hase autem min&

conjunciio, qaae sao noinine inhabitatio dicltur^

condUioixe ianium seu staiu ah ea discrepat qus.

cœUies Deus beando complecliiar^. » Elle en difïère

comme le commencement d'une œuvre se dis-

tingue de son conronnenient, comme la semence

se discerne du fruit arrivé à maturité. La grâce,

en effet , est la semence de la gloire ; elle

inaugure ici-bas, quoique d'une manière impar-

faite, la vie qui nous est réservée dans le ciel.

 

Or la vie éternelle consiste dans la connais-

sance du seul Dieu véritable et de son envoyé

Jésus-Christ : Hœc est viia œierna, ut cognoscanî

te solum Deujn veram, et quem misistl, Jesam

Christum * ; non pas dans celte connaissance

médiate, abstraite, obscure, qui est notre partage

en cette vie, et que nous puisons dans les œuvreig

de Dieu ', et dans la vérité révélée ; mais dans la

vue directe et immédiate, dans la contemplation

 

 

 

1. Encycl.Divinum illud munus.

 

2. Joan., XVII, 3.

 

3. « Quod notum est Dei;, manifestum est in illis. Deu*

enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsiiis, a creatura

mundi, per ea quae facta sunt, intellecta ronspiciuntur. »

(Rom., 1, 19-30.)

 

 

 

l40 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

claire, faciale, intuitive de la divine essence ;

dans la possession et la jouissance du souverain

Bien ; c'est dire, en d'autres termes, qu'elle con-

siste dans la présence réelle et substantielle de

Dieu dans l'esprit et le cœur des bienheureux

en tant qu'object direct de leur connaissance et

de leur amour : ut cogniium in cognoscente et

amatum in amante.

 

Si donc nous voulons nous faire une idée nette

et précise de ce genre de présence, il faut la

considérer non pas telle qu'elle s'offre à nous

dans la personne des justes de la terre, où elle

n'est encore qu'à l'état rudimentaire, sous forme

de germe ; mais telle qu'elle existe dans les

saints du paradis, en qui elle est parvenue à son

complet épanouissement ; de même que, pour

se bien rendre compte de ce qu'est l'homme, de

sa nature, de ses facultés, de ses opérations, il

faut l'étudier non pas à l'état d'embryon ou de

fœtus, pendant les premiers mois de son existence

dans le sein maternel, mais à l'état d'être parfait,

durant cette période de la vie où il est arrivé à

son plein développement, à sa perfection régu-

lière et normale. Cherchons donc comment Dieu

est uni aux bienheureux déjà parvenus au terme

de leur pèlerinage.

 

C'est une vérité de notre foi que les élus dans

le ciel voient Dieu face à face, ouvertement,

clairement, intuitivement, sans intermédiaire, tel

qu'il est dans l'unité de son essence et la trinité

de ses personnes i. C'est dans cette claire vue et

 

 

 

I. « Auctorilate apostolica definimus quod omnes beati.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU I^I

 

dans la jouissance qui l'accompagne que consiste

la couronne de justice promise, comme récom-

pense, à nos œuvres méritoires i. Mais comment

une telle vision qui n'appartient et ne peut

appartenir naturellement qu'à Dieu, devient-elle

possible à la créature ? Comment s'accomplira-

t-elle en fait ?

 

D'après l'enseignement des philosophes scolas-

tiqiies, notre intelligence, ou plutôt toute intel-

ligence créée, quelle qu'elle soit, n'est pas et ne

peut pas être la cause efficiente totale et exclusive

de son acte de connaître. Faculté passive autant

qu'active, indigente de recevoir tout autant qu'elle

est capable de produire, apte à connaître toute

chose, mais indéterminée par elle-même et indif-

férente à saisir ceci ou cela, l'intelligence créée

 

 

 

etiam ante resumptionem suorum corporum..., viderunt et

vident divinam essentiam visione intuitiva et etiam faciali,

nulla mediante creatura in ratione objecti visi se habente,

sed divina essentia immédiate se nude, clare et aperte eis

ostendente, quodque sic videntes eadem divina essentia

perfruuntur, necnoh quod ex tali visione et fruitione,

eorum animae, qui jam decesserunt, sunt vere beatse, et

habent vitam et requiem aeternam. » (Ex Const. Benedidas

Deas, Bened. XTI, an. i336.)

 

Item conc. Florent, (an. idSg) in decreto unionis definivit :

animas sanctorum post mortem « in cœlum mox recipi et

intueri clare ipsum Deum trinum et unum, sicuti est, pro

meritorum tamen diversitate alium alio perfectius. »

 

1. « In reliquo reposita est mihi corona justitiae, quam

reddet mihi Dominus in illa die justus judex : non solum

autem mihi, sed et iis qui diligunt adventum ejus. »

(II Tim., lY, 8.)

 

 

 

l/i2 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

demeure inerte i, tant qu'elle n'est pas complétée»

actuée, fécondée par une qualité accidentelle»

une forme qui lui vient du dehors, s'unit à elle

d'une union très étroite, la perfectionne, la

détermine, la rend capable de produire son acte,

et devient avec elle coprincipe du verbe mental

en qui et par qui elle connaît. Cette forme, cette

détermination, cette actuation de l'intelligence,

n'est autre que Timage ou la représentation

intellectuelle de l'objet qu'il s'agit de connaître,

celui-ci étant presque toujours hors d'état de

pouvoir s^unir directement et par lui-même à la

faculté cognitive. D'où cet axiome emprunté à

saint Augustin, que la connaissance est le produit

d'un double facteur, l'objet et la faculté*.

 

Dans l'ange, nature parfaite qui ne connaît

pas d'enfance, ce complément nécessaire à l'in-

telligence lui A^ent directement de Dieu, de qui,

au moment même de sa création, il reçut, avec

l'être, les idées infuses de toutes choses. Pour

l'homme, au contraire, qui n^arrive que lente-

ment et par degrés, en passant par les différentes

 

 

 

1. Il n'y a d'exception que pour l'intelligence de l'ange

dans la connaissance de lui-même. Pour se connaître, l'ange

n'a pas besoin d'une espèce intelligible distincte de sa pro-

pre substance; car celle-ci, étant immatérielle et intelligible

en acte, et intimement unie à l'entendement, joue par

elle-même le rôle de forme intelligible, en sorte :iue l'ange

se connaît par lui-même, par sa substance. (Cf. S. Th., 1,

q. Lvi, a. I.)

 

2. « Liquido tenendum est, quod omnis res quamcu raque

cognoscimus, congenerat in nobis notitiamsui, ab utroque

enim notitia paritur, a cognoscente et cognito. » (S. Aug.,

De Trin., lib. IX, c. xn. n. i8.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 1^3

 

étapes de l'enfance, de l'adolesceiftee et de la

jeunesse, à cet âge parfait où il a son plein déve-

loppement physique et intellectuel, ce complé-

ment indispensable lai vient originairement

des sens. C'est l'espèce impresse, la forme

inteliigibl-e des scolastiques. Et remarquons en

passant que, nonobstant l'origine extrinsèqiie de

cet élément, notre acte de connaissance intellec-

tuelle, notre intelligere, ne cesse pas pour cela

d'être appelé et d'être réellement un acte vital,

un mouvement immanent, un motus ab intrinseco;

car l'espèce intelligible ou limage de l'objet

s'unit à notre faculté par mode de forme pour

Tactuer, la perfectionner, la spécifier, en la

déterminant à connaître tel objet plutôt que tel

autre.

 

Ces principes posés, demandons-nous quelle

sera, dans la vision béatifîque, la forme intelligible

qui, en s'unissant à notre esprit, lui permettra

de voir Dieu tel qu'il est en lui-même.

 

 

 

H

 

 

 

Toutes les fois que saint Thomas aborde cette

question, et il le fait dans une multitude de

passages, il enseigne qu'aucune image, aucune

forme intelligible créée n'est capable de repré-

senter adéquatement l'essence divine, attendu que

cette essence est infinie, tandis que tout être

créé, quel qu'il soit, substance ou accident, ne

reçoit jamais de l'acte créateur qu'une nature

terminée, finie, limitée à un genre et a une

espèce, et se trouve dès lors radicalement inca-

 

 

 

l44 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

pable de représenter quidditativement celui qui

est la plénitude de l'être. Il est donc de toute

nécessité que l'essence divine elle-même s'unisse

à l'intelligence des bienheureux et joue le rôle

de forme intelligible i. Aussi, d'après l'angélique

Docteur, prétendre que Dieu est vu au moyen

d'une image, d"une espèce intelligible, d'une

représentation créée, c'est nier équivalemment la

vision intuitive : Unde dicere Deum per similitudi-

nem vider i, est dicere divinam essentiam non videri;

quod est erroneum^.

 

Mais cette union de l'essence divine avec l'in-

telligence créée est-elle possible?

 

Oui, car Dieu est la vérité subsistante, comme

il est l'être même, et la vérité est la perfection

de l'intelligence. Ipse enim sicut est suum esse, ita

est sua Veritas, quœ est forma intellecias^. Il y a

 

 

 

1. « Manifestum est quod cuin inlellectus noster nihil

cognoscat nisi per aliquam speciem ejus, impossibile est

quod per speciem rei unius cognoscat essentiam alterius ;

et quanto magis species per quam cognoscit intellectus»

plus distat a re cognita, tanto intellectus noster imperfec-

tiorem cognitionem habet de essentia rei illius... Manifes-

tum est autem ex superioribus quod nuUum creatum

communicat cum Deo in génère. Per quamcumque igitur

speciem creatam non solum sensibilem sed intelligibilem,

Deus cognosci per essentiam non potest. Ad hoc igitur

quod ipse Deus per essentiam cognoscatur, oportet qu« d

ipse Deus fiât forma intellectus ipsum cognoscentis, et

conjungatur ei non ad unam naturam constituendam, sed

sicut species intelligibilis intelligenti. Ipse enim sicut est

suum esse, ita est sua veritas, quae est forma intellectus. >.

(S. Th., Comp. Theol. Opusc. III, cap. cv.)

 

2. Summa Theol. , I, q. xii, a. 2.

5. S. Th., Comp. Theol., cap. cv.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 1^5

 

pourtant une condition préalablement requise,

c'est que l'intellect créé soit préparé et disposé à

cette union par une force, une perfection surna-

turelle, qui l'élève au-dessus de sa condition na-

tive ; de même que, avant d'enseigner à quel-

qu'un une science supérieure, la théologie par

exemple, ou le calcul infinitésimal, il faut, par

une préparation convenable, le rendre capable

de recevoir cet enseignement. Cette force, cette

qualité surnaturelle, qui élève, corrobore et pré-

pare notre âme à cette bienheureuse union, n'est

autre que la lumière de gloire i.

 

Ainsi, d'après saint Thomas, pour voir Dieu

intuitivement, deux choses sont nécessaires •

l'une qui se tient du côté de la faculté créée et

qui a pour but de fortifier, d'agrandir, d'élever

sa puissance, c'est le rôle de la lumière de gloire ;

l'autre qui se tient du côté de l'objet, c'est

l'union directe et immédiate de l'essence divine

avec l'intelligence créée appelée à la contem-

pler 2.

 

Inutile de rechercher si cette divine essence

remplit rigoureusement, vis-à-vis de notre intel-

ligence, les fonctions d'espèce impresse, ou si

 

 

 

I. « Necesse est autem quod omne quod consequitur ali-

quam formam, consequatur dispositionem aliquam ad for-

mam illam. Intellectus autem noster non est ex ipsa sua

natura in ultima dispositione existens respectu formae

illius quae est veritas, quia sic a principio eam asseque-

retur. Oportet igitur quod cum eam consequitur, aliqua

dispositione de novo addita elevetur, quam dicimus gloriœ

lumen. » (Lbid.)

 

a. Cf. I, q. xn, a. 2.

 

HAB . SAINT-ESPRIT. — lO

 

 

 

1^6 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

elle oe le fait que d'une maitieFe impropre, et

dans un sens purement analogique ; chacun sait,

en effet, que, si la nature divine est la forme

exemplaire, le prototype de toutes choses, elle

ne saurait être le principe formel intrinsèque

d'aucune créatures et que, si certaines perfec-

tions sont communes au Créateur et à la créa-

ture, il y a, dans la manière de les posséder, une

telle disparité, que l'on ne peut rien attribuer à

l'un et à l'autre dans une acception identique*.

Au reste, pour prévenir toute méprise, saint

Thomas déclare explicitement que, dans la vision

béatifique, l'essen<je divine joue le rôle d'espèce

intelligible, sans être, à proprement parler, la

forme de l'intelligence créée ^.

 

Nous pouvons donc considérer conanae une

chose indubitable que Tessence divine s'unit

directement à rintelligence des bienheureux dans

le ciel, pour être, avec elle, coprincipe de la

vision béaitiSque ; et puisque c'est cette même

essence qu'il s'agit de voir, elle est en même temps

 

 

 

1. « Non est possibiîe Deum aliquo modo în composifio-

nem alicujus venire, ncc sicut principium formate, nec sicut

principium materiale. » (S. Th., Sumnia TheoL, I, q. m, a. 8.)

 

2. « Impossibile est aliquid prsedicari de Deo et creaturis

uTiivoce. » (Id., ibid., I, q. xiii, a. 5.)

 

3. « Restât ergo ut illiid quo intellectus creatus Deum

per essentiam videt, sitdivina essentia. Mon autein oportet

quod ipsa divina essentia fiât forma intellectus ipslus, sed

quod se habeat ad Ipsum ut forma. » (S. Th., Qq,. disp., de

verit., q. vni, a. i.)

 

Et iterum : « In visione qua Deus per essentiam videbitur,

ipsa divina essentia erit quasi forma intellecSus, qua inteUi-

.get. » {Summa TheoL, Supnl., a. xcii, a. i. ad 8.V

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 1^7

 

le terme et l'objet de celte vision ; en sorte que

cette divine essence est à la fois l'alpha et

l'oméga, le principe et le terme de cette opération

vitale qui constitue la béatitude formelle des

saints.

 

Comment dès lors ne pas reconnaître, entre la

Divinité et les élus du ciel, une union vraie et

réelle, puisque Dieu ne peut être vu et possédé

qu'à la condition d'être présent à leur esprit par

lui-même, et non par son image, per suam essen-

tiam et non per speciem esseniiœ reprœsenlaiivam ;

une union spéciale et formellement distincte de

celle qu'il peut avoir et qu'il a effectivement avec

les autres créatures, puisque ce n'est plus seule-

ment à titre d'agent qu'il est dans les bienheu-

reux, mais encore et surtout comme objet de

connaissance et d'amour, de connaissance intui-

tive, d'amour béatifique; une union enfin qui,

sans aboutir à l'unité de substance, et, tout en

respectant la double personnalité de Dieu et de

l'être créé, les met dans de tels rapports d'inti-

mité que l'un devient la béatitude et la suprême

perfection de l'autre.

 

Ce que sera cette vision de Dieu, cette contem-

plation de la beauté infinie, ce qu'elle apportera

de joie, de douceur, de délices, nul ne le sait,

hormis celui qui la donne et celui qui en jouit,

nemo scit, nisi qui accipit^. Les auteurs inspirés,

auxquels l'Esprit-Saint a daigné en révéler quel-

que chose, nous disent que ce sera le plein ras-

 

 

 

I. Apoc, n, 17.

 

 

 

1^8 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

sasiement de tous nos désirs', un vrai torrent de

délices capable non seulement de remplir notre

cœur, mais de l'inonder véritablement*; ce sera

sûrement une connaissance non pas sèche et

froide comme un pâle rayon d'hiver, mais ar-

dente, savoureuse, souverainement délectable,

qui engendrera dans la volonté un amour im-

mense, irrésistible, ininterrompu, et une jouis-

sance aussi grande que le comportera la capacité

de notre cœur.

 

 

 

III

 

 

 

Présent par sa substance à Fintelligence des

bienheureux. Dieu pourrait-il être absent de leur

volonté? Ce qui se passe dans la première de ces

facultés ne se répercute-t-il pas dans la seconde ?

Ce qui a lieu dans l'ordre de la connaissance n'a-

t-il pas son retentissement nécessaire dans l'ordre

de l'amour? N'est-ce pas une vérité universelle-

ment admise par les philosophes , que toute

forme est suivie d'une inclination proportion-

née 3? L'amour, en effet, suit naturellement la

connaissance, et l'union est la fin régulière de

l'amour. Voyant Dieu face à face, les saints du

ciel sont dans l'heureuse nécessité de l'aimer.

 

 

 

1. « Qui replet in bonis desiderium tuum. » (Ps.

cii, 5.) — « Satiabor cum apparuerit gloria tua. » (Ps.

XVI, i5.)

 

2. « Inebriabuntur ab ubertate domus tuse ; et torrents

voluptatis tuae potabis eos. » (Ps. xxxv, 9.)

 

3. « Quamlibet formam sequitur aliqua inclinalio. »

s. Th., Summa Theol., I, q. lxxx, a. i.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l49

 

Et de vrai, comment leur volonté poiirrait-

«11e ne pas se porter, avec un élan irrésistible,

vers celui que leur intelligence connaît claire-

ment et lui propose ouvertement comme le sou-

verain Bien? Et puisqu'ils le possèdent, sans

crainte de le perdre, comment ne pas trouver en

lui la suprême délectation ? Mais la jouissance ne

va pas sans la présence effective de l'objet aimé.

Si donc Dieu est réellement uni à leur intelli-

gence en tant qu'objet de connaissance, il doit

également, disons mieux, il doit à plus forte rai-

son être vraiment et effectivement uni à leur

volonté comme objet d'amour, car « l'amour est

plus unitif que la connaissance : Amor est magis

unitivus quam cogniiio^. » Au reste, une simple

union d'affection serait absolument insuffisante

pour la jouissance parfaite et consommée que sup-

pose la béatitude.

 

L'union d'affection existe assurément, puisque

les bienheureux aiment Dieu et en sont aimés,

«t que l'amour consiste formellement dans ce lien

moral qui rapproche et enchaîne les cœurs ; mais

l'amour tend et aspire à l'union réelle, et il la

produit dans la mesure du possible : et suivant

que l'union est réelle ou seulement affective, il y

a deux manières d'aimer, l'une de jouissance,

l'autre de désir. Or, c'est l'union de jouissance

qui règne dans le ciel, puisque tout désir légitime

y est satisfait. Nous verrons ce que nous avons

cru, nous posséderons ce que nous avons espéré

et recherché dans la voie, nous jouirons enfin

 

 

 

. S. Th., P-II'% q. xxviiT, a. i, ad i.

 

 

 

l5o EXPLICATION DU MODE PARTIGULIEB

 

pleinement, sûrement, éternellement, du bien

suprême. C'est alors que l'œuvre de notre déifi-

cation sera complète et achevée, et que nous

serons parfaitement semblables à Dieu, tout

pénétrés, tout imbibés de Dieu, tout divins.

 

Déjà sans doute, nous lui ressemblons, ayant

en nous un don créé souverainement précieux,

qui est une participation formelle de sa nature ^ ;

déjà nous sommes ses fils par adoption, avec

droit à l'héritage paternel ; mais le dernier mot

de notre destinée n'est pas dit; ce que nous

serons un jour ne paraît pas encore : Charissimi,

nunc filii Dei samas, et nondum apparaît quid eri-

mus'' . C'est quand il se montrera à nous sans

ombres et sans voiles, quand nous le verrons

face à face et à découvert, quand il nous appa-

raîtra tel qu'il est, que nous lui serons pleine-

ment semblables. Scimus quoniam, cum appa-

ruerit, simltes ei erimus, qaoïiiam videbimus eam

sicuii est'. C'est alors que nous vivrons de sa

vie, le connaissant et l'aimant, quoique d'une

manière finie et limitée, comme il se connaît et

s'aime lui-même : Tune cognoscam sicut et cogni-

ius sum^ ; car la vie intime de Dieu consiste dans

la connaissance et l'am.our qu'il a de son être et

de ses divines perfections.

 

 

 

I. « Maxima et pretîosa nohîs promîssa dona-vît, xit per

haec efficiamirii divinae consortes nalurae. » (II Petr.»

 

1,4.)

 

2. 1 Joan., III, a.

 

,3. Ibid.

 

A. 1 Cor., xni, la.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l5l

 

Cette fin obtenue, notre désir de savoir sera

pleinement satisfait, notre soif de bonheur com-

plètement apaisée, car l'essence divine, unie à

notre intelligence, sera un principe suffisant

pour nous faire connaître toute vérité : et ,

d'autre part, possédant la source de tout bien et

de toute bonté, que pourrions-nous désirer

encore 1?

 

Alors sera définitivement accomplie la prière*

que le Sauveur formulait la veille de sa mort

pour ses disciples et pour ceux qui devaient

croire en lui dans la suite des siècles : « Père

saint, gardez en votre nom ceux que vous m'avez

donnés, afin qu'ils soient un comme nous...

Qu'ils soient tous un, ô Père, comme vous êtes

en moi et moi en vous. Qu'eux aussi soient un

en nous, afin que le monde voie que vous

m'avez envoyé. Et je leur ai communiqué la

gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient

un comme nous. Moi en eux, vous en moi ; qu'ils

soient consommés dans^ l'unité. Et ego clarita-

 

 

 

I. « HoG autem fine adepto, necesse est naturale deside-

rium quietari : quia essentia divina, quae modo praedicto

conjungetuT intellectui Deuni videntis, est suffîciens prin-

cipium omnia cognoscendi, et fons totius bonitatis, ut nihil

restare possît ad desiderandum. Et hrc eliam est perfectis-

simus modus divinam simili tudinem consequendi, ut scili-

cet ipsum coguoscamus eo modo quo se ipse cognoscit, sci-

licet per essentiam suara ; licet non comprehendamus

ipsum, sicut ipse se comprehendit, non quod aliquam ejus

partem ignoremus, cum partem non habeat, sed quia non

Ita perfecte ipsum cognoscemus siçut cognoscibilis est. ».

<S. Th., Comp. TheoL, cap. cvi.)

 

 

 

l53 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

tem quam dedisti mihi, dedi eis, ut sint unum, sicut

et nos unum sumus. Ego in eis, et tu in me, ut sint

consummati in unum^. »

 

Ainsi 1 "union, l'union de tous avec Dieu»

l'union de tous en Dieu, l'union consommée, tel

est le vœu suprême du cœur de Jésus, pleine-

ment réalisé dans la gloire, et recevant dès cette

vie, par la grâce et la charité, un premier accom-

plissement.

 

Demandera-ton encore maintenant, si l'inexis-

tence de Dieu dans les saints, en tant qu'objet de

connaissance et d'amour, est une présence vrai-

ment substantielle? Ceux qui ne parvenaient pas

à comprendre que cette sorte de présence pût être

effective et réelle, et ne se bornât pas à une

simple union objective et morale, seront-ils plus

heureux actuellement? Nous osons croire que

les difficultés si souvent proposées sur ce point

auront disparu comme par enchantement, et que

les lecteurs qui auront bien voulu nous suivre

jusqu'ici, comprendront sans peine maintenant

le sens et la portée des paroles suivantes de

saint Thomas : « Par son opération, c'est-à-dire

par la connaissance et l'amour, la créature rai-

sonnable atteint la substance même de Dieu ;

voilà pourquoi, au lieu de dire que, suivant ce

mode spécial de présence, Dieu est dans l'âme

juste, on dit qu'il habite en elle comme dans son

temple. Et quia cognoscendo et amando creatura

rationalis sua operatione attingit ad ipsum Deum,

secundum Istum specialem moduni Deus non solum

 

 

 

I. Joan., XVII, ii-aS.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l53

 

•dicitar esse in creatura rationali, sed etiam habiiave

in ea sicut in templo sao *. »

 

Ils comprendront également la raison de l'in-

sistance que semble mettre le saint Docteur à

répéter que la grâce sanctifiante peut seule pro-

curer ce mode particulier de présence. Sola

gratia facit singularem modum essendi Deum in

rébus*. C'est que la connaissance que nous

avons de Dieu dans l'ordre naturel, étant une

connaissance indirecte et abstractive, ne le rend

pas véritablement présent à notre âme ; il n'est

dans notre intelligence que par le concept qui le

représente, et par conséquent d'une manière

purement idéale et objective, et non point effec-

tive et réelle.

 

La foi nous le fait connaître, il est vrai, plus

parfaitement que la raison, car elle nous initie,

quoique d'une manière obscure et énigmatique,

aux secrets de sa vie intime ; mais la foi toute

seule, séparée de la charité, ne suffît pas à rendre

Dieu véritablement présent à Tentendement du

fidèle, à le faire habiter en lui ; ce que possède le

pécheur qui a la foi, ce n'est pas Dieu lui-même,

mais l'idée de Dieu, c'est-à-dire un concept sur-

naturel qui le représente. Seule la grâce sancti-

fiante, au moins lorsqu'elle est parvenue à son

apogée et à son plein développement, comme

dans les saints du ciel, demande, requiert,

amène la présence vraie, réelle, substantielle, de

Dieu dans l'âme bienheureuse en tant qu'objet de

 

 

 

1. S. Th., I, q. xLiii, a. 3.

 

2. Id., q. VIII, a. 3, ad 4.

 

 

 

l54 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

connaissance et d'amour : la présence de l'essence

divine dans son intelKgence pour la rendre

capable de voir Dieu tel qu'il est ; la présence

du Bien souverain dans sa volonlé pour qu'elle

puisse jouir de lui et se délecter dans sa posses-

sion.

 

 

 

CHAPITRE V

 

 

 

Explication du mode particulier de

 

présence dont Dieu honore les justes de

 

la terre et les saints du ciel

 

(suite)

 

 

 

s //. — Comment la grâce produit dans les Justes

de la terre une présence de Dieu analogue à celle

^ont jouissent les saints dans le ciel.

 

 

 

I

 

 

 

Maïs pouvons-nous en dire autant efes saints

d'ici-bas ? Pouvons-nous légitimement appli-

quer aux justes, encore dans la voie, ce qui con-

vient aux élus déjà arrivés au terme, et affirmer

que la grâce produit en eux une présence, à la

fois réelle et spéciale, de Dieu comme objet de

connaissance et d'amour ? N'y a-t-il pas entre ces

deux états une différence capitale? N'est-il pas

manifeste, tout d'abord, que l'essence divine n'est

point unie directement et immédiatement à l'in-

telligence des voyageurs, comme nous l'avons dit

des conrpréhenseurs, pour être le principe et le

 

 

 

l56 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

terme d'une connaissance intuitive? Sans aucunr

doute, autrement nous verrions Dieu face à face,

et la foi aurait fait place au plein jour de la

vision.

 

Mais, tout en confessant avec l'Apôtre que

notre connaissance présente de la Divinité est

essentiellement obscure et énigmatique, impar-

faite et spéculaire^ nous n'allons pas cependant

jusqu'à en conclure que Dieu ne nous honore pas

véritablement, dès cette vie, de cette présence subs-

tantielle et spéciale que l'Ecriture et la Tradition

nous donnent comme l'apanage de quiconque est

en état de grâce : ce serait méconnaître les

richesses de notre vocation et les trésors sans

prix que Dieu daigne conférer à ses enfants adop-

tifs en leur envoyant son Esprit-Saint. Mais

alors, en quoi consiste cette union de Dieu avec

nos âiTies? C'est ce qu'il nous faut expliquer.

 

D'après une doctrine empruntée aux saintes

Lettres par l'angélique Docteur, la grâce n'est

pas autre chose qu'une inchoation en nous de la

gloire future : Gratia nihil aliud est quam inchoatio

gloriœ in nobis^. En conséquence, nous possédons

déjà, en germe et d'une façon initiale, ce qui cons-

tituera un jour notre béatitude. Et puisque la béati-

tude formelle consiste dans l'acte par lequel la

créature raisonnable prend possession du souve-

 

 

 

I. « Videmus nunc per spéculum in aenigmate : tune

autem facie ad faciem... Nunc cognosco ex parte : tune

autem cognoscam sicut et cognitus sum. » (1 Cor., xiii»

 

a. S. Th., IP-IP% q. xxiv, a. 3, ad a.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU lÔj

 

rain Bien et jouit de lui, il faut que, dès cette vie,

le juste atteigne, lui aussi, par son opération, la

substance divine, qu'il entre en contact avec elle

par la connaissance et l'amour, et commence à

jouir de Dieu. C'est ce qui a lieu eflectivement

par la connaissance expérimentale et savoureuse

qui est le fruit du don de sagesse, et surtout par

l'amour de charité : connaissance et amour qui

supposent, non pas la vue, non pas la pleine pos-

session et l'entière jouissance, mais la présence

réelle et sentie de l'objet connu et aimé.

 

Ce n'est encore, il est vrai, qu'un point lumi-

neux, bien faible et à peine perceptible pour le

commun des chrétiens; mais, je le demande, si

le laboureur qui sème un gland ne savait pas

que ce fruit provient d'un grand arbre et qu'il

contient un principe de reproduction, comment,

à le considérer avec des yeux de chair, pourrait-

il conjecturer ce qui en sortira un jour? Or, la

grâce est, suivant l'expression du prince des

apôtres, une semence : Renati non ex semine

corruptibili sed incorruptibili per verbum Dei^,

semence précieuse et incorruptible, destinée à

s'épanouir au soleil de l'éternité, mjûs ne possé-

dant encore que d'une façon rudiiuentaire la

riche frondaison qu'elle offrira plus tard. L'habi-

tation du Saint-Esprit en nous, qui en est la con-

séquence et l'accompagnement nécessaire, n'est»

elle aussi, qu'un germe : nondum apparuit quid

erimus^\ voilà pourquoi l'Apôtre, parlant de la

 

 

 

i.IPetr., I, 33.

3. 1 Joan., III. a.

 

 

 

l58 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

gloire future, se sert presque toujours du mot de

révélation : ad futur am gloriam quœ revelabiiur in

nobis'^. Un jour les ténèbres qui nous environnent

se dissiperont, le voile qui recouvre les mystères

de la vie surnaturelle sera enlevé, et nous con-

naîtrons alors, avec un sentiment d'admiration

profonde et d'ineffable gratitude, le trésor que

nous portons actuellement cacbé au fond de nos

cœurs.

 

En attendant, pour nous guider au milieu de

la nuit du temps présent, nous avons le flambeau

de la foi et la lumière de la vérité révélée, qu'il

importe de ne point perdre de vue, suivant la

recommandation de saint Pierre : Habemus fir-

miorem propheticum sermonem, cui bene faciiis

attendentes quasi lucernœ lucenii in caliginoso loco,

donec dies eluceseat, et lucifer oriatur in cordibus

vestris^. Or, c'est la parole même de Dieu qui

nous apprend et nous certifie que, par la grâce et

avec la grâce, le Saint-Esprit nous est envoyé,

nous est donné, qu'il habite en nous, avec la

ferme volonté d'y demeurer toujours, en sorte

qu'il nous est loisible de commencer dès mainte-

nant à jouir de sa divine personne^. Mais la jouis-

sance suppose la présence effective de l'objet

aimé, suivant l'observation très juste de saint

 

 

 

1. Rom., vTii, i8.

 

2. n Petr., I, 19.

 

3. « Per donum gratiae gratum facîentîs pprBcilur crea-

tura rationalis ad hoc quod libère non soluni ipso dono

creato utatur, sed ut ipsa divlna personafruatur. » (S. Th.,

I, q. XLiii, a. 3, ad i.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU iBg

 

Bonaventure : « Pour jouir d'une chose, il faut,

outre la présence de cet objet, la disposition con-

venable du sujet appelé à jouir ; par conséquent,

pour jouir de l'Esprit-Saint, sa présence est né-

cessaire, ainsi que le don créé, ou l'amour, qui

nous unit à lui. Adfruendum eo qmo fruendum est,

requiritar prœsentia fruibilis et etiam dispositio

débita, fruentis ; unde requiritar prœsentia Spiriius

Sancii et ejas donum, scilicet amor qao inhœreatur

ei^. » On voit par là que, au moment de notre jus-

tification, nous recevons une double charité, l'une

créée, Tautre incréée; l'une par laquelle nous

aimons Dieu, l'autre par laquelle nous en sommes

aimés* ; l'une qui est une des trois vertus théolo-

gales, l'autre qui est la personne même du Saint-

Esprit.

 

Dieu est donc réellement, physiquement, subs-

tantiellement présent au chrétien qui a la grâce ;

et ce n'est pas une simple présence matérielle,

c'est une vraie possession accompagnée d'un com-

mencement de jouissance ^ ; c'est une union

incomparablement supérieure à celle qui relie les

autres êtres à leur Créateur, et qui n'est surpassée

 

 

 

1. S. Bonav., Comp. Theol. verit., 1. I, c. ix.

 

2. « Ex jam dictis patet, quod in justificatione duplex

charitas nobis datur, scilicet creata et increata, illa qua dili-

ginius et illa qua diligimur, » (S. Bonav., loc. cit.)

 

3. « Gratia gratum faciens disponit animam ad haben-

dam divinam personam. » (S. Th., I, q. xliii, a. 3, ad 2.)

— « Habere autem dicimur id quo libère possumus uti vel

frui ut volumus. Et per hune moduni divina persona non

potest haberi nisi a rationali creatura Dec conjuncta. » (I»

q. xxxvm, a. i.)

 

 

 

ï6o EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

que par F union des deux natures , divine

et humaine, dans la personne du Verbe incarné ;

une union qui, parvenue à un certain degré, est

vraiment un avant-goût des joies célestes, une

sorte d'inchoation et de prélude de la béatitude.

Aussi saint Thomas ne craint-il pas d'affirmer

qu'il y a, dès cette vie, dans les saints, un com-

mencement imparfait du bonheur futur, qu'il

compare aux bourgeons, espoir et prémices de la

récolte prochaine'. En parlant de la sorte, il

exprimait sans doute ce qu'il avait expérimenté

lui-même, et les grands serviteurs de Dieu ne

tiennent pas un autre langage. Qu'où parcoure

les œuvres de sainte Thérèse, surtout le Château

intérieur, et Ton se convaincra facilement que

cette illustre maîtresse de la science mystique

partageait entièrem^ent le sentiment de notre

angélique Docteur. Tel est le mystère de vie que

chaque fidèle justifié porte en soi, et qui est le

fond de l'état chrétien. Essayons de pénétrer

plus avant dans l'intelligence de cette consolante

vérité.

 

 

 

I . « Spes futuree beatitudinis potest esse in nobîs propter

duo : primo quidem, propter aliquam prseparationem,

vel dispositionem ad futuram beatitudinem, quod est

per modum meriti : alio modo, per quamdam inchoationem

imperfectam futurœ beatitudinis in viris sanctis etiam in

hac vita. Aliter enim habetur spes fructificationis arbo-

ris, cum \irescit frondibus; et aliter, cum jam prlmordia

fructuum incipiunt apparere. » (S. Th., l'-II", q. lxix,

a. 3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l6l

 

 

 

II

 

 

 

Au jugement de saint Thomas, suîvî en cela

par le plus grand nombre des docteurs, à quel-

que école qu'ils appartiennent, la grâce sancti-

fiante établit entre Dieu et l'âme juste, par l'in-

termédiaire de la charité, une vraie et parfaite

amitié.

 

Trois choses, en effet, sont requises pour qu'il

y ait amitié entre deux êtres ; il faut, tout d'abord,

que l'affection qui les' unit soit une véritable

dilection, c'est-à-dire un amour de bienveillance

les portant l'un et l'autre à se vouloir, à se sou-

haiter, à se faire du bien, à rechercher non leur

utilité propre ou leur avantage personnel, mais

l'avantage de la personne aimée ; il faut, en

second lieu, que leur amour soit mutuel ; et enfin

qu'il soit fondé sur une certaine communauté de

biens, par exemple sur une ressemblance de

caractère ou sur une similitude de condition et de

vie ; car on n'unit bien que ce qui se ressemble,

la ressemblance jouant dans Tordre moral le

rôle de l'affinité dans le monde des corps i. Doii

 

 

 

I. « Non quilibet amor habet rationem amicitiae, sed amor

qui est cum benevolentia, quando scilicet sic amamus ali-

quem ut ei bonum velimus..; sed nec benevolentia sufïîcit

ad rationem amicitiae, sed requiritur qusedam mutua ama-

tio, quia amicus est amico amicus. Talis autem mutua

benevolentia fundatur super aliqua communications Cum

ergo sit aliqua communicatio hominis ad Deum, secundum

quoi nobis suam beatitudinem communicat, super hanc

 

HAB. SAINT-ESPRIT. — II

 

 

 

102 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

cet adage que l'amitié suppose ou produit une

certaine parité entre ceux qu'elle unit : Amicitia

aut pares invenit aut facit. Et suivant la nature

des différents biens qui nous sont communs avec

d'autres, proviennent les différentes sortes

d'amour : l'amour fraternel fondé sur la commu-

nauté de sang, l'amour conjugal basé sur la

communauté de vie et de droits, l'amour entre

citoyens qui repose sur la communauté de

patrie.

 

Or, quiconque possède, avec la grâce, la cha-

rité, qui en est l'inséparable compagne, aime

Dieu pour lui-même d'un amour souverain et

il en est aimé à son tour. Ego diligentes me di-

ligoK

 

C'est une chose bien surprenante que cette

mutuelle dilection du Créateur et de la créature.

Que nous aimions Dieu, la beauté infinie, la

bonté inépuisable, l'océan de toutes les perfec-

tions, quoi de plus naturel, de plus conforme

tout à la fois à la loi divine et aux inclinations

de notre cœur? Mais que l'Être infini attache

quelque prix à notre amour, que ûon seulement

il nous permette de Taimer, mais qu'il nous y

invite en termes d'une tendresse fort touchante

comme lorsqu'il nous dit : « Mon fils, donne-

 

 

 

icommunicationem oportet aliquam amicîtîam fundari..,

Amor auteni super hanc communicalionem fundatus,

est charitas. Unde manifesturn est quod charilas amicitia

quaedam est hominis ad Deum. » (S. Th., II'-II", q. xxiii,.

a. I.)

 

I. Prov., viu, 17.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l63

 

moi ton cœur : Prœbe, fili mi, cor tuum mihi i ;

mes délices sbnt d'être avec les enfants des

hommes : Deliciœ meœ esse cum filiis hominum " ;

qu'il nous en fasse même un commandement,

le premier de tous et celui qui résume tous les

autres 3, en s'engageant à nous payer de retour ;

voilà ce qui est de nature à nous jeter dans la

stupeur. Job n'en peut revenir et il s'écrie :

<( Mon Dieu, qu'est-ce donc que l'homme, pour

que votre cœur se repose ainsi sur lui^^? » Et

le grand évêque d'Hippone disait de son côté :

« Seigneur, que suis-je donc à vos yeux, pour que

vous m'ordonniez de vous aimer, que votre colère

s'allume contre moi, et que vous me menaciez

d effroyables maux si je vous refuse mon amour,

com^me si ce n'était pas une assez grande misère

que de ne pas vous aimer ^ ? »

 

On comprend sans peine que Dieu réclame nos

adorations et nos hommages ; c'est dans l'ordre,

puisqu'il est l'Être souverainement parfait. Qu'il

daigne également nous admettre à l'honneur de

le servir, c'est une chose qu'expliquent suffisam-

 

 

 

1. Prov., XXIII, 36.

 

2. Prov,, vïii, 3i.

 

3. « Diliges Dominum Deum tuum ex loto corde tuo, et

in tota anima tua, et in tota mente tua. Hoc est maximum

«t primum mandatum. » (Matth., xxii, 37-88.) — « Pleni-

tudo legis est dilectio. » (Rom., xiii, 10.)

 

4. « Quid est homo, quia magnificas eum? aut quid ap-

ponis erga eum cor tuum? » (Job, vu, 17.)

 

5. « Quid tibi sum ipse, ut amari te jubeas a me, et

nisi faciam, irascaris mihi, et mineris ingentes miserias ?

Parvane ipsa est, si non amem te ? » (S. Aug., Conf., 1. I,

c. V.)

 

 

 

l64 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

ment, d'une part, sa condescendance infinie, de

l'autre, la qualité de serviteurs qui nous revient

en tant que créatures. Mais croire qu'il puisse

s'établir entre lui et nous des rapports de familia-

rité, des liens d'étroite union, bref, une véritable

amitié, n'est-ce pas une ambition démesurée, un

rêve, une chimère? Si, parmi les hommes, l'ami-

tié n'est pas de mise entre un serviteur et son

maître, comment serait-elle séante, comment

serait-elle possible entre le Maître des maîtres et

ses chétifs serviteurs? N'est-ce pas une vérité,

passée à l'état de proverbe, que la majesté et

l'amour ne vont point ensemble et ne sauraient

s'asseoir sur un même trône? En effet, pendant

que la majesté éloigne et tient à distance, l'amour

rapproche et unit; la majesté inspire le respect

et la crainte, l'amour chasse la crainte et pro-

voque la familiarité et l'abandon. Comment d n-

cilier des choses tellement dissemblables qu'elles

en paraissent incompatibles ?

 

Et puis, qu'est-ce que Dieu peut bien trouver

en nous qui attire son amour et lui fasse désirer

le nôtre? Qu'a-t-il besoin de nous? Quel intérêt

a-t-il à nous aimer? La créature lui serait-elle,

par hasard, nécessaire pour satisfaire ce besoin

du cœur, pour goûter cette joie intime, si douce

et si convoitée, d'aimer et de se sentir aimé? A

qui le prétendrait le Psalmiste répond : « J'ai dit

au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n'avez

nul besoin de mes biens i. » Dieu se suffit pleine-

 

 

 

I. « '^ixl Domino : Deus meus es tu, quoniam bonorum

meon > non cgcs. » (Ps. xv, a.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l65

 

ment à lui-même ; en lui se trouve tout bien,

toute beauté, toute joie, toute félicité. Le Père

aime le Fils qu'il engendre d'un amour infini ;

le Fils aime le Père d'un amour égal ; et le terme

de cette mutuelle dilection est la personne même

du Saint-Esprit, l'Amour subsistant.

 

Avant que le monde fût, avant que les anges,

ces aînés de la création, eussent entonné, en

l'honneur du Très-Haut, leur cantique de

louange!, alors que Dieu seul était, il se voyait,

il se contemplait, il se disait dans son Verbe,

qu'il engendrait en lui communiquant sa nature ;

et, ravi de la beauté ineffable qui leur est com-

mune, il se reposait en ce Verbe avec une com-

plaisance infinie, l'étreignant dans un embrasse-

ment paisible, ardent, vivant, qui se nomme le

Saint-Esprit; il était en lui-même, et par lui-

même, souverainement, ineffablement, infini-

ment heureux 2.

 

Ce n'est donc point par indigence que Dieu

exige de la créature le tribut de son cœur ; ce

n'est point pour accroître, encore moins pour

acquérir sa propre félicité, que Dieu nous aime

et réclame notre amour ; c'est uniquement par

bonté, pour manifester ses perfections en les

communiquant, pour trouver sa gloire dans le

bonheur des créatures ^. Gomme le soleil répand

 

 

 

I. « Ubi eras... cum me laudarent simul astra matutîna,

et jubilarent omnes filii Dei? » (Job, xxxviii, 7.)

 

a. « In se et ex se beatissimus. » {Conc. Vatic, Const. Dei

Filius, c. 1.)

 

3. « Hic solus verus Deus, bonitate sua et omnipotenti

virtute, non ad augendam suam beatitudinem, nec ad

 

 

 

l66 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

sa lumière et la fleur son parfum, sans aucun

profit pour qui les concède, mais au grand

avantage de qui les reçoit ; ainsi Dieu, dont la

nature est éminemment libérale et communica-

tive, ne demande qu'à répandre ses dons et à

faire des heureux i. S'il exige notre amour, ce

n'est pas qu'il en retire aucun fruit pour lui-

même ; mais c'est qu'en accomplissant ce que

réclament l'ordre et la nature des choses, nous

devons y trouver nn immense profit. Ce qu'il

veut, en conséquence, c'est qu'en le servant et

en laimant, nous nous enrichissions de précieux

mérites, et nous rendions dignes de participer

un jour à sa béatitude 2.

 

 

 

acqurirendam, sed ad manifestandam perfectionem suam

per bona, quae creaturis impertitur, liberrimo consilio,

simul ab initio temporis, utramque de nihilo condidit crea-

turam, spiritutilem et corpoTalem, angelicam videlicet et

mundanam, ac dernde humanam quasi communem ex

spirilu et corpore constitutam. » {Conc. Vatic, Const. Dei

Filius, c. I .)

 

Saint Hilaire avait depuis longtemps formulé la même

pensée, quand il disait : « Hominem, non quod offîcio ejus

in aliquo eguerit, instJtuit ; sed quia bonus est, participem

beatltudiiiis suae condidit, «t rationalc amimal in usum lar-

gifindée sute aeternitatis ^ita sensuque perfecit. » (S, Hil.,

in Ps. II, n. i5.)

 

I. « Ipse solus est maxime liberalis, quia non agit propter

suam utilitatem, sed solum propter suam bonitatem. »

(S. Th., I, q. XLiv, a. 4, ad i.)

 

3. « Amari se a nobis exigit, non utique amoris in se

nostri fructum aliquem sui causa ipse percipiens, sedamore

ipso nobis potius, qui eum amabimus, profnturo >am

amari ;se, sibique nos obsequi, idcirco ut nobis bene sit,

expetit, ut digni beatitudinis suœ ac bonîtatis suœ munere i

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU ïGy

 

Toutefois, si Dieu nous aime et veut que nous

l'aimions ; si la dilection mutuelle non seule-

ment est possible, mais réellement existante

entre l'âme qui a la grâce et la Divinité, où

trouver le troisième élémenit de. l'amitië, cette

communauté de biens, cette similitude de con-

dition et de vie, cette sorte de parité qu'elle sup-

pose et réclame? Y a-t-il rien de commun entre

le Créateur et la créature ? Ne sont-ils pas infint-

ment distants l'un de l'autre, séparés par un

abîme infranchissable, et que rien ne peut

combler ? Sans doute, car Dieu est grand»

immense, infmi, et l'être créé est si petit, si peu

de chose, si voisin du néant ! Et pourtant, ô mer-

veille, la sagesse divine a trouvé le secret de

rapprocher des termes si éloignés l'un de l'autre;

et ce que la sagesse a conçu, l'amour l'a réalisé.

 

Pour nous faire ses amis. Dieu s'est abaissé,

l'Apôtre dit anéanti, en descendant jusqu'à nous

pour nous élever jusqu'à lui ; il s'est fait, pour

ainsi dire, notre égal en prenant notre nature • ;

il nous a emprunté notre indigence et nos mi-

sères pour nous enrichir par son dénuement ' ;

 

 

 

per meritum amoris sui et obsequii judicemur. Bonitatis

autein usus, ut splendor solis, ut lumen ignis, ut odor

succi» non praebenti proficit, sed utenti. » (S, Hil., in Ps.

II, n. i5.)

 

1. « Qui, cum in forma Dei esset, non rapinam arbitra-

lus est esse se aequalem Deo ; sed semetipsum exinanivit,

formam servi accipiens, in similitudinem hominura factus^

et habita inventus ut homo. » (Philip., n, 6-7.)

 

2. « Scitis gratiam Domini nostri Jesu Ghristi, quoniam

propter vos egenus factus est, cum esset dive»,, ut illius

inopia vos divites essetis. w (II Cor., vin, 9.)

 

 

 

l68 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

il nous a amoureusement départi des biens

immenses et souverainement précieux en nous

communiquant sa nature ' , en nous donnant le

titre et la qualité d'enfants adoptifs*, avec droit

à l'héritage paternel 3.

 

Aussi l'Eglise, ne pouvant contenir ses senti-

ments d'admiration en présence d'une bonté si

merveilleusement condescendante, s'écrie-t-elle

avec les accents d'un saint enthousiasme : « Oi

l'admirable échange I Le Créateur du genre)

humain a daigné prendre un corps et une âme,

naître d'une Vierge, et devenu homme sans le'

concours de l'homme, nous faire part de sa divi^

nité : admirabile commerciumf Creator generis\

humani animaium corpus samens, de Virglne nasci

dignatus est ; et procedens homo sine semine, lar-

gitus est nobis suarn deitatem*. »

 

A l'exemple du roi Alexandre, qui, voulant

jadis honorer de son amitié le fils de Mathatias,

commença par l'élever à la dignité de grand-

prêtre, lui envoya la pourpre et une couronne

d'or, avec ces mots : « Vous êtes apte à devenir

notre ami : Aptus es ut sis amicus noster ^ » ; Dieu

peut, lui aussi, sans déroger à sa propre dignité,

 

 

 

I. « Maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per

haec efficiamini divinae consortes naturae. » (II Petri,

 

1.4.)

 

a. « Videte qualem charilatem dédit nobis Pater, ut filii

Dei nominemur et simus. » (I Joan., m. i.)

 

3. o Si autem filii, et hœredes : haeredes quidem Dei,

cohaeredes autem Ghristi. » (Rom., vm, 17.)

 

4. Ex oflQc. Circumcisiomt.

 

5. IMachab., x, 19.

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU 169

 

s'unir à nous par les liens de l'amitié, depuis

que, par un prodige de condescendance absolu-

ment inespéré, il a daigné nous admettre à faire

partie de sa maison i, et nous introduire authen-

tiquement dans sa race : Ipsius enim et genus

sumus\

 

 

 

III

 

 

 

La charité réalise donc toutes les conditions

d'une vraie et parfaite amitié entre Dieu et

l'homme : elle est un amour de bienveillance,

un amour mutuel, un amour fondé sur une com-

munauté de nature, en attendant la communauté

de bonheur dont elle est le gage.

 

Etant une amitié véritable, elle doit en avoir

les prérogatives et en combler les exigences. Or,

que demande l'amitié ? Quel genre d'union

réclame-t-elle entre ceux qu'elle rapproche? Se

montre-t-elle satisfaite d'un simple accord de

pensées et de vouloirs, d'une communauté de

biens extérieurs, et d'un lien d'afifection? Est-ce

là le but final de toutes ses visées, le terme de

ses aspirations ? Non ; ce qu'elle veut, ce qu'elle

désire, ce qu'elle réclame, ce à quoi elle tend de

toutes ses forces, ce qu'elle effectue dans la,

mesure du possible, c'est l'union réelle et intime,

c'est la vie en commun, c'est la jouissance réci-

proque des deux êtres qui s'aiment.

 

 

 

I. « Jam non estis hospites et advense, sed estis civet

sanctorum et domestici Dei. » (Ephes., n, 19.)

a. Act., XYU, a8.

 

 

 

170 EXPUCATION DU MODE PARTICULIER

 

En effet, comme l'observa Judicieusement saint

Thomas, l'amour étant, sui\:ant l'expression de

saint Denys, une force unitive, amor quilibet est

vk uniliva, il est de l'essence de l'amour de tendre

à l'union ; et plus l'amour est parfait, plus par-

faite aussi est l'union qu'il convoite. Or, deux

sortes d'union peuvent exister entre amis : l'une

purement affective et morale, consistant dans une

inclination habituelle, un attrait, un penchant

qui nous porte vers la personne aimée, nous

rappelle son souvenir, nous fait trouver joie et

plaisir à penser à elle ; l'autre effective et réelle,

lorsque ceux qui s'aiment sont présents l'un à

l'autre, qu'ils peuvent vivre et converser en-

semble. De ces deux espèces d'union, Tune

constitue l'amour lui même, l'autre est l'effet de

l'amour'.

 

Dans les amitiés humaines, l'union réelle, la

vie en commun peut bien être désirée, convoitée,

poursuivie, il n'est pas toujours possible de la

 

 

 

I. « Duplex est unio amanlis ad amatum : una quidem

secandum rem, puta cum amatum prœsentialiter adest

amanti ; alla vero secandum ajfecium... Primam unionem

amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quae-

pendum praesentiam amati quasi sibi con\'enientis et ad se

pertinentis. Secundam autem unionem facit formai iter,

quia ipse amor est talis unio vel nexus. » ;(S. Th., Sixmma

TheoL, l'-II", q. xxvm» a. i.)

 

« Unio tripliciter se habet ad amorem : Quaedam enim

unio est causa amoris; et hœc est... unio similitudinis.

Quaedam vero unio est essentialiter ipse amor ; et hœc est

unio secundum coaptationem aifectus,.. Qasadam vero

unio est effectus amoris : et haec est unio realis, quam

amans quœrit de re amata. » (S. Th., ibid^ ad a.)

 

 

 

I>E LA PRÉSFNCE DE DIEU I7I

 

réaliser; les devoirs d'état, les exigences des

affaires ou de la santé, les mille nécessités de la

vie iinposent souvent une séparation doulou-

reuse et plus ou moins longue à ceux-là mêmes

dont les cœurs sont le plus unis, et ils s'estiment

heureux de pouvoir se retrouver de temps en

temps. Mais à Dieu rien n'est impossible ; pour

lui, ni le temps ni la distance ne sont des obs-

tacles. Puis donc que son amour souverainement

efficace peut réaliser sans difficulté ce qu'il

désire, ne pouvons-nous pas légitimement con-

clure que la dilection qu'il porte à l'âme juste

lui impose une sorte de nécessité de venir pex-

sonnellement en elle, de demeurer avec elle,

et de ne la point priver de la consolation de sa

présence ?

 

N'est-ce pas ce que l'apôtre bien-aimé voulait

donner à entendre par les paroles suivantes :

« Celui qui demeure dans la charité demeure

en Dieu, et Dieu en lui. Qui manet in charitate

in Deo manet, et Deus in eo^ry? N'est-ce pas ce que

le Sauveur lui-même a prorais quand il a dit :

(( Si quelqu'un m'aime, il gardera mes comman-

dements, et mon Père l'aimera, et nous vien-

drons à lui, et nous ferons en lui notre

séjour 2 » ?

 

On dira peut-être : Cette présence effective du

Bien-Aimé n'appartient point à l'exil, elle est

réservée pour la patrie ; en attendant, une simple

présence morale, une union de cœur et d'affec-

 

 

 

1. 1 Joan., IV, 16.

3. Joan., XIV, a3.

 

 

 

172 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

lion répond suffisamment, pendant l'état de

voie, aux exigences de l'amitié.

 

Comme une mère très aimante et tendrement

aimée, qui, séparée physiquement de son fils,

lui est néanmoins toujours présente comme

objet de connaissance et d'amour . présente à

sa mémoire par son image très chère, présente

à son cœur par je ne sais quelle douce complai-

sance qui le ravit, et quel invincible attrait qui

l'emporte vers elle ; ainsi Dieu ne se sépare

point de quiconque a la charité, il est l'objet

constant de ses pensées, le centre de ses affec-

tions. L'âme sainte n'a pas de plus doux plaisir

que de l'aimer, de lui dire son amour, de s'en-

tretenir familièrement avec lui 1 ; car « loin

d'être pénible ou de provoquer l'ennui, sa con-

versation est une source de joie et d'allégresse :

Non enim habet amariiudlnem conversatio illias, nec

tœdium convicius illius, sed Iceiitiam et gaadiam^. »

Ne pouvant rien donner à celui qu'elle aime,

parce qu'il est la plénitude de l'être et de la per-

fection, l'âme se dédommage de son impuissance

en se complaisant dans sa béatitude, en se réjouis-

sant à la pensée qu'il possède toutes choses,

qu'il est le souverain Bien, qu'il est Dieu. Et,

 

 

 

I. « Hoc videtur esse amicitiee maxime proprîum simul

conversari ad amicum. Conversatio autem hominis ad

Deum est per contemplationem ipsius, sicut et Apostolus

dicebat : Nostra conversatio in cœlis es^ (Philip., m. 20). Qaia

igitur Spiritus sanctus nos amatores Dei facit, consequens

est quod per Spiritum sanctum Dei contemplatores consti

tuamur. » (S. Th., Contra Cent., IV, c. xxii.)

 

a. Sap., VIII, 16.

 

 

 

DE LA PRÉSEXCE DE DIEU 178

 

«'identifiant en quelque sorte à son Bien-Aimé,

elle épouse ses intérêts avec plus d'ardeur que

s'il s'agissait d'elle-même, elle travaille de toutes

ses forces à étendre et à promouvoir son règne,

à amener l'accomplissement de sa volonté très

sainte, à procurer sa gloire : heureuse quand

elle le voit honoré, servi, aimé; triste au spectacle

des offenses commises contre sa divine Majesté ;

sensible, en un mot, à tout ce qui le touche.

 

De son côté, avec quel zèle, quel empresse-

ment, quelle délicatesse Dieu remplit à son

égard l'office d'un véritable ami i : l'éclairant

dans ses obscurités et ses doutes, la soutenant

dans ses moments de faiblesse, l'encourageant

dans ses efforts, la défendant contre ses ennemis,

la consolant dans ses peines et l'introduisant

parfois dans ces celliers mystérieux où l'on boit

à longs traits le vin généreux de la sainte cha-

rité I Aussi l'âme ravie s'écrie-t-elle avec l'épouse

des Cantiques : u J'ai trouvé celui que mon cœur

aime, je le tiens et ne le quitterai plus : Inverti

quem diligit anima mea ; tenui eum, nec dimittam^. »

 

Que peut-on désirer de plus en ce monde?

Aussi l'apôtre saint Paul nous invite-t-il à nous

réjouir, non pas dans la possession effective du

bien suprême, mais dans l'espérance de l'obtenir

un jour, spe gaudentes 3.

 

 

 

I . Voir, dans la Somme contre les Gentils, les deux magni-

fiques chapitres xxi et xxii du IV* livre, où saint Thomas

expose les effets produits par l'Esprit-Saint dans les âmes

où il habite.

 

a. Gant., m, 4.

 

S. Rom., in, u.

 

 

 

174 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

Assurément, cette vie d'union morale avec

Dieu, par la contemplation et l'amour, est chose

infiniment précieuse, et nous n'aurions janïais

osé élever plus haut nos désirs. Et pourtant, là

ne s'est point arrêtée la libéralité divine, et les

lois de l'amour réclament davantage.

 

 

 

IV

 

 

 

S'il en était de la charité comme de la foi et

de l'espérance, qui supposent, en vertu même de

leur nature, l'absence et l'éloignement de leur

objet — puisque la foi a pour objet ce qu'on ne

voit pas, et l'espérance ce qu'on ne possède pas,

— nous serions bien obligés de nous résigner et

d'attendre, jusqu'à notre entrée dans le ciel, la

réelle possession de Dieu. Mais, loin de sup-

poser l'éloignement de son objet principal, la

charité en implique, au contraire, la présence et

la possession ; car « elle se rapporte à ce que

l'on possède déjà : Amor charitatis est de eo

quod jam habetar^. » Aussi est-elle la plus grande

des vertus théologales*, non pas qu'elle ait un

objet plus digne et plus relevé que les autres,

puisque tous les trois regardent Dieu immédia-

 

 

 

1. S. Th., Samma Theol.AK H", q. liti, a. 6.

 

2. « Nunc autem manent fides, spes, charitas : tm haec;

maj<»r autem horum est charitas. » (I Cor,, xiii, i3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l'jb

 

tement, mais parce qu'elle s'en rapproche davan-

tage 1.

 

Sans doute, comparativement à la pleine pos-

session de Dieu qui nous attend dans la patrie,

et à la fruition consommée qui doit y être notre

partage, notre richesse spirituelle d'ici-bas peut

passer pour pauvreté, et notre union à Dieu, si

étroite qu'on la suppose,- peut paraître un éloi-

gnement et un exil. C'est ce qui arrachait à

l'Apôtre ces gémissements : « Tant que nous

sommes dans ce corps, nous nous trouvons

comme en exil loin du Seigneur : Dum sumus

in corpore, peregrinamur a Domino ' » ; c'est ce qui

lui faisait souhaiter la dissolution de son être,

pour se voir plutôt réuni à son Dieu : Desiderium

àahens dissolvi, et esse cum Christo\ Il n'en est

pas moins vrai cependant que, même durant le

temps de l'épreuve, la charité nous unit directe-

ment et immédiatement à Dieu ; car, dès cette vie,

Dieu « est véritablement présent à ceux qui

i'aiment par l'inhabi-tation de la grâce : Est

 

 

 

1 . « Cum très virtutes theologicae respiciant Deum sicut

proprium objectum, non potest una earum dici major

altéra «x hoc quod sit circa nxa^us olyectum, sed ex eo quod

una se habeat propinquius ad objectum quam alia. Et hoc

modo charitas est major aliis ; nam aliae important in sua

ratione quamdam distantiam ab objecte ; est enim fides de

non visis, spes autemde non habitis; sed charitas est de

eo quod jam habetur ; est enim amatum quodammodo in

amante. » (S. Th., la II»% q. i,xvi, a. 6.)

 

2. II Cor., v, 6.

 

3. iPhilip., I, iï3. — « Audemus autem, et bonam volun-

tatem habemus magis peregrinari a corpore, et présentes

«sse ad Dominum. » (II Cor., v, 8.)

 

 

 

176 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

prœsens se amantibus etiam in hac vita per graiiœ

inhabliationem 1.

 

Et quoi d'étonnant à cela? La charité de la

voie n'est-elle pas la même que celle de la patrie?

La foi doit disparaître un jour devant les clartés

de la vision, comme les ténèbres s'enfuient à

l'approche de la lumière ; l'espérance doit faire

place à la possession de la fin dernière, car on

n'espère plus ce que l'on tient, et dont on a la

jouissance ; la science elle-même sera détruite,

scientia destruetur - ', nous voulons parler de la

science de Dieu, telle que nous pouvons l'acquérir

en ce monde : science essentiellement imparfaite,

parce qu'elle n'atteint pas son objet directement,

mais seulement par reflet, au moyen des créa-

tures 3, et que les êtres créés sont incapables de

nous faire connaître leur auteur tel qu'il est en

lui-même.

 

Tout ce que nous savons de Dieu à l'heure

présente, tout ce que nous pouvons en apprendre,

est immensément au-dessous de la réalité ; « ce

que nous avons actuellement de science et de

prophétie est très imparfait, nous dit l'Apôtre :

Ex parte cognoscimas, et ex parte prophetamus '^ . »

Aussi quand viendra le moment de la grande

révélation, quand le voile qui dérobe la Divinité

 

 

 

1. S. Th., Samma TheoL, IV II", q. xxviii, a. i, ad i.

 

a. I Cor., XIII, 8.

 

3. « Quod notum est Dei, manifestum est in illis. Deus

enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius, a creatura

mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. »

(Rom., I, 19-30.)

 

k. I Cor., xiu, ^

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU I77

 

à nos regards sera levé, quand l'état parfait sera

arrivé, toute cette science partielle et incomplète

disparaîtra soudain, comme disparaissent, aux

approches de la virilité, les faiblesses et les im-

perfections de l'enfance : Cum autem venerit quod

perfectum est, evacuabitur quod ex parte estK

Mais « la charité ne passe pas : Charitas num-

quam excidif^. » Sa flamme s'avivera en présence

du Bien suprême, ses ardeurs redoubleront

d'intensité, sa nature ne changera pas. Or, dans

le ciel, la charité réclame l'union réelle, l'union

parfaite, l'union consommée de la volonté créée

avec le souverain Bien. Ne semble-t-il pas naturel

qu'elle exige également, dès cette vie, la présence

vraie et substantielle de l'Esprit-Saint, pour que

nous puissions commencer à jouir de lui, puis-

que c'est dans ce but qu'il nous est donné 3?

 

Cette conclusion s'impose à quiconque réfléchit

que, si la connaissance de la voie diffère essen-

tiellement de celle de la patrie, il n'y a, par

contre, entre la charité du ciel et celle de la terre,

qu'une simple différence de degrés, de plus et de

moins ; aussi tout en étant incapables actuellement

de connaître Dieu par essence, de le voir tel qu'il

est, nous pouvons cependant l'aimer en lui-même.

 

 

 

1. I Cor., XIII, 9

 

2. Ibid.,8.

 

3. « Quod datur alicui habetur alîquo modo ab îllo.

Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad

fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae ; aut

secundum fructum imperfectum, et sic habetur per donum

gratiae gratum facientis. » (S. Th., Sent., I, dist. xiv, q. ii, a.

3. ad 3.)

 

HAB. lAIMT-BBPHlT. — 1%

 

 

 

lyo EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

directement et immédiatement i. Il n'est pas im-

possible de trouver sur la terre, au milieu des

ombres et des ténèbres de la foi, des âmes qui

ont une charité habituelle plus grande que celle

de beaucoup d'anges dans le ciel; il le faut bien,

puisque, après leur départ de ce monde, ces

âmes saintes sont élevées au-dessus d'un grand

nonibre de chœurs angéliques ; quelques-unes

même méritent de prendre place parmi les séra-

phins. Toutefois, si parfaite que soit leur charité

habituelle, elle a moins d'aideur que celle du

dernier bienheureux admis à voir Dieu face à

face'.

 

Les choses étant ainsi, qui s'étonnera d'entendre

saint Thomas affirmer « qu'il y a dès cette vie,

dans les saints, un commencement imparfait de

la béatitude future : Quamdam inchoaiionem imper-

fectam fuiurœ beatiludinis in viris sanctis etiam in

hac vita'^? » Mais il faut pour cela que l'Esp rit-Saint

leur soit uni en qualité d'hôte, d'ami, d'époux

plein de tendresse, qu'il habite réellement dans

ieur cœur comme dans un temple vivant, oii il

(reçoit leurs adorations et leurs hommages, et se

 

 

 

I. Cf. S. Th., Sent., III, dist. xxvii, q. m, a. i, ad 3.

 

3. (( Aliqui homines etiam in statu viae sunt majores

aliquibus Angelis, non quidem actu, sed virtute, in quan-

tum scilicet habent charitatem tantae virtutis, ut possint

mereri majorem beatitudinis gradum quara quidam Angeli

haheant; sicut si dicaraus, semen alicujus mqgnae arboris

esse raajus virtute quam aliquam .parvam arborem, cum

.tamen raulto minus sit in actu, » (S. Th.,.It g. cxyii, a. s«

ad 3.)

 

3. S. Th., la II**, q. Lxix, a. a.

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU 17^

 

livre à eux pour être, dès maintenant, au moins

dans une certaine mesure, l'objet de leur jouis-

sance. Ainsi se trouve partiellement vérifiée

Texaetitude de la formule employée par l'angéli-

que Docteur, quand, pour bien caractériser la

présence spéciale de Dieu dans les justes, il dit

que l'Esprit-Saint habite en eux « comme objet

de leur amour, sicut amaium in amante ^ » .

 

 

 

Mais Tautre partie de la formule est-elle égale-

ment vraie? Dieu est-il réellement et substantiel-

lement présent aux justes de la terre « comme

objet de leur connaissance, sicai cognilum in

cognoscente » ? En d'autres termes, si l'amour de

charité réclame la présence effective de l'Esprit-

Saint dans ceux qui ont la grâce, peut-on en dire

autant de leur connaissance ?

 

La réponse de saint Thomas est aflîrmative.

Mais pour prévenir toute méprise, le saint Docteur

a soin d'avertir que toute connaissance, même

surnaturelle, n'a pas cet effet ; ainsi, la connais-

sance de Dieu que nous donne la foi ne suffît

pas pour le faire habiter dans notre âme. Pour

qu'il y ait mission, donation, et conséquemment

habitation des personnes divines dans une âme,

il ne suffît pas d'une connaissance quelconque et

toute théorique, il faut une connaissance prove-

nant d'un don approprié à la personne qui nous

 

 

 

I. S. Th.. I. q. xLiii, a. 3.

 

 

 

l80 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

est envoyée, nous unissant et nous rendant

semblables à elle ; une connaissance en quelque

sorte expérimentale, qui ne s'acquiert que par

une union intime avec Dieu, et qui est le fruit du

don de sagesse*.

 

En effet, de même qu'on peut connaître théo-

riquement ou par ouï-dire la saveur d'un fruit

sans l'avoir jamais porté à ses lèvres, sans même

l'avoir jamais eu sous les yeux ou à sa disposition,

mais qu'il n'est pas possible de la connaître

expérimentalement tant qu'on n'a pas goûté ou

mangé ce fruit: ainsi, tant qu'il s'agit de con-

naître Dieu d'une science spéculative, sa présence

réelle et physique n'est point nécessaire, son

image suffit; mais quand il est question de le

connaître expérimentalement, de goûter, de sentir,

de savourer ses divines suavités, la présence

purement idéale de ce divin objet ne suffît plus,

et sa présence vraie, réelle, substantielle, devient

une nécessité qui s'impose. Or, c'est précisément

pour que nous puissions jouir de leurs divines

personnes que le Fils et l'Esprit-Saint nous sont

envoyés et donnés, et que le Père les accompagne,

(r Nous ne pouvons avoir en nous les personnes

divines, dit saint Thomas, que pour en jouir :

ou d'une manière parfaite, comme cela se réalise

 

 

 

I. « Non qualiscumque cognitio suffîcit ad raiionem

missionis, sed soluni illa quae accipitur ex aliquo dono

appropriato personae, per quod effîcitur in nobis conjurictio

ad Deum, secundum modum proprium illius personae,

scilicet pcr araorem, quando Spiritus Sanctus datur. Unde

cognitio ista est quasi experimentali». » (S. Th., Sent., I, dist.

XIV, q. Il, a. a, ad 3.)

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l8l

 

dans la gloire, ou d'une manière imparfaite, et lel

est le fruit de la grâce sanctifiante : Persona

divina non potest haberi a nobis, nisi vel adfructum

perfectum, et sic habetur per donum gloriœ, aul

secundum Jructum imperfectum, et sic habetur per

donum graiiœ graium facientis i. w

 

En se donnant à nous, en s'imprimant dans

nos âmes, les personnes divines y laissent cer-

tains dons qui sont les principes formels de cette

jouissance ; nous avons nommé la charité et le

don de sagesse' : la charité, qui nous assimile à

l'Esprit-Saint, Tamour incréé ; le don de sagesse,

par lequel nous devenons semblables au Verbe

divin, connaissant Dieu d'une connaissance ana-

logue à celle par laquelle Dieu se connaît lui-

même, c'est-à-dire d'une connaissance qui s'épa-

nouit en amour ; car le Verbe divin, ce terme de

la connaissance paternel' e, n'est pas un verbe

quelconque, mais un verbe qui spire et produit

l'amour 3.

 

 

 

I. S. Th., Sent., I, dîst. xiv, q. ii, a. 2, ad 2.

 

3. « Vel potius sicut id per quod fruibili conjungimur,

in quantum ipsae personae dmnse quadam sui sigillationc

in animabus nostris relinquunt qusedam dona quibus for-

maliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod

Spiritus Sanctus dicilur esse pignus haereditatis nostrae. »

(Ibid., ad 2.)

 

3. « Ad hoc quod aliqua persona divina mittatur ad

aliquem per gratiam, oportet quod fiât assimila tio illius ad

divinam personam quœ mittitur, per aliquod gratiae do-

num. Et quia Spiritus Sanctus est amor, per donum chari-

tatis anima Spiritui Sancto assimilatur. Unde secundum

donum charitatis attenditur missio Spiritus Sancti ; Filius

autem est verbum, non qualecumque, sed spirans amorem...

 

 

 

l82 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

Une analogie empruntée à la manière dont

notre âme se connaît noiisi aid«ra à comprendre

ce qu'est cette connaissance expérimentale de

Dieu, fruit et conséquence de la grâce. Dans

rétat présent d'union avec le corps, notre âme ne

se connaît pas directement et par intuition, elle

ne voit pas sa propre substance ; mais elle en

infère l'existence des actes dont elle est le prin-

cipe et la source.

 

Il y a pourtant une différence notable entre la

nanière dont elle se connaît elle-même, et la

façon dont elle arrive à connaître les autres

âmes. S'agit-il de connaître l'âme du prochain :

nous raisonnons sur les actes extérieurs dont

nous sommes témoins, mouvements de vie, actes

d'intelligence et de volonté, et nous concluons à

l'existence d'un principe substantiel, vivant, intel-

lectuel et libre, qui est la racine et la source de

ces opérations. Est-il question de connaître

l'existence de notre propre âme : ne pouvant pas

l'atteindre directement, nous sommes bien encore

obligés de recourir au procédé déductif; mais

alors, au lieu de prendre pour base unique du

raisonnement les manifestations extérieures de la

vie, nous pouvons nous appuyer sur des données

 

 

 

Non igitur secundum quamlibct perfectionem intellectus

mittitur Filius, sed secundum talem instructionem intel-

lectus, qua prorumpat in affectum ainoris... Et ideo

signanter dicit Augustinus, quod Filius mittitar, cum a

quoquam cognoscitur atque percipitar. Perceptio autem

experimentalem quamdara notitiam significat ; et haec

proprie dicitur sapientia, quasi sapida scientia. » (S. Th., I,

q. xLiii, a. 5, ad a.)

 

 

 

DE fLA PRÉSENCE DE DIEU l83

 

de conscience et des faits de l'ordre interne; car

ici nous ne constatons pas simplement la vi«,

nous la sentons en nous, nous avons conscience

de nos pensées, de nos vouloirs et de tous ces

mouvements dont nous sommes à la fois les

témoins >et les acteurs. Nous obtenons ainsi une

sorte de connaissance expérimentale du principe

de ces actes, connaissance indirecte et obscure,

connaissance déductive, tant qu'on voudra, mais

différant singulièrement de cette science toute

théorique que nous pouvons acquérir de l'exis-

tence 'de l'âme d'aoatrui. De là oeAte parole de saint

Thomas : a que notre âme se connaît par sa

présence : Et ideo dicitur se cognoscere per suam

prmseniiam^. »

 

Ainsi en est-il, proportion gardée, de la manière

dont nous pouvons connaitre la présence de Dieu

au fond de nos cœurs. Non seulement nous

savons théoriquement que Dieu habite dans les

justes, mais par le don de sagesse nous gmilons

sa divine présence. Et bien que personne ne

puisse, sans une révélation spéciale, avoir la

certitude absolue ^e le Saint-Esprit test en lui,

« nul ne sachant d'une certitude de foi, incom-

patihle avec «toute 'erreur, s'il est en état de grâce,

comme l'a déclaré Je concile de Tîrente : Cum

nattas scire maleat certitadine fidei, cui non potest

suhesse falsum, se gratiam Dei esse consecutum^ » ;

nous ne sommes pourtant pas réduits sur ce point

à une complète ignorance ; car, suivant là parole

 

 

 

I. S. Th., Summa TheoL^ I, q. Lxxxvn, «. 'K

 

a. Trid., sess. VI, c. ix.

 

 

 

l84 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

de l'Apôtre, « l'Esprit-Saint lui-même rend à

notre âme le témoignage que nous sommes

enfants de Dieu : Ipse enim Spiritus testimonium

reddii spiritai nostro quod sumusfilii Dei^ » : non

pas sans doute par une voix extérieure s'adres-

sant à l'oreille du corps, mais, comme l'explique

saint Thomas, « par l'effet de l'amour filial qu'il

produit en nous : per ejfectum amoris filialiSy,

qiiem in nohis facit^ ».

 

Nous ne voyons pas cet hôte intérieur, un voile

impénétrable nous dérobe l'éclat de sa présence,

la cloison de la chair nous sépare du Bien-Aimé ;

aussi « gémissons-nous dans l'attente de notre

pleine adoption. Et ipsi intra nos gemimus,

adoptionemfiliorumexpectantes^\ )> Mais, que dis-je?

ce n'est même pas une cloison, c'est un simple

treillis à travers lequel le Bien-Aimé nous

contemple. En ipse siat post parietem nosiruniy

respiciens per Jenestras , prospiciens per cancellos^ ;

et quand, dans sa bonté, il daigne passer la main

et faire sentir davantage sa présence, notre cœur

en est tout ému.

 

Pour faire comprendre cette vtrité, sainte

Thérèse se sert d'une comparaison ingénieuse.

Elle dit qu' « il en est en quelque sorte de l'âme

comme d'une personne qui, se trouvant avec

d'autres dans un appartement très clair, cesserait

tout à coup de les voir si l'on fermait les fenêtres

 

 

 

1. Rom., VIII, i6.

 

2. S. Th., in Epist. ad Rom. viii, lect. 3.

 

3. Rom., VIII, a3.

 

4. Gant, v,, 9

 

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU l85

 

sans néanmoins cesser d'être certaine de leur

présence... Pourvu que cette âme soit fidèle à

Dieu, jamais, à mon avis, Dieu ne manquera de

lui donner cette vue intime et manifeste de sa

présence ^ »

 

Si vous demandez à quels signes on peut

reconnaître la présence du Saint-Esprit dans une

âme, saint Bernard, parlant de lui-même, répond

qu'il la connaissait au mouvement de son cœur :

Ex motu cordis intellexi prœsentiam ejus ; c'est-

à-dire par la fuite des vices et des affections

charnelles, par les reproches intérieurs qui lui

étaient adressés au sujet de ses fautes les plus

secrètes, par l'amendement de sa vie et le renou-

vellement de l'homme intérieur. « Vous me

demandez, dit-il, comment je peux connaître la

présence de Celui dont les voies sont impéné-

trables. Sitôt qu'il est présent, il réveille mon

âme endormie : il meut, il amollit, il blesse mon

cœur dur comme la pierre et malade ; il se met

à arracher et à détruire, à édifier et planter, à

arroser ce qui est sec et aride, à éclairer ce qui

est dans les ténèbres, à ouvrir ce qui est fermé,

à réchauffer ce qui est froid, à redresser ce qui

est tortueux, à aplanir ce qui est raboteux. Et

ainsi, quand l'époux entre dans mon âme, je

reconnais sa présence, comme je l'ai dit, au

mouvement de mon cœur*. »

 

Saint Thomas déclare de son côté que, en

 

 

 

5. Sainte Thérèse : Le Château intérieur, 7« demeure, ch. I.

— Traduction du Père Marcel Bouix, S. J.

a. S. Bern., serm. 74 in Gant.

 

 

 

k

 

 

 

l86 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

dehors d'une révélation particulière, qui n'est

accordée que par un privilège tout gratuit, chacun

peut avoir de la présence de Dieu au fond de

son cœur un triple signe conjectural : d'abord

le témoignage de sa conscience, lorsque, par

exemple, on a conscience d'aimer Dieu et d'être

prêt, moyennant sa sainte grâce, à tout souffrir et

à tout sacrifier plutôt que de l'offenser ; ensuite,

l'empressement à écouter, et surtout à mettre en

pratique la parole de Dieu, conformément à cette

observation du divin Maître : (( Celui qui est de

Dieu écoute volontiers la parole de Dieu : Qui

ex Deo est, verba Dei audit n ; enfin ce savourement

intérieur de la divine sagesse, qui est comme un

avant-goût de la félicité future ^.

 

11 avait bien goûté les suavités divines, celui

qui s'écriait : « Oh! qu'il est bon, qu'il est doux

votre esprit, ô Seigneur I quam bonus et suavis

est, Domine, spiritus- tuus'^I n- Saint Augustin, qui

savait apprécier ces douceurs spiritueifes, laissait,

lui aussi, échapper de ses lèvres cette exclama-

tion brûlante : « Qui- me donnera, ô mon Dieu,

 

 

 

1. « Sunt autem tria signa hujusconjecturationis, scilicet'

gratiae Dei. Primum est testimonium conscientiae. Gloria

nostra hxc est, testimonium conscientiœ nostrse (II Coc, i,.

12)... Secundum est verbi Dei auditus non solum ad

audiendum, sed etiam ad faciendum ; unde (Joan-, viii, 47) :

Qui ex Deo est, verba Dei audit... Tertium signum est

internus gustus divinae sapientiae, quae est quasi quaedani

prselibatio futurœ beatitudinis ; unde in Ps. xxxiii. 9 :

Gustate et videte, quoniam suavis est Dominus, scilicet per

gratiam suam in nobia. » (S. Th., Opusc. in., de Humanitate

Christi, c. xxiv.)

 

a. Sap., XII, I.

 

 

 

DE LA PBÉSE?vGE DE DIEU 187

 

cette grâce, que vous daigniez venir dans soion

cœur, l'enivrer de délices, et ,que j'oublie mes

maux pour vous embrasser, vous qui êtes .mon

unique bien ! Quis mihi dabit ut verdas in cor

meum, et inehries illud, ul oblivùcar mala, et unum

bonam amplecter te^I n

 

 

 

¥1

 

 

 

Dieu est donc réellement et strbstantîeriement

présent en qualité d'hôte, d'ami, d'époux, de

bien souverain, à toute âme qui a la grâce et la

charité : il lui est uni d'une façon toute spéciale

qui est le privilège exclusif des justes, car seule

la grâce sanctifiante l-es met en état d'atteindre

Dieu, par leur opération, comme fin dernière et

objet de béatitude^.

 

Mais il y a union et union. Toujours actuelle

dans les bienheureux qui, ne cessant et ne devant

jamais cesser de voir et d'aimer Dieu, vivent

dans un acte continuel et ininterrompu de con-

templation et de jouissance, qui constitue leur

béatitude ; purement habituelle dans les enfants

qui ont reçu la grâce du saint baptême, mais

 

 

 

1. S. Au^., Con/., Jib. I, c. v.

 

2. « Novus modus secunduiii quem Deus est în creatura

rationali, est sicut cognitum in cognoscente et amatum

in amante. Gognoscere autem Deum, et amare Deum in

^juantum est objectum beatitudinis, estper gratiam ^ratum

facientem. » (S. Th., Opusc. lx, de Humanit. Christi, c.

 

XXIV.)

 

 

 

l88 EXPLICATION DU MODE PARTICULIER

 

dont rintelligence n'est pas encore éveillée,

Tunion à Dieu, qui est le fait des adultes encore

dans la voie, tient le milieu entre la perfection

de celle des premiers et Timperfection de celle

des seconds ; habituelle seulement pendant le

sommeil et les mille occupations de la journée

qui absorbent l'activité de notre esprit, elle devient

actuelle, quand nous nous tournons vers Dieu

d'une manière réfléchie, nous appliquant à le

connaître et à l'aimer, à marcher en sa présence,

à vivre dans son intimité.

 

Ce n'est qu'au ciel que nous pourrons être

pleinement, parfaitement, totalement, insépara-

blement unis à Dieu, comme à notre fin dernière;

mais en attendant, nous devons dès ici-bas tendre

à cette bienheureuse union, la désirer, la deman-

der, travailler de toutes nos forces à la rendre

actuelle dans la mesure du possible, écarter tout

ce qui y fait obstacle : le péché d'abord qui

pourrait ou la détruire en nous faisant perdre

l'amitié de Dieu, ou l'afFaiblir en diminuant les

ardeurs de la sainte charité ; puis l'attache aux

créatures, aux biens et aux plaisirs de la terre,

véritables chaînes qui retiennent notre âme cap-

tive et l'empêchent de prendre son essor vers le

souverain Bien ; enfin la dissipation d'esprit qui

emporte nos pensées et nos affections loin de

celui qui doit en être le centre.

 

Et puisque la béatitude — nous entendons la

béatitude formelle — est une opération', l'acte

de nos facultés intellectuelles s'unissant par la

 

 

 

I. S. Th., Summa Theol., U II-, q. m, a. a.

 

 

 

DT LA PRÉSENCE DE DIEU 189

 

contemplation et l'amour à la vérité première et

au Bien souverain, c'est-à-dire au seul objet

capable de nous rendre heureux, il est clair que.

si nous comprenons bien nos véritables intérêts,

si nous voulons faire des progrès sérieux dans la

perfection et avoir, dès cette vie, comme un

avant-goût de la félicité future, il nous faut tra-

vailler à resserrer de plus en plus les liens qui

nous unissent à Dieu, vaquer à l'étude des

perfections et des bienfaits divins, et surtout

multiplier les actes de charité, car « c'est le pri-

vilège de l'amour de nous unir immédiatement

L Dieu : Chariias est quœ diligendo animam immé-

diate D20 conjungit spiritualis vinculo unionis^. »

S'élevant au-dessus de la science, il entre confi-

demment pendant que la science reste dehors.

Aussi est-ce une maxime donnée par les maîtres

que la perfection de la vie chrétienne consiste

en l'amour de Dieu, et que nos progrès dans la

sainteté doivent se mesurer, non par l'accroisse-

ment de la science, mais par l'augmentation de

la charité. C'est ce qui faisait dire à l'apôtre saint

Paul écrivant aux fidèles de Colosses : « Par-

dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la

perfection : Super omnia auiem hœc, charilatem

habete, quod est vinculum perfectionis\ »

 

Au reste, pour beaucoup aimer, pas n'est

besoin de beaucoup savoir ; car, si la connais-

sance est le principe de l'amour, elle n'en est

point la mesure. « Nous voyons, dit saint Thomas»

 

 

 

I. S. Th,, II' II", q. XXVII, a. 4, ad 3.

a. Col., III, i4.

 

 

 

Jt§0 EXPUCATIOW DU MODE PARTICULIER

 

des persoiines simples qui sont ferventes dans

l'amour de Dieu, et qui ont l'esprit assez peu

ouvert quand il s'agit de le connaître ^ » On

peut donc aimer Dieu avec beaucoup d'ardeur,

sans avoir des connaissances très étendues sur sa

nature et ses attributs, de même qu'on peut

avoir approfondi tous les secrets de la théologie

et n'éprouA-er que froideur pour les choses divi-

nes. Cependant, quand la science est inspirée et

perfectionnée par la charité, elle donne un

nouvel aliment à sa flamme.

 

Scrutons donc, à l'exemple de l'épouse des

Cantiques, scrutons avec une sagacité affinée par

l'amoui", toutes les beautés, toutes les amabilités,

toutes les perfections du Bien-Aimé'. Attachons-

nous à lui de toutes nos forces, disons comme

le Psalmiste : « Pour moi, mon bonheur c'est

d'être uni à Dieu : Mihi autem adhœrere Deo

bonum est'^ n'y vivons dans son amour, vivons de

son amour, jouissons de sa divine présence et

de son intimité, et que notre conversation,

comme celle de l'Apôtre, soit dans le ciel \ En

agissant de la sorte, nous réaliserons tout à la

fois la parole du disciple bien^imé et le vœu

de l'amitié : « Dieu sera en nous, et nous en

 

 

 

1. « Videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes

esse in amore divine, qui tamen sunt valdc hebetes in

cQgnitione divinae sapientiae. » (S. Th., SerU.^ I,dist xv, q.

IV, a 2, obj. 4.)

 

2. Gant., V, 9-17.

 

3. Ps. LXXII, 28.

 

4. « Nostra autem conversatio in cœlis est. » (Philip.,

m, 20.)

 

 

 

DE LA PRESENCE DE DIEU igi

 

lui : Qui manet in charitate, in Deo manet, et

Deus in eo^. »

 

L'union à Dieu, l'union actuelle, tel doit être

l'objet de nos vœux les plus ardents, le but de

nos efforts, le terme vers lequel nous devons

orienter toute notre vie spirituelle : car c'est

dans cette bienheureuse union que consiste la

perfection de la voie comme elle constituera un

jour la perfection et le bonheur de la patrie.

 

 

 

I. I Joan.,iY, i6.

 

 

 

TROISIÈME PARTIE

 

 

 

L'INHABITATION DIVINE PAR LA GRACE N'EST

PAS LA PROPRIÉTÉ PERSONNELLE DU SAINT-

ESPRIT, MAIS LE PATRIMOINE COMMUN DE

TOUTE LA SAINTE TRINITÉ. — ELLE EST

L'APANAGE DE TOUS LES JUSTES, TANT DE

L'ANCIEN QUE DU NOUVEAU TESTAMENT.

 

 

 

NAVIT. tAIRT-ISPIIT. — lA

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

Quoique attribuée ordinairement à l'Esprit-

Salnt, l'inhabitation divine par la grâce

ne lui est pas exclusivement propre,

mais commune aux trois personnes.

 

 

 

Nous avons jusqu'ici parlé indifFéremment de

l'habitation du Saint-Esprit ou de la sainte Tri-

nité dans les âmes en état de grâce, nous con-

formant en cela au langage de l'Ecriture elle-

même, qui attribue tantôt à l'une, tantôt à l'autre

des personnes divines, le séjour que Dieu daigne

faire dans les justes. Ainsi, le même apôtre

qui avait écrit aux fidèles de Gorinthe : « Ne

savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu

et l'habitacle de l'Esprit-Saint?! w enseignait aux

Ephésiens « que le Christ habite en nous par

la foi * ». Et Notre-Seigneur lui-même disait à ses

disciples : u Si quelqu'un m'aime, il gardera ma

parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons

 

 

 

1. M Nescitis quia templum Dei estis, et Spîritus Dei

habitat in vobis ? » (i Cor., m, i6.)

 

a. « Christum habitare per fidem in cordibus vestris. »

<Eph., m, 17.)

 

 

 

igS l'inhabitation divine

 

à lui, et nous établirons en lui notre demeure i. ))

L'on ne saurait toutefois méconnaître que

c'est le Saint-Esprit qui est le plus souvent

désigné comme l'hôte de nos âmes. Tandis que,

une fois à peine, le texte sacré fait mention de

la présence en nous du Père et du Fils, il parle

fréquemment de la venue et de l'habitation de

l'Esprit-Saint dans nos cœurs. L'Ecriture le repré-

sente comme le don de Dieu par excellence,

donum Dei*, le don principe de tous les dons, la

source de la vie surnaturelle ^, l'auteur de notre

sanctification, le gage de la béatitude céleste^.

C'est lui qui répand dans nos cœurs la grâce et

la charité 5, lui qui nous fait enfants de Dieu 6,

et qui distribue à son gré les dons divins"^. Maître

intérieur, il éclaire les intelligences, leur ensei-

gnant toute vérité s ; il touche et amollit les

 

 

 

I. « Si quis dilîgit me, sermonem meum servabit, et

Pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansio-

nemapud eum faciemus. » (Joan., xiv, aS.)

 

a. Act., VIII, 20.

 

3. « Qui crédit in me, sicut dicit Scriptura, flumina de

ventre ejus fluent aquae vivœ. Hoc autem dixit de Spiritu,

quem accepturi erant credentes in eum. » (Joan., vu,

38-39.)

 

4. « Unxit nos Deus, qui et signavit nos, et dédit pignus

Spiritus in cordibus nostris. » (II Cor., i, 21-22.)

 

5. « Charitas Dei difTusa est in cordibus nostris per Spi-

ritum Sanctum, qui datus est nobis. » (Rom., v, 5.)

 

6. « Accepistis Spiritum adoptionis filiorum, in quo

clamamus : Abba, Pater. ))(Rom., viii, i5.)

 

7. « Haec autem omnia operatur unus atque idem Spi-

ritus, dividens singulis prout vult. » (I Cor., xii, 11.)

 

8. « Gum autem venerit iile Spiritus veritatis, docebit vos

omnem veritatem. » (Joan., xvi, i3.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES I97

 

cœurs, les inclinant suavement et fortement à

robservance fidèle des commandements divins i.

C'est lui qui nous console dans nos peines, nous

conseille dans nos incertitudes, nous apprend h

prier, à demander ce qui est expédient pour le

salut, formulant lui-même nos demandes avec

des gémissements inénarrables 2 ; lui encore qui

nous réveille de notre assoupissement, nous

pousse au bien 3, nous dirige dans nos voies et

nous introduit finalement dans la véritable terre

promise, où règne la parfaite rectitude ^.

 

Les saints Pères ne tiennent pas un autre lan-

gage. Pour eux également, l'Esprit-Saint est le

grand don de Dieu, l'hôte intérieur qui, en se

donnant lui-même, nous communique en même

temps une participation de la nature divine, et

fait de nous des enfants de Dieu, des êtres divins \

 

 

 

1. « Spiritum meum ponam in medio vestri, et faciam

ut in praeceptis meis arabuletis, et judicia mea custodiatia,

et operemini. » (Ezech., xxxvi, 27.)

 

2. « Spiritus adjuvat infirmitatem nostram : nam quid

oremus, sicut oporiet, nescimus ; sed ipse Spiritus postulat

pro nobis gemitibus inenarrabilibus. » (Rom., vm, 26.)

 

3. « Quicumque Spiritu Del aguntur, ii sunt filii Del. »

(Rom., VIII, i4.)

 

4. <» Spiritus tuus bonus deducet me in terram rec-

tam. » (Ps. Gxui, 10.)

 

5. « Per hune (Spiritum) quilibet sanctorum deus est ;

dictum est enim ad eos a Dec : Ego dixi, dit estis et filii

Excelsi omnes. Necesse est autem eum qui diis causa est ut

dii sint, Spiritum esse divinum et ex Deo. Ut enim quod

cremantibus causa est ut sint cremantia, id cremans esse

necesse est, et quod sanctis causa est ut sint sancti, id neces-

sario sanctum est ; ita et eum qui diis causa est ut dii sint,

Deum esse necesse est. » (S. Basil., Contr. Eunom., 1. V.

 

 

 

198 l'inhabitation divine

 

des hommes spirituels et des saints ^ Aussi

se plaisent-ils à le désigner comme l'Esprit

sanctificateur, le principe de la vie céleste

et divine 2. Quelques-uns vont même jusqu'à

l'appeler la forme de notre sainteté 3, Tâine de

notre âme, le lien qui nous unit au Père et au

Fils, celui par qui ces divines personnes habitent

en nous.

 

Une telle insistance à attribuer l'inhabitation

par la grâce ainsi que l'œuvre de notre sanctifi-

cation et de notre filiation adoptive à la troi-

sième personne de l'auguste Trinité ne serait-

elle pas un indice, un signe, une preuve que le

Saint-Esprit a, avec nos âmes, des rapports spé-

ciaux, un mode d'union qui lui est propre et

qu'il ne partage point avec les autres personnes ?

Car enfin, s'il réside en nous au même titre

absolument, et de la même manière que le Père

et le Fils, pourquoi le représenter sans cesse, de

préférence aux autres personnes, comme Ihôte

de nos âmes, et lui attribuer constamment une

 

 

 

I. « Spiritus cura anima conjunctio non fit appropin-

quando secundum locum... Hic eis qui ab omni sorde

purgati sunt illucescens, per communionem eu m ipso

spirituales reddit. » (S. Basil., de Spir. Sanct.,c. ix.)

 

a. « Sicut ignis calor alius est qui ipsi inest, alius quem

^usb aut alteri hujusmodi rei impertit, ita etiam Spiritus

«t in se habet ipsam viiam ; et qui ejus sunt participes,

divine Tivunt, vitam divinam et cselestem habentes. » (S.

Basil., Contr. Eunom., l. V.)

 

3. « Quatenus Spiritus sanctus vim habet perficiendi

nationales creaturas absolvens fastigium earum perfectionis,

formai ralionem habet. » (S. Basil , de Spir. Sanct., c. xxvi.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES IQÇ

 

présence et une action qui seraient, en réalité,

communes à la Trinité tout entière ? De là ©et né

le système de l'inhabitation propre au Saint-

Esprit.

 

D'après quelques théologiens, l'état de grâce

aurait pour résultat d'établir une union directe

et immédiate de nos âmes avec ce divin Esprit,

et, par lui, avec le Père et le Fils, en vertu de

l'inséparabilité des personnes divines. Telle est

la célèbre théorie qui a eu, sinon pour auteur^

du moins pour principal patron et défenseur,

im homme de grande érudition, l'un des plus

illustres représentants de la théologie positive

au XVIP siècle, Denis Petau, de la Compagnie

de Jésus.

 

Mais l'immense majorité des docteurs, à quel-

que école qu'ils aient appartenu, s'est toujours

montrée réfractaire et hostile à cet enseigne-

ment ; et convaincue, à bon droit, que la loi

d'appropriation suffît pleinement à expliquer les

textes de l'Ecriture et des Pères qui semblent

faire de la présence spéciale de Dieu dans les

justes l'apanage de l'Esprit-Saint, elle a cons-

tamment soutenu que la Trinité tout entière

habite en nous par la grâce, et qu'il n'y a pas

d'union plus réelle ou plus immédiate avec la

troisième personne qu'avec le Père et le Fils ;

toutefois, quoique commune aux trois personnes,

l'inhabitation divine par la grâce est appropriée-

au Saint-Esprit à raison de son caractère per-

sonnel et de la nature même de Tunion entre

Dieu et l'homme, qui est le fruit de la sainte

charité.

 

La question semblait donc vidée, lorsque des^

 

 

 

300 L INHABITATION DIVINE

 

tentatives nouvelles faites à notre époque, dans

le but de ressusciter une opinion qui paraissait

définitivement jugée et condamnée, sont venues

tout remettre en cause et réveiller un litige que

l'on pouvait croire apaisé. Devant cette levée de

boucliers, il nous a paru que les intérêts de la

saine doctrine demandaient que la question ne

fût pas complètement passée sous silence, mais

traitée au moins sommairement ^ ; c'est ce que

nous allons faire avec l'aide de Dieu.

 

 

 

Le problème à résoudre est celui-ci : Quand

l'Ecriture et les Pères nous parlent de l'habita-

tion du Saint-Esprit dans nos cœurs, sans faire

mention des autres personnes, faut-il prendre

cette formule au pied de la lettre, et croire que

l'Esprit-Saint s'unit à nos âmes d'une union qui

lui est propre et lui appartient à un titre parti-

culier? ou bien, au contraire, faut-il considérer

cette union comme commune aux trois per-

sonnes de l'adorable Trinité et simplement appro-

priée à l'une d'entre elles ? Petau, Ramière, Schee-

ben, d'autres encore, tiennent pour la première

interprétation ; les théologiens scolastiques, saint

Thomas, saint Bonaventure, Albert le Grand,

Suarez, les théologiens de Salamanque, de nos

 

 

 

1. N. B. — Ceux des lecteurs qu'une étude plus appro-

fondie pourrait intéresser, la trouveront à l'appendice placé

à la fin du volume.

 

 

 

COMMUTEE AUX TROIS PERSONNES 201

 

jours les ÉÉm. Cardinaux Franzelin et Mazzella,

les RR. PP. Kleutgen, Pesch, Tepe, S. J., etc.,

etc., adoptent la seconde. Quel que soit le senti-

ment que l'on embrasse sur la manière dont le

Saint-Esprit est uni à l'âme juste, le dogme catho-

lique exige qu'on admette aussi en elle une pré-

sence véritable du Père et du Fils.

 

Les personnes divines, en effet, n'ayant qu'une

seule et même nature individuelle, sont nécessai-

rement inséparables. « L'Esprit-Saint, dit saint

JeanChrysostome, ne saurait être présent quelque

part sans que le Christ y soit aussi; car partout

où se trouve une personne divine, la Trinité y est

tout entière'. » Saint Augustin parle dans le

même sens : a Qui oserait penser, à moins

d'ignorer complètement l'inséparabilité des per-

sonnes divines, que le Père çt le Fils puissent

habiter oii le Saint-Esprit n'habite pas, et que le

Saint-Esprit habite quelque part sans le Père et le

Fils? 2,)

 

Aussi les théologiens s'accordent-ils à recon-

naître, avec saint Thomas, que les deux person-

nes divines qui, à raison de leur procession

 

 

 

1. « Non potest Spiritu sancto praesente non adesse

Christus. Ubi enim una Trinitatis hypostasis adest, iota

adest Trinitas. » (S. Joan. Ghrys., m Epist. ad Rom.^

vm, 9.)

 

2. « Quis porro audeat opinari, nisi quisquis insepara-

bilitatem penitus Trinitatis ignorât, quod in aliquo habi-

tare possit Pater aut Filius, in quo non habitet Spiritus

Sanctus, aut in aliquo Spiritus Sanctus, in quo non et

Pater et Filius? » (S. Aug., 1. de Prœsentia Dei, cap. v,

n. lô.)

 

 

 

202 L INHABITATION DIVINE

 

éternelle, peuvent être envoyées et données à la

créature raisonnable pour la sanctifier, ne le sont

jamais l'une sans l'autre ; jamais le Fils ne vient

éclairer l'intelligence sans que l'Esprit-Saint ne

vienne enflammer la volonté ; leurs missions

invisibles, quoique distinctes, si l'on considère

les effets particuliers suivant lesquels elles s'opè-

rent et le mode d'origine des personnes, se

trouvent cependant unies dans une racine com-

mune, la grâce sanctifiante, qui ne permet pas

que l'une ait lieu sans l'autre ^. Quant au Père, il

est présent, lui aussi, en vertu de la circuminces-

sion ; et, s'il n'est pas envoyé, parce qu'il ne pro-

cède de personne, il vient néanmoins de lui-

même, se donne à l'âme juste et habite en elle

avec le Fils et le Saint-Esprit, pour la sanctifier

de concert avec eux.

 

Tout en admettant cette présence vraie et subs-

tantielle des trois personnes divines, qu'il n'aurait

pu, du reste, contester sans se mettre en oppo-

sition manifeste avec l'enseignement unanime

des Pères et des Docteurs, et sans détruire i'éco-

 

 

 

I. « Cum missio importet originem personae mîssae, et

inhabitationem per gratiam, si loquamur de missione

quantum ad originem, sic missio Filii distinguitur a mis-

sione Spirilus Sancti, sicut et generatio a processione. Si

autem quantum ad effectum gratiœ, sic communicant

duae missiones in radice gratiœ, sed distinguuntur in effec-

tibus gratiae, qui sunt illuminatio intellectus et inflam-

matio affectus. Et sic manifestum est quod una non potest

esse sine alia, quia neutra est sine gratia gratum faciente,

nec una persona separatur ab alia. *> (S. Th., Samm. TheoL,

I, q. xuii, a. 5, ad 3.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2o5

 

nomie du mystère de la Trinité, Petau prétend

que le Saint-Esprit habite dans Fâme juste d'une

manière spéciale, qu'il possède avec elle un mode

d'union qui lui est personnel et qu'il ne partage

point avec le Père et le Fils. A l'en croire, la

troisième personne résiderait en nous par elle-

même, directement et immédiatement; les deux

autres n'y seraient que d'une manière indirecte»

par concomitance, en vertu delà communauté de

nature qui les rend inséparables.

 

Et, pour bien expliquer sa pensée, il apporte

en exemple ce qui se passe dans le mystère de

l'incarnation. « Le Père et le Saint-Esprit, dit-il,

ne demeurent pas moins dans le Christ que le

Verbe lui-même ; mais le mode d'union est diffé-

rent. Car, en outre de l'union qui lui est com-

mune avec les autres personnes, le Verbe en

possède une spéciale, qui lui appartient en propre,

attendu qu'il est comme la forme qui fait du

Christ un homme divin, ou plutôt un Dieu,

et le Fils de Dieu. C'est ainsi que les trois per-

sonnes habitent, il est vrai, toutes dans le

juste ; mais l'Esprit-Saint est seul comme la

forme qui le sanc'ilie et le rend fils adoptif de

Dieu par la communication de sa propre subs-

tance.

 

({ Qu'on relise, ajoute-t-il, tous les témoignages

des anciens Pères que nous avons exposés plus

haut, ou, ce qui vaut mieux encore, qu'on par-

coure les passages de l'Ecriture qui parlent ou

bien simplement de l'union de Dieu avec les

justes, ou en particulier de l'habitation du Fils

en eux, et l'on trouvera que la plupart attestent

que c'est par l'Esprit-Saint qu'elle s'opère, comme

 

 

 

20^ l'inhabitation divine

 

par sa cause prochaine, et, pour ainsi parler,

 

formelle'. »

 

Le Saint-Esprit est donc, d'après Petau, uni

aux justes d'une union qui lui est propre, et qui,

sans être hypostatique, est néanmoins analogue

à celle du Verbe avec la nature humaine en

Jésus-Christ. Dans le Verbe fait chair, la nature

humaine est unie directement à la personne du

Fils. et. par cl!c, à la divinité et aux deux autres

personnes de la Trinité sainte. La personne du

Verbe est ainsi le point de jonction des deux

nati res divine et hum.aine, comme elle est le

Hen qui unit l'humanité du Christ aux personnes

du Père et du Saint-Esprit. De même, dans

Tœuvre de notre déification par la grâce, c'est la

personne du Saint-Esprit qui est le terme direct

et immédiat de notre union avec Dieu, c'est elle

qui nous met en relation avec le Père et le Fils

 

 

 

I. « Pater ecce, atque Spiritus Sanctus in homineChristo

non minus inanet, quam Verbum ; sed dissimilis est

t'i:; évuTiàp^.eax; modas. Verbum enim, praeter communem

illuai, qucm cum reliquis eumdem habet, peculiarcin

allerum obtinet, ut sit formée instar, divinum, vel Deum

polius facientis, et hune Filium. Sic in homine justo très

uiique personae habitant. Sed solus Spiritus Sanctus quasi

forma est sanctificans, et adoptivum reddens sul commu-

aicatione filium... Relegantur omnia veterum Patrum

testimonia, qube superius exposita sunt : et, quod iis praes-

tantius est, Scripturae loca illa recenseantur, quae cum

justis conjungi, \el in iis habitare aut Deum simpliciler,

aut privatim Filium docent ; inveniemus eorum pleraque

testari, per Spiritum Sanctum hoc fieri, velut proximam

caiisam, et, ut ita dixerim, formalem. » (Petav., de Trin.,

I. Vm. c. VI, n. 8.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 20D

 

et sert en quelque sorte de trait d'union entre

eux et nous.

 

Le célèbre Jésuite soutient que tel est le senti-

ment de l'antiquité, et il en appelle également

aux Livres saints pour établir et corroborer son

opinion. Que faut-il penser de ces prétentions?

 

 

 

II

 

 

 

Si nous nous en rapportons à un juge com-

pétent, loin d'être l'expression fidèle de la vérité

révélée, la doctrine de l'inhabitation personnelle

de l'Esprit-Saint dans les justes est, au contraire,

en opposition manifeste avec l'enseignement tra-

ditionnel, et ne repose que sur une interprétation

erronée de l'Ecriture et des Pères. Ce juge, dont

on ne peut ni suspecter l'impartialité ni récuser

la sentence, c'est l'immense armée des Docteurs,

qui, nonobstant la diversité de leurs tendances

et leur antagonisme d'école, se sont néanmoins

trouvés d'accord sur ce point. Les théologiens

les plus éminents de la Compagnie de Jésus,

anciens et modernes, se rencontrent ici avec les

frères et disciples du Docteur Angélique ; et bien

qu'un des leurs fût en cause, ils n'ont été — nous

sommes heureux de leur rendre ce témoignage

— ni des derniers ni des moins ardents à le

combattre.

 

C'est que vraiment la lutte s'imposait. En effet,

attribuer à la personne du Saint-Esprit dans

l'œuvre de notre sanctification, le rôle du Verbe

dans l'incarnation, c'était se mettra An contradic-

 

 

 

2o6 l'inhabitation divine

 

tion avec les principes théologiques les plu»

incontestables, introduire une nouveauté, et

alfîrmer, bon gré mal gré, entre l'Esprit-Saint et

chacune des âmes justes, une sorte d'union

hypostatique contraire à toutes les données de la

foi. Il suffît, pour s'en convaincre, de se rappeler

que, en Dieu, tout est commun aux trois per-

sonnes, la nature, les attributs, les opérations

extérieures, les rapports qui en résultent, tout,

hormis les relations opposées d'origine qui cons-

tituent et distinguent les personnes, et ce qui, au

dehors, peut être qualifié de fonction hypos-

tatique ' .

 

En vain, pour étayer son opinion, Petau fait-il

appel à l'antiquité et tente-t-il d'établir que si

l'Esprit-Saint ne vient pas seul dans nos cœurs,

seul du moins il est le terme direct et immédiat

de l'union 2; l'antiquité lui répond, par l'organe

de saint Thomas, que, contrairement à ce qui se

passe dans le mystère de l'incarnation, où le

rapprochement des deux natures, divine et

humaine, quoique effectué par la Trinité entière,

se termine à la seule personne du Verbe, l'union

établie par la grâce entre Dieu et l'homme est

 

 

 

I. « Omnia sunt unum, ubi non obviât relationis oppo-

siiio. » (Ex. Conc. Florent. Decretum pro Jacobitis.)

 

». « Quod ex antiquorum... testimoniis sequi videtur, id

est ejusmodi : Illam cum justorum animis conj unctionem

Spiritus Sancti..., communi quidem personis tribus conve-

nire di%initati, sed quatenus in hypostasi, sive persona

inest Spiritus Sancti adeo, ut certa quaedam ratio sit, qua

se Spiritus Sancti persona sanctorum justorumque men-

tibui applicat, quae ceteris personis eodem modo non con-

venlt. » (Petav., de Trin., 1. VIII, c. vi, n. 6.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2O7

 

commune aux trois personnes, non seulement

dans son principe effectif, mais encore dans son

terme ^ ; et l'Ecole tout entière ajoute, par la

bouche de ses plus grands Docteurs, qu'aucune

union réelle de la Divinité avec les créatures ne

saurait appartenir en propre à une personne

divine sans être par le fait une union hy pos-

ta tique.

 

Car de deux choses l'une ; ou l'union se fait

directement avec l'essence commune, et dans ce

cas elle appartient également aux trois per-

sonnes ; ou elle se fait dans ce qui est propre à

l'une d'entre elles, dans son hypostase, et alors

elle est hypostatique. Or, la doctrine catholique

ne connaît, en fait, d'autre union hypostatique

entre Dieu et la créature, que celle du Verbe

avec l'humanité dans la personne de Jésus-

Christ.

 

Sans doute, l'Esprit-Saint aurait pu s'incarner,

lui aussi, il aurait pu s'unir personnellement à

toutes les âmes ornées de la grâce, mais alors les

justes ne seraient pas seulement des hommes

spiritualisés et divinisés, ils seraient Dieu, ils

seraient le Saint-Esprit. Concluons donc avec

saint Thomas que la venue ou l'inhabitation de

Dieu dans nos âmes, au lieu d'être l'apanage

exclusif, la propriété de la troisième personne,

 

 

 

I. « Assumptio quae fit per gratiam adoplionis..., com-

munis est tribus personis et ex parte principii, et ex parte

termini. Sed assumptio quœ est per gratiam unionis (hypo-

staticee) est communis ex parte principii, non autem ex

parle termini. » (S. Th., III, q. m, a. 4, ad 3.)

 

 

 

2o8 l'inhabitation divine

 

est, au contraire, le patrimoine commun de la

Trinité tout entière. Et ideo adventus vel inhabi-

iaiio convenu toti TrinilatiK

 

S"il en est ainsi, pourquoi l'Ecriture et les

Pères attribuent-ils presque constamment à

l'Esprit-Saint la présence de Dieu en nous parla

grâce? Pourquoi désignent-ils ce divin Esprit, de

préférence aux autres personnes, comme l'hôte

de nos âmes? C'est eu vertu de la loi d'appro-

priation.

 

 

 

III

 

 

 

Qu'est-ce que l'appropriation? C'est l'attribu-

tion faite à une personne divine d'une perfection

ou d'une opération commune aux trois per-

sonnes. Nous en avons un exemple dans les

paroles suivantes du Symbole : « Je crois en

Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et

de la terre », où nous attribuons à la première

personne de la sainte Trinité la toute-puissance

et la création, qui appartiennent cependant à

toutes les trois. C'est encore par appropriation

que nous attribuons au Sainl-Esprit la concep-

tion de Jésus-Christ dans le sein de la bienheu-

reuse Vierge Marie en disant : « Je crois en

Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Notre-Sei-

gneur, qui a été conçu du Saint-Esprit. »

 

Pourquoi ces sortes d'attribution, que Ton ren-

contre fréquemment dans l'Écriture, dans les-

 

 

 

I. S. Th., Sent., 1. 1, dist. xv, q. ii, a. i, ad 4.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 209

 

Pères, dans les symboles, dans la liturgie? Pour

la manifestation de la foi : Ad manifestationem

Jidei^i répond Saint Thomas.

 

Il est, en effet, convenable, ajoute le saint

Docteur, d'approprier aux personnes divines les

attributs essentiels afin d'instruire par là les

fidèles et de les amener, au moyen de ces véri-

tés naturellement accessibles à la raison, à la

connaissance de ce que l'Apôtre appelle les pro-

fondeurs de Dieu, profanda Dei*, c'est-à-dire du

mystère de sa vie intime et des caractères dis-

tin ctifs des personnes. Sans doute, la Trinité est

une vérité tellement au-dessus de notre portée

qu'il est impossible de l'atteindre et de la démon-

trer par les seules forces de notre esprit; et

même après que Dieu a daigne nous la révéler,

elle demeare encore couverte d'un voile impéné-

trable et enveloppée d'obscurité, Lant que nous

cheminons loin du Seigneur. Nous pouvons

 

 

 

1. « Ad manifestationeih fidei conveniens fuit essentialia

attributa personis appropriari. Licet enim trinitas persona-

rum demonstratione probari non possit, convenit tamen

ut per aliqua niagis manifesta declaretur. Essentialia vero

attributa sunt nobis magis manifesta secundum rationem

quam propria personarum; quia ex creaturis, ex quibus

cognitionem accipimus, possumus per certitudinem deve-

nire in cognitionem essentialium attributorum, non autem

in cognitionem personalium proprietatum. Sicut igitur

similitudine vestigii vel imaginis in creaturis inventa uti-

mur ad manifestationem personarum, ita et essentialibus

attributis. Et haec manifesta tio personarum per essentialia

attributa appropriatio iKjminatur. » (S. Th., I, q. xxxix,

a. 7.)

 

2. 1 Cor., n, 10.

 

BAB. «AINT-ESPBIT. — iS

 

 

 

:3IO L INHA.BITATION DIVINE

 

cependant, en nous servant des vérités déjà

acquises, projeter sur les données de la foi

comme un faisceau lumineux qui, en les éclai-

rant davantage, nous met en état d'en obtenir

une plus grande compréhension et une intelli-

gence très fructueuse. Pour obtenir ce résultat,

rien de mieux que de recourir soit aux simili-

tudes lointaines de la Trinité sainte que le Créa-

teur a imprimées dans ses œuvres sous forme

de vestiges ou d'images, soit à l'analogie qui

exista entre les propriétés particulières de telle

ou t3lle personne et les attributs essentiels qui

lui sont appropriés ^

 

C'est ainsi que, pour faire connaître le Père,

nous lui attribuons lOi puissance, Véternité, Vunité^^

parce que ces perlections, quoique communes

aux trois personnes, offrent une certaine ressem-

blance avec les propriétés personnelles du Père.

La puissance, en effet, étant un principe, une

source d'opération, convient à la première per-

 

 

 

I. « Ratio., flde illustra ta, cum sedulo, pie et sobrie quaeril,

aliquam, Deo dante, mysteriorum intelligentiam eamque

fructuosissimam, assequitur, tum ex eorum, quae natura-

liter cognoscit, analogia; tum e mysteriorum ipsorum

nexu, inter se et cum fine hominis ultime ; nunquam

tamen idonea redditur ad ea perspicienda, instar verita-

tum, quœ proprium ipsius objectum constituunt. Divina

enim mysteria, suapte natura, intellectum creatum sic

excedunt, ut etîam révéla tione tradita et fide suscepta,

ipsius tamen fldei velamine contecta, et quadam quasi

caiigine obvoluta maneant, quamdiu in bac mortali vita

peregrinamur a Domino : per fldem enim ambulamus, et

non per speciem. u (Conc. Vatic, Const. û«i Filius, c. iv.)

 

a. S. Tb., I, q. xxxix, a. 8.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 211

 

sonne de la Trinité, qui est elle-même le prin-

cipe, l'origine, la source de Têtre divin. Elle lui

convient encore sous un autre rapport, c'est-à-

dire pour nous faire bien comprendre que, à la

différence de ce qui se passe ici-bas, où nos^

pères de la terre perdent leurs forces en avan-

çant en âge, le Père céleste demeure éternelle-

ment tout-puissant. L'éternité est de même jus-

tement appropriée au Père, parce qu'elle est

comme lui sans principe. Quant à l'unité, qui

désigne une entité absolue et ne présupposant

rien, elle convient pareillement à celle des per-

sonnes divines qui ne présuppose rien, parce

qu'elle ne procède d'aucune autre.

 

La sagesse, la beauté, V égalité, sont appropriées

au Fils 1 : la sagesse, parce que, procédant par

voie d'intelligence comme terme de la connais-

sance paternelle, il est lui-même la sagesse

engendrée; la beauté, parce que par sa proces-

sion il est la parfaite image du Père et l'éclat

de sa substance; l'égalité enfin, parce que^

comme Verbe, il est consubstantiel au Père,

étant l'expression adéquate de sa science.

 

Au Saint-Esprit nous attribuons Vamour, la

bonté, Idi Jouissance- : l'amour, parce que l'Es-

prit-Saint procède du Père et du Fils par voie

d'amour, comme le terme subsistant de leur

mutuelle dilection; la bonté, parce que cette

perfection, étant la raison et l'objet de Tamour,

offre une analogie frappante avec le caractère

 

 

 

I. S, Th., I, q. XXXIX, a. 8.

a. Ibid. /

 

 

 

212 L INHABITATION DIVINE

 

propre de la troisième personne; la jouissance,

parce que, étant, en vertu même de sa proces-

sion, le fruit de l'amour unique et infini que se

portent mutuellement le Père et le Fils en qua-

lité de souverain bien, il est leur joie et leur

félicité.

 

Ce que nous venons de dire des attributs

essentiels s'applique également aux œuvres exté-

rieures de Dieu — operibas ad extra, comme dit

l'Ecole, — lesquelles, bien qu'appartenant au

même titre aux trois personnes, puisqu'elles pro-

cèdent d'une puissance qui leur est commune

comme la nature, sont cependant attribuées tan-

tôt à l'une, tantôt à l'autre d'entre elles, dans le

but de la faire mieux connaître, grâce à la simi-

litude qui existe entre telle opération et le carac-

tère distinctif de telle personne. Ainsi nous

approprions au Père la création et tout ce qui

porte l'empreinte de la puissance ou le cachet

de premier principe; au Fils l'illumination des

intelligences et tout ce qui est du ressort de la

sagesse ; au Saint-Esprit les œuvres de la bonté

et de l'amour, les inspirations, les bons mouve-

ments, la vie de la grâce, les dons spirituels, la.

rémission des péchés, la sanctification des âmes,

la filiation adoptive, l'inhabitation de Dieu en

nous.

 

(( C'est avec beaucoup d'à-propos, remarque

Léon Xlll, que l'Eglise a coutume d'attribuer au

Père les œuvres divines oii éclate la puissance,

au Fils celles où brille la sagesse, au Saint-Esprit

celles où domine l'amour. Non que toutes les

perfections et toutes les œuvres extérieures ne

soient communes aux trois personnes, car les

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2l3

 

œuvres de la Trinité sont indivisibles comme l'es-

sence elle-même de la Trinité, Faction des divines

personnes étant aussi inséparable que leur essence^;

mais parce que, en vertu d'une certaine compa-

raison, et pour ainsi dire d'une affinité qui se

remarque entre les œuvres et les propriétés des

personnes, telle œuvre est attribuée ou, comme

on dit, appropriée à telle personne plutôt qu'à

telle autre 2. »

 

 

 

IV

 

 

 

On serait donc mal venu à prétendre qu'une

perfection, une fonction, une opération est pro-

pre à telle ou telle des personnes divines, sous

le spécieux prétexte qu'elle lui est constamment

attribuée dans les saintes Lettres ou les écrits

des Pères. C'est aux théologiens qu'il appartient

de discerner ce qui est vraiment propre et per-

sonnel et ce qui est simplement approprié, en se

basant sur les enseignements de la foi et les

principes théologiques afférents à l'unité de

l'essence divine et à la distinction des personnes.

Or, à quelques exceptions près, l'ensemble des

Docteurs s'accorde à voir dans l'inhabitation par

la grâce et l'union spéciale de Dieu avec les

justes comme objet de leur connaissance et de

leur amour, non point une propriété de TEsprit-

Saint, mais une œuvre commune aux trois per-

 

 

 

1. S. A-ug., de Trin., 1. I, c. iv et v.

 

2. Encycl. Divinum illud manas, Leonis PP. XIII.

 

 

 

2i4 l'inhabitation divine

 

sonnes et appropriée pour de justes motifs à

l'une d'entre elles i. Il faudrait, pour qu'elle

appartînt en propre à la troisième personne, que

celle-ci fût, à l'exclusion des deux autres, ou la

cause efficiente de la grâce et de la charité, ou

du moins le terme direct et immédiat de la con-

naissance expérimentale et de l'amour de jouis-

sance dont sont gratifiés les saints, d'une ma-

nière parfaite dans le ciel, et inchoativement

ici-bas. C'est ce qu'il est facile d'établir.

 

La présence de Dieu dans les êtres créés étant

fondée, comme nous l'avons prouvé précédem-

ment^, sur son opération, on conçoit que si

l'Esprit-Saint exerçait quelque part une action

indépendante et personnelle: si, par exemple,

les actes de charité produits par les justes

étaient son œuvre particulière, il existerait en

eux, à titre d'agent, d'une façon qui lui appar-

tiendrait en propre. Il en serait de même si la

grâce et la charité, quoique produites par la

Trinité tout entière, avaient pour résultat de nous

unir d'une manière spéciale à la personne de

l'Esprit-Saint, comme à notre fin dernière, à

l'objet particulier de notre connaissance et de

notre amour.

 

Mais ni l'une ni l'autre de ces hypothèses ne

se peut soutenir : la première, parce qu'elle va

 

 

 

1. « Tota Trinitas in nobis habitat per graliam, sed spe-

 

cialiter alicui personae appropriari potest inhabitatio per

aliquod aliud donum, quod habet similitudinem cum

ipsa persona, ratione cujus persona mitti dicitur. » (S. Th.,

qq. disp.. De verit., q. xxvii, a. a, ad 3.

 

2. Cf. c. 1, p. i5-ai.

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 2l5

 

directement contre un principe universellement

admis en théologie et plusieurs fois cité par les

conciles, savoir que les œuvres extérieures sont

communes aux trois personnes : Opéra ad extra

sunt tribus personis communia ^ ; la seconde, parce

que l'état de grâce ici-bas, non plus que la gloire

dans le ciel, n'a point pour eflet de nous unir

particulièrement à telle ou telle des personnes

divines, mais à Dieu considéré dans l'unité de

son essence et la trinité de ses personnes. Ce

n'est pas l'Esprit-Saint comme personne distincte,

c'est l'essence divine qui est noire fin dernière,

l'objet dont la possession réelle, mais obscure,

constitue en cette vie l'avant-goût de notre féli-

cité, et dont la claire vue doit faire un jour notre

béatitude parfaite et consommée.

 

Soit donc qu'on la considère dans sa cause

«ffîciente, soit qu'on l'envisage dans ses effets,

 

 

 

I. « Tria ergo ista (supposita nempe divina) unum

sunt, natura scilicet, non persona ; nec tamen très

istœ personaB separabiles aestimandse sunt; cum nulla an te

aliam, nulla post aliam, nulla sine alia vel extitisse,

vel qaidpiam opérasse aliquando credatur : inseparabi-

les eniïïi inveniuntur et in eo, quod sunt, et in eo, quod

Jaciunt. » — Et iiifra : « Incarnatlonem Filii Dei tota Tri-

nitas opérasse credenda est; quia inseparabilia sunt opéra

Trinitatis. Solus tamen Filius formam servi accepit in sin-

gularitate personse. » (Ex. Symb. fidei Gonc. Tolet., xi.)

 

Et iterum : « Hse très personœ sunt unus Deus, et non

très dii : quia trium est una substantia» una essentia, una

natura... omniaque sunt unum, ubi non obviât relationis

oppositio. » Hinc « Pater et Filius non duo principia Spi-

ritus sancti, sed unum principium : sicut Pater et Filius et

Spiritus sanctus non tria principia creaturœ, sed unum

principium ». (Ex. Gonc. Later., nr, c. Firmiter.)

 

 

 

2i6 l'inhabitation divine

 

c'est-à-dire dans les rapports d'intime union

qu'elle établit, en qualité d'amitié parfaite, entre

Dieu et l'âme, la grâce ou la charité ne fonde

pas de relations spéciales entre l'Esprit-Saint et

nous; et l'union dont elle est le principe appar-

tient au même titre aux trois personnes. Toute-

fois, quoique commune à toute la Trinité, l'inha-

bitation divine, étant une œuvre d'amour, une

conséquence et un fruit de l'amour, est tout

naturellement attribuée à celle des personnes

qui est en Dieu l'Amour subsistant, comme

l'explique très bien le Catéchisme du Concile de

Trente. « Quoique toutes les œuvres extérieures,

dit-il, soient communes aux trois personnes,

nombre d'entre elles sont attribuées comme en

propre au Saint-Esprit, pour nous faire com-

prendre qu'elles proviennent de l'immense cha-

rité de Dieu à notre égard. De fait, comme

l'Esprit-Saint procède de la volonté divine em-

brasée d'amour, on peut reconnaître par là que

les effets qui lui sont appropriés ont leur source

dans l'amour souverain de Dieu envers nous'. »

Lors donc que l'Ecriture ou les Pères nous

représentent l'Esprit-Saint comme l'auteur de la

 

 

 

I. « Quamvis sanclissimae Trinitatis opéra, quae extrin-

secus fiunt, tribus personis communia sint, ex iis tamen

multa Spiritui sancto propria tribuunlur, ut intelligainus

illa in nos a De! immensa charitate proficisci : nam, cum

Spiritus sanctus a divina voluntate, veluti amore inflam-

mata, procédât, perspici potest eos effectus, qui proprie ad

Spirilum sanctum refcruntur, a summo erga nos Dei

amore oriri. » (Ex Gatech. Rom., p. 1, a. viii, n. 8.)

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES 217

 

grâce et de la charité, et l'hôte de nos âmes, au

lieu de vouloir trouver dans ces expressions le

signe manifeste d'une causalité particulière à

ce divin Esprit, ou l'indice d'une union directe

et immédiate avec nos âmes qui lui serait per-

sonnelle, il n'y faut voir qu'une appropriation

fondée sur le rapport d'analogie qui existe entre

les dons de la grâce et la caractéristique de l'Es-

prit-Saint.

 

Il est, en effet, tout naturel d'attribuer les

effets de l'amour, comme la grâce, la charité,

Tinhabitation divine, à celle des personnes

divines qui procède en qualité d'amour. Sans

doute, c'est de la Trinité entière que provient,

comme de sa cause efficiente, la vertu de charité;

sans doute, l'exemplaire primordial auquel elle

nous assimile, c'est, avant tout, l'amour essentiel

commun aux trois personnes; en d'autres termes,

c'est Dieu en tant que charité absolue ; cepen-

dant, si l'on considère le caractère propre de

chacune des personnes divines, il est incontes-

table que la charité offre une plus grande analo-

gie, une similitude plus frappante avec le Saint-

Esprit qu'avec le Père et le Fils.

 

Qu'est-ce, en effet, que la charité, sinon un

lien doux et fort qui nous unit à Dieu, une incli-

nation habituelle qui nous porte vers lui, et par-

tant une imitation expressive de celle des per-

sonnes divines qui est, en vertu même de sa

procession, l'amour du Père et du Fils, le nœud

qui les rapproche? Voilà ce que voulait donner

à entendre l'apôtre saint Paul, quand il disait

que « la charité est répandue dans nos cœurs

par le Saint-Esprit, qui nous a été donné : Cha-

 

 

 

ai8' l'iNHABITATIOW DIVINE

 

riias Dei diffusa est in cordibus nostris per Spirilnm

sanctum, qui datas est nobis ^. »

 

Toute cette doctrine a été admirablement résu-

mée par saint Thomas en quelques phrases

substantielles qui méritent d'être citées : « Il faut

savoir, dit-il, que les biens qui nous viennent

de Dieu se rapportent à lui comme à leur cause

efficiente et exemplaire : Comme à leur cause

efficiente, en tant qu'ils sont les effets de la puis-

sance divine; comme à leur cause exemplaire,.

en tant qu'ils imitent, dans une certaine mesure,

les perfections qui sont en Dieu. Puis donc que

le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'ont qu'une

seule et même puissance, ainsi qu'une seule

essence, il en résulte que tout ce que Dieu

opère en nous provient en réalité des trois per-

sonnes comme de sa cause efficiente; néanmoins

la connaissance que Dieu nous donne de lui-

même par le don de sagesse est une représen-

tation propre du Fils ; de même, l'amour par

lequel nous aimons Dieu représente tout parti-

culièrement le Saint-Esprit. Ainsi, quoique la

charité qui est en nous soit l'œuvre du Père, du

Fils et du Saint-Esprit, elle est dite néanmoins

spécialement répandue dans nos cœurs par

l'Esprit-Saint". »

 

 

 

I. Piom., V, 5.

 

a. « Sciendum est quod ea quae a Deo in nobis sunt, redu-

cunlur in Deum sicut in causam effîcientem et exempla-

rem : in causam quidem elTicientem, in quantum virtute

opeialiva divina aliquid in nobis effîcitur; in causam vera

exemplarem, secundum quod id quod in nobis a Deo est

aliruo modo Deum imitatur. Cum ergo eadem virtus sit

 

 

 

COMMUNE AUX TROIS PERSONNES SIQ

 

Tel est l'enseignement de tous les scolastiques,

telle l'interprétation qu'ils ont constamment

donnée aux textes mis en avant par les tenants

de l'habitation propre au Saint-Esprit. Tous

déclarent formellement qu'il n'y a pas d'union

plus réelle, plus immédiate avec la troisième

personne de la sainte Trinité qu'avec le Père et

le Fils. Et, joignant sa propre voix à celle des

représentants les plus autorisés de la science

théologique, le Souverain Pontife Léon XIII

canonisait en quelque sorte, en l'adoptant, l'en-

seignement commun de l'Ecole. Voici, en effet,

comment il s'expliquait sur le point en litige

dans son Encyclique Divinum illud munus :

<( Quoique produite très réellement par la Tri-

nité tout entière présente dans l'âme, cette

admirable union, appelée de son vrai nom inha-

hitatlon, est néanmoins attribuée à l'Esprit-Saint,

comme si elle lui appartenait d'une façon spé-

ciale, de Spiritu Sancto tanquam peculiaris prœdi-

catur^. » Elle ne lui est donc pas propre ni per-

 

 

 

Patris et Filiiet Spiritussancti, sicut ci ...Jem esseiitia, opor-

tet quod omne id quod Deus in nobis effîcit sit, sicut a

causa efficiente, simul a Pâtre et Filio et Spiritu Sancto ;

verbum tamen sapientias, quo Deum cognoscimus nobis a

Deo immissum, est proprie repraesentativum Filii, et simi-

liter amor, quo Deo diligimus, est proprium repraesentati-

vum Spiritus Sancti. Et sic charitas quae in nobis est, licet

sit effectus Patris et Filii et Spiritus sancti, tamen quadam

speciali ratione dicitur esse in nobis per Spiritum sanctum, »

<S. Th., Contr. Cent., 1. IV, c. xxi.)

 

I. <( Haec autem mira conjunctio, quae suo nomine inha-

bitatio dicitur... tametsi verissime efficitur piijesenti totius

 

 

 

aao l'inhabitatton divine

 

sonnelle, mais seulement appropriée : lanquam

peciiliaris prœdicaiur ; c'est le terme consacré

pour désigner une simple appropriation.

 

Ce serait donc à l'heure actuelle une témérité

de soutenir encore que l'habitation divine, dont

parlent si fréquemment les Livres saints, est la

propriété de la troisième personne, et non le

patrimoine commun de toute la sainte Trinité.

 

 

 

Trinitatis nu mine, ad eum veniemus et mansionem apnd eum

faciemas (Joan., xiv, 28), attamen de Spiritu sancto tan-

quam peculiaris praedicatur. » (Encycl. Diuinum illad wu-

nui.)

 

 

 

CHAPITRE II

 

 

 

li'habitation de Dieu dans les âmes n'est

pas l'apanage exclusif des saints de la

nouvelle alliance, irais la dot commune

des justes de tous les temps.

 

 

 

Mais cette union de nos âmes avec Dieu est-

elle propre aux saints de la nouvelle alliance,

ou commune à tous les justes?

 

Ici encore, nous nous heurtons à une opinion

singulière de Petau, qui voyait, dans l'habita-

tion du Saint-Esprit par la grâce, un privilège

de la loi évangélique. Ce n'était là, du reste,

qu'une conséquence et un corollaire de sa doc-

trine sur la cause formelle de notre adoption en

qualité d'enfants de Dieu. Distinguant, à la suite

de Lessius, la sainteté ou la justification par la

grâce de la filiation adoptive, au point que,

d'après lui, l'une peut se séparer de l'autre, et

que l'homme peut être juste, d'une justice sur-

naturelle, sans être enfant de Dieu, Petau pré-

tend que la véritable cause, la raison formelle de

notre adoption divine, n'est point la grâce sancti-

fiante, mais la substance même de l'Esprit-Saint

 

 

 

2 2 2 L HABITATION DE DIEU DANS LES AMES

 

appliquée à notre âme. Car, de même que la

cause formelle de la filiation naturelle n'est

autre que la communication, par voie de géné-

ration, d'une nature semblable à celle du géné-

rateur; de même, la vraie cause de la filiation

surnaturelle et adoptive, c'est la nature divine

elle-même, s'identifiant avec la personne de l'Es-

prit-Saint, librement communiquée à l'homme.

Ainsi, d'après l'éminent Jésuite, la participa-

tion à la nature divine, qui fait de nous des justes

et des enfants de Dieu, ne consiste point, comme

l'ont toujours cru et enseigné les théologiens

catholiques, dans le don créé de la grâce sancti-

fiante, mais dans la personne même de l'Esprit-

Saint, s'unissant directement et sans intermé-

diaire à nos âmes, et les divinisant par l'appli-

cation de sa propre substance i. A l'entendre, la

grâce et la charité accompagnent, il est vrai,

dans l'économie présente, le don incréé, comme

une sorte de lien entre la divinité et nous,

comme une disposition préalable et un moyen

d'union; mais elles ne sont en définitive qu'un

magnifique accessoire, nullement nécessaire

pour notre régénération spirituelle, à telles

enseignes que, lors même qu'aucune qualité

créée ne serait versée dans nos âmes, la seule

présence de l'Esprit-Saint suxxîrait pleinement

 

 

 

I. « Patres eosdem asseverantes audivimus, cum nullo

interjecto medio sanctos nos fieri per ipsam Spiritus sub-

stantiam, tum nullam id creaturam posse perficere ; lametsi

substantiae Dei, qua sanctificamur, cornes sit infusa quali-

tas, quam vel gratiain, vei charitatem dicimus. » (Petav.,

-xit rrin., 1. VIII, c. vi, n. 3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 22^

 

pour nous diviniser et faire de nous des saints

et des enfants de Dieu'.

 

Par contre, sous la Loi ancienne, appelée par

r Apôtre une loi de crainte et de servitude, ne-

produisant que des esclaves, in servitutem gene-

rans *, l'Esprit-Saint, qui est un esprit d'adoption

et d'amour, n'avait pas encore été donné. Les

hommes étaient alors justifiés par un don créé

qui les purifiait de leurs péchés, les rendait

agréables à Dieu et dignes de la vie éternelle ;

ils possédaient, comme nous, une justice inhé-

rente, la grâce sanctifiante, qui faisait d'eux des

justes et des saints, mais ne leur conférait ni le-

titre ni la qualité d'enfants de Dieu ; car l'Esprit-

Saint n'était en eux que par son opération et.

ses effets, et nullement par sa substance, ce don

de Dieu par excellence étant réservé pour une

économie meilleure et plus parfaite.

 

« Si quelqu'un, dit Petau, veut se donner la

peine de considérer attentivement les passages

des anciens que nous avons cités, il se convain-

cra, je n'en doute pas, que, de l'avis des Pères,

il y eut après l'avènement et la mort du Christ,

une communication particulière de l'Esprit-Saint,

telle qu'elle n'avait pas encore eu lieu jusqu'a-

lors. D'après eux, ce nouveau mode de com-

 

 

 

1. « Utrumque enim intervenît; et Spiritus ipse sanc-

tus, qui filios faeit, adeo ut, si nulla infunderetur creata

qualitas, sua nos ipse substantia adoptivos filios effîceret ;

et charitatis habitus ipse, sive gratiae, quae est \1nculum

quoddain, sive nexus, quo cum animis nostris illa Spiritus

sancti substantia copulatur. » (Ibid.)

 

a. Gai., IV, 24.

 

 

 

224 l'habitation DE DIEU DANS LES AMES

 

munication date du jour où le Saint-Esprit des-

cendit sur les apôtres sous forme de langues de

feu. Jusqu'à cette époque, ce divin Esprit n'était

dans les saints que par son opération, opérât ione

tenus; à partir de ce jour, il y vint en personne,

substantialiter i. »

 

Parlant, dans un autre passage, de la présence

substantielle de l'Esprit- Saint dans les âmes, le

même auteur ajoute : « D'après un certain

nombre de Pères, ce n'est qu'après l'accomplis-

sement du mystère de l'incarnation, après la

descente du Fils de Dieu sur la terre pour le salut

du monde, qu'un si grand et si étonnant bien-

fait, fruit de l'avènement, des mérites et du sang

de Jésus-Christ a été accordé aux hommes. Les

justes de l'ancienne Alliance n'avaient pas été

honorés d'une telle faveur, car, suivant la parole

de saint Jean l'Évangéliste (vu 89), 1 Esprit-Saint

ne leur avait pas encore été donné, parce que

Jésus n'avait pas encore été glorifié : Nondum

ernt Spiritus datas, quia Jésus nondum fuerat glori-

ftcatus^. »

 

 

 

1. <( Non dubito quin, si quisista ipsa loca veterum accu-

rate considerare velit, ita sensisse ilios existimet, propriam

quamdam, post adventum Christi, atque obitum, commu-

nicationem cœpisse esse Spiritus sancti, qualis antea non erat ;

cujus etiam ab eo tempore factum initium docent, quo in

apostolos sub ignis specie descendit, tanquam hactenus,

xax' èvépyexav, id est operatione tenus, in sanctis fuerit; dein-

ceps autem o^oirabôx;, id est substantialiter. » (Petav., de

Trin., 1. VIII, c. vn, n. i.)

 

2. « (Quos Patres) qui attente pervestigare voluerit, intel-

lig-et occultum quemdam, et inusitatum missionis commu-

nicationisque modum apud illos celebrari, quo Spiritus ille

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2^5

 

 

 

u

 

 

 

En niant la présence substantielle du Saint-

Esprit dans les patriarches, de même qu'en lui

attribuant une présence propre et personnelle

dans les Saints de la nouvelle Loi, le docte Jésuite

a beau faire appel à l'antiquité et à l'autorité des

Écritures pour établir son sentiment, il se met

en opposition manifeste avec elles. En effet, si

l'on excepte saint Cyrille d'Alexandrie, dont la

pensée véritable peut être sujette à contestation,

les saints Pères enseignent d'un commun accord

que, s'il y eut, relativement à l'inhabitation

divine par la grâce, une différence entre les

Saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, ce

fut une simple différence de degré, de mesure et

de manifestation extérieure.

 

Ecoutons saint Léon le Grand : « Lorsque, au

jour de la Pentecôte, l'Esprit-Saint remplit les

disciples du Seigneur, ce ne fut pas la pre-

 

 

 

divinus in justorum sese anîmos insînuans, cum illis copu-

latur..., ita, ut substantia ipsa Spiritus sancti nobiscum

jungatur, nosque sanctos, ac justos, ac Dei denique filios

effîciat. Ac nonnuUos etiam antiquorum illorum dicentes

audiet, tantum istud tamque stupendum Dei beneficium

tune primum hominibus esse concessum, postquam Dei

Pilius homo factus ad usum hominum, salutemque des-

cendit, ut fructus iste sit adventus, ac meritorum, et san-

guinis ipsius, veteris testamenti justis hominibus nondum

attributus ; quibus nondum erat Spiritus datus, quia Jésus

nondum fuerat glorificafus, ut evangelista Joannes scribit. »

(Petav.. de Trin., 1. VIII, c. iv, n. 5.)

 

MA». •IMT-UPUT. ift

 

 

 

226 l'habitation de dieu dans les AMBS

 

mière communication d'un tel bienfait, mais

une effusion plus abondante : Non fuit inohoatio

muneris, sed adjectio largitatis, attendu que les

patriarches, les prophètes, les prêtres et tous les

saints des temps antérieurs avaient été vivifiés et

sanctifiés par ce même Esprit. La vertu des dons

divins avait toujours été la même, seule la me-

sure de leur collation avait varié i. » Saint Atha-

nase dit, de son côté : « C'est un seul et même

Esprit qui, aujourd'hui comme alors (sous l'an-

cienne Loi), sanctifie et console ceux qui le

reçoivent; de même que c'est un seul et même

Verbe qui, même alors, appelait à l'adoption

divine ceux qui en étaient dignes. Car il y avait

sous l'ancienne Alliance des fils qui étaient rede-

vables de leur adoption au Fils et non à un

autre 2. »

 

Non moins explicite que les Pères, l'Ecriture

nous parle de saints personnages appartenant au

 

 

 

I. « Gum in die Pentecostes discipulos Domini Spiritus

sanctus implevit, non fuit inchoatio muneris sed adjectio lar-

gitatis ; quoniam et patriarchae et prophetae et sacerdotes

omnesque sandi, qui prioribus fuere teraporibus, ejusdem

sunt Spiritus sancti sanctificatione vegetati..., ut eadem

semper fuerit virtus charismaium, quamvis non eadem semper

fuerit mensara donorum. » (S. Léo M., de Pentec, sermo lu

c. 3.)

 

a. « Unus idemque Spiritus est, qui tune (in veteri Test.)

et qui nunc sanctiflcat et consola tu r eos, qui eum reci-

piunt; quemadmodum unum est et idem Verbum Filius

ad adoptionem promovens etiara tune eos, qui digni erant.

Nam erant et in veteri Testamento filii, non per alium quam

per Filium adoptati- » (S. Athan., Orat. 5j contra Arian.)

n. 35-26.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 227

 

Testament ancien et remplis néanmoins du

Saint-Esprit. Ainsi il est dit de saint Jean-Baptiste

qu'il serait grand devant Dieu et rempli de

TEsprit-Saint dès le sein de sa mère : Erit ma-

gnus coram Domino... et Spiritu sancto replehitur

adhuc ex utero matris suœ^. Le jour oii elle reçut

la visite de Marie, Elisabeth fut, elle aussi, rem-

plie du Saint-Esprit : Et repleta est Spiritu sancto

Elisabeth^. Enfin, l'évangéliste saint Luc rapporte

également du vieillard Siméon que l'Esprit-Saint

était en lui : Et Spiritus sanctus erat in eo^. Et

tout se passait longtemps avant la Pentecôte.

 

Aussi, appuyé sur le fondement inébranlable

de la révélation, le Pontife Romain déclarait-il

« hors de doute que l'Esprit-Saint a habité par

la grâce dans les justes qui précédèrent le Christ,

comme cela est écrit des prophètes, de Zacharie,

de Jean-Baptiste, de Siméon et d'Anne. Certam

quidem est, in ipsis eliam hominihus jusiis qui ante

Christum fuerunt, insedisse per gratiam Spiritum

sanctum, quemadmodum de prophetis, de Zacharia,

de Joanne Baptista, de Simeone et Anna scripium

accepimus^. »

 

Que signifie alors la parole de saint Jean affir-

mant que, avant la glorification de Jésus-Christ,

le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné?

Nonduni erat Spiritus datas, quia Jésus nondum

erat glorificatus^. Elle signifie, au jugement de

 

 

 

1. Luc, I, i5.

 

2. Luc, I, 4i.

 

3. Luc, II, 25.

 

4. EncycL Divinam illud munas,

 

5. Joan., VII, 89.

 

 

 

2 28 l'habitation de dieu dans les AMES

 

saint Augustin, de saint Jérôme, de saint Atha^

nase, que, « après la glorification du Christ, ii

devait y avoir une certaine donation de l'Esprit-

Saint telle qu'elle n'avait pas encore eu lieu jus-

qu'alors. Non pas que ce divin Esprit n'eût pas

été réellement donné avant cette époque, mais il

ne l'avait pas été de la même manière. En effet,

s'il n'avait pas été donné, de quel Esprit étaient

donc remplis les prophètes quand ils parlaient?

Car l'Ecriture dit ouvertement et montré en

maints endroits que c'est par le Saint-Esprit qu'ils

ont parlé ^ » . Saint Thomas explique dans le

même sens le texte évangélique : « Quand il est

dit que l'Esprit-Saint n'avait pas encore été

donné, il ne faut pas entendre ces paroles dans

ce sens que nul, avant la résurrection du Christ,

n'avait reçu l'Esprit sanctificateur, mais bien

dans ce sens que, à partir de cette époque, la

donation de ce divin Esprit fut plus abondante et

plus commune 2 » ; et il ajoute ailleurs : « Et

 

 

 

1. « Quod dicit Evangelista : Spiritas nondum erat datas,

quia Jésus nondum erat glorificatus, quomodo intelligitur,

nisi quia certa illa Spiritus sancti datio vel mlssio post

clarification em Christi futura erat, qualis nnnquam antea

fuerat ? Neque enim antea nulla erat, sed talis non fuerat.

Si enim antea Spiritus sanctus non dabatur, quo impleti

Prophetse locuti sunt ? Gum aperte Scriptura dicat, et mul-

tis locis ostendat, Spiritu sancto eos locutos fuisse. »

(S. Aug., de Trin., 1. IV, c. xx, n. 29.)

 

2. « Nondum erat Spiritus datas, quia nondum Jésus fuerat

glorificatus : quod non est sic intelligendum quod nullus

ante Christi resurrectionem Spiritum sanctificantem acce-

perit ; sed quia ex illo tempore quo Christus surrexit, ince-

pit copiosius et communius Spiritus sanctificationis dari. »

(S. Th., iii Rom., c. i, lect. 3.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2 29

 

accompagnée de signes visibles, comme cela eut

lieu le jour de la Pentecôte ^ ».

 

Petau a beau distinguer un double mode sui-

vant lequel ce divin Esprit peut être présent aux

âmes saintes ; par son opération d'abord, et par

ses effets, xar'èvépYeiav, ce qu'il accorde aux

anciens justes ; puis par sa substance, otJCJicobcbq,

ce qui, d'après lui, serait le privilège de la Loi

nouvelle : saint Augustin ne connaît pas cette

distinction ; il enseigne, au contraire, très expli-

citement, que le Saint-Esprit avait été donné

avant l'Incarnation, aussi réellement qu'il le fut

depuis; toutefois, sous la loi de grâce, la mission

de l'Esprit-Saint devait avoir une propriété qui

lui avait fait défaut sous l'économie mosaïque :

elle devait être accompagnée d'une mission

visible, signe et indice de celle qui s'accomplis-

sait invisiblement au fond des âmes. Nulle part,

en effet, comme l'observe le grand évêque d'Hip-

pone, nous ne lisons, à propos des personnages

de l'Ancien Testament, que, par suite de la visite

de l'Esprit-Saint, ils se soient mis à parler un

idiome nouveau et inconnu pour eux 2; nulle

 

 

 

I. « Quod dicitur : Nondum erat Spiritus datas... intelli-

gendum (est) de abundanti datione et visibilibus signis;

sicut datus fuit eis post resurrectionem et ascensionem in

linguis igneis. » (S. Th., in /oan., vu, 89, lect. 5.) — « Missio

invisibilis estfacta ad Patres veteris Testament!... Cam ergo

dicitur : Nondum erat datus Spiritus, intelligimus de illa

datione cum signo \isibili quae facta est in die.Pentecostes. »

(S. Th., Summa Theol., I, q. XLin, a. 6, ad i.)

 

« Quomodo ergo Spiritus nondum erat datus, quia Jésus

nondum erat clarificatus, nisi quia illa datio, vel donatio,

vel missio Spiritus sancti habitura erat quamdam proprie-

 

 

 

23o l'habitation de dieu dans les AMES

 

part, il n'est question d'une mission visible, les

théophanies de l'ancienne Loi n'ayant pas, au

jugement de saint Thomas, les caractères d'une

véritable mission i.

 

 

 

m

 

 

 

Aussi, quand, traitant ex professa la question

des missions divines, l'angélique Docteur se

demande si la mission invisible de l'Esprit-Saint

est le partage de tous ceux qui sont en état de

grâce, et conséquemment de tous les justes sans

exception, à quelque époque qu'ils aient vécu :

Utrum missio invisihilis fiât ad omnes qui suni par-

ticipes gratiœ, la réponse est résolument aiïirma-

 

 

 

tatem suam in ipso adventu, qualis antea nunquam fuit ?

Nusquam enim legimus, linguis quas non noverant homî-

nes îocutos, veniente in se Spiritu sancto, sicut tune laclura

est, cum oporteret ejus adventum signis sensibilibus

demonstrari (Act., ii, 4), ut ostenderetur totum orbem ter-

ranim atque omnes gentes 1*1 linguis variis constitutas,

credituras in Ghristum per donuni Spiritus sancti. » (S. Aug.,

de Trin., i. IV, c. xx, n. ag.)

 

1. « Ad patres autem veteris Testamenti missio visibilis

Spiritus sancti fieri non debuit ; quia prius debuit perflci

missio visibilis Filii quam Spiritus sancti, cum Spiritus

sanctus manifestet Filium, sicut Filius Patrem. Fuerunt

autem factae visibiles apparitiones divinarum personarum

patribus veteris Testamenti ; quae quidem missiones visibi-

les dici non possunt ; quia non fuerunt factœ, secundum

Augxistinum {de Trin., 1. II, c. xvn), ad designandam inba-

bitationem divinae personae per gratiam, sed ad aliquid aliud

manifestandum. » (S. Th., Summa TheoL. I, q. xlui, a. 7,

ad 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 23 1

 

tiv8^ Donc, conclut-il, les patriarches de l'An-

cien Testament furent favorisés, eux aussi, d'une

mission invisible de ce divin Esprit. Ergo dicen-

dum quod missio invisibilis est fada ad patres vete-

ris Testamenti^ . Un raisonnement facile va nous

montrer la légitimité de cette conclusion.

 

La mission invisible est ordonnée à la sanctifi-

cation des créatures raisonnables, et elle a lieu à

chaque collation ou accroissement de la grâce

sanctifiante, toutes les fois, en un mot, que la

charité, compagne inséparable de la grâce, fait de

quelqu'un l'ami de Dieu, et que, unie au don

de sagesse, elle le rend capable d'atteindre et de

posséder le souverain bien par la connaissance

et l'amour. Or, les anciens justes étaient, comme

nous, les amis de Dieu ; l'Ecriture le dit formel-

lement d'Abraham : Credidit Abraham Deo, et

reputatum est illi ad justitiam, et amicus Dei appel-

latus est^', comme nous, ils étaient capables de

s'unir à la Divinité par les opérations de leur

intelligence et de leur volonté. Rien ne leur man-

quait donc pour qu'ils fussent véritablement le

temple et l'habitacle de l'Esprit-Saint.

 

Cette conclusion n'étonnera point si l'on réflé-

chit que les patriarches de l'antiquité possédaient

le même genre de sainteté que le chrétien; la

grâce qui les justifiait, les rendait comme lui

 

 

 

I. « Missio invisibilis fit ad sanctificandam creaturara.

Omnis autem creatura habens gratiam sanctificatur. Ergo

ad omnem creaturam hujusmodi fit missio Invisibilis. »

(S. Th., Summa TheoL^ I, q. xuii, a. 6.)

 

3. Ibid., ad i.

 

3. Jac, II, 23.

 

 

 

a3a l'habitation de dieu dans les âmes

 

saints, enfants de Dieu et héritiers de la vie éter-

nelle. Car, suivant l'enseignement du concile de

Trente, « la justification ne consiste pas unique-

ment dans la rémission des péchés, mais encore

dans la sanctification et le renouvellement de

l'homme intérieur par la réception volontaire de

la grâce et des dons, en sorte que l'homme

devient juste, d'injuste qu'il était; d'ennemi, il

devient ami et héritier en espérance de la vie

éternelle! ». Ils recevaient donc, au moment de

leur justification, le pardon de leurs péchés, la

grâce sanctifiante et tout cet admirable cortège

de vertus et de dons surnaturels qui l'accompa-

gnent, et, avec la grâce, le Saint-Esprit.

 

Mais, suivant la remarque des saints Docteurs,

cette donation réelle et invisible de l'Esprit-Saint

ne devait pas alors être accompagnée d'une

mission visible, inopportune à pareille époque ;

car la mission visible du Fils devait précéder

celle du Saint-Esprit 2. Il convenait effective-

ment, avant que la troisième personne de la

sainte Trinité se manifestât extérieurement et se

 

 

 

I. « Justificatio non est sola peccatorum remîssio, sed et

sanctificatio, et renovatio interioris hominis per volunta-

riam susceptionem gratiœ, et donorum ; unde homo ex in-

justo fit justus, et ex inimico amicus, ut sit haeres secundum

spem vitae œterne... Unde in ipsa justificatione cum remis-

sione peccatorum haec omnia simul infusa accipit homo

per Jesum Ghristum, cui inseritur, fidem, spem, et cari-

tatem. » (Trid., sess., VI, c. vu.)

 

a. « Ad patres veteris Testamenti missio visibilis Spiritus

stncti fieri non debuit quia prius debuit perfici missio visi-

biiis Filii quam Spiritus sancti. » (S. Th., Summa Theol.,

I, q. XLiii. a. 7, ad 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 233

 

fît distinctement connaître, que la plénitude des

temps, marquée dans les conseils divins pour

l'Incarnation du Verbe et son apparition au

milieu des hommes, fut arrivée.

 

Au reste, avant de proposer à un peuple enclin

à l'idolâtrie, comme était le peuple juif, le

dogme de la Trinité, il était nécessaire de lui

inculquer au préalable et de graver avec force

dans son esprit la vérité fondamentale de l'unité

de Dieu. L'unité de Dieu, opposée au poly-

théisme, voilà le dogme partout rappelé dans

l'Ancien Testament. « Ecoute, Israël, le Sei-

gneur notre Dieu est un. Audi, Israël, Dominas

Deus nosier, Dominas anus est\ » A peine quelques

allusions voilées à la trinité des personnes ; si

parfois il est question du Verbe de Dieu et de

son Esprit, il en est fait mention en termes si

vagues que c'est pour nous un problème difficile

à résoudre, de savoir si les docteurs juifs les

connurent comme personnes distinctes.

 

Sous la Loi nouvelle, au contraire, après que

le Verbe fait chair eut daigné sô montrer aux

hommes et habiter au milieu d'eux, le mystère

de la sainte Trinité leur est révélé et annoncé

ouvertement, c'est une vérité que tous doivent

coQQaitre et professer. A la lumière discrète du

Testament ancien, proportionnée à la faiblesse

d'un peuple encore enfant, a succédé le plein

jour de la révélation chrétienne ; le moment est

donc propice pour une manifestation extérieure

et distincte des personnes divines. De là cette

 

 

 

Deut., Yi, 4.

 

 

 

234 > l'habitation de dieu dans les AMES

 

judicieuse observation de saint Grégoire de

Nazianze : « Après l'apparition du Fils de Dieu

dans la chair, il était convenable que le Saint-

Esprit se montrât également d'une manière

sensible : Decebat enim, postqaam Filius corpo-

raliier nobiscum versatus est, etiam iliam (Spiritum

sanctum) apparere corporaliter^, »

 

 

 

IV

 

 

 

Ce qui ressort de tout ce que nous avons dit

jusqu'ici, ce qui découle de l'étude des Livres

saints et de celle des Pères faite sans esprit de

parti et en dehors de toute préoccupation systé-

matique, ce que les docteurs les plus autorisés

s'accordent à enseigner, c'est que toute âme

juste, à quelque âge du monde qu'elle ait vécu,

à quelque degré de sainteté qu'elle se trouve,

quV/ile ait déjà atteint les sommets de la perfec-

tion ou qu'elle en soit encore à ses premiers pas

dans la cairière de la justice, qu'elle soit l'âme

d'uii adulte ou celle d'un onfant, toute âme en

état de grâoî possède er* elle l'Hôte divin : Qai-

libei sanctas Deo unitur per graiiam '. L'union, il

est vrai, peut être plus ou moins parfaite ; ses

degrés peuvent varier à l'infini, mais le fond du

mystère est partout le même.

 

Le lecteur est maintenant à même d'apprécier

l'opinion de Petau réservant aux saints de la Loi

 

 

 

i. S. Greg. Naz., oral. Ui (al. 44), n. ii.

 

^. S. Th., Summa Theol, III. q. ii, a. lo, obj. 3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 235

 

nouvelle la qualité d'enfants de Dieu et de tem-

ples de l'Esprit-Saint, qu'il refusait aux justes du

Testament ancien, et établissant ainsi une sorte

de dualisme dans l'œuvre de la sanctification

humaine. Sans doute, ici comme précédemment,

quand il était question de l'habitation person-

nelle du Saint-Esprit, le docte Jésuite en appelle

à l'autorité des Pères ; mais pas n'est besoin,

pour expliquer leur langage, de recourir à cette

étrange théorie, il suffît de se rappeler la double

différence qu'ils établissent entre la mission de

l'Esprit-Saint avant et après l'Incarnation.

 

Avant l'apparition sur la terre du Verbe fait

chair, le Saint Esprit avait été réellement envoyé

et donné aux âmes saintes ; mais cette mission

invisible n'avait jamais été accompagnée de la

mission extérieure et visible si fréquente plus

tard, surtout dans les premiers siècles de l'Eglise,

où les fidèles avaient besoin d'être affermis dans

la foi au mystère de la sainte Trinité. De plus,

si l'Espril-Saint était présent dans les anciens

justes non seulement par son opération, mais

encore par sa substance, ce n'était cependant

pas avec cette plénitude, cette abondance, cette

sorte de profusion, qui forment le caractère dis-

tinctif de la Loi évangélique.

 

Ce que l'on peut concéder à Petau, c'est que

rinhabitation divine par la grâce et la filiation

adoptive, quoiqpie réelles sous l'économie sinaï-

tique*, n'appartenaient cependant pas aux fils

 

 

 

I. L'Apôtre dit formellement des anciens patriarches

qu'ils étaient enfants de Dieu : <( Qui sunt Israelitae, quo-

rum adoptio est filiorum. » (Rom., ix, 40

 

 

 

a36 l'habitation de dieu dans les âmes

 

d'Israël, comme maintenant aux chrétiens, en

vertu même de leur loi, vi legis, mais par la foi

au Messie à venir et par une application anti-

cipée de ses mérites futurs.

 

La nature des deux lois explique suffisamment

cette différence. La loi mosaïque était une loi

essentiellement figurative et provisoire i ; une loi

imparfaite et inefficace par elle-même, ne con-

duisant rien à la perfection 2 ; elle préfigurait,

elle annonçait la grâce future, mais ne la don-

nait pas ; elle formulait des préceptes, imposait

des prohibitions, faisait connaître le péché 3,

mais elle était impuissante à l'effacer^. La sanc-

tification qu'elle opérait était une sanctification

extérieure et charnelle, emundaiio carnis'', qui

rendait l'homme apte à prendre part au culte

divin, sans toutefois le changer et le renouveler

intérieurement.

 

Il y avait bien alors, il est vrai, en outre de la

justice légale, une justice véritable et intérieure

qui purifiait l'homme de ses fautes et le rendait

agréable aux yeux de Dieu; mais cette justice

surnaturelle ne provenait pas de la loi elle-

même, elle était accordée non aux œuvres de la

loi, mais à la foi et par les mérites du Christ à

 

 

 

1. « Haec omnia in figura contingebant illis. » (I Cor.,

 

X, II.)

 

2. « Nihil enim ad perfectum adduxit lex. » (Hebr.,

 

VII, 19.)

 

3. « Per legem cognitio peccaii. » (Rom., m, 20.)

 

4. « Impossibile est sanguine taurorum et hircoram

a^iferri peccata. » (Hebr.. x, 4.)

 

5. Ibid., IX, i3.

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 287

 

venir ^ La vraie sainteté, celle qui efface le

péché et transforme un homme en une créature

divine, devait être l'effet et la propriété de la loi

évangélique, appelée pour cela la loi de grâce.

Aussi saint Thomas ne fait-il pas difficulté de

dire que les justes de l'Ancien Testament qui

possédaient la charité et la grâce de l'Esprit-

Saint, et qui, non contents des promesses ter-

restres attachées à la pratique fidèle des obser-

vances légales, attendaient principalement les

promesses spirituelles et éternelles, apparte-

naient, sous ce rapport, à la Loi nouvelle-.

 

Toutefois, bien qu'ils possédassent une justice

et une sainteté de même nature que la nôtre,

bien qu'ils fussent, au même titre que nous, fils

adoptifs de Dieu par la grâce, ils ne vivaient

cependant pas dans la condition et l'état de fils,

mais plutôt comme des serviteurs ^ : semblables

en cela, suivant la comparaison de l'Apôtre, à

ces enfants de noble extraction qui, tout en

étant les héritiers véritables de la fortune pater-

nelle et les vrais maîtres de tout, ne diffèrent

pas des serviteurs, et sont soumis à des tuteurs

et des curateurs jusqu'au temps fixé par leur

 

 

 

1. « Non justificatur homo ex operibus legîs, nisi per

fidem Jesu Ghristi. » (Gai., 11, 16.)

 

2. « Fuerunt tamen aliqui in statu veteris Testamenti

habentes caritatem et gratiam Spiritus sancti, qui princi-

paliter expectabant promissiones spirituales et aeternas ; et

secundum hoc pertinebant ad legem novara. » {Summa

TheoL, I»-IP% q. cvn, a. i, ad 2.)

 

3. « Verum, si et illi in filiis Dei numerabantur, con-

ditione tamen perinde erant ac servi. » (Encycl. Divinum

illud munus.)

 

 

 

2 38 l'habitation de dieu dans les AMES

 

père^. Incapables d'entrer en possession de l'hé-

ritage céleste, ils étaient assujettis aux mille

pratiques asservissantes de la loi, qui leur servait

de précepteur pour les conduire au Christ 2.

 

Mais, quand vint la plénitude des temps, quand

sonna l'heure marquée par les décrets éternels,

Dieu envoya son Fils pour nous délivrer du joug

et de la servitude de la loi, et nous communi-

quer d'une manière parfaite la qualité et l'état

de fils adoptifs^. Et parce que nous sommes ses

enfants, il a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de

son Fils qui crie : Père, Père^. La plénitude de

la mission divine devait donc être le privilège de

la loi évangélique.

 

 

 

Est-ce à dire que les justes de Tancienne

Alliance, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et

Josué, David et Jérémie, et tant d'autres dont

 

 

 

I. « Quanto tempore haîres parvulus est, nihil dîffert a

servo, cum sit dominus omnium. Sed sub tutoribus et

actoribus est usque ad prsefinitum tempus a pâtre : ita et

nos, cum essemus parvuli, sub elementis mundi eramus

servientes, «(Gai., iv, i-'6.)

 

a. « Lex paedagogus noster fuit in Christo. » (Gai.,

m, 24.)

 

3. « At ubi venit plénitude temporis, misit Deus Filium

suum..., ut eos qui sub lege erant, redimeret, ut adoptio-

nem filiorum reciperemus. » (Gai., iv, 4-5.)

 

4. « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii

sui in corda vestra clamantem : Abba. Pater. » (Ibid., 6.)

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 289

 

l'Ecriture célèbre en termes si magnifiques la foi,

le zèle, la fidélité, la douceur et les autres vertus,

fussent inférieurs en sainteté aux justes de la Loi

nouvelle, et n'aient possédé au même degré ni la

grâce, ni TEsprit-Saint ?

 

A. parler en général, il semble bien qu'il en

ait été ainsi ; car les moyens de sanctification

mis à la disposition du genre humain avant l'in-

caination du Verbe étaient incomparablement

moins puissants que les nôtres. Purement figu-

ratifs, les sacrifices anciens se réitéraient perpé-

tuellement, parce qu'ils n'avaient par eux-mêmes

aucune vertu capable de perfectionner ceux en

faveur de qui ils étaient offerts, et de purifier

leur conscience', tandis que Jésus-Christ, par

une oblation unique, a rendu parfaits pour tou-

jours ceux qu'il a sanctifiés \ Les sacrements de

k Loi mosaïque, au lieu d'être, comme ceux de la

Loi nouvelle, des causes efficaces de la grâce,

n'étaient également que des signes et des sym-

boles ; ils préfiguraient la grâce qui devait être

produite par la passion du Christ, mais ne la

produisaient pas s. C'est pourquoi l'Apôtre les

 

 

 

1. « Umbram habens lex futurorum bonorum, non

ipsam imaginem rerum : per singulos annos eisdem ipsis

hostiis, quas offerunt indesinenter, nunquam potest acce-

dentes perfectos facere; alioquin cessassent offerri, ideo

quod nuUam haberent ultra conscientiam peccati, cultores

semel mundati. » (Hebr., x, i-a.)

 

2. « Una enim oblatione consummavit in sempit«*num

sanctiflcatos. » (Ibid., i4.)

 

3. « Novae legis septem sunt sacramenta... QuaB multum

a sacramentis dijSerunt antiquae legis. Illa enim non causa-

bant gratiam, sed eam solum per passionem r4hristi dan-

 

 

 

2^0 l'habitation de dieu dans les AMES

 

appelle « des éléments impuissants et vides :

infirma et egena elementa^ » ; « impuissants, dit

saint Thomas, parce qu'ils étaient vides et ne

contenaient pas la grâce' ».

 

Une autre considération de l'angélique Doc-

teur, que devait s'approprier plus tard le concile

de Trente 3, nous aide à comprendre pourquoi,

sous la Loi évangélique, le niveau de la sainteté

est généralement plus élevé que sous la Loi

ancienne : c'est que qui est mieux préparé à la

grâce la reçoit avec plus d'abondance. Illi qui

magls sant parati ad percepiionem graiiœ, plenlo-

rem gratiam consequuniur \ Or, depuis l'avèce-

ment du Sauveur, et par suite de cet avènement,

le genre humain tout entier était mieux disposé

et plus apte qu'auparavant à recevoir les dons

divins ; soit parce que le prix de notre rançon

avait été payé et le diable vaincu, soit parce que,

grâce à la doctrine du Christ, les choses divines

nous sont mieux connues 5.

 

 

 

dam esse figurabant; haec vero nostra et continent gratiam,

et ipsam digne susclpientibus confenint. » (Gonc. Florent.,

ex decreto pro Armenis.)

 

1. Gai., IV, g.

 

2. « Infirma quidem, quia non possunt a peccato mun-

dare ; sed haec infirmitas provenit ex eo quod sunt egena,

id est, eo quod non continent in se gratiam. » {Summa

Theol. l'-ll", q. cih, a. a.)

 

3. « Justi nominamur et sumus, justitiam in nobis reci-

pientes, unusquisque suam secundum mensuram, quam

Spiritus sanctus partitur singulis prout vult, et secundum

propriam cujusque disp»sitionem, ei cooperationem. » {Trid.^

sers. VI, cap. vu.)

 

4. S. Th., in I Sent., dist. xv, q. v, a. a.

 

5. « Quia per adventum Christi remotum est obstaculum

 

 

 

DOT COMMUNE DE TOUS LES JUSTES 2^1

 

Le saint Docteur ajoute, dans un autre pas-

sage, que, avant l'Incarnation, les mérites et les

satisfactions du Rédempteur n'existant pas

encore réellement, la grâce était départie avec

moins d'abondance qu'après l'accomplissement

de ce mystère i. Et comme la mission invisible

de l'Esprit-Saint ne va point sans la collation

première ou l'accroissement de la grâce, on

peut donc affirmer que cette mission s'est faite,

en règle générale, avec une plus grande pléni-

tude après l'Incarnation qu'auparavant. Et ideo,

loqaendo communiter, plenior fada est missio post

Incarnationem quant ante^.

 

Mais si, au lieu de considérer l'état général

du genre humain, on réfléchit sur les condi-

tions particulières dans lesquelles se trouvèrent

certains personnages antiques, pris individuel-

lement, rien n'empêche de croire qu'ils reçu-

rent la mission de l'Esprit-Saint avec une telle

plénitude qu'ils s'élevèrent jusqu'à la perfection

de la vertu 3. Et si l'on met en parallèle la grâce

personnelle des Saints de l'Ancien et du Nou-

 

 

 

antiquse damnationis, totum humanum genus effectum est

paratius ad perceptionem gratiae quam ante : tum propter

solutionem pretii, et victoriam diaboli ; tum etiam propter

doctrinam Christi, per quam clarius nobis innotescunt

divina. » (Ibid.)

 

I . « Quia nondum erat meritum Christi in actu, nec satis-

factio ante Incarnationem ; ideo non erat tanta gratiae

plenitudo sicut et post. » (De verit., q. xxix, a. 4. ad lo.)

 

a. S. Th., in I Sent., dist. xv, q. v, a. a.

 

3. « Sed verum est quod ad aliquas spéciales personas est

in veteri Testamento plenissima facta missio secundum per-

fectionem virtutis. » (Ibid.)

 

AB . SAINT-ltPBIT. lA

 

 

 

2^2 l'habitation DE DIEU DANS LES AMES

 

Yeau Testament, on doit reconnaître avec saint

Thomas que, par la foi au Médiateur, beaucoup

d'anciens justes furent aussi bien pourvus, quel-

ques-uns même mieux partagés que nombre de

chrétiens'.

 

Il est cependant une grâce après laquelle les

patriarches antérieurs au Messie devaient long-

temps soupirer sans pouvoir l'obtenir sous l'éco-

nomie mosaïque ; il est une mission invisible de

l'Esprit-Saint qui était réservée pour l'époque

de la nouvelle Alliance : c'était la grâce d'être

admis à la vision de Dieu, c'était la mission

pleine et consommée qui se fait à l'entrée des

justes dans la gloire.

 

 

 

I . « Sancti veteris Testamenti dupliciter possunt consi-

derari : vel quantum ad gratiam personalem, et sic per

fidem Mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his

qui sunt in novo Testamento, et multis plus et multis

minus; vel secundum statum naturae illius temporis, et

sic cum adhuc coniinerentur obnoxii divinae seiiterit*iae pro

peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in eis

aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio

fieret, sicut fit in novo Testamento etiam per traductionem

in gloriam, in qua omnis imperfectio naturae amovetur. »

(Ibid., ad a.)

 

 

 

QUATRIÈME PARTIE

 

 

 

BUT ET EFFETS DE LA MISSION INVISIBLE DE

L'ESPRIT -SAINT ET DE SON HABITATION

DANS LES AMES.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

 

But de la mission invisible de TEsprit-Salnt

et de sa venue dans les âmes : la sancti-

fication de la créature. — Pardon des

péchés, justification.

 

 

 

Après avoir établi le fait d'une présence à la

fois substantielle et spéciale de Dieu dans lea

âmes justes et expliqué, à la suite de saint Tho-

mas, le mode de cette présence, laquelle, pour

être fréquemment désignée dans l'Ecriture sous>

le nom d'habitation du Saint-Esprit, ne saurait

cependant être considérée comme appartenant

en propre à la troisième personne, mais lui est

simplement attribuée par appropriation, il nous

reste à étudier, à la lumière de la révélation, le

but de la venue de l'Esprit-Saint en nous, ainsi

que les multiples effets qui sont la suite ordi-

naire, le résultat constant, on pourrait presque

dire la conséquence obligée, de sa divine pré-

sence.

 

Si un sujet doit nous intéresser, c'est assuré-

ment celui-là; rien ne nous est plus personnel,

rien n'a pour nous un si grand prix, rien ne

nous importe davantage. Nécessaire en tout

temps aux chrétiens qui ont la légitime ambi-

tion de ne point demeurer étrangers aux choses

de l'ordre surnaturel, phis indispensable encore

à notre époque de naturalisme effréné, oh. l'on

 

 

 

2^6 atlSSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

ne semble apprécier que les biens matériels et

les dons de la nature, pour réagir contre cette

tendance funeste, élever les esprits et les cœurs,

donner une haute idée de la grâce et en inspirer

une estime profonde, cette étude non seulement

n'offre rien de rebutant et d'aride, mais elle est

pour nous jeter dans de vrais abîmes de grati-

tude, d'admiration, de confiance et d'amour.

 

L'Apôtre saint Paul souhaitait vivement aux

premiers fidèles cette connaissance des biens

spirituels. « Je ne cesse, écrivait-il aux Ephé-

siens, de rendre grâces pour vous et de faire

mémoire de vous dans mes prières, afin que

Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous

donne l'esprit de sagesse et de révélation, qu'il

éclaire vos cœurs et vous fasse connaître quelle

est l'espérance attachée à votre vocation et quels

trésors de gloire forment l'héritage des saints i. »

 

Présenter un tableau sommaire mais suffisam-

ment complet des dons qui se rattachent à la

venue de l'Esprit-Saint dans nos âmes, tracer

une esquisse des secrètes opérations de cet Hôte

intérieur et des espérances dont il est le gage et

les prémices, telle est ki tâche ardue mais sou-

verainement douce qui s'impose maintenant à

nous comme couronnement de l'œuvre que nous

ivons entreprise.

 

 

 

I. '( IS'on cesso gratias agens pro vobîs, memoriam vestri

faciens in orationibus meis, ut Deus, Domini nostri Jesu

Christ! pater gloriae, det vobis spiritum sapientiae et revela-

tionis in agnitioneejus : illuminatos oculos cordis vestri, ul

sciatis quae sit spes vocationis ejus, et quic divitiae gloriœ

haereditatis ejus in sanctis. » (Ephes., i, 16-18.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 247

 

 

 

I

 

 

 

Que l'Esprit-Saint soit envoyé et donné aux

justes avec la grâce, qu'il daigne faire de leur

âme sa demeure, son temple, son trône, c'est

une vérité aussi incontestable qu'elle est conso-

lante, sur laquelle nous n'avons pas à revenir.

La question qui se pose présentement à nous est

celle-ci : Pourquoi cette mission? Oii tend cette

donation? Quel est le but, la fin, le motif de

cette habitation ? Si, même parmi les hommes,

les personnages éminents, les princes du sang,

les grands dignitaires d'un Etat, ne sont point

envoyés pour des sujets de médiocre impor-

tance ; si les missions qu'on leur confie revê-

tent, en vertu même de leur condition ou de

leur office, un cachet de grandeur tout particu-

lier, quelle doit donc être l'importance d'une

mission confiée à une personne divine?

 

Quand Dieu, voulant sauver le genre humain

perdu par la faute de notre premier père, dai-

gna, dans sa miséricorde, envoyer son propre

Fils pour opérer notre rédemption, ce témoi-

gnage d'infinie bonté arrachait à l'évangéliste

saint Jean ce cri d'admiration : « Dieu a tant

aimé le monde qu'il a donné son Fils unique

pour que quiconque croit en lui ne périsse

point, mais qu'il ait la vie éternelle i. » Toute-

 

 

 

I. « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unige-

nitum daret, ut omnis qui crédit in eum, non perlât, sed

habeat vitam œternam. » (Joan., ni, i6.)

 

 

 

2^8 MISSION INYISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

fois, si étonnante que puisse paraître cette mis-

sion, elle s'explique, dans une certaine mesure,

par l'importance du but à atteindre et la gran-

deur du résultat qu'il s'agissait d'obtenir.

 

Mais, quand il est question d'un enfant qu'on

baptise, d'un pécheur qui se convertit, d'un

juste qui croit en sainteté, oii sont les grandes

choses pour l'accomplissement desquelles il

faille envoyer l'Esprit-Saint? où les intérêts ma-

jeurs qui réclament sa présence? D'autant plus

qu'il ne s'agit point ici d'une mission passagère,

dune visite de courte durée, non pas même

d'un séjour temporaire plus ou moins prolongé.

Quand le Saint-Esprit vient dans un cœur, c'est

pour s'y établir à demeure et n'en plus sortir, à

moins qu'on ne l'y contraigne par le péché. Ad

eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus i.

Qu'est-ce donc, encore un coup, qui l'amène?

et pourquoi vient-il ? Serait-ce uniquement pour

recevoir dans ce temple vivant et saint nos ado-

rations et nos louanges, nos prières et nos

actions de grâces? Serait-ce pour nous encou-

rager par sa présence dans nos luttes et nos com-

bats de chaque jour, un peu à la façon d'un

aïeul vénérable qui suit d'un regard sympathi-

que et rajeuni par l'amour les ébats de ses

petits-fils, sans toutefois y prendre une part

active ? Non. S'il vient, c'est poir" agir, car Dieu

est essentiellement actif; il est, disent les théo-

logiens, un acte pur.

 

Aussi, loin d'être stérile et infructueuse, la

 

 

 

I. Joan., iiv, 23.

 

 

 

PARDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 2^9

 

présence en nous de l'Esprit sanctificateur, son

union avec nos âmes, est, au contraire, souve-

rainement féconde. Nous arracher à l'empire

des ténèbres et nous transférer dans le royaume

de la lumière ; créer en nous l'homme nouveau

et renouveler la face de notre âme en la revê-

tant de justice et de sainteté ; nous infuser avec

la grâce une vie infiniment supérieure à celle de

la nature, nous rendre participants de la nature

divine, faire de nous des enfants de Dieu et des

héritiers de son royaume ; dilater nos puissances

en ajoutant à leurs forces natives des énergies

de surcroît, nous emplir de ses dons et nous

rendre capables de faire des œuvres méri-

toires de la vie éternelle ; bref, travailler effica-

cement, incessamment, amoureusement, à la

sanctification de la créature, ad sanciificandam

creaturam^, voilà le but de sa mission, voilà le

grand œuvre qu'il vient entreprendre et qu'il

mènera à bonne fin si nous savons ne pas

résister à ses inspirations et lui prêter le con-

€Ours qu'il réclame et sans lequel rien ne peut

aboutir.

 

Mais il importe de descendre ici dans le détail

et d'étudier séparément chacun des bienfaits que

nous vaut sa divine présence ; c'est l'unique

moyen de les bien connaître.

 

 

 

I. S. Aug., De Trin.y 1. m, cap iv.

 

 

 

250 MISSIO>' INVISIBLE DE l" ESPRIT-SAINT

 

 

 

II

 

 

 

Le premier effet de la mission invisible de

TEsprit-Saint, le premier fruit de son entrée

dans une âme où ii ne résidait pas encore, le

premier don qu'il lui accorde, c'est un entier et

généreux pardon ; car, depuis la déchéance ori-

ginelle, partout oii il pénètre pour la première

fois, fut-ce dans le cœur d'un enfant qui vient

de naître et sur le front duquel coule l'eau sainte

du baptême, il trouve un pécheur, c'est-à-dire

un enfant de colère : Eramus natura fdil irœ^.

 

Pour apprécier à sa juste valeur cette grâce de

pardon, il faudrait avoir la parfaite intelligence

ÔM péché, en comprendre toute la malice, se

rendre un compte exact des effroyables consé-

quences qu'il entraîne pour le coupable, en cette

vie d'abord, et surtout dans l'éternité. Mais

coiLment sonder cet abîme avec nos faibles

lumières? Qui dit péché, dit offense de Dieu,

mépris de Dieu, révolte contre Dieu. Or, qu'est-

ce qu'un Dieu offensé, méprisé, irrité? Quelles

peuvent bien être les suites de sa colère, quels

les effets de sa vengeance? Sans doute nous ne

devons point transporter en Dieu nos passions ;

et, quand nous parlons de colère et de ven-

geance divines, il est manifeste qu'il en faut

écarter tout ce qui sent le trouble, l'émotion, la

 

 

 

I. Ephes., n, 3.

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 25 1

 

désordre ; mais aussi que de vraies, de saintes,

de terribles réalités se cachent sous ces mots,

qui reviennent si fréquemment dans l'Ecriture !

 

C'est que, en effet, Dieu ne serait pas la bonté

absolue s'il ne se montrait l'ennemi implacable

du mal ; il ne serait pas la justice et la sainteté

même, s'il laissait impuni un acte dont la ma-

lice est à certains égards infinie'. S'il est grand

dans les œuvres de sa miséricorde, il ne Test

pas moins dans les manifestations de sa justice ;

s'il récompense magnifiquement tout ce qui est

fait pour sa gloire, il tire une vengeance écla-

tante des outrages commis contre sa majesté

sainte. Toujours il agit en Dieu, quand il rému-

nère la vertu comme lorsqu'il châtie le crime.

Quelle perspective cette simple co:?sidération

ouvre devant un regard attentif! Aussi le saint

homme Job, pénétré du sentiment profond de

la justice divine, se déclarait-il « incapable d'en

supporter le poids, comme s'il avait sur sa tête

les flots d'une mer en furie : Semper quasi

tumenies super me fluctus limui Deum, et pondus

ej us ferre non potui'-. » Et le grand Apôtre disait

de son cuté que c'est une chose épouvantable

de tomber entre les mains du Dieu vivant : Hor-

renduni est incidere in nianus Dei viventis\

 

Tomber entre les mains des hommes, d'un

ennemi puissant et cruel, paraît une chose déjà

 

 

 

1. « Peccatum contra Deum commissum quamdam infi-

nitatem habet ex infinitate divinae MajestaUs. » (S. Th.,

CI, q. I, a. 2, ad 2.)

 

3. Job-, XXX.1, 23.

3. tiebr., x, 3i.

 

 

 

252 MISSION INVISIBLE DE L^ESPRIT-SAINT

 

singulièrement effrayante. Et pourtant, que peut

un faible mortel en comparaison de Celui qui

porte le monde et auquel nul pécheur ne sau-

rait échapper? Aussi, Notre-Seigneur disait-il à

ses disciples : « Ne craignez pas ceux qui tiient

le corps et ne peuvent ensuite plus rien contre

vous. Je vous dirai, moi, qui vous devez crain-

dre : c'est Celui qui, après vous avoir ôté la vie

du corps, peut encore envoyer votre âme dans^^

les flammes éternelles. En vérité, je vous le dis :

c'est celui-là qu'il faut craindre ^ »

 

Mais Dieu n'attend pas l'autre vie pour exercer

ses vengeances contre les transgresseurs de sa

loi sainte et les contempteurs de son adorable

majesté ; dès ici-bas le châtiment du pécheur

commence, et pour être, ordinairement du

moins, purement intérieur et partant invisible,

il n'en est pour cela ni moins réel, ni moins

terrible. Ecoutez.

 

Aussitôt que l'homme a consommé son ini-

quité et commis une faute grave, Dieu lui retire

son amitié ; au lieu de le considérer et de le

traiter comme un enfant très aimé, que l'on

entoure de soins et de tendresse, il le regarde

d'un œil irrité 2 et le traite en ennemi ; car

 

 

 

i.« Ne terreamini ab his qui occidunt corpus, et post

haec non habent amplius quid faciant. Ostendam autem

vobis quem timeatis : timete cum qui, postquam occident,

habet potestatem mittere in gehennam : ita, dico vobis :

Hune timete. » (Luc, xii, 4-5.)

 

a. « Vullus autem Domini super facientes mala. » (Ps..

XXX.111, 17.)

 

 

 

PARDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 253

 

« Dieu hait l'impie et son impiété : Odio sunt

Deo impius et impietas ejus i. »

 

Comme première manifestation de cette haine,

il lui ôte tous les biens surnaturels dont il

l'avait comblé : la grâce sanctifiante d'abord,

cette perle évangélique que Notre -Seigneur

nous a acquise au prix de son sang, et pour la

conservation de laquelle nous devrions être prêts

à tout sacrifier ; puis la sainte charité, qui faisait

de l'homme l'objet des divines complaisances et

donnait à ses actions tout leur prix. Dieu retire

encore au pécheur les vertus infuses et les dons

du Saint-Esprit, qu'il avait répandus dans son

âme comme autant de germes divins ne deman-

dant qu'à s'épanouir en fleurs et en fruits de

sanctification et de salut, et ne lui laisse que la

foi et l'espérance comme une dernière planche

de salut, comme un dernier témoignage de mi-

séricorde.

 

Le voilà, cet infortuné, dépouillé de tout I D'en-

fant de Dieu qu'il était, il est devenu l'esclave de

Satan ; le vase d'honneur s'est changé en vase

d'ignominie ; l'héritier du ciel n'a plus à attendre

de Celui qui a cessé d'être son père, et qui

demeure son juge, qu'une efîroyable vengeance

et des supplices éternels.

 

Avez-vous jamais assisté à la dégradation

d'un soldat, d'un officier félon? On amène le

coupable sur la place publique, et là, en pré-

sence de ses camarades, on lui enlève successi-

vement tous les insignes de son grade : ses déco-

 

 

 

Sap., xiT, g.

 

 

 

254 MISSION INVISIBLE DE l' ESPRIT-SAINT

 

rations d'abord, s'il en a, car, ayant forfait à

rhonneur, il est indigne de porter le signe de

l'honneur, puis son épée. Cette épée, dont il

^tait si fier et qui lui avait été confiée pour la

défense de la patrie, est brisée sous ses yeux,

et on en jette au loin les tronçons déshonorés,

car c'est l'épée d'un traître. On lui arrache ses

épaulettes, ses galons, tout ce qui rappelle l'uni-

forme, et on le livre ainsi dépouillé et couvert

d'ignominie au peloton d'exécution. Faible

image de la dégradation spirituelle infligée dès

cette vie au pécheur.

 

Extérieurement, il est vrai, rien ne trahit

l'affreux changement qui vient de s'opérer dans

son âme; il va et vient, il vaque à ses affaires, et

peut-être qu'en voyant sa santé aussi florissante

qu'auparavant, sa fortune intacte, sa réputation

sauve, il serait tenté de croire dans son aveugle-

ment que, après tout, le péché n'est pas un si

grand mal ; peut-être que, nonobstant l'avertis-

sement de l'Esprit-Saint, il aurait la témérité de

dire : « J'ai péché, et que m'est-il arrivé de

fâcheux ^ ? .)

 

Ce qu'il lui est arrivé de fâcheux ? Ah ! s'il

pouvait contempler les ravages épouvantables

opérés dans son âme par un seul péché mortel,

bien autre serait son langage. Cette âme, aupa-

ravant si belle aux yeux de Dieu et de ses anges,

a perdu soudain tout son éclat "^ et ne présente

 

 

 

1. « Ne dixeris : Peccavi, et quid mihi accidit triste? »

(Eccli., V, 4.)

 

2, « Egressus est a filia Sion omnis dccor ejus. » (Thren.,

 

1, ^O

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 255

 

plus maintenant que l'aspect hideux et repous-

sant d'un visage rongé par la lèpre. Cette âme,

naguère encore toute resplendissante des clartés

de la grâce, tout imprégnée du parfum des

vertus ^ s'est couverte tout à coup d'affreuses

ténèbres et répand autour d'elle l'infection d'un

cadavre ; car elle est morte devant Dieu, morte

et corrompue comme les cadavres des tombeaux ;

morte, non pas sans doute à la vie de la nature

— dans cet ordre elle est immortelle, — mais à

la vie plus haute et incomparablement plus pré-

cieuse de la grâce.

 

En perdant la grâce, le pécheur a tout perdu :

l'amitié de Dieu, le droit à l'héritage éternel,

les mérites précédemment acquis, et jusqu'à la

possibilité d'en acquérir de nouveaux, lant qu'il

n'aura pas recouvré la divine charité. Tout a

péri, tout a sombré dans le naufrage.

 

Mais ce qui achève surtout de faire du péché

le plus grand des malheurs, c'est qu'il est en

même temps la perte de Dieu. L'âme en état de

grâce est le temple de l'Esprit-Saint, la demeure

des trois personnes divines, qui se donnent à elle

pour être, d'une manière initiale, dès cet exil,

l'objet de sa jouissance et comme un avant-goût

du paradis. Mais à peine le péché mortel est-il

consommé, que ces hôtes divins se retirent, en

redisant cette parole effrayante dont retentit l'an-

cien temple de Jérusalem aux approches de sa

ruine : « Sortons d'ici, sortons d'ici » ; et l'âme

ainsi abandonnée devient l'asile des démons, le

 

 

 

1. « Ghristi bonus odor sumus Deo. » (II Cor., n, i5.)

 

 

 

256 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAIWT

 

repaire des reptiles et des bêtes venimeuses qui

sont les passions déchaînées.

 

Comprenez-vous maintenant la grandeur du

bienfait que Dieu daigne accorder à une créature

pécheresse en lui octroyant le pardon de ses

offenses? Laissée à elle-même, abandonnée à ses

seules ressources, jamais elle n'aurait pu sortir du

triste état où elle s'était jetée par sa faute ; mais

Dieu, dont, suivant la belle parole de l'Eglise,

« le propre est de faire toujours miséricorde et

de pardonner 1 », lui tend une main secourable

pour la retirer de l'abîme. Bien qu'il soit l'of-

fensé, c'est lui qui prend l'initiative de la récon-

ciliation et fait les premières avances. Il l'invite

au repentir par de secrètes terreurs, l'éclairé sur

les conséquences de ses crimes, l'attire par les

attraits de sa grâce; il lui présente de saintes

amorces, lui tend de salutaires embûches, frappe

sans se lasser à la porte de son cœur ; et sitôt

que l'âme, cédant aux pressantes sollicitations

de son amour, se jette repentante à ses pieds en

disant comme le prodigue : « Père, j'ai péché,

je ne suis pas digne d'être appelée votre

enfant », il se penche miséricordieusement vers

elle, s'empresse de la relever, la serre dans ses

bras, lui rend son Esprit-Saint, qui reprend aus-

sitôt possession de son sanctuaire, apportant

avec lui, comme don de joyeux avènement, la

grâce et la paix. Tout est pardonné, tout est

effacé, tout est oublié; les anciennes relations

 

 

 

1. « Deus, cui proprieri est miserum semper, et parcere. »

(Ex Breviar. Ord. Praed.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 267

 

sont reprises, et, dans son bonheur d'avoir

retrouvé la brebis perdue, le Bon Pasteur se

dédommage des jours mauvais par un redouble-

ment de tendresse.

 

 

 

III

 

 

 

La venue de TEsprit-Saint, ou sa rentrée dans

une âme, n'aurait d'autre résultat que de lui

apporter la rémission de ses péchés et une grâce

de pardon, qui ne voit qu'elle serait déjà un bien

inestimable? Mais là ne se bornent pas les lar-

gesses de l'hôte divin.

 

Non content d'oublier les offenses de celte

âme et de lui faire remise de la dette contractée

envers la justice divine, il s'empresse de la puri-

fier de ses souillures, de la guérir de ses plaies,

de la revêtir d'une robe d'innocence ; il abat le

mur de séparation que le péché avait dressé

entre elle et Dieu^, il brise ses chaînes, il l'ar-

rache à l'empire des ténèbres poui' la transférer

dans le royaume de la lumière', et, se réconci-

liant pleinement avec elle, il lui rend, avec les

autres biens qu'elle avait perdus, son amour et

la grâce qui justifie. Pardon, justillcation, c'est

une seule et même chose, ou, si l'on aime

 

 

 

1. « Iniquitates vestrae diviserunt inter vos et Deum ves-

trum. )) (Is., Lix, 2.)

 

2. « Eripuit nos de potestate tenebrarum, et transtulit

in regnum Filii dilectionis suae. » (Col., i, i3. — Cf. etiam

I Petr., n, 9.)

 

AB. IMT-liPKir. 17

 

 

 

258 MISSIOIS INVISIBLE DE l'eSPHIT-SAJNT

 

mieux, c'est le double aspect, le double effet

d'une grâce unique, d'un dan surnaturel et

permanent versé dans notre âme et connu sous

le nom de grâce sanctifiante, qui efface nos

fautes et nous rend vraiment justes, saints et

agréables à Dieu.

 

L'hérésie protestante ne l'entend point ainsi.

Pour elle, la grâce divine n'est qu'une dénomi-

nation extrinsèque, une simple faveur extérieure

de Dieu, laquelle ne met en nous rien de réel,

rien de positif, aucun élément de sanctification

véritable; elle n'implique ni mutation, ni réno-

vation intérieure, en sorte que la justification du

pécheur consiste exclusivement dans la rémis-

sion des péchés, sorte d'amnistie qui, sans rien

changer dans la personne et les dispositions mo-

rales du coupable, le dispense de subir la peine

encourue, l'autorise à reprendre sa place dans la

société avec tous ses droits antérieurs et fait dis-

paraître jusqu'au souvenir de son crime.

 

Au jugement des pseudo-réformateurs, le péché

pardonné n'est pas réellement effacé, mais sim-

plement couvert ; en saisissant par la foi la jus-

tice de Jésus-Christ, le pécheur s'en fait comme

un riche manteau qui dissimule, en les recou-

vrant, les plaies hideuses de son âme, et les

soustrait en quelque sorte aux regards divins.

Satisfait de l'oblation volontaire de son Fils et

du prix de notre rançon , Dieu se résout à ne

point tirer vengeance des outrages commis

contre son adorable Majesté; et le coupable,

quoique non amendé, est déclaré juste et ren-

voyé absous.

 

Tout autre est le concept catholique de la jus-

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 269

 

ifîcation. Au lieu d'y voir une simple condona-

tion de la peine et une non-imputation de la

faute, l'Eglise enseigne que la justification du

pécheur implique la réelle disparition du péché,

sa destruction, son anéantissement, ainsi que la

sanctification, la rénovation de l'homme intérieur

par la susception volontaire de la grâce et des

dons. C'est ce que le Concile de Trente a solen-

nellement défini dans sa sixième session i.

 

Et, de vrai, l'on ne conçoit pas qu'il en puisse

être autrement. Qu'un juge humain qui ne voit

pas le fond des consciences et doit s'en rapporter

aux témoignages extérieurs, renvoie absous un

accusé dont la culpabilité n'est pas clairement

établie, c'est une nécessité qui s'impose, s'il ne

veut pas s'exposer à condamner un innocent.

Qu'un souverain, désireux de ramener la paix

dans ses Etats et d'effacer jusqu'aux dernières

traces des discordes civiles, ou obligé de comp-

ter avec des adversaires redoutables et voulant

leur enlever tout motif d'agitation, consente

par politique à pardonner à des coupables juste-

 

 

 

I. « Justificatio non est sola peccatorum remissio, sed et

sanctificatio, et renovatio interioris hominis per volunta-

riam susceptionem gratiae et donorum. tJnde homo ex in-

juste fit justus, et ex inimico amicus, ut sit havres secundum

spem vitae œternae. » (Trid., sess. VI, cap. vu.)

 

« Si quis dixerit, homines justificari vel sola imputatione

justitise Ghristi, vel sola peccatorum remissione, exclusa

gratia et caritate, quee in cordibus eorum per Spiritum

sanctum dlfîundatur atque illis inhœreat; aut etiam gra-

tiam, qua justiûcamur, esse tantum favorem Dei, anathema

ait. » (Ibid., can. 11.)

 

 

 

200 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

ment condamnés et nullement repentants, cela

se comprend encore.

 

Mais que Dieu, qui, suivant la parole de l'Ecri-

ture, « scrute les reins et les cœurs ^ », et « de-

vant qui tout est à nu et à découvert' » ; que

Dieu, le défenseur par essence de l'ordre et du

droit, puisse laisser le crime impuni, le désordre

invengé, la justice violée; qu'il consente à par-

donner au pécheur non repentant et à fermer les

yeux sur des iniquités toujours vivantes; qu'il

déclare juste et tienne pour tel quelqu'un qui

serait en réalité souillé de crimes, c'est ce que la

raison et le bon sens, non moins que la foi, se

refusent à admettre ; c'est une hypothèse contre

laquelle protestent tous les attributs divins : la

souveraineté réclame, la sainteté réclame, la jus-

tice réclame; il y a une dette à payer, une

offense à réparer, un tort à redresser ; tant que

Dieu sera Dieu, il devra exiger du coupable une

satisfaction qui s'impose, jamais il ne pourra le

renvoyer absous e1 non amendé.

 

S'il en était autrement, notre justice ressem-

blerait à celle des scribes et des pharisiens, que

Notre-Seigneur condamnait en termes si énergi-

ques, quand il disait : u Malheur à vous, scribes

et pharisiens hypocrites, parce que vous êtes

semblables à des sépulcres blanchis qui exté-

rieurement semblent beaux, mais au dedans

sont remplis d'immondices ; ainsi de vous, au

 

 

 

1. « Scrutans corda et renés Deus. « (Ps. m, lo.)

 

2. « Omnia nuda et aperta sunt oculis ejus. » (Hebr., iv,

:3.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 26 1

 

dehors vous paraissez justes aux yeux des hom-

mes, mais au dedans vous êtes pleins de fourbe-

rie et d'iniquité^. »

 

Si donc le pécheur aspire au pardon divin, il

n'a pour y parvenir qu'une seule voie, le repen-

tir ; s'il veut que ses iniquités ne lui soient j^as

imputées, l'indispensable condition, c'est quelles

soient vraiment effacées par l'infusion de la

grâce. Voilà la vraie notion de la justification,

telle que l'Eglise l'a toujours comprise et ensei-

gnée, telle qu'elle résulte de l'étude attentive

des Livres saints et des documents de la Tradi-

tion.

 

IV

 

Ce n'est pas, en effet, une fois en passant, ou

en termes vagues et obscurs, que l'Ecriture

énonce ce dogme ; c'est en une multitude de pas

sages et par des expressions aussi claires que

variées. Ainsi elle dit que les péchés sont ôtés',

effacés 3, lavés ^, purifiés^. Saint Paul, rappelant

 

 

 

1 . « Vae vobis, scribse et pharisœi hypocritœ, qui sîmiles

estis sepulcris dealbatis, quae a foris parent hominibus spe-

ciosa, intus vero plena sunt ossibus mortuorum et omni

Bpurcitia : sic et vos a foris quidem paretis hominibus justi,

intus autem pleni estis hypocrisi et iniquitate. » (Matth.,

xxni, 27-28.)

 

2. « Ec€e Agnus Dei, ecce qui toUit peccatum mundi. »

(Joan., I, 29.)

 

3. « Pœnitemini igitur et convertimini, ut deleantur pec-

cata vestra. » (Act., in, 19.)

 

4. « EfFundam super vos aquam mundam, et mundabi-

mini ab omnibus inquinamentisvestris. » (Ezech., xxxvi, a5.)

 

5. « Purgationem peccatorum faciens. » (Hebr., i, 3.)

 

 

 

2 02 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

aux Corinthiens leurs anciennes souillures effa-

cées par le baptême, leur disait : « Vous fûtes

tout cela, mais vous avez été lavés, mais vous

avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés

au nom de Noire-Seigneur Jésus-Christ et par

lEsprit de Dieui. » Et si parfaite est cette puri-

fication, que le pécheur justifié est plus blanc que

la neige'.

 

Si, au lieu de s'en tenir exclusivement à un

ou deux passages de l'Ecriture qui nous repré-

sentent les péchés comme couverts et non impu-

tés, nos adversaires avaient considéré l'ensemble

des textes se rapportant à la \orité qui nous

occupe, ils auraient rencontré une foule de té-

moignages attestant que les péchés pardonnes

n'existent réellement plus, qu'ils ont disparu

comme la neige fondue au soleil 3; ils auraient

entendu le même psalmiste qu'ils exaltent à

l'envi quand il dit : « Heureux ceux dont les

iniquités sont remises et les péchés couverts ;

heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé

de péché ^ », traduire sa pensée sous une autre

 

 

 

1. « Et haec quidem fuîstis : sed abluti estis, sed sanc-

lificati estis, sed justificati estis, in nomine Domini nostri

Jesu Christi, et in Spiritn Dei nostri. » (I Cor., vi, ii.)

 

2. « Lavabis me, et super nivem dealbabor. » (Ps. l, 9.)

— « Si fuerint peccata vestra utcoccinum, quasi nix dealba-

buntur. » <Is., i, 18.)

 

3. « Sicut in sereno glacies, sohentur peccata tua. »

(Eccli., m, 17.)

 

4. « Beati quorum remissae sunt iniquitates, et quorum

tecta sunt peccata. Beatus vir cui non imputavit Dominus

peccatum. » (Ps. xxxi, i-a.)

 

 

 

PAÎIDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION 263

 

forme non moins expressive et affirmer que

« aillant l'orient est distant de l'occident, autant

Dieu éloigne de nous nos iniquités i » ; ils

auraient appris d'un autre prophète que Dieu

jette nos péchés au fond de la mer^, l'Esprit-

Saint voulant par cette figure de langage signi-

ficative nous bien faire entendre que les péchés

pardonnes sont chose disparue et dont il n'est

plus question ; enfin, ils auraient pu lire dans

Isaïe ces paroles que le Seigneur adressait à son

peuple : « C'est moi, moi-même, qui efface vos

péchés à cause de moi'. »

 

Or, comme l'observe Bossuet, ne serait-ce pas

faire injure à Dieu de penser que ce qu'il a éloi-

gné de nous y demeure encore? que ce qu'il a

effacé, détruit, anéanti, subsiste toujours? que

les souillures qu'il a lavées et purifiées n'ont

point disparu? Dans le sens ordinaire du mot,

laver ne veut pas dire couvrir, mais rendre pur;

sa signification sera-t-elle amoindrie, si c'est

Dieu même qui nous lave, non avec le sang des

taureaux et des boucs, mais avec le sang de son

propre Fils? Si jadis le sang des animaux pou-

vait conférer la pureté légale, le sang précieux

de Jésus-Christ sera-t-il moins efficace pour puri-

 

 

 

1. « Quantum distat ortus ab occidente, longe fecit a

nobis iniquitates nostras. » (Ps. en, 12.)

 

2. « Deponet iniquitates nostras, etprojiciet in profundum

maris omnia peccata nostra. » (Mich., viï. 19.)

 

3. « Ego sum, ego sum ipse, qui deleo iniquitates tuas

piopter me, et peccatoruni tuorum non recordabor. » (Is.,

xxiii, 25.)

 

 

 

264 MISSION INVISIBLE DE l' ESPRIT-SAINT

 

fier nos consciences des œuvres de morti? Con-

cluons donc que, pour Dieu, justifier quelqu'un,

ce n'est pas seulement le déclarer juste et le

tenir pour tel, c'est faire qu'il le soit effective-

ment ; pardonner les péchés, ce n'est pas seule-

ment exempter de la peine, c'est effacer la

faute ; les couvrir, c'est faire qu'ils ne soient

plus.

 

11 y a, en effet, suivant la judicieuse remarque

de saint Augustin, deux manières de couvrir une

plaie : lune pour la guérir, l'autre pour la ca-

cher. Le médecin couvre la blessure afin de la

soustraire au contact de l'air et aux inlluences

pernicieuses, le malade la couvre par fausse

honte ou par crainte d'une opération doulou-

reuse ; le premier la couvre d'une substance

bienfaisante qui la fait disparaître ; l'autre la

couvre et l'entretient. (( Que ce soit Dieu, dit le

saint Docteur, qui couvre vos plaies, et non pas

vous ; car, si vous les couvrez parce que vous

en rougissez, le médecin ne les guérira pas. Que

le médecin les couvre et les guérisse ; car il les

couvre d'une substance salutaire. Quand le mé-

decin a lui-même couvert une plaie, elle se gué-

rit : quand c'est le malade qui la couvre, elle est

seulement dissimulée*. »

 

 

 

I. « Si sanguis hircorum et taurorum, et cinis vitulae as-

 

persus inquinatos sanctificat ad emundationern carnis :

quanto magis sanguis Ghristi... emundabit conscientiam

nostram ab operibus mortuis, ad serviendum Deo viventi? »

(Hebr., ix, i4.)

 

a. « Deus tegat vulnera ; noli tu. Nam si légère volueris

crubescens, medicus non curabit. Medicus tegat, et curet ;

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATION 205

 

A l'appui de la doctrine que nous venons

d'exposer touchant la justification, saint Tho-

mas apporte une raison théologique aussi belle

que profonde. Il fait observer d'abord que, en

justifiant le pécheur. Dieu lui rend ses bonnes

grâces et son amitié ; ce qui suppose la collation

d'un don fait à la créature et la rendant digne

d'être aimée. Gomme preuve de cette assertion,

il suffît de rappeler la différence capitale qui

existe entre l'amour de Dieu et celui de la créa-

ture, entre la grâce de Dieu et la faveur de

l'homme. Notre amour à nous suppose le bien,

il est ordinairement provoqué par les bonnes

qualités et les perfections que l'on a remarquées

dans l'objet aimé; plus tard, il pourra se tra-

duire par des bienfaits, mais dans le principe, il

est causé par le bien préexistant. « L'amour de

Dieu, au contraire, crée et verse dans les choses

le bien qui les lui rend aimables : Amor Dei

est infundens et creans bonitatem in rehas^. » Et

suivant la nature du bien conféré, on distingue

en Dieu un double amour : l'un commun et

général s'étendant à tout ce qui existe et ayant

pour effet l'être naturel des choses ; l'autre spé-

cial et d'un ordre plus sublime, par lequel Dieu

élève la créature raisonnable au-dessus de sa con-

dition naturelle et l'appelle à la participation de

sa propre félicité.

 

 

 

emplastro enim tegit. Sub tegmine medici sanatur vulnus,

sub tegmine vulnerati celatur vulnus. » (S. Aisg., Enarr. a'

 

 

 

in Ps. XXXI, n. la

1. S. Th., I, q. XX,

 

 

 

2 06 MISSION INVISIBLE DE l'eSPRIT-SAINT

 

C'est ce dernier genre de dilection qui est en

cause quand on affirme simplement de quel-

qu'un qu'il est aimé de Dieu, parce qu'alors

Dieu lui veut le bien souverain et éternel qui est

lui-mèrne. Lors donc qu'on dit d'un homme

qu'il a la grâce et l'amitié de Dieu, le mot grâce

n'indique point ici un simple sentiment de bien-

veillance, une faveur extrinsèque provoquée par

le bien qui se trouve en lui, mais il désigne un

don surnaturel, provenant de Dieu, et transfor-

mant d'une façon mervcii' t'use celui qui le reçoit

et qui devient par là l'objet des divines complai-

sances 1.

 

 

 

I. « Quantum ad primum fsumendo scilîcet gratiam pro

dilectîone) est differentia attendenda circa gratiam Dei et

gratiam hominis : quîa enim bonum creaturae provenit ex

voluntate divina, ideo ex dilectione Dei, que vult creaturae

bonum, profluit aliquod bonura in creatura. Voluntas

autem hominis movetur ex bono praeexistente in rébus ; et

inde est quod dilectio hominis non causât totaliter rei

bonitatem, sed prœsupponit ipsam vel in parte vel in toto.

Patet igitur quod quamlibet Dei dilectionem sequitur ali-

quod bonum in creatura causatum quandoque, non tamen

dilectioni œternae coaeternum. Et secundum hujusmodi

boni ditTerentiam differens consideratur dilectio Dei ad crea-

turam : una quidem communis, secundum quam diligit

omnia qnse sunt, ut dicitur Sap., xi, 25, secundum qnam

•esse naturale rébus creatis largitur ; alia autem dilectio eî^t

specialis, secundum quam trahit créât uram rationalem

supra conditionem naturae ad participa tionem divini boni;

et secundum banc dilectionem dicitur aliquem diligere sim-

pliciter, quia secundum banc dilectionem vult Deussimpli-

citer creaturae bonum aeternum, quod est ipse. Sic igitur

per hoc quod dicitur homo gratiam Dei habere, significatur

-quiddam supernaturale in homine a Deo proveniens. »

<S. Th., I' IP*, q. ex, a. i.)

 

 

 

PARDON DES PECHES, JUSTIFICATIOlf 267

 

C'est quelque chose d'ineffable que le change-

ment opéré dans l'âme par la grâce. Le péché

lui avait donné la mort, la grâce lui rend la vie.

Le péché avait fait d'elle une criminelle, une

esclave de Satan, un sarment destiné au feu ; la

grâce lui confère, avec la justice et la sainteté,

le titre d'enfant de Dieu et le droit à l'héritage

éternel. Le péché l'avait enlaidie, souillée, enté-

nébrée ; avec la grâce elle est belle, elle est pure,

elle est lumineuse. Oh ! s'il nous était donné

de pouvoir contempler une âme en état de

grâce ! C'est un spectacle à ravir les anges, à

réjouir le cœur même de Dieu, qui est la joie per

sonnifiée.

 

 

 

CHAPITRE II

 

Notre justification par la grâce est

une véritable déification, — Gomment

la grâce sanctifiante est une partici-

pation physique et formelle de la

nature divine.

 

 

 

1

 

 

 

Un autre effet de la mission invisible de l'Es-

prit-Saint et de sa présence en nous, c'est notre

déification par la grâce. « Vous serez comme des

dieux : Eriiis sicut dit », avait dit l'antique ser-(

pent, le tentateur infernal, à nos premiers pa-

rents pour les amener à cueillir le fruit défendu.

« Du jour où vous mangerez de ce fruit, vos

yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux,'

sachant le bien et le maP. » Et, cédant à un

orgueil insensé, ils portèrent à leurs lèvres le

fruit fatal, et leurs yeux s'ouvrirent effective-

ment, mais ce fut pour contempler avec épou-

vante l'abîme où leur désobéissance venait de les

précipiter. Au lieu de la science universelle et

de la divinisation promises, ils perdirent pour

 

 

 

I. Gen., m, 5.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 2t)t)

 

eux-mêmes et pour toute leur postérité la jus-

tice originelle dans laquelle ils avaient été c^éé^.

ainsi que les magnifiques prérogatives qui en

étaient la suite.

 

Depuis cette terrible déchéance, l'homme naît

pécheur ; avant même d'avoir pu commettre une

faute personnelle, il est, par le fait de sa descen-

danc3 d'Adam, un ennemi de Dieu et un enfant

de colère, en sorte que qui nous engendre nous

ilonre la mort ; car il ne nous transmet qu'une

nature découronnée, amoindrie, privée de la

grâce sanctifiante, qui est la vie de notre âme.

Ajoutez à cela les autres conséquences du péché

dorigine, l'ignorance, la concupiscence, la dou-

leur et la nécessité de mourir, et vous aurez une

idée du triste héritage que nous trouvons à notre

mtrée dans ce monde.

 

Mais, ô merveille de la bonté divine ! cette

léification, dont la promesse n'était . qu'un

eurre sur les lèvres de Satan, nous est de nou-

veau proposée, et cette fois par Dieu lui-même,

ion seulement comme une chose à laquelle nous

mouvons légitimement prétendre, mais encore

<omme un but que nous devons atteindre. C'est

îour nous rendre possible cette suprême exalta-

ion, c'est pour nous mériter cet insigne bienfait

[ue le Fils de Dieu a daigné s'abaisser jusqu'à

lous et se revêtir de notre humanité, u II s'est

ait homme, dit saint Athanase, pour faire de

lous des dieux 1. » « Il est descendu, ajoute saint

 

 

 

1. « Ut Dominus induto corpore factus est homo, ita et

los homines ex Verbo Dei deificamur. » (S. Ath., serm. it,

:ontra Arianos.)

 

 

 

270 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Augustin, pour nous faire monter ; et, tout e»

conservant sa nature, il a voulu prendre la

nôtre, afin que, tout en restant nous-mêmes dans

notre propre nature, nous puissions participer à

la sienne : avec cette différence toutefois, que la

participation à notre nature ne l'a point fait dé-

choir, tandis que la communication de la sienne

nous élève singulièrement 1. »

 

Que si, ébloui par tant de grandeur, quelqu'un

ne peut se faire à la pensée qu'une simple créa

ture puisse être appelée de Dieu à de si hautes

destinées, nous lui dirons avec saint Jean Ghry-

sostome : « Vous hésitez à croire que de ieh

honneurs puissent êb-e votre partage? Apprenei

de l'abaissement du Verbe incarné à admettre ce

que l'on vous enseigne de votre sublime dignité.

Car enfin, autant que la raison humaine peut

être arbitre de ces choses, il y a beaucoup plus

de difficulté à ce qu'un Dieu devienne homme»

qu'à ce que l'homme soit constitué fils de Dieu.

Lors donc que vous entendez dire que le Fil-s de

Dieu s'est fait fils de David et d'Abraham, ne

doutez plus que vous.» le fUs d'Adam, vous i>e^,

deviez être ûls de Dieu. Car ce n'est pas enj

vain et sans résiultat que le Verbe est descendu

si bas, mais c'a été pour nous élever à sa hau-

 

 

 

I. « Descendit ergo ille (Filins Dei) ut nos ascenderemus !

et manens in natura sua factus est particeps natur;e nos-

trae, ut nos manentes in natura nostra efficeremur partici-

pes naturae ipsius. Non tamen sic : nam illum naturœ nos-

trse ptarticipatio non fecit deteriorem ; nos aulera facit na-

turae illius participatio meliorca. » (S. Aug., Epi&t. cxl. ad

Honoratum, cap. iv, n. 10.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27 1

 

leur. Il est né selon la chair pour vous faire

naître selon l'esprit ; il est né de la femme afin

que vous ne fussiez plus simplement le fils de la

femme 1. »

 

Si surprenante que puisse paraître cette doc

trine de notre exaltation surnaturelle, elle n'en

est pas moins une vérité de foi, enseignée par le

prince des apôtres en termes si clairs, si for-

mels, si explicites, qu'ils ne laissent pas lieu au

plus léger doute. « Par Jésus-Christ, dit-il. Dieu

ncus a communiqué les grand-es et précieuses

grâces qu'il avait promises, vous rendant par là

participants de la natm-e divine : Ut per hœc effir-

ciamini divinœ consortes naturœ-. )> Cette partici-

pation de la nature et de la vie de Dieu n'est

autre que la grâce sanctifiante, en sorte que le

don qui nous justifie, nou^ déifie en même

temps, et que la justification est une vraie déifi-

cation.

 

C'est ce que déclare sans ambages le grand

 

 

 

1. « Quod si ambigis de iis quse ad tuum spectant haao-

rera, de illius (Verbi se. divini) humilitate disce credere

€tiain quLe super tuam dignitatem dicuntur. Quantum

enim ad cogitationes bominum spectat, multo est diffî-ciliws

Deum hominem fieii, quam horainem Dei filium conse-

crari. Cum ergo audi^is quod Filius Dei filius sit et David

et Abrahse, dubitare jam desiae quod et tu, qm filius es

Ad«&, futurus sis filius Dei. Non eniai frustra nec vaae ad

tantam humilitatem ipse descendit, sed ut nos ex huiniln

sublimaret. Natus est enim secundum camem, ut tu nas-

cercris spiritu : natus est ex muliere, ut tu desineres

lUius esse muixris. » (S. Joan. Chrys., Ji-oadL n in Matth.

a. a.)

 

2. II Petr., I, 4.

 

 

 

272 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

éveque d'Hippone.' Commentant ces paroles du

psalmiste : « J'ai dit : Vous êtes des dieux et les

fils du Très-Haut », il s'exprime de la manière

suivante : « Celui qui nous justifie est le même

qui nous déifie : Qal aaiem jasiificat, ipse deijî-

cai, parce qu'en nous justifiant, il nous fait en-

fants de Dieu... Or, si nous sommes enfants de

Dieu, nous sommes par là même des dieux, ron

sans doute par le fait d'une génération naturelle,

mais par une grâce d'adoption. Unique, en ef'et,

est le Fils de Dieu, un seul Dieu avec le Père,

Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ... Les

autres qui deviennent dieux le deviennent par sa

grâce ; ils ne naissent pas de sa substance pour

être ce qu'il est, mais ils arrivent jusqu'à lui par

un bienfait de sa libéralité i. »

 

Nul ne s'étonnera dès lors d'entendre les saints

Docteurs déclarer que la justification est le chef-

d'œuvre de la puissance divine. Saint Thomas,

 

 

 

I . « Videte in eodem psaîmo quibus dicat : Ego dixi, dii

estis, et Jîlil Excelsi omnes. Manifestum est ergo, quia homi-

nes dixit deos, ex gratia sua deificatos, non de substantia

sua natos. lUe enim justificat, qui per semetipsum non ex

alio justus est; et ille deificat, qui per seipsum non alte-

rius participatione Deus est. Qui autem justificat, ipse dei-

ficat, quia justificando filios Dei facit. Dédit enim potesta-

tem filios Dei fieri (Joan., i, 12). Si filii Dei facti sumus, et

dii facti sumus : sed hoc gratiae est adoptantis, non naturae

generantis. Unicus enim Dei Filius Deus et cum Pâtre unus

Deus, Dominus et Salvator noster Jésus Christus, in princi-

pio Verbum et Verbum apud Deum, Verbum Deus. Ceteri

qui fiunt dii, gratia ipsius fiunt, non de substantia ejus

nascuntur ut hoc sint quod ille, sed ut per beneficium per-

veniant ad eum, et sint cohœredes Ghristi. » (S. Aug., in

Ps. xux, n. a.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27S

 

toujours si exact dans ses appréciations, ne

craint pas d'affirmer qu'elle est supérieure à la

création elle-même, sinon quant au mode d'agir,

au moins quant à l'effet produit ; car lacté créa-

teur, quoique exclusivement divin par sa nature,

n'aboutit en définitive qu'à la production dune

substance sujette à changement, tandis que la

justification a pour terme la participation à la

nature divine, et qu'elle fait d'un pécheur un être

divin, un fils de Dieu, un héritier de la béati-

tude éternelle 1. En parlant de la sorte, Fangé-

lique Docteur ne faisait que reproduire la pen-

sée de saint Augustin, qui avait dit lui-même

huit siècles auparavant : « Justifier un pécheur

est une plus grande chose que de créer le ciel

et la terre ; car le ciel et la terre passeront, mais

la justification et le salut des prédestinés ne pas-

seront pas 2. »

 

 

 

1. « Opus aliquod potest dîci magnum dupliciter : una

modo ex parte modi agendi, et sic maximum opus est opus

cieationis, in quo ex nihilo fit aliquid ; alio modo potest

dici opus magnum propter magnitudinem ejus quod fit,

et secundum hoc majus opus est justificatio impii, quae

terminatur ad bonum aeternum dîvinae participationis,

quam creatio cœli et terrae, quae terminatur ad bonum

naturae mutabilis. » (S. Th., I' II", q. cxin, a. 9.)

 

2. « Prorsus majus hoc esse dixerim (nempeutexinjusto

justus fiât), quam est cœlum et terra, et quaecumque cer-

nuntur in cœlo et in terra. Cœlum enim et terra traiisibit,

praedestinatorum autem... salus et justificatio permanebit. »

(S. Aug , in Joan. tract, lxxu, n. 3.)

 

 

 

I

 

 

 

MAM. SAINT-S8PKIT. — if

 

 

 

74 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

 

 

II

 

 

 

Essayons de pénétrer plus avant dans la con-

naissance de ces magnifiques secrets et de scru-

ter, autant du moins que la chose est possible

ici bas, le mystère de notre déification par la

grâce.

 

Et d'abord, comment s'opère cette déification?

Par quel procédé merveilleux se fait l'inoculation

de la vie de Dieu k la créature raisonnable ? Elle

s'accomplit régulièrement par le baptême et

constitue une génération véritable ayant pour

terme une vraie naissance.

 

C'est cette nouvelle génération dont il est si

-souvent fait mention dans les saintes Lettres,

cette seconde naissance tant célébrée par les

Pères et rappelée pour ainsi dire sans cesse dans

la sainte Liturgie : génération incomparablement

supérieure à la première, puisque, au lieu d'une

vie naturelle et humaine, elle nous transmet une

vie surnaturelle et divine ; naissance admirable

qui fait de chacun de nous « cet homme nouveau

dont parie l'Apôtre, créé selon Dieu dans la jus-

tice et la sainteté véritable * » : génération toute

spirituelle et pourtant véritable, dont le principe

n'est ni la chair, ni le sang, ni la volonté de

l'homme', mais le libre vouloir de Dieu : volun-

 

 

 

I. « Indaite novum hominem, qui secundum Deum crea-

tus est in justitia et sanrtitate veritaiis. » (Ephes., iv, 24,)

 

a. « Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis,

neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. » (Joan..

 

f. t3.)

 

 

 

lA GRACE ET LA NATURE DIVINE 27S

 

tarie genuit nos verbo veriiatis^; naissance mys-

térieuse qui provient non d'une semence sujette

à corruption, mais d'une semence incorruptible

par la parole de Dieu : Renaii non ex semine cor-

ruptibili, sed mcorruptibili per verbum Dei^; géné-

ration et naissance aussi indispensables pour

vivre de la vie de la grâce que la génération et

la naissance charnelles pour vivre de la vie de la

nature. Car c'est la vérité même qui a dit :

« Quiconque ne renaît de l'eau et de l'Esprit-

Saint ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est

né de l'Esprit est esprit s. » Et le concile de

Trente dit de son côté : « Ce n'est qu'à la condi-

tion de renaître en Jésus-Christ que Ton peut

être justifié, puisque cette seconde naissance est

le fruit delà grâce qui justifie'. »

 

Mais quelle est au fond la nature de cet élément

divin et régénérateur que le baptême dépose

dans nos âmes et qui fait de nous des êtres déi-

formes? En quoi consiste ce principe radical de

vie surnaturelle qu'un sacrement nous commu-

nique et que d'autres signes sacrés sont destinés

 

 

 

1. Jac, I, i8.

 

2. I Petr., I, 23.

 

3. « Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu sancto, non

potest introire in regnum Dei. Quod natum est ex carne,

caro est, et quod natum est ex Spiritu, spiritas est. » (Joan.,

m, 5-6.)

 

4. « Nisi in Christo renascerentur (homines), nunquam

justificarentur ; cum ea renascentia per meritum passionis

ejus gratia, qua ^usti fiunt, iUi&tribuatur. » (Trtd., sess- vi,

c. 3.)

 

 

 

^76 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

à entretenir, à développer et à ressusciter si

nous avons le malheur de le perdre? Et puisque

ce don précieux, cause formelle de notre justi-

fication et de notre déification, n'est autre que la

grâce sanctifiante, qu'est-ce que la grâce qui

nous sanctifie?

 

Notre -Seigneur et Rédempteur Jésus -Christ

daigna s'en expliquer lui-même un jour en faveur

d'une pécheresse qu'il voulait convertir. Nous

avons nommé la Samaritaine. Seulement, au lieu

d'une définition savante, qui serait restée forcé-

ment incomprise, le bon Maître profita de la

circonstance où se trouvait cette femme, qui

venait faire sa provision d'eau matérielle au puits

de Jacob, pour lui parler de la grâce sous l'em-

blème d'une eau mystérieuse, possédant d'admi-

rables propriétés. Il commença par lui demander

a boire, car, dit le texte sacré, il était fatigué de

la marche et c'était l'heure où la chaleur du jour

est plus accablante; puis, voyant cette femme

étonnée d'une pareille demande, parce que les

Juifs n'avaient pas de rapports avec les Samari-

tains, il ajouta : « Si vous connaissiez le don de

Dieu ! Si scires donum Dei ! Si vous connaissiez

le don de Dieu, et si vous saviez qui est celui

pui vous demande à boire, qeut-être l'auriez-vous

prié vous-même, et il vous aurait donné une eau

vive^. »

 

Donum Dei, le don de Dieu. Voilà bien, en

en'et, la vraie notion de la grâce. C'est un don.

 

 

 

1. « Si scires donum Dei, et quis est qui dicit jtibi : Da

mihi bibere, tu forsitan petisses ab eo, et dedisset tibi aquam

\i\ain. » (Joan., n, 10.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 277

 

par conséquent quelque chose de gratuit, quel-

que chose qui nous est accordé sans aucun droit

ni mérite de notre part. Il est vrai que tout ce

que nous avons, tout ce que nous sommes,

notre corps, notre âme, nos facultés, nos actes,

nos biens extérieurs, tout, en un mot, nous

vient de Dieu et peut être appelé un don de sa

libéralité, suivant la parole de l'Apôtre : or Qu'a-

vez- vous que vous n'ayez reçu? Quid hahes quod

non accepisti^? » Mais si toute chose, toute perfec-

tion est, dans un sens vrai, un don de Dieu, ce

n'est pas le don de Dieu. Le don de Dieu par

excellence, celui devant lequel tous les autres

s'effacent, c'est la grâce. La grâce, en effet, est

le plus précieux, le plus magnifique, le plus

nécessaire, le plus gratuit de tous les dons.

 

Mais pourquoi la grâce est-elle comparée à

l'eau? Parce qu'elle produit spirituellement tous

les effets de l'élément liquide dans l'ordre maté-

riel. L'eau purifie, rafraîchit, désaltère et féconde.

Elle purifie ce qui est souillé, et lui rend sa

netteté, son lustre, sa beauté première : symbole

de la purification intime opérée par la grâce,

qui non seulement fait disparaître les souillures

produites par le péché et rend à l'âme son éclat

naturel, mais ajoute encore à sa beauté native

un charme incomparable, qui ravit le cœur de

Dieu et lui arrache ces paroles : « Vous êtes

toute belle, ô ma bien-aimée, il n'y a point de

tache en vous ". »

 

 

 

I. I Cor., IV, 7.

 

a. « Tota pulchra es, arnica mea, et macula non est in

te. » (Gant., iv, 7.)

 

 

 

278 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

L'eau tempère la chaleur, elle rafraîchit Tat-

mosphère qu'un soleil brûlant avait convertie en

fournaise, elle soulage nos membres fatigués :

symbole de la grâce, cette rosée céleste qui

amortit l'ardeur des passions et diminue peu à

peu, sans toutefois parvenir à l'éteindre complè-

tement ici-bas, la fièvre de la concupiscence.

 

L'eau désaltère et calme la soif • image de la

grâce, qui étanche la soif inextinguible du cœur

humain. Créé pour le bonheur, l'homme y tend

sans cesse avec une avidité insatiable, et il n'est

rien qu'il ne mctle en œuvre pour y parvenir.

Mais trop souvent, hélas ! il cherche le bonheur

dans les biens terrestres et périssables, dans les

jouissances sensibles, qui ne font qu'irriter sa

soif, au lieu de lapaiser. C'est ce que Notre-

Seigneur voulait donner à entendre à la Samari-

taine quand, lui montrant Teau matérielle, figure

des biens fugitifs de ce monde, il lui disait :

(( Quiconque boit de cette eau aura encore soif;

mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai

n'aura plus jamais soif*. »

 

Mais que signifie cette expression d'eau vive,

aqaam vivam*, employée par le Sauveur pour

désigner la grâce?

 

On donne ordinairement, dit saint Augustin,

le nom d'eau vive, par opposition à l'eau sta-

gnante des citernes ou des marais, à celle qui

 

 

 

1. « Omnis qui bibit ex aqua hac, sitiet iterum : qui

autem biberit ex aqua quam ego dabo ei. non sitiet in aeter-

nuni. M (Joan.. iv, i3.)

 

2. Joan., IV, 10.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 279

 

jaillit de terre, qui coule, qui se meut, tout

en demeurant en communication avec sa source,

et qui offre ainsi l'apparence de la vie. Si cette

eau, quoique provenant d'une fontaine, est

recueillie dans un réservoir, si son cours est

interrompu, si elle est séparée de sa source, elle

ne peut plus porter le nom d'eau vive'. Or,

quelle est la source de la grâce, sinon l'Esprit-

Saint? Si donc elle est appelée une eau vive,

c'est, suivant la réflexion de saint Thomas, parce

qu'elle ne se sépare pas de son principe, c'est-à-

dire <ie l'Esprit-Saint, qui habite dans le cœur

des vrais fidèles 2.

 

Une dernière propriété de l'eau, que nous ne

pouvons passer sous silence, c'est sa merveil-

leuse fécondité. Où l'eau abonde, la terre se

couvre d'un riche manteau de verdure, les ger-

mes se développent, les fleurs éclosent comme

par enchantement, les fruits se multiplient, les

récoltes se succèdent nombreuses et variées ; là

où elle est absente, tout se dessèche, tout lan-

guit, tout meurt; c'est le désert avec ses sables

arides, avec sa triste monotonie. Elément indis-

 

 

 

I. « Viva aqua dicitur vulgo illa quae de fonte exit. Illa

enîm quae colligitur de pluvia in lacunas ant cisternas, aqua

viva non dicitur. Et si de fonte manaverit, et inloco aliquo

collecta steterit, nec ad se illud unde manabat admiserifc,

sed interrupto meatu, tanquam a fontis tramite sépara ta

fuerit; non dicitur aqua viva : sed illa aqua viva dicitur,

quae manans excipitur. » (S. Aug., In Joan., tract, xv, n. 12.)

 

a. « Hujusmodi autem flumina (de quibus mentio fît in

Joanne vu, 38) sunt aquae vivae, quia sunt continuatae suo

priikcipio, scilicet Spiritui saacto InbabitaatL » (S. Th., Iti

Joan.^ VII, lect. 5.)

 

 

 

28o NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

pensable de toute vie physique, l'eau est une

admirable figure de la grâce, avec laquelle notre

âme produit une riche moisson de vertus et de

mérites, mais sans laquelle la vertu laissée à ses

seules ressources est radicalement incapable de

produire aucun fruit de salut, et demeure à

jamais stérile pour le ciel.

 

Ce n'est pas que la nature même déchue ne

puisse, par ses propres forces, produire quelque

bien de l'ordre naturel ; mais ces actions humai-

nes, ces vertus d'un ordre inférieur, semblables

aux eaux de la vallée, n'ont pas en elles-mêmes

la puissance de s'élever jusqu'au ciel. Seules les

œuvres et les vertus chrétiennes, qui procèdent

de la grâce et reçoivent leur impulsion de

l'Esprit-Saint, peuvent porter l'âme jusqu'aux

hauteurs de la céleste Jérusalem; descendues des

montagnes éternelles, elles remontent comme

d'elles-mêmes à leur point de départ. Voilà

pourquoi Notre-Seigneur disait en parlant de la

grâce : « L'eau que je donnerai deviendra dans

celui qui la recevra une fontaine d'eau vive

rejaillissant jusque dans l'éternité'. »

 

« Que j'aime, disait sainte Thérèse, cet endroit

de l'Evangile ! dès ma plus tendre enfance, sans

comprendre comme maintenant le prix de ce que

je demandais, je suppliais très souvent le divin

Maître de me donner de cette eau admirable ; et

partout où j'étais, j'avais toujours un tableau qui

me représentait ce mystère, avec ces paroles

 

 

 

I. « Aqua, quam ego dabo ei, flet in eo fonsaquae salien-

tis in vitam aeternam. » (Joan., nr, i4.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 28 1

 

écrites au bas : Domine, da inihi hanc aquam :

Seigneur, donnez-moi de cette eau^. »

 

Purifier, rafraîchir, désaltérer, c'est le propre

de la grâce médicinale : grattas iiaturam sanantis'^,

comme l'appelle saint Thomas ; élever nos facul-

tés et nos actes au-dessus des exigences et des

forces de la nature, rendre nos œuvres méritoires

de la vie éternelle, devenir en nous le principe

d'une vie supérieure et divine, est le fruit de la

grâce proprement surnaturelle, gratiœ elevantis.

 

Dans l'état de justice originelle, la grâce

n'avait pas à produire la première sorte d'effets,

car la purification suppose la souillure, le besoin

de rafraîchissement est l'indice d'un excès de

chaleur, et la soif, quand elle est ardente, est

une souffrance qui peut devenir très vive. Or,

dans l'état d'innocence, il n'y avait ni souillure,

ni désordre, ni peine. La grâce n'avait donc pas

alors à guérir une nature qui n'était point

malade, à rétablir un équilibre qui n'avait pas

été rompu, à réparer des ruines qui n'existaient

pas encore; son rôle dans cet ordre de choses

se bornait à prévenir. Mais, après la chute, la

grâce est d'abord un remède destiné à guérir nos

blessures, un bain salutaire où nous devons

nous plonger pour nous purifier, un tonique

puissant dont la vertu doit rendre à notre âme

les forces morales que le péché lui avait enlevées.

Dans les deux états, l'état présent de déchéance

comme dans celui d'innocence, la grâce sancti-

 

 

 

1. vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, ch. xxx.

 

2. S. Th.^ I' II", q. cix, a. 3. — Cf. etiam, aa. a et 9.

 

 

 

282 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

fiante est la \Taie forme de la sainteté, la cause de

lîotre déification, le principe de la vie surnatu-

relle et divine, bref, elle est celte source d'eau

vive qui rejaillit jusque dans l'éternité : fons aquae

salientis in vitam œtemam^.

 

 

 

III

 

 

 

Expliquer la nature de la grâce par ses effets

est le procédé, sinon le plus profond, du moins

le plus populaire, disons, le seul vraiment popu-

laire, parce qu'il est à la portée de toutes les

intelligences; voilà pourquoi Notre-Seigneur y

eut recours dans la circonstance que nous

venons de rappeler. ?>ui pourtant ne trouvera

mauvais que des chrétiens d'élite, des hommes

instiniits, des théologiens, cherchent à pénétrer

plus avant dans l'intime des choses. A ceux qui,

mus non par une vaine curiosité, mais par le

désir louable de mieux connaître les bienfaits de

Dieu, nous demanderaient ce quest, en elle-

même, la grâce sanctifiante, nous répondrons^

avec l'Ecole, que c'est un don surnaturel et per-

manent, inhérent à notre âme, une participation

de la nature et de la vie divine, qui fait de

l'homme un juste et un enfant de Dieu.

 

C'est un don surnaturel, c'est-à-dire tellement en

dehors et au-dessus des exigences et des aspirations

de la nature, qu'il ne saurait appartenir à aucun

 

 

 

I. Joan., IV, i4.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 283

 

être créé ni comme constitutif ou portion inté-

grante de son essence, ni comme développement

normal de ses facultés, et ne lui est dû à aucun

titre '. La grâce est donc quelque chose d'essen-

tiellement gratuit, un surcroît divin par lequel

la nature se trouve non seulement fortifiée et

perfectionnée dans sa propre sphère, mais encore

agrandie et élevée à une sphère supérieure.

 

De plus, c'est un don permanent. A l'inverse

de la grâce actuelle, qui est un secours qui passe,

une illumination de l'intelligence, une impulsion

donnée à la volonté, bref, une motîori transi-

toire destinée à nous faire produire un acte supé-

rieur aux forces de la nature, la grâce propre-

ment dite ou sanctifiante est un don stable et

permanent, qui, reçu dans l'essence même de

rame, devient en elle comme une seconde nature

d'un ordre transcendant, un principe dévie sur-

naturelle, la racine fixe d'actes méritoires. Il ne

convenait pas, en effet, comme l'observe l'angé-

lique Docteur, que nous fussions moins bien

pourvus dans l'ordre de la grâce que dans celui

de la nature, qu'il y eût ici un principe stable d'o-

pération, des formes, des puissances toujours pré-

sentes et pretes pour l'action, tandis que là tout

 

 

 

I. <( I>onum gratige excedit omnem facultatem naturae

creatœ, cum nihil aliud sit quam quœdam participatio

naturae divinge, quae excedit omnem aliam naturain. »

(S. Th., I' II", q. cxii, a. i.) — Hinc prop. 21 damnata in

Baio : « Humanae naturae sublimatio et exaltatio in con-

sortium divinae naturae débita fuit integritati primée con-

ditionis, et proinde naturalis dicenda est, et non supernatu-

ralis. »

 

 

 

284 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

se bornerait à un secours actuel élevant nos

facultés et les appliquant à une action détermi-

née pour disparaître avec elle ^

 

Mais, bien que la grâce joue dans l'ordre sur-

naturel le rôle de l'âme dans celui de la nature,

bien qu'elle soit un principe de vie, une semence

divine', suivant l'expression de saint Jean,

laquelle demeure en nous pour nous préserver

du péché et nous faire porter des fruits de sanc-

tification et de salut ; ce serait se tromper que

de la considérer comme un être subsistant en

lui-même, une sorte de substance ou du moins

d'élément substantiel que Dieu surajouterait à

notre âme, car, suivant la remarque de saint

Thomas, la substance d'un être se confond avec

sa nature 3. Or, la grâce est quelque chose d'es-

 

 

 

1. « Non est conveniens quod Deus minus provideat his

quos diligit ad supernaturale bonum habendum, quam

creaturis quas diligit ad bonum naturale habendum. Crea-

turis autem naturalibus sic prosidet, ut non solum moveat

eas ad actus naturales, sed etiam largiatur eis formas et vir-

tutes quasdam, quae sunt principia actuum, ut secundum

seipsasinclinentur ad hujusmodi motus; et sic motus qui-

bus a Deo moventur, fiunt creaturis connaturaleset faciles,

secundum illud Sap., viii, i : Et disponit omnia suaviter.

Multo igitur magis illis quos movet ad consequendum

bonum supernaturale œternum, infundit aliquas formas,

seu qualitates supernaturales, secundum quas suaviter et

prompte ab ipso moveantur ad bonum œternum conse-

quendum; et sic donum gratiae qualitas quaedam est. »

(S. Th., I» II", q. ex, a. 2.)

 

2. I Joan., III, 9.

 

3. « Omnis substantia vel est ipsa natura rei, cujus est

substantia, vel est pars naturae; secundum quem modum,

materia vel forma substantia dicitur. » (S. Th., l'II", q. ex,

a. 2, ad a.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 285

 

sentiellement supérieur non seulement à la

nature humaine, mais à toute nature créée et

créable. Elle ne saurait donc être ni une subs-

tance ni une forme substantielle i.

 

Reste qu'elle soit un accident surnaturel, une

forme non subsistante 2, une qualité d'ordre

divin inhérente à notre âme, suivant la notion

que nous en donne le Catéchisme du Concile de

Trente, une sorte de lumière, de splendeur,

comme un reflet de la beauté de Dieu tombant

sur les âmes et les rendant toutes belles et toutes

resplendissantes^. De là cette parole de saint

Thomas : « Ce qui est en Dieu substantiellement

existe sous forme d'accident dans l'âme qui par-

ticipe à la bonté divine : Id qaod subslanlialiter

est in Deo, accidentaliter fit in anima participante

divinam boniiatem" . » C'était exprimer en d'autres

termes ce qu'avait déjà dit le chef du Collège

Apostolique, quand il appelait la grâce une par-

ticipation de la nature divine 5.

 

Mais en quoi consiste cette participation?

Serait-ce, comme le veulent certains théologiens,

une simple participation morale consistant dans

une rectitude de volonté, en vertu de laquelle

 

 

 

I. '(Et quia gratia est supra naturam humanam, non

potest esse quod sit substantia aut forma substantialis; sed

est forma accidentalis ipsius animae. » (Ibid.)

 

3, « Gratia est... forma accidentalis ipsius animae. » (Ibid.).

 

3. « Gratia est qualitas divina in anima inhaerens, veluti

splendor quidam et lux, quae animas pulchriores et splen-

didiores reddit. » {Catech. Rom., part. II. c. n, n. 5o.)

 

4. S. Th., V II", q. ex, a. 3, ad 2.

 

5. « Maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per

haec efiBciamini divin» consortes naturae. » (II Petr., i, 4.)

 

 

 

286 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

l'homme se détourne du mal, accomplit fidèle-

ment les commandements diyins, et mène une

conduite droite, juste et sainte, de même que

Dieu est saint dans toutes ses voies?

 

S'il en était ainsi, notre déification serait pure-

ment nominale, et nous ne serions les enfants de

Dieu que d'une manière métaphorique, comme

on appelle fils d'Abraham ceux qui imitent la

foi de ce patriarche sans cependant descendre

de lui, et fils de Satan, les imitateurs de sa ma-

lice. Aussi d'autres théologiens — et ce sont

tout à la fois les plus nombreux et les plus

recommandables par le savoir et par la vertu, —

considérant d'une part que, loin de surfaire ses

dons et d'employer, quand il en parle, un lan-

gage hyperbolique, à l'instar des hommes qui

exaltent en termes magnifiques des présents sou-

vent chétifs, Dieu reste toujours au-dessous de

la réalité; et se rappelant, d'autre part, les

témoignages si formels par lesquels l'Esprit-

Saint déclare, ici, par la bouche de saint Pierre,

que la grâce est un don très grand et très pré-

cieux, maxima et pretiosa nobis promissa, qui nous

rend participants de la nature divine, ut per hœc

efficiamini divinœ consories nalarœ^ \ là, par l'or-

gane de saint Jean, que nous sommes les enfants

5e Dieu, non pas seulement de nom, mais en

réalité : fili'i Del nominamur et sumas\ éXaid nés

de lui : ex Deo naii surd'^, croient à une comniu-

 

 

 

I. II Petr.,i, 4.

7. I Joan., III, I

,H. Joan., I, i3.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 287

 

nication réelle, physique, formelle de la nature

divine ; non pas sans doute à une communica-

tion semblable à celle par laquelle Dieu le Père

transmet à son Fils unique sa propre substance,

mais à une communication analogique de la

nature divine par une certaine participation de

ressemblance, qui consiste dans un don créé,

distinct de cette nalîire, dont il est cependant la

vivante imagée

 

Telle est également la doctrine des Pères, o 11

est faux, dit saint Cyrille d'Alexandrie, que nous

ne puissions être un avec Dieu sinon par un

accord de volonté. Car, au-dessus de cette union,

il en est une autre plus sublime et de beaucoup

supérieure, qui s'opère par une communication

de la divinité à l'homme, lequel, tout en conser-

vant sa propre nature, est transformé pour ainsi

dire en Dieu ; de même que le fer plongé dans

le feu devient igniforme, et, tout en demeurant

du fer, semble changé en feu. Voilà le mode

d'union à Dieu par la réception en eux et la par-

ticipation de la divinité que Notre-Seigneur

demande pour ses disciples. » — « Par là Dieu

transforme en quelque sorte en lui-même les

âmes humaines, en imprimant, en gravant en

elles une image et une ressemblance de sa subs-

tance'^. »

 

 

 

1 . « Gratia quse est accidens, est qugedam similituda

diviiiitatis participata in homioe. » (S. Th., 111, q. n, a. lo,

ad 1. — Cf. etiam I* II*«, q. cxii, a. i.)

 

2. « Falsum est discipulos non posse esse unum cum Deo,

nisi voluntatis concordia. Nam supra illa, est unitas illorum

cuni Deo per quamdam Deitatis conformitatem, qtia parti-

 

 

 

288 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Cette comparaison du fer incandescent revêtu

des propriétés du feu, celle également du cristal

éclairé par un rayon de soleil et changé soudain

en un foyer lumineux dont on a peine à soute-

nir l'éclat, se retrouvent fréquemment sur les

lèvres des Pères, lorsqu'ils exposent aux fidèles

le mystère de notre déification surnaturelle. Ce

qu'ils se proposent en recourant à ces analogies,

c'est de nous donner à entendre que la grâce

nous rend vraiment déiformes, qu'elle embellit

et transforme les âmes d'une façon non moins

merveilleuse et non moins profonde que ne le

font la lumière et le feu pour les corps sur les-

quels s'exerce leur activité ; mais ils ne préten-

dent point que le mode d'opération soit identique

de part et d'autre. Car il y a un rayonnement

véritable du feu au fer ; le premier communique

au second une partie de sa chaleur et de

son éclat, tandis que Dieu ne communique

rien de lui-même, de sa substance ou de ses

 

 

 

cipatione divinitatis eis communicata, in Deum (utita dixe-

rim) transeunt atque transferunlur, servata suae naturae

veritate : perinde alque ferrum ignitum et candens, per

ignls communionem fit igniforme, videturque, sablata

ferri substantia, omnino esse ignis. Et hujusmodi unione,

petit Domirius no^ter discipulos esse unum in Deo, ut sci-

licet ei inserantur et intime conjungantur, per Deitatis in

se susceptionem atque participationem. » — « Unio cum

Deo non aliter in quoquam esse potest quam per Spiritus

sancti participationem, propriam nobis sanctificationem

inserentis... Idcirco transformans in seipsum quodammodo

hominum animas, divinam eis similitudinem imprimit, et

5upremae omnium substantiae eflîgiem insculpit. » (S. Cyr.

Alex., in Joan., 1. xi.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 289

 

perfections aux créatures, pas plus dans l'ordre

surnaturel que dans celui de la nature.

 

 

 

iV

 

 

 

Mais alors, en quoi consiste donc cette parti-

cipation à la nature divine, ce consoviiam naturae

divinae qui est la grâce?

 

Pour saisir parfaitement cette réponse, que le

lecteur A^euille bien se reporter par la pensée

à ce qui a été dit dans un chapitre précédent ^

pour montrer comment tout être créé est une

participation de l'être incréé, toute perfection

créée une participation de la perfection infinie,

non pas une émanation, non pas un écou-

lement d'une réalité existant en Dieu et qui

passerait partiellement au dehors, mais une

reproduction par mode de similitude ou d'image

de ce qui est en Dieu. Puis donc que la grâce

est une entité réelle et physique, et non une

simple dénomination extérieure ou une faveur

extrinsèque de Dieu, comme le prétendaient les

protestants, dont l'assertion a été frappée d'ana-

thème par le concile de Trente, il en résulte

qu'elle est, comme toute autre perfection véri-

table, une participation réelle, disons, pour plus

de clarté, une imitation physique mais finie

d'une perfection qui se trouve en Dieu à l'état

infini.

 

 

 

s. Ch. Il, p. 35. et ss.

 

HAB. 8AINT-MPRIT. — IQ

 

 

 

290 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Elle en est m^me une participation formelle.

Pour bien comprendre le sens de cette expres-

sion, il faut se rappeler la manière dont les

perfections créées existent en Dieu. Comme il

ne peut rien y avoir de bon dans un effet qui ne

se retrouve dans sa cause, et que Dieu est la

cause efficiente universelle de tout ce qui existe,

il est manifeste que les perfections des :oréatures

doivent toutes préexister en lui. Mais toutes ne

s'y trouvent pas de la même façon.

 

11 est, €n effet, certaines perfactions dont le

concept n'implique aucun défaut : telle la science,

qui est une connaissance des choses par ;le«rs

causes ; la justice, qui rend à chacun ce qui lui

est dû, etc., etc. ; il en est d'^autres, au contraire^

comme la vie organique, la faculté de raison-

ner, etc., qui sont essen-tiellement mêlées d'im-

perfection :; iîar, si c'est chose excellente de pos-

séder en soi le principe de ses mouvements^ en

revanche, dépendre nécessairement de la malière

daas l'exercice de son activité est uae grjive

défectuosité; de même, si c'est le privilège fort

appréciable de l'être raisonnahle de pouvoir

atteindre la vérité,, par contre, m'y arriver que

par de longs circuits^ à l'aide de déductions

pénibles et multipliées, est Uin signe d'imperfec-

tion. Aussi l'ange, plus parfait que nous, ne

raisonne pas ; il voit, il lit dans le principe tou-

tes les conclusions qui y sont contenues. Ainsi

en est-il, à plus forte raison, de Dieu.

 

Les perfections de cette seconde catégorie,

appelées mixtes par les philosophes, ne sauraient

exister formellement en Dieu, c'est-à-dire suivant

leur raison spécilique, mais seulement d'une

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVIKD 2^1

 

façon plus éminente. Ains-i la raison n'existe pas

en Dieu comme, faculté; discursive, elle ne s'y ren-

contre qui^à l'état plus parfait de pure intelli-

gence.

 

Quant aux perfections proprement et stricte-

ment dites, rien ne s'oippose à ce qu'elles soient

formellement en Dieu. Or, la grâce est de ce

nombre, car elle n'implique aucune imperfec-

tion : nullanv in sui ratione imper f ce tionem impor-

tât^. Donc la grâce est une participation d'une

perfection qui se trouve formellement en Dieu ;

non pas de quelqu'une de ces perfections qui

peuvent être naturellement communiquées aux

créatures, comme l'être, la vie, Tintelligence,

mais d'une perfection surnaturelle et propre à

Dieu en tant qu'élevé au dessus, de toute créa-

ture existante ou possible; nan pas même d*une

perfection surnaturelle quelconque, par exemple

de la connaissance que Dieu a de lui-même et

de l'amour qu'il se porte — c'es;t le propre de

la; foi et de la charité, — - mais mne participatiîon,

une iîîiitati'oe de cette perfection primtordiale

et foncière qui, suivant notre manière de con-

cevoir, est la racipe, la source, le principe

des opérations et des attributs divins; bref, elle

est une participation formelle de la nature divine

elle-même*.

 

 

 

1. S. Th., I'' U", q. CXI, a. a, ad 3.,

 

2. « Sicut per potentiam intellecUvam îiomo participât

cognltionem. diviaana per virtutem fidei^ et secundum

potentiam voluntatis amorem divinum per virtutem ehari-

tatis ; ita etiam per naturam animae participât secmndum

 

 

 

2g 2 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

Et il faut bien qu'il en soit ainsi; car, dit

saint Thomas en s'appuyant sur l'autorité de

saint Denys, si, pour être en état de produire

des opérations spirituelles , il est nécessaire

d'avoir une nature spirituelle ; et, à parler uni-

versellement, si l'on ne peut exercer les opéra-

tions d'une nature sans participer à cette

nature, comment agir divinement sinon à la

condition de posséder, au moins par participa-

tion, la nature divine'? Or, la grâce a précisé-

ment pour effet d'élever notre âme à un être

divin qui la rend apte aux opérations propres à

Dieu- : opérations qui consistent à se connaître,

à se voir tel qu'il est en lui-même, à s'aimer

d'un amour béatifique.

 

Si donc Dieu veut, dans sa bonté infinie, nous

mettre en état d'exercer d'une manière con natu-

relle de semblables opérations, s'il veut que nous

puissions un .jour le voir, l'aimer, comme il se

voit et s'aime lui-même, le posséder, jouir de lui,

et trouver dans cette possession et cette jouis-

sance notre suprême félicité, il faut qu'il nous

communique une participation de sa propre

 

 

 

quamdam similitudinem naturam divinam per quamdam

regenerationem, sive recreationem. » (S. Th., I' II", q. ex,

 

a. 4.)

 

I. « Non polest aliquis habere spiritualem operationem,

nisi prius esse spirituale accipiat ; sicut nec operationem ali-

cujus naturae nisi prius habeat esse in nalura illa. » (S. Th.,

De Verit., q. xxvii, a. 2.)

 

3. « Ipsam essentiam animas in quoddam divinum esse

elevans, ut idonea sit ad divinas operationes. » (S. Th.,

Sent., 1. II, dist. xxvi, q. i, a. 5.)

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 298

 

nature. De là ces paroles de saint Cyrille : « Puis-

que nous avons une même opération avec Dieu,

c'est une nécessité que nous participions à sa

nature : Eamdem opcrationem connaturaliter ha-

bentes, necesse est ejusdrm esse naturœK »

 

Voilà ce qu'est en elle-même la grâce qui nous

sanctifie, une participation réelle, physique, for-

melle, de la nature de Dieu ; c'est sa vie intime

gratuitement communiquée aux créatures raison-

nables ; c'est le commencement, l'ébauche, l'au-

rore de la vie éternelle : quœdam inchoatio gloriœ

in nobisK En parlant de la sorte, saint Thomas

n'était que l'écho du grand Apôtre, qai avait dit

depuis longtemps : « La grâce de Dieu, c'est la

vie éternelle, ici-bas dans son germe, là-haut

dans son plein épanouissement : Gratia Dei vita

œierna^. »

 

Ce germe peut sembler petit, cette ébauche

imparfaite, cette aurore bien peu lumineuse;

cependant, c'est la vérité que la grâce de la voie

contient virtuellement tout le bonheur du ciel,

qu'elle nous communique la substance des biens

que nous espérons, qu'avec elle, en un mot, et

par elle, le ciel est déjà dans nos cœurs. La

gloire, en effet, ne sera pas un état substantiel-

lement différent de celui de la grâce ; il n'en

sera que l'apogée, la consommation, le plein

développement. « Ce sera le chêne au lieu du gland,

la moisson au lieu de la semence, le plein midi

 

 

 

1. S. Cyril. Alex., Thesaur., 1. II, c. n.

 

2. S. Th., Il- II*% q. XXIV, a. 3, ad 2.

 

3. Rom., VI, 23.

 

 

 

5 9.4 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACB

 

au lieu de? L'auhei- » ; mai5, dès cette' vie;, l'œuvre

de notre déification est commencée, et nous pos-

sédons avec l'Esprit-Saint les arrhes de notre

béatitude.

 

Ah ! si nous savions le don de Dieu ! si nous

comprenions le prix de la grâce! avec quelles

ardentes supplications nous redirions, nous

aussi, la parole de la Samaritaine : « Seigneur,

donnez-moi de cette eau! Dontine, da miki kanc

aqaam * / » Et parce que nous portons ce trésor

dans des vases Iragiles' et, qu'il suffît d'un faux

pas pour tout compromettre, avec quelle sollici-

tude nous éviterions tout ce qui pourrait nous

exposer à le perdre ! Avec quel empressement

nous nous hâterions de le recouvrer après l'avoir

perdu ! Comme nous nous efîorcerions de l'aug-

menter par nos mérites ! Comme elle nous pa-

raîtrait simple, évidente, lumineuse, la parole de

l'angélique Docteur affirmant que le plus petit

atome de grâce vaut plus que l'univers entier '^ 1

 

 

 

Et pourtant nous n avons paas encore dit com-

piètement,. — qui pourrait le faire? — à peine

 

 

 

I. M«f' Gay, Sermons d'Avent.

a. Joan., iv, i5.

 

3. « Habemus thesaurum istum in vasîs fictilibus. » (II

'^or.,iv, 7.)

 

4. « Bonum gratiae unius majusesl qiiatmborium; nalurae

iotius universi. » (S. Th., l' II", q. cxiii, a. 9, ad 2.). i

 

 

 

liA GflACE ET LA. NATURE DITINE »9^5

 

avons-nous effleure ce que l'Apôtre appelle les

insondables ridiesses du Cîirist : investigabiles

divitias Chri»ti^. Cette grâce, qui paraît une fin si

précieuse, n'est qu*un moyen ; ce but n'est qu'un

point de départ. En A^ersanl dans T'âme du chré-

tien ce don merveilleux qui le puTifie, le justifie,

le change en une nouvelle créature, «n un être

déiforme objet des divines complaisances. Dieu

ne fait que le préparer à un don plus sublime

encore, à une déification plus complète.

 

Si grand, en effet, si suréminent que soit en

lui-ïnême le bien de la grâce, il n'est cependant

pas le dernier terme de l'amour divin ici-^bas, ni

la plus haute effusion du cœur de Dîeu ; <ie n'est

qu'une préparation au bien «uprème, un ache-

minement au don par excellence, une disposition

préalable K la commbunication de l'Esprit-Saint

venant en personne dans l'âme juste en compa-

gnie du Père et du Fils, et s'unissant à elle d'une

manière ineffable comme objet de sa connais-

sance et de son amour. Nous mettre en posses-

sion de 'Dieu, ici-bas d'une manière réelle <juoi-

que obscure, en attendant l'heure on nous pour-

rons ^le contempler face à face, voilà >le dernier

fond de la grâce et ce qui en fait en définitive

tout le prix.

 

L'œuvre de notre déification comprend donc

un double élément : l'un créé, servant en quelque

sorte de lien, de trait d'auiion entre Dieu et l'âme,

et disposant celle-ci à la possession des personnes^

 

 

 

I. Ephes., III, «8.

 

 

 

296 NOTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE

 

divines, c'est le rôle de la grâce M l'autre incréé,

constituant comme le couronnement de notre

perfection, le terme de nos aspirations, le bien

dont la jouissance même initiale est déjà un

avant-goût du ciel : et c'est Dieu lui-même se

donnant à nous, s'unissant à nous, venant habi-

ter dans nos cœurs, suivant la parole du divin

Maître : « Si quelqu'un m'aime... mon Père

l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous établi-

rons en lui notre séjour*. »

 

Aussi les théologiens distinguent-ils deux sortes

de participation à la nature divine — duplex na-

turœ divinœ consortium : — l'une, formelle et ana-

logique, par laquelle Dieu nous fait communier

à sa nature par une certaine participation de res-

semblance avec lui, per quamdam similitadinis

paiiicipalionem* \ l'autre, terme et but de la pre-

mière, consistant dans une intime union de nos

âmes avec Dieu. Saint Denys a résumé cet ensei-

gnement dans une formule aussi brève qu'expres-

sive : « Notre déification, dit-il, consiste dans

une assimilation et une union à Dieu aussi par-

faite que possible : Est autem hœc deificatio, ad

Deum, quanta fier i potest, assimilatio et unio^. »

 

Cette union, comparée dans la sainte Écriture

 

 

 

I. « Gratia gratum faciens disponit animam ad habendam

divinam personam. » (S. Th., I, q. xliii, a. 3, ad a.)

a. Joan., xiv, aS.

 

3. « Necesse est quod solus Deus deificet, communicando

consortium divinae naturse per qaamdam similitudinis par-

ticipa tionem, sicut impossibile est quod aliquid igniat nisi

solus ignis. » (S. Th., !• II*^, q. cxii, a. i.)

 

4. S. Dionys., Hierarch. eccles., c. i, n. 3.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIVINE 297

 

à celle de l'époux et de l'épouse, est désignée

par les mystiques sous le nom de mariage spiri-

tuel. C'est dire combien elle est étroite, douce et

féconde.

 

Union étroite, intime, profonde, dépassant

inexprimablement celle qui existe entre l'homme

et la femme, car la nature n'est que l'ombre de

la grâce. D'une part, en effet, il n'y a que rap-

prochement des corps ; de l'autre, il y a compé-

nétration de l'âme par Dieu. Et s'il est vrai de

dire des époux humains qu'ils sont deux dans

une même chair, erunt duo in carne una^, l'Apôtre

déclare qu'en adhérant à Dieu par l'amour, l'âme

juste devient un même esprit avec lui : Qui adliœ-

rei Domino, unus spiritus ejjîciiur^.

 

Union pleine de douceur et de suavité. Com-

parée à cette union sainte, l'union matrimoniale

n'est que froideur et amertume. Ici, le contente-

ment est court, le plaisir bas et grossier; là, tout

est grand, élevé, durable : c'est la gloire, c'est la

pureté, c'est la tendresse, ce sont d'ineffables

délices que la langue humaine est incapable

d'exprimer, et le cœur de l'homme trop étroit

pour les contenir.

 

Enfin union féconde, d'où naissent les saintes

pensées, les affections généreuses, les entreprises

hardies, et tout cet ensemble d'œuvres parfaites

désignées sous le nom de béatitudes et de fruits du

Saint-Esprit.

 

Commencée sur la terre, cette union bénie ne

 

 

 

I. Gen.. II, 24.

a. I Cor., VI. 17.

 

 

 

298 NOTRE JUSTIFICA.TIQN PAR h\ CUBAGE

 

ge consommera qu'au ciel. Déjà san-s doute, sui-

vant la parole de l'Apôtre, l'âme sainte est fiancée

au Christ' ; déjà elle est l'épouse de T Esprit-Saint,

qui lui a donné la foi comme un anneau sym-

bole de leur alliance 2, l'a revêtue de la grâce et

de la charité comme d'une robe brochée d'or 3,

l'a ornée de ses dons et des vertus infuses en

guise de pierres précieuses *, et s'es4i donné lui-

même, quoique d'une manière obscure, comme

gage de l'éternelle félicité. Reste maintenant que

l'Epoux divin achève son œuvre et concède à son

épouse cette dot ineffablement riche qui s'appelle

la vision, la compréhension, la fruition : la vision

qui doit succéder à la foi, la compréhension qui

lui fera saisir ce bien souverain qu'elle poursui-

vait ici-bas avec de si ardents désirs, la fruition

enfin qui consommera sa béatitude^.

 

Alors prendra fin ce travail de transforiïiatioin

surnaturelle qui constitue comme la trame de la

vie du chrétien en ce monde, l'assimilation divine

étant désormais parfaite. Déifiée dans son essence

par la grâce, dans son intelligence par la lumière

de gloire, dans sa volonté par la charité con-

sommée, l'âme contemplera sans voiles, et pos-

sédera daus la plénitude de la joie Celui qui est

la vérité subsistante et le bien souverain. C'est

 

 

 

1. « Despondi vos uni viro virginem casCam exhibera

Christo. » «'Il Cor., xi, 2.)

 

2. « Ann.ilo suo subarrhavit me. » (Ex ofïîc. S. Agnetis.)

 

3. « Induit me Dominas cyrlade auro conlexta. > (Ibid.)

 

4. « Circumdedit me vernoiitibus et coriiscantibus gem-

«nis. » (Ibid.)

 

5. S. Th., I, q. x«, a. 7, ad i. — Supplem., q. xcv, a. 6.

 

 

 

LA GRACE ET LA NATURE DIYINE 299

 

au moment où Dieu nous apparaîtra ainsi dans

tout l'éclat de sa gloire que nous lui serons plei-

nement semblables, parce que nous le verrons

tel qu'il est : Sciinus quoniam, cum apparuerit,

similes ei erimus : quoniam videbimus eum sicuti

est^. Nous vivrons de sa vie, nous partagerons

.sa béatitude^ car la vie de Dieu consiste à se

«connaître et à s'aimer, sa béatitude à jouir de lui-

même. Alors sera réalisé le souhait que formait

l'Apôtre, quand il écrivait aux Ephésiens : « Je

fléchis les genoux devant le Père de Notre-Sei-

gneur Jésus-Christ... afin que vous soyez remplis

de toute la plénitude de Dieu : Ut impleamini in

omnem plenitudinem Dei^. »

 

 

 

1. IJoan., in, 2.

a. Ephes., m, M9.

 

 

 

CHAPITRE m

 

 

 

Notre filiation divine adoptive. — Analo-

gies et dissemblances entre l'adoption

divine et les adoptions humaines. —

Incomparable grandeur et dignité du

chrétien.

 

 

 

Devenus par la grâce sanctifiante participants

de la nature divine, divinœ consortes naturœ^,

nous sommes, par le fait même, élevés à la di-

gnité incomparable de fils adoptifs de Dieu avec

droit à l'héritage paternel *. Cette vérité, que

tout chrétien devrait avoir sans cesse devant les

yeux et qu'il ne saurait trop approfondir, parce

que là sont nos titres de noblesse dans le présent,

et nos gages de félicité pour l'avenir, se trouve

consignée à toutes les pages du Nouveau Testa-

ment. « C'est pour nous racheter de la servitude

 

 

 

I. II Petr., I. 4.

 

a. « Per gratiam homo consors factus naturae divinae

adoptatur in filium Dei, cui debetur haereditas ex ipso jure

cdoptionis, secundum illud (Rom., vui, 17) : Si filii et hœ-

redes. » (S. Th., I' II", q. cxiv, a. 3.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 3oi

 

delà loi, dit l'Apôtre, et pour nous communiquer

l'adoption des enfants, que Dieu a envoyé son

Fils, né de la femme sous le règne de la loi'. »

— (( Et parce que nous sommes ses enfanîs, il a

envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils pour

nous inspirer des sentiments de filiale confiance

envers le Père céleste*. » Aussi « ce divin Esprit

rend-il lui-même témoignage à notre esprit que

nous sommes enfants de Dieu s. »

 

Pour bien nous convaincre qu'il ne s'agit point

ici d'une simple dénomination extérieure, d'un

titre purement honorifique, mais d'une filiation

très réelle, qui est une participation à la filiation

même du Christ, l'apôtre saint Jean n'hésite pas

à dire : « Voyez quel amour le Père nous a témoi-

gné en nous accordant non seulement le titre,

mais encore la qualité véritable d'enfants de

Dieu : Videte qaalem caritatem dédit nobis Pater,

ut filii Dei nominemur et simus^. » Et comme ravi

d'admiration en présence de tant de grandeur :

v< Oui, mes bien-aimés, répète-t-il, nous sommes

dès à présent les enfants de Dieu ; mais ce que

nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous

savons que quand Dieu se montrera, nous serons

semblables à lui, parce que nous le verrons tel

 

 

 

1. « Misit Deus Filium suum, factum ex muliere, factura

sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret, ut adoptionem

filiorum reciperemus. » (Gai., iv, 4-5.)

 

2. « Quoniam autem estis filii, misit Deus Spiritum Filii

sui in corda vestra clamantem : Abba, Pater. » (Ibid., 6.)

 

3. « Ipse enim Spiritus testimonium reddit spiritui nos-

tro, quod sumus filii Dei. » (Rom., vra, i6.)

 

4- I Joan., m. i.

 

 

 

3o2 NOTRE FlUA.TïO^' DIVIKE AJDOPTIVE

 

qu'il est. Quiconque a cette espérance se sanxîtÉfiev

comme il est saint lui-même i. »

 

Les saints Pères célèbrent à Fenvi ce glorieux

titre d'enfants de Dieu, ils en exaltent les préro-

gatives, ils en redisent avec foi et amour les

précieux avantages. Ecoutez le grand évêque

d'Hippone : << Quelle ne serait pas, dit-il, la joie

d'un étranger, de quelqu'un qui ne connaîtrait

pas ses parents, et qui serait dans la misère, la

peine et les labeurs, si ^n venait lui dire t-out à

coup : Vous êtes fils d'un sénateur, votre pèr^

jouit d'une immense fortune qui vous est desti-

née, et je viens vous ramener à lui. Quels trans-

ports d'allégresse n'éprouverait-il pas s'il pouvait

croire à la réalité de ces promesses? Eh bien,

voici qu'un apôtre de Jésus-Christ, dont la parole

mérite toute créance, est venu nous dire : Pour-

quoi vous désespérer? Pourquoi vous affliger et

vous consumer de chagrin? Pourquoi vous aban-

donner à vos convoitises et croupir dans l'indi-

gence que produisent ces voluptés ? Vous avez un

père, vous avez une patrie, vous avez un patri-

moine. Quel est ce père? Mes bien-aimés, nous

sommes les eafants de Dieu 2. »

 

 

 

I. « Gharissimi, nunc filii Dei sumus, et nondum appa-

ruit quid erimus. Scimusquoniam, cum apparuerit, similes

ei erimus : quoniam videbimus eum sicuti est. Et omnis, qui

habet hanc spem in eo, sanctificat se, sicut et iUe sanctus

e&t. » (Ibid., 8-3.)

 

a. « Quis non ex^ultet, si nescio oui peregrinanti et igno-

rant! genns suum, patienti aliquam <?gestatem, et in

a'.rumna et labore constituto diceretur : Filius senatoris es;

pater tuus amplo patrlmonio gaudet in re vestra ; revoco te

 

 

 

GHANIMBUR EX DIGNITE BU CHR!ÉT1EN 3o5

 

Aux yeux de saimii Léon, tout autre bienfait

s'éclipse devant la grandeur de cette filiation

divine. « Que Dieu, dit-il^ appelfe Thomme son

fils, que l'homme donne à Dieu le nom de Père,

et que cette appellation réciproq^ie soit l'expres-

sion de la réalité, voilà le don qui surpasse tous

les dons'. » 11 faut entendre saint Pierre Ghryso^

lo^ue exposant aux néophytes ïa. suréminente

digjnité da chrétien : « Si grande, dit-il, est

pour nous la bonté divinte, que la créature ne

sait qu'admirer davantage : ou des abaissements

d'un Dieu descendant jusqu'à notre servitude, ou

de la dignité à laquelle il nous élève en nous

faisant part de sa divinité. Notre Père qui êtes aux

deux... homme,, jusqu'où t'a soudain élevé la

giîâee? Où t'a emporté ta céleste nature? Quoique

vivant encore dans la chair et sur la terre, tu ne

connais plus ni la terre ni la chiair, qu^ind tu dis :

Notre Père qui êtes aux ciewc. Que celui-là donc

q^i croit et confesse qu'il est fils d'un tel Père,

mène une vie en rapport avec son origine, con-

forme à celle de son Père; qm'il affiriïïe dans sa

 

 

 

ad patrem tuum. Quali; gauddo exsultaret, si hoc non faîlax

promissor diceret? Venit ergo non lallax apostolus Christi,

et ait : Quid est qiiod de Tobis d^peratis ? quid est quod

vos affligitis, et mœrore conteritis ? quid est quod concupis-

centias vestraa seqiaendjQ, in egestate istarum voîtiptatum

conteri vultis ? Habetis patrem, habetia patrîam, habetife

patrimonium. Quia est iste pater? Dileetisàmi, filii Dei

sumus. » (S. Aug,, Enarrat. in Ps. lxxxiv, n. g.)

 

I. « Omnia dona excedit hoc donum, ut Deus' hominem

vocet. filium, et honao Deum nominet- Patrem. » (S. Léo,

M., serm. VI de Naiiv.)

 

 

 

3o4 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

pensée et dans ses actes ce qu'il a obtenu par son

origine céleste'. »

 

Pour bien mettre en lumière la nature de noire

adoption divine, il ne sera pas hors de propos

de la comparer avec l'adoption humaine et d'en

étudier successivement les analogies et les dis-

semblances.

 

Ici-bas, adopter un enfant, c'est le faire entrer

dans sa famille, c'est lui conférer librement,

gratuitement, le titre et les prérogatives de fils

qui ne lui appartenaient pas en vertu de sa nais-

sance, notamment le droit à l'héritage de soit

père adoptif. On peut inférer de là qu'une triple

condition est requise pour une véritable adop-

tion : il faut tout d'abord que l'adopté soit étran-

ger par son origine à la famille qui l'introduit

dans son sein, et n'en fasse pas naturellement

partie; il faut, en second lieu, que son entrée

dans sa nouvelle famille soit le résultat d'un

choix libre et gratuit ; enfin il est nécessaire

qu'avec le titre de fils, l'adopté reçoive un droit

strict et légal à l'héritage de qui l'adopte.

 

 

 

I. « Et quidem Deitatis erga nos dignatio tanta est ut

scire nequcat quid potissimum mirari debeat creatura :

utrum quod se Deus ad nostram deposuit servitulem, an

quod nos ad divinitatis suae rapuit dignitatem. Pater noster

qui es in cœlis... Qao te, homo, repente provexiigratia? quo

te rapuit cœlestis natura? Ut in carne et in terra positus

adhuc, et carnem jam nescias et terram, dicendo : Pater

noster, qui es in cœlis. Qui ergo se tanti Patris filium crédit

et confitetur, respondcat >1ta generi, moribus Patri, et

mente alque actu asserat quod cœlestem consecutus est

per naturam. » (S. Petr. Ghrysol., serm. lxxii in Orat^

DonJn.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN 3o5

 

Ces diverses conditions sont faciles à établir.

Ainsi, qu'un étranger soit seul susceptible d'adop-

tion, c'est chose manifeste; il y aurait contradic-

tion à adopter son propre fils. Comment, en

effet, dire du fils légitime, du fils par nature,

qu'il a été introduit gratuitement dans une

famille à laquelle il n'appartenait point par sa

naissance, qu'il a reçu par libre choix le nom el

le droit à l'héritage de son père? Mais tout cela

lui revient naturellement, en verlu même de

son origine. Le fils légitime peut, il est vrai,

démériter; il peut être chassé du toit paternel

pour son inconduite et à cause des désordres de

sa vie ; il peut même, dans certaines circons-

tances exceptionnelles, être légitimement déshé-

rite ; mais quand, instruit par le malheur et

repentant, ce nouveau prodigue rentre à la mai-

son paternelle, il reprend sa place au foyer de

la famille et n'est pas adopté. Le lien du sang

est indestructible, et il restera toujours une pro-

fonde différence entre le fils par nature, quels

que soient ses torts, et celui qui n'est entré

dans la famille que par le bon plaisir de son

chef.

 

En outre, l'adoption est essentiellement volon-

taire et gratuite : volontaire tant de la part de

l'adoptant que de l'adopté; gratuite, parce qu'elle

n'est fondée sur aucun droit naturel ou acquis.

C'est un contrat par lequel deux personnes natu-

reHement indépendantes et libres de disposer

l'une de son nom et de sa fortune, l'autre de sa

personne, s'engagent réciproquement : la pre-

mière, à conférer à la seconde tous les droits

d'un fils légitime, et celle-ci, à reconnaître l'au-

 

HAB. lAIMT-BSPMT. — 90

 

 

 

3bb^ IfOTRE PILIA/nON DIVINE ADOPTTVB

 

torité du père adoptif dont elle accepte les libé-

ralités.

 

Une dernière condition de l'adoption, que les

jurisconsultes s'accordent à regarder comme

fondamentale, c'est le droit légal qui en résulte

pour l'adopté de recueillir un jour la. succession

de l'adoptant.

 

 

 

Il

 

 

 

Si donc notre adoption par la grâce n*est pas

un vain mot, elle doit réaliser cette triple condi-

tion qui, provenant de la nature même des choses,

se rencontre nécessairement dans toute adoption

véritable. Qu'il en soit réellement ainsi, c'est ce

qu'il est facile de prouver.

 

En effet, ce sont bien des étrangers que Dieu

introduit dans sa race, quand il daigne accorder

à des êtres raisonnables la grâce sanctifiante, et

leur communiquer par là une participation de sa

nature et de sa vie. Sans doute, « considéré dans

sa nature et quant aux biens de l'ordre naturel',

l'homme n'est pas étranger à Dieu, puisqu'il

tient de lui tout ce qull possède ; mais quant

aux biens de la grâce et de la gloire, il lui est

étranger ; et c'est en cela justemerit qu'il est

adoptée » L'homme de la nature, l'homme priviâ

 

 

 

I. « Homo, in sua natura consîdcratus non est extraneus

a Dec quantum ad bona naturalia quae recepit ; e^t tamen

extraneus quantum ad bona gratite et glorias : et secun»

<iïLDi.hoc adoptatur. w (S. Th.. HI,. q. xxtii^a. d, adi.)

 

 

 

GRAJVDBUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 8^07

 

de la gTâc€ ne saurait donc être considéré comme

étant du nombre de ceux auxquels il a été dit :

* Vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut^ » ;

U ne fait point partie de la famille divine, il n'a

aucun droit à la possession des biens propres à

Dieu ; c'est vraiment un étranger. Les rapports

qui l'unissent à l'auteur de son être, ce sont les

rapports de l'effet à la <;ause„ de l'ouvrage à l'ou-

vrier, et nullement ceux du fils au père, attendu

qa'il existe paj: voie de création et non par voie

de génération, qu'il procède du néant et non du

sein .de Dieu. S'il a, comme tout effet, une cea--

taiiie ressemblance avec sa cause, il ne participe

^dépendant pas à la nature «de son principe ; s'il

a (été fait à l'image de Dieu, il ne vit pas de la

vie -divine ; il n'a, dans ses éléments constitutifs,

rien de vraiment .divin,, ni par esîsence, ni par

paaiicipation.

 

Saes doulie, dans ce sens large et très impro-

p^re, suivant lequel tout ouvrier peut se dire,

d'une certaine façon, le père de son oeuvre. Dieu

peut être appelé notxre Père dans l'ordre naturel

et toutes les créatures, surtout les créatures

intelligeEntes, qui portent d'une manière plus sai-

sissante l'empr-einte de la divinité, peuvent être

dénomnaées les filles de Dieu*; mais, à parler

nigoureu&ement» elks ne le sont point par défaut

 

 

 

1. « Ego dixi : Dii estis, et filii Excelsi omnes. » (Ps. lxxxt,

6.)

 

2. « Numquid non ipae est pater tuu§, qui possedit te,

et fecit, et crea\'it te ? » ('Deut.,, xxxii^ 6. — « Quis est

pluvise pater? vel quis genuitistillastoris? »^0b.,xxjXYiii,.28.)

 

 

 

3o8 NOTRE FILIATION DIVI>E ADOPTIVE

 

de cette similitude de nature qui doit exister entre

le père et les enfants.

 

Aussi la tradition catholique a-t-elle toujours

considéré l'adoption divine comme un appel fait

par Dieu à des êtres qui lui sont étrangers par

nature, et qui, par suite de leur condition native,

sont vis-à-vis de lui des serviteurs, non des

enfants. Voici comment s'en explique saint

Cyrille d'Alexandrie : « Nous qui, par nature,

sommes des créatures produites et de condition

servile, nous obtenons par grâce et au-dessus

des exigences de notre nature la dignité d'enfants

de Dieu : Nos qui natura censemur effecta serva-

qae creatura, iidem supra naturam et per gratiam

nanciscimur prœstantiamJîliorumDei^. » Saint Atha-

nase exprime la même pensée dans les termes

suivants : « Les hommes étant, par leur nature,

des créatures, ne p.^uvent devenir fils de Dieu

qu'en recevant l'Esprit de celui qui est le vrai

Fils de Dieu par nature : Nec alio modo possurd

filii fieri cam ex natura sua sint creati, nisi Spiri-

tum ejus, qui est naturalis et verus Filius, accepe-

rint*. »

 

Le Souverain Pontife Léon XIII n'était donc

que l'écho de la doctrine traditionnelle lorsque,

dans sa belle Encyclique sur le Saint-Esprit, il

disait : « La nature humaine est nécessairement

servante de Dieu : Par nature , nous sommes

les serviteurs de Dieu'. En outre, à cause de la

 

 

 

I. S. Cyr. Alex., In Joan. lib. I.

a. S. Athan., Orat. 2 contra Arian.

3, S. Cyr. Alex., Thesaar., 1. V, c.5.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN SoQ

 

faute commune, notre nature est tombée dans

un tel abîme de vice et de honte que nous étions

devenus les ennemis de Dieu. Nulle puissance

n'était capable de nous arracher à cette ruine et

de nous sauver de la perte éternelle. Cette tâche,

Dieu, créateur de l'homme, l'a accomplie dans

sa souveraine miséricorde par son Fils unique,

grâce auquel nous avons été rétablis avec une

plus grande abondance de dons dans la dignité

et la noblesse que nous avions perdues. Dire

quelle a été cette œuvre accomplie par la grâce

divine dans l'âme humaine est chose impossible ;

aussi les Livres saints et les Pères de l'Église

nous appellent-ils des êtres régénérés, des créa-

tures nouvelles admises à la participation de la

nature divine, des fils de Dieu, des êtres déifiés

et autres titres analogues'. »

 

Ainsi, au moment même où nous recevons la

 

 

 

I. « Natura humana necessario serva est Del : Creaiura

serva est, servi nos Dei samus secundam naturam : quin etiam

ob communem noxam natura nostra omnis in id vitium

dedecusque prolapsa est, ut prœterea infensi Deo extiteri-

mus : Eramas natura filii irœ (Eph., n, 3). Tali nos a ruina

exitioque sempiterno nuUa usquain vis tanta erat quœ pos-

set erigere et vindicare. Id vero Deus, humanœ naturse con-

ditor, summe misericors, praestitit per Unigenitum suum :

cujus beneficio factum, ut homo in gradum nobilitatem-

que, unde exciderat, cum donorum locupletiore ornatu sit

resti tutus. Eloqui nemo potest, quale sit opus istud divinse

gratiae in animis hominum ; qui propterea luculenter tum

in sacris Litteris tum apud Ecclesiae Patres, et regenerati et

creaturae novae et consortes divinae naturœ et filii Dei et

deifici similibusque laudibus appellanlur. » (Fx Epist. En-

cyci. Divinum Uiad munus Léon. Papae XIII.)

 

 

 

3 10 NOTRE FILIATIOTV TJIVINE ADOPTIVE

 

grâce, un dhangement profond s'opère en nous;

de BervT^teurs que nous étions en vertu de notre

création, nous devenons soudain les enfants de

Dieu; de fils du premier Adam, héritiers de sa

nature et de sa faute, nous dcTenons les frères

du second Adam, Jésus-Christ notre béni Sau-

veur, qui ne croit pas déroger en nous donnant

cette glorieuse qualification 1 ; et nous entendons

l'Apôtre nous adresser ces paroles significatives :

u Vous n'êtes plus maintenant des étrangers et

des hôtes, mais vous êtes les concitoyens des

saints et de la maison de Dieu : Jam non estis

hospHcs et advenœ, sed estis cives sanctorum et do-

mesticiDei'^: »

 

^'on content de détruire en nous Le vice de

notre première origine, Dieu nous communique

un nouvel être, une nouvelle vie, une nature

nouvelle-; il nous engendre spirituellement, non

pas sans doute de la même manière, ni au même

titre que le Verbe divin, mais à sa ressemblance.

Lui est consubstantiel au Père, qui lui commu-

nique sa propre nature dans toute sa plénitude;

nous n'avons, nous, qu'une participation îfinie,

une imitation analogique de cette même nature.

Lui est Dieu, nous sommes simplement déifiés.

Sa génération est éternelle et nécessaire.; notre

régénération, qui s'accomplit dans le ieaorips, est

gratuite et volontaire. Volaniarie gênait nos verho

veritatis 3. Bref, le Verbe «st fils par nature ; nous

 

 

 

I. « PiTopter qaam causam -non conïiinditur fralres eos

 

vocare. » ;(iHebr., ii, n.)

u. Ephes.^ u. 19.

3. Jac, I, 18.

 

 

 

GBL\NI>E.UR ET DIGNITE I>U CHRÉTIEN 3lT

 

ne le sommes que par bienveillance et adoption,

ayant été déifiés par la grâce, sans être nés de

la substance divine : Hommes dmii deos, ex gra-

tta sua deificatos, non de subsiantia sua naiosi^.

 

Mais pour n'être que des fils adoplifs, nous

n'en avons pas moins droit à l'héritage de notre

Père céleste. « Si nous sommes enfants, dit saint

Paul, nous sommes également héritiers : héri-

tiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ : Si

autemfilii, et hœredes : hœredes quidem Dei, coJiœ-

redes auiem Ghrisii 2. »

 

Ce droit à l'héritage paternel est ce qu'il y a

de plus essentiel dans l'adoption ; c'en est le but

et la fin, de même que Famoui* en est le prin-

cipe. Aussi, (c dès. là que, par un effet de sa

bonté imfinie,. Dieu appelle les hommes à hériter

de sa propre béaititnde, on dit qu'il les adopte ^ )>.

Grande et sublime vocation, bienfait inappré)-

ciable, qui arrachait à l'Apôtre saint Paul ce cri

de reconnaissance et d'amiOiur : « Béni soit Dieu,

et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui

nous a comblésr en Jésus-Christ de toutes sortes

de hénédicitons spirituelles et célestes, nous-

ayant élus en lui a\^dnt la constitution du

monde, afin que nous fussions saints et imma-

culés devant lui dans la charité. Car, par une fa-

veur toute gratuite, il nous a prédestinés à deve-

 

 

 

lu &. AiUg.^ in Ps. XEEC, rt. a

 

2. Rom., vin, 17.

 

3.. « In qucuattuna Deus ex sua bonitate admittit hornine»

adbeatitudmisbiaeieditatem» dicitup eas adoptare. » (S. Th.„

ni, q. xxni, a. i.)

 

 

 

3l2 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

nir ses fils adoptifs par Jésus-Christ, pour la

gloire et le triomphe de sa grâce, par laquelle il

nous a rendus agréables à ses yeux en son Fils

bien-aimé^. »

 

 

 

III

 

 

 

La grâce réalise donc toutes les conditions

d'une véritable adoption, puisque par elle des

étrangers sont introduits gratuitement dans la

famille de Dieu, dont ils deviennent les héri-

tiers. Mais que cette adoption diffère des adop-

tions humaines ! S'il y a entre elles certaines

analogies, quelques traits de similitude, combien,

par ailleurs, les dissemblances en sont profondes

et accusées!

 

Parmi les hommes, l'adoption n'a lieu que

pour suppléer, dans une certaine mesure, à l'ab-

sence d'enfants légitimes et peupler un foyer que

la nature avait laissé désert. Quand deux époux,

privés du bienfait de la fécondité, craignent de

voir s'éteindre un grand nom et se disperser

 

 

 

I. « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu

Christi, qui benedixit nos in omni benedictionespirituali in

cœlestibus in Christo. Sicut elegit nos in ipso ante mundi

constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in con-

spectu ejus in charitate. Qui praedestinavit nos in adop-

tionem filiorum per Jesum Ghristum in ipsum, secun-

dum propositum voluntatis suae : in laudem gloriae gra-

tifie fcuae, in qua gratificavit nos in dilecto Filio sue. » (Eph.,

1, 3-6.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN 3l3

 

une brillante fortune, ils font choix d'un étran-

ger, ils l'introduisent à titre de fils dans leur de-

meure, et, en lui passant leur nom et leur héri-

tage, ils se consolent dans la pensée qu'ils ne

mourront pas entièrement. Mais si les époux ont

un fils, ils se gardent bien d'amoindrir son

patrimoine en lui donnant des cohéritiers.

« Voilà, dit saint Augustin, ce que font les hom-

mes ; Dieu agit différemment : Hoc faciunt homi-

nés... Non sic Deus^. »

 

Ce n'est point par indigence, à défaut de fils,

que Dieu nous adopte ; c'est uniquement par

amour, dans le dessein de répandre sur, d'autres

êtres l'abondance de ses perfections. En effet, il

possède un Fils égal à lui-même, souveraine-

ment parfait, immortel, héritier de tous ses

biens2; mais, pressé par sa bonté, il veut élargir

le cercle de la famille divine, admettre au par-

tage de ses biens les créatures qui n'y avaient

aucun droit, et leur conférer, en les adoptant,

une sorte de filiation qui est une image de celle

du Verbe, de même que, par l'acte créateur, il

avait communiqué à tous les êtres sortis de ses

 

 

 

I. « Multi homînes cum filîos non habuerînt, peracta

«etate adoptant sibi ; et voluntate faciunt quod natura non

potuerunt : hoc faciunt homines. Si autem aliquis habeat

filium unicum, gaudet ad illum magis ; quia solus omnia

possessurus est, et non habebit qui cum eo dividat haeredi-

tatem, ut pauperibr remaneat. Non sic Deus. » (S. Aug., in

Joan.y tract. 2, n. i3.)

 

a. « Quem constituit haeredem universorum. » (Hebr.,

i.a.)

 

 

 

3l4 NOTRE FILIATION DITINE A-DOPTIVE

 

mains une similitude de sa peffeetion ^ De là ces

paroles de l'Apôtre : « Ceux -que Dieu a connus

dans sa prescience, il les a prédestinés à êtr-e

conformes à l'image de son Fils 2. »

 

11 fallait effectivement que, avant de n-o-us ad.op-

ter, Dieu commençât par nous conférer une par-

ticipation à sa nature en nous engendrant spiri-

tuellement.; car la conformité de nature entre

l'adoptant et l'adopté s'impose si m.aiiifestement

qu'il ne vient pas à l'idée qu'un homme puisse

prendre pour fils une créatur>e autr-e qu'un être

humain. Or, tandis que l'adoption humaine sup-

pose cette co-mmunauté de natuire, l'adoption

divine doit la créer, car la divinité n'appartient

naturellement qu'à Dieu. Aussi, pendant que

l'homme choisit à son gré parmi ses semblables

celui dont il veuît faire son fils adoplif et son hé-

ritier^ Dieu ne peut adopter un être raisonnable

qu'à la condition de le déifier au préalable en

lui faisant part de sa nature.

 

De plus, parmi les hommes, l'étranger que

l'on adopte est apte par lui-mêdffie à recueillir

Théritage qui lui est dévolu ; s'il n'y peut pré-

 

 

 

I. « Hominis est operari ad supplendam suam indigen-

tiam ; non autem Del, cui convenit operari ad communi-

candam suae perfiectioiiis abundaiibiain. Ëit jdeso siciit per

actum creationiB ooannuuiïijcatur boni las divina omnibus

creaturis seciandum quamdain simiMtodinjem, âtaperacturn

adoptionis communicatur srmiMiado naturalisfiliationiB im-

minibus, «ecundum illad (Rom., vifli, 29) : Quos prœscJAjU

conformas fieri imagmis Filii eui. » (S. Tih., lll, iq. kxiil»

a. I, ad 2.)

 

a. (( Quos prtescLvit let praBde9iinav.R comforoies fiteri una-

ginis Filii sui. » (Rom., vin, 29.)

 

 

 

GBANDEUR ET DIGNITE DU CHRÉTIEN 3x5

 

tendre en vertu, de sa naissance,, une simple for-

malité juridique, suffît, pour lui constituer uai

droit et L'envoyer en possession des biens qui lui

ont été légués. II. nen va point ainsi dans

l'adoption divine. Au lieu de se borner à dési-

gner la personne appelée à recueillir l'héritage

céleste, Dieu doit d'abord créer,, dans l'élu de

son choix., l'aptitude, à entrer en possession et à

jouir des biens divins; car nul être créé, laissé

à lui-même et abandonné à ses seules forces,

n'est capable d'atteindre, à de telles hauteurs ;

il y faut l'appoint de la grâce et de la. gloire i.

 

Sans doute,, dès là qu'il a été fait à l'image de

Dieu et qu'il possède une nature intelligente,

l'homme a la puissance radicale di'être- éle^é à la ,

vision béatifîque et à la participation de la béa-

titude divine, qui consiste ii jouir de Dieu'^;

mais, pour obtenir la. jouissance efTective de

cette félicité suprême, il a besoin de forces sur-

naturelles qui perfectionnent, son intelligeu^e et

dilatent son cœur.

 

Comme on le voit, l'adoption humaine est uai

acte purement extérieur, une fiction! légale, qui

 

 

 

I. « Woc autem plus habet adopta tîo divina quam hu-

mama, qjuia Deias hominem' ^em» adeptat, ixloneum fâciV

per gratiae muQus ad) hœreditatein coelesfeem percipfen-

dam; homo auiem non facit idQUÊum eum quem adoptât

sed potins eum jam idoneum eligit adoptando. » (S. Th.,

ni; q. xxHi, a. I.;

 

2t, « Deus est mûniùas' boniitatis : ex qoa contingit quod

ad participatlonem bonorum suorum suas creaturas aJ-

mittit, et praecipue rationales creaturas, quae in quantum

sunt ad imaginera Dei factse, sunt capaces beatitudinis

divinse : quaequidem consistit in fruitione^Dei. » (Ibid.)

 

 

 

Ol6 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

peut bien changer la situation sociale de l'adopté^

lui inspirer des sentiments nouveaux, établir

entre lui et celui qui l'adopte des relations d'in-

timité et d'affection, mais qui ne peut rien sur

la nature. Le père adoptif a livré tout ce qu'il

peut transmettre, quand il a donné son nom,

son héritage et son cœur. « Celui qui prend

désormais le nom n'appartient pas pour cela à la

race. S'il porte un cœur noble et reconnaissant,

il épousera les sentiments, les pensées, les tradi-

tions de sa famille adoptive ; il lui vouera amour

et obéissance ; mais à cette filiation factice et

conventionnelle il manquera toujours le lien

d'origine, le cri du sang. 11 n'en va pas ainsi

dans l'ordre de notre filiation surnaturelle. Le

jour où nous devenons chrétiens, notre initiation

ne nous confère pas seulement le nom, elle ne

nous agrège pas seulement à la maison, elle ne

nous engage pas seulement envers la doctrine

de Jésus-Christ : elle imprime dans notre âme

un sceau de ressemblance, un caractère indélé-

bile ; elle nous communique intérieurement

c( l'esprit d'adoption des enfants dans lequel

nous crions : Père^ » ; enfin, par l'action sacra-

mentelle du baptême et des autres signes, et

mieux encore par la liqueur eucharistique, elle

insinue au plus intime de notre être le sang de

celui en qui nous sommes adoptés. Par là, nous

entrons authentiquement dans sa race : ipsias

enim et gênas sumus'-. El parce que nous sommes

 

 

 

1. Rom., VIII, i5.

 

2. Act., XVII. a8.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRÉTIEN 'Ôl'J

 

de la race de Dieu : genus ergo cum simus

Dei\ parce que notre filiation n'est pas pure-

ment nominale, mais rigoureusement vraie et

réelle, nous devenons héritiers de plein droit et

à titre de stricte justice, héritiers du Père com-

mun que nous aAons avec Jésus-Christ, cohéri-

tiers par conséquent de l'aîné de notre race * : Si

filii, et hœredes : hœredes qu'idem Dei, cohœredcs

aiitem Christi^. »

 

 

 

IV

 

 

 

Que sont, à côté de cette qualité d'enfants de

Dieu et de frères de Jésus-Christ, les titres les

plus fastueux dont la vanité humaine aime à se

parer comme d'une auréole? Qu'est-ce qu'un

prince de la terre, un chef d'Etat, un monarque

si puissant qu'on le suppose, à côté d'un héri-

tier de la couronne céleste? C'est ce qu'avait par-

faitement compris notre grand saint Louis ; aussi

préférait-il au nom si justement célèbre de roi de

France l'humble dénomination de Louis de

Poissy, du lieu où il avait reçu le sacrement de

la régénération.

 

Que d'autres se glorifient, s'ils le veulent, de

la noblesse de leur origine, de l'étendue et de la

profondeur de leur savoir, de l'abondance de

 

 

 

1. Ibid., ag.

 

2. Rom., VIII, 17.

 

3. Gard. Pie, 3* Instrud. synod. sur les principales erreurs

du temps présent, S xvi.

 

 

 

3>r8 NOTRE FILIATION DTTINE AI>OPTiyB

 

leurs richesses, de Téclat de leurs honneurs ; aux

yeux de la foi, et par conséquent au jugement de

Dieu, rien de tout cela n'est comparaMe à la di-

gnité d'un chrétien en étjat de grâce. Ce juste

n'est peut-être qu'un pauvre artisan, vivant péni-

blement du travail de ses mains, une humble fem-

me sans influence comme sans notoriété, moins

encore, un mendiant méconnu et méprisé, pos-

séda nt à peine quelques haillons sordides pouT

«ouvrir sa nudité. Mais pendant que les heureux

de la terre passent à ses côtés sans daigner lui

jeter un regard, le ciel entier a les yeux sur lui ;

Dieu le contemple avec amour, prêt à redire de

lui les paroles qu'il laissa tomber un jour de ses

lèvres à la louange du Sauveur Jésus : « Celui-

ci est mon fils bieuraimé, en qui j'ai mis toutes

mes complaisaneeâ^ » ; les anges l'entourent d'un

religieux respect et le couvrent de leur protec-

tion, car ils voient en lui un frère et un cohéri-

tier de la gloire céleste.

 

Yoilà ce qu'il iaut enseig^ier et redire fré-

quemment aux hommes de la génération con-

temporaine ù froidement indiflerents pour les

choses du salut, si ingrats envers Dieu, si dédai-

gneux des biens de la grâce. A ces baptisés fai-

sant si bon marché de leur titre de chrétiëfls,

quand ils ne s'en montrent pas ouvertement

humiliés devant les enfants du siècle, il faut

rappeler l'éclat de leur naissance spirituelle, la

dignité de leur baptême, l'incomparable gran-

 

 

 

I. « Hic est Filiusrmeus dilectus, in qtw mibi bene com-

placui. n (Matth., xvii, 5.)

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITÉ DU CHRETIEN Sl^

 

deur de leurs destinées; il £aut leur apprendre à

ne i>as rougir de ce qui fait leur gloire. Est-^ce

qu'un fils de famille, un jeune homme de noble

extraction, rougit du nom de ses ancêtres? Est-ce

qu'il cache ou dissimule son blason? Il fait, au

contraire, sonner l'un bien haut, et s'ingénie à

mettre l'autre en évidence. Eh bien, nous tous.

qui avons été baptiser, nous sommios de la

plus grande race du inonde, nous sommes de

race divine, nous sommes enfants de Dieu.

 

« Apprenez, disait jadis saint Jérôme à la

vierge Eustochium, en l'invitant à ne pas fré-

quenter les matrones superbes enflées de l'im-

portance de leurs maris, apprenez à concevoir

ici un saint orgueil ; sachez que vous valez

mieux qu'elles : Bisce sanctam superhiam ; scïta

te lilis majorem^. » Si l'humilité oiiré tienne nous

sied en tant que créatures, et surtout en tant

que péchetirs, il ne nous convient pas d'avoir,

touchant les <>hoses de la grâoe^ des pensées mé-

diocres ou de bas sentiments. Une sainte fierté

paraît ici tout à fait de mise, celle qui respecte

les dons de Dieu et refuse de déroger. Que des

hommes étrangers à notre foi réservent leuT

estime pour les biens et les avantages de l'ordre

naturel, qu'ils exalterst plus que de raison les

conquêtes de la science , cela se conçoit ; car-

« l'homme animal, suivant d'énergique expres-

sion de saint Paul, ne connaît pas les choses qui

sont de l'Esprit de Dieu' m ; quant au dirétien.

 

 

 

I. S. Hieron., Epist. ix.

 

3. « Animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus^

Dei. » (I Cor., ii, i4.)

 

 

 

320 NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE

 

s'il ne le cède à personne dans l'estime et la cul-

ture des sciences naturelles et humaines — car

loin d'être une dépression de la nature, la grâce

en est, au contraire, la plus splendide exaltation,

— il fait par ailleurs profession de croire à une

science plus haute et plus nécessaire, la science

du salut.

 

Aussi écoutez avec quels nohles accents saint

Cyprien répond à tous ces preneurs de la nature

qui ont sans cesse à la bouche les grands mots

de progrès, de civilisation, de découvertes mo-

dernes, et qui, non contents de s'extasier eux-

mêmes devant ce qu'ils appellent les chefs-d'œu-

vre de la pensée et les conquêtes de la science,

semblent vouloir imposer leur admiration aux

autres : « Jamais il n'admirera les œuvres hu-

maines, celui qui se sait fils de Dieu. C'est dé-

choir du faîte de la grandeur que d'admirer

quelque chose après Dieu. Nanquam humana

opéra mirabitur, quisqais se cognoverit filium Dei.

Dejicit se de culmine generosiialis, qui admirari

aliquid post Dominum prAest^. >^

 

Et pour exciter le chrétien à repousser coura>

geusement la tentation, l'illustre évêque de Car-

thage ne trouve pas de motif plus puissant que

celui de sa filiation divine. « Lors donc que la

chair te sollicite à des plaisirs honteux, réponds :

Je suis fils de Dieu, appelé à de trop hautes

destinées pour me faire l'esclave de viles pas-

sions. Quand le monde te tente, réponds-lui : Je

suis fils de Dieu ; des richesses célestes me sont

 

 

 

1. S. Cyp., lih. de Spectac., n. ix.

 

 

 

GRANDEUR ET DIGNITE DU CHRÉTIEN 321

 

réservées, il est indigne de moi que je m'attache

à une motte de terre. Quand le démon cherche

à t'attaquer et te promet des honneurs, dis-lui :

Je suis fils de Dieu, né pour un royaume éter-

nel ; retire-toi, Satan. — Ne déchois jamais des

hautes pensées qui siéent à des enfants de

Dieu*. » — « chrétien, ajoute saint Léon, re-

connais ta dignité et, devenu participant de la

nature divine, ne va pas retourner par une con-

duite indigne de ta céleste origine à ton ancienne

bassesse*. »

 

 

 

1. « Cum ergo te sollicitât caro ad turpia, responde :

Filius Dei sum ; ad majora natus sum, quam ut me ventris

mancipium effîciam. Cum te mundus tentât, responde :

Filius Dei sum, cœlestibus opibus destinatus ; indignum est

ut terrœ punctum consecter. Cum te dœmon invadit, cura

honores promittit, responde : Dei filius sum regno aeterno

natus ; vade rétro, Satana. Noli ergo degenerare a praecel-

sis flliorum Dei cogitationibus. »

 

2. « Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, et divinae

consors factus naturœ, noli in veterem vilitatem degeneri

conversatioae redire. » (S. Léo, serm. i de Nativ, Do-

mini.)

 

 

 

AB. tAIRT-ISPRIT.

 

 

 

CHAPITRE IV

 

Droit à l'héritage céleste, conséquence

de notre adoption. — Quel est cet

héritage?

 

 

 

I

 

 

 

La grâce, qui fait de nous des enfants de Dieu,

nous constitue pareillement ses héritiers- : Si JîliU

et hœredes. C'est le raisonnement de FApdtre»

c'est la conséquence nécessaire de notre adop-

tion. Il n'y a pas, en effet, il ne peut pas y

avoir d'adoption véritable sans un droit conféré

au fils adoptif sur l'héritage de l'adoptant.

 

D'ordinaire, il est vrai, ce n'est qu'à défaut de

fils légitime et seulement à la mort du testateur,

qu'un étranger est appelé à recueillir sa succes-

sion en qualité de fils adoptif. Or, Dieu ne

meurt pas, et il possède un Fils unique qui est

son légataire universel', un Fils auquel il a tout

remise, auquel tout appartient au ciel et sur la

terre 3. Mais, observe saint Augustin, « si grande

 

 

 

1. « Quem constituit hœredem universorum. » (Hebr.,

 

1,2.)

 

2. « Omnia mihi tradita sunt a Pâtre meo. » (Matlh., xi»

 

37.)

 

3. « Omnia quaecumque habet Pater, mea sunt. » (Joan..

 

xvi, i5.)

 

 

 

QUEI. EST CET HERITAGE? 323

 

est la charité de cet héritier, qu'il a voulu avoir

des cohéritiers. Quel homme avare voudrait avoir

des cohéritiers? Si par hasard il s'en trouvait

un, il devrait partager l'héritage et se trouverait

par là moins riche que s'il l'avait gardé intégra-

lement pour lui. Rien à craindre de semblable

par rapport à Théritage pour lequel nous som-

mes cohéritiers du Christ ; il ne diminue point

avec la multitude des copartageants , il n'est

point amoindri en proportion du nombre des

héritiers ; mais il est aussi considérable pour

beaucoup que pour un petit nombre, pour

chacun en particulier que pour tous ensem-

ble i. »

 

Il n'en est pas effectivement des biens spiri-

tuels comme des biens matériels. Ceux-ci ne

pouvant appartenir intégralement à plusieurs à

la fois, leur possesseur ne saurait, sans se dé-

pouiller lui-même de tout ce qu'il donne, appe-

ler quelqu'un à partager avec lui son patrimoine.

Les biens spirituels, au contraire, peuvent être

possédés simultanément par plusieurs. Est-ce

que le docteur se dépouille et se prive de la

science qu'il a acquise, quand il la communique

à la foule des disciples qui se pressent autour de

 

 

 

i . « Tanta charitas est in illo haerede, ut voluerît habere

cohaeredes. Quis hoc avarus homo velit, habere cohsere-

4es ? Sed et qui invenifur velle, di\idet cum eis haeredita-

tem, minus habens ipse dividens quam si solus possideret.

Haereditas autera in gua cohaeredes Ghristi sumus, non

minuitur copia possessorum, nec fit angustior numerosi-

tate hœredum; sed tanta est multis quanta paucis, tanta

«ngulis quanta omnibus. « (S. Aug., in Ps. xux, n. 2.)

 

 

 

324 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

sa chaire? Le Christ peut donc, sans crainte de

s'appauvrir lui-même, et sans aucun détriment

pour le Père céleste toujours vivant, nous appe-

ler à recueillir avec lui l'héritage de notre com-

mun Père'.

 

Quel est cet héritage? Suivant la judicieuse

observation du Docteur angélique, l'héritage de

quelqu'un, c'est ce qui constitue sa fortune ou

sa richesse : Hoc autem dicitar hœr éditas alicajus,

ex quo ipse est dives^.

 

Il ne suffît donc pas, pour mériter ajuste titre

le nom d'héritier, de recevoir un legs quelconque,

un cadeau même important, c'est la majeure

partie sinon la totalité de l'avoir du testateur,

c'est-à-dire ce qui constitue substantiellement sa

richesse qu'il faut être appelé à recueillir*. Or la

richesse de Dieu ne consiste pas, comme celle de

l'homme, dans les biens extérieurs : l'or, l'ar-

 

 

 

1 . « Bona spiritualia possunt sîmul a pluribus possîderi,

non autem bona corporalia ; et ideo haereditatem corpora-

lem nullus potest percipere nisi succedens decedenti : haere-

ditatem autem spiritualem simul omnes ex integro acci-

piunt sine detrimento patris semper viventis. » (S. Th., III,

q. xxm, a. i, ad 3.)

 

2. S. Th., III, q. xxiii, a. i.

 

3. « Dicitur aliquis haeres alicujus existera qui principa-

lia ejus bona percipit seu adipiscitur, non autem qui ali-

qua munuscula recipit ; sicut legitur (Gen., xxv, 5) : Qaod

Abraham dédit cancta quœ possedit, Isaac ; filiis autem conçu-

binarum largitus est munera. Bonum autem principale quo

Deus dives est, est ipsemet : est enim dives per seipsum,

et non per aliquid aliud : quia extrinsecorum bonorum non

indiget, ut dicitur in Ps. xv. Unde ipsum Deum adipis-

cuntur ûlii Del pro hœreditate. » (S. Th., in Rom., vni. 17,

lect. 3.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 325

 

gent, les produits de la terre, les champs, les

édifices. Tout cela lui appartient n anifestement,

car il n'est rien dans l'univers créé qui échappe

à sa souveraineté : la terre, dans toute son éten-

due, est à lui : Domini est terra et plenitudo ejus^;

la mer et tout ce qu'elle renferme est sa pro-

priété, car c'est lui qui a tout fait : Ipsius est mare

et ipse fecit illud^. Mais tous ces biens matériels,

si ardemment convoités par la créature, parce

qu'elle y trouve le moyen de pourvoir à ses be-

soins, de satisfaire ses plaisirs, de combler son

indigence, ne sauraient être considérés comme la

fortune da Créateur. Aussi les abandonne-t-il indis-

tinctement aux bons et aux méchants, souvent

même les pécheurs semblent favorisés sur ce point.

Quant à ses biens proprement dits, ils sont l'apa-

nage exclusif des enfants d'adoption , et l'on

peut appliquer ici la parole de l'Ecriture :

« Chassez l'esclave et son fils ; car le fils de la

servante ne sera point héritier avec celui de la

femme libre : Ejice ancillam et Jilium ejus :

non enim hœres erit Jilius ancillœ cum Jilio libe-

rœ\ » Les biens de Dieu, sa richesse, c'est lui-

même, c'est sa propre perfection; étant le bien

infini, principe et exemplaire de tout bien, il se

suffit pleinement et trouve dans la possession et

la jouissance de lui-même sa parfaite félicité : In

se et ex se beatissimus*.

 

 

 

1. P8. xxm, I,

 

2. Ps. XCIV., 5.

 

3. Gai., IV, 3o.

 

i. Ex Conc. Vatic, Const. Deî Filias, cap. i,

 

 

 

326 DROIT A l'héritage CELESTE

 

Mais, dans sa bonté infinie, il n'a pas voulu

être seul à jouir de son bonheur; et sans autre

intérêt que celui de faire des heureux, il a daigné

appeler les créatures raisonnables à partager ces

biens divins qui surpassent absolument tout ce

que Fintelligence humaine et même angélique

3st capable de concevoir ; car « l'œil de l'homme

n'a point vu, son oreille n'a point entendu, son

cœur n'a pu même pressentir ce que Dieu tient

«n réserve pour ceux qui l'aiment ^ )). En nous

appelant à l'ordre surnaturel, il nous offre et

nous confère les moyens de parvenir à cette béati-

tude ; en nous adoptant par la grâce, il nous y

donne un véritable droit.

 

Ainsi donc la vision de la beauté infinie,

l'amour et la jouissance du souverain bien, la

participation du bonheur même de Dieu, voilà

l'héritage souverainement précieux, le patri-

moine incomparable qui est destiné à ses enfants

adoptifs2. Gomment ne pas chanter avec le Psal-

miste : a L'héritage qui m'est échu est vraiment

magnifique ; splendide et enivrante est la part

qui me revient : Fanes ceciderant mihi in prœcla-

 

 

 

1. « Oculus non vidît, nec auris audivît, necin cor homi-

riris ascendit, quae prseparavit Deus iis qui diligunt illum. »

(I Cor., n, 9.)

 

2. « Ad participationem bonorum suorum creaturas

admittit (Deus), et praecipue rationales creaturas, quae in

quantum sunt ad imaginem Dei factae, sunt capaces beati-

tudinis divinae : quaB quidem consistit in fruilione Dei,

per quam ipse Deus beatus est, et per seipsum dives,

in quantum scilicet seipso fruitur. » (S. Th., III, q. xxiii,

a. I.)

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 33 ^T

 

riSr eterdm hœreditas mea prœclara est mihi. Le

Seigneur lui-même doit être mon partage : Domir-

nus pars hœrediiatis meœ, et calicis mei. Aussi mont

cœur est dans l'allégresse, et ma langue tres-

saille; ma chair elle-même reposera en paix, car

vous ne m'abandonnerez pas dans le tombeau,

et vous ne laisserez pas voire saint la proie per-

pétuelle de la corruption. Vous m'avez fait con-

naître les voies de la vie, a^ous me re-nplirez d&

joie en me montrant votre visage, et mes déli-^

ces n'auront point de fin^. » — « Qu'y a-t-îB

pour moi au ciel, et que désiré-je sur la terre,,

sinon vous, o Dieu de mon cœur et mon partage

pour réternité? Mon cœur et ma chair défaillent.

dans cette attente *. »

 

 

 

II

 

 

 

Que Fapôtre saint Paul avait donc raison de

nous parler « des richesses de gloire qui forment

l'héritage des saints ! Divitiœ gloriœ hœrediia-

tis ejus in sanctis^. » Les richesses de notre héri-

 

 

 

1. « Propter hoc laetatum lest cor meum, et exsultavit

lingua mea : insuper et caro mea requiescet in spe. Quo-

nîam non derelînques animam meam in înferno : nec

dabts sanctum tuum videre corruptionem. Notas mihi

fecisti vias vitae, adimplebis me laetitia cum vultu tuo :

delectationes in dextera tua usque in finem. » (Ps. xv,

5-II.)

 

2. « Quid mihi est in cœlo, et a te quM Tohii super

terram? Defecit caro mea, et cor meum : Deiis cordis

mei, et pars mea Deus in aeternum. » (Ps. VLiii, 25-26.)

 

8. Ephes., 1, 18.

 

 

 

328 DROIT A l'héritage CELESTE

 

lage ! Qui pourrait en concevoir l'étendue, puis-

que ce sont les biens mêmes de Dieu qui nous

sont réservés? Credo videre bona Domini in terra

viventiumK

 

Moïse, à qui le Seigneur parlait jadis comme

à un ami, formula un jour dans un élan de

confiance la prière suivante : « Mon Dieu, si j'ai

trouvé grâce en votre présence, montrez-moi

votre face, afin que je vous connaisse : Si ego in-

veni gratiam in conspectu tuo, ostende mihi faciem

tuant, ut sciam te... Moutrez-moi votre gloire :

Ostende mihi gloriam iuam. » Et le Seigneur, exau-

çant en partie sa requête, lui répondit : « Je te

montrerai tout bien : Ego ostendani omne bonum

tibi. Cependant tu ne pourras pas contempler

mon visage, car nul ne peut me voir dans cette

vie mortelle. Mais tu te tiendras sur le rocher, et

lorsque ma gloire passera , je te couvrirai

de ma main jusqu'à ce que je sois passé.

J'ôterai ensuite ma main et tu me verras par der-

rière; mais, quant à mon visage, tu ne pourras

le voir 2. »

 

Eh bien, ce Dieu que Moïse désirait si ardem-

ment de pouvoir contempler, ce Dieu naturelle-

ment invisible, « qui habite une lumière inacces-

sible, que nul n'a vu, que nul ne peut voir sans

la lumière de gloire ^ », doit se montrer un jour

à découvert ; car c'est dans cette connaissance,

 

 

 

1. Pi. xxTi, i3.

 

s. Exod., xxxiii, i3-a3.

 

3. « Qui lucem inhabitat inaccessîbilem, quem nullus

hominum vidit, sed nec videre potest. » (I Tim., vi, i6.)

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? SsQ

 

dans cette vision, que consiste la vie éternelle

promise à nos mérites : Hœc est vita œterna : ut

cognoscant te solum Deum verum et quem misisti

Jesum Chrisium^.

 

Un jour les élus verront le Roi éternel des

siècles dans tout l'éclat de sa gloire et de sa

majesté : Regem in décore suo videbant^\ ils le

verront, non plus seulement par reflet, dans le

miroir des créatures, per spéculum; non plus au

travers d'un voile et dans l'obscurité de la foi, in

œnigmate; non plus par derrière comme Moïse,

mais face à Î3Lce,facie adfaciem, directement, im-

médiatement, tel qu'il est, sicuti est, comme il

se voit et se connaît lui-même, cognoscam sicul

et cognitus sum^; ils contempleront éternelle-

ment d'un regard toujours avide quoique perpé-

tuellement rassasié cette beauté infinie, source

féconde, idéal souverainement parfait de toute

beauté, de toute bonté, de toute perfection. Et

comme Dieu est un bien infini, le bien universel,

honum universale^, suivant l'expression de saint

Thomas, le bien de tout bien, honum omnis boni^,

l'océan, la plénitude de la bonté, en se faisant

voir aux bienheureux, il leur montrera vérita-

blement tout bien : Ego ostendam omne honum

tibi^.

 

 

 

I. Joan., XVII, 3.

 

a. Is., XXXIII, 17.

 

3. I Cor., XIII, la.

 

4. S. Th., MI", q. n, a. 8.

 

5. S. Aug., de Trin., 1. VIII, cap. S.

 

6. Exod., XXXIII, 19.

 

 

 

33o DROIT A l'héritage gklestb

 

Si les Apôtres, admis sur le Thabor à voir la

-gloire de la sainte âme de Notre-Seigneur rayon-

naût à travers son corps mortel, s'écriaient, dans

un saint transport mêlé de crainte et d'allégresse

et sans savoir ce qu'ils disaient * : « Seigneur, il

fait bon ici : Domine, bonum est nos hic esse * » ;

que sera-ce quand, fortifié par la lumière de

g-loire, notre esprit pourra contempler à loisir

non seulement l'Humanité transfigurée du Verbe

liait chair, mais la Divinité elle-même dans toute

sa splendeur; quand, embrassant d'un seul coup

d'oeil toutes et chacune des perfections divines

que nous sommes obligés maintenant d'étudier

séparément pour les mieux connaître, il les verra

se fondre dans une simple €t unique perfection

infinie : spectacle enivrant et vraiment ineffable,

dont rien ici-bas ne peut nous donner une idée ?

Que sera-ce quand son regard, devenu plus

ferme et plus perçant que celui de l'aigle, pourra

scruter les mystères de la vie intime de Dieu,

sonder les abîmes de sa sagesse et de sa justice,

considérer les richesses incompréhensibles de

son amour, les excès de sa miséricorde, la pro-

fondeur de ses décrets, les naerveilleuses opéra-

tions de sa grâce, les voies secrètes et admira-

bles par lesquelles il conduit chacun de nous au

terme de sa destinée?

 

Là, notre intelligence, si avide de savoir, si

affamée de vérité, trouvera dans la claire vue du

 

 

 

I. « Non enim sciebat quid diceret; erant enim timoré

-3xterriti. » (Marc, ix, 5.)

a. Matth., xvii, 4.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 35t

 

Verbe son plein rassasiement : Satiahor cttm ap-

paruerit gloria tua^ \ car le Verbe, c'est la vérité,

non la vérité amoindrie, partielle, fragmentaire,

mais la vérité pleine, totale, substantielle. Et,

comme le remarque saint Grégoire : a Que peut-

on ignorer quand on connaît celui qui sait tout,

qui a tout fait, par qui tout existe? Quid est quod

ihi nesciant, abi scientem omnia sciant*? » Là,

notre volonté, que rien ici-bas ne peut satisfaire,

lors même que nous réaliserions l'irréalisable

conquête du monde entier, trouA'era dans la pos

session du souverain bien la plus entière satis-

faction de tous ses désirs : Qui replet in bonis

desiderium tuum '. Là, notre cœur, toujours in-

quiet durant cette vie, parce qu'en nous faisant

pour lui-même et en nous créant capables de

le posséder, Dieu y a creusé des abîmes que

lui seul peut combler, trouvera son parfaii-

repos *.

 

 

 

111

 

 

 

Tenterons-nous de faire connaître plus à fond'

l'héritage des enfants de Dieu? Mais il faudrait

pour cela dire ce qu'est le ciel. Or, n'y aurait-il

pas témérité de notre part à vouloir décrire ce

que l'apôtre saint Paul lui-même, quoique élevé

 

 

 

I. Ps. XYI, l5.

 

a. S. Greg. M., Dial, 1. iv, n. a4.

S. Pg. en, 5.

 

4. « Capacem Del, quidquid Deo minus est, non împle-

bit. » (S. Bern.)

 

 

 

332 DROIT A l'héritage CELESTE

 

au troisième cieP, se déclare impuissant à expri-

mer? Assurément, ce serait une intolérable pré-

somption, si, pour parler d'une chose si fort au-

dessus de nos conceptions, nous en étions réduits

à nos seules lumières. Mais « l'Esprit-Saint, qui

scrute tout, même les profondeurs de Dieu^ », a

daigné nous fournir sur ce point des données

précieuses, qu'il importe de ne pas laisser dans

l'ombre.

 

Afin de nous aider à concevoir quelque peu

les ineffables délices du ciel, il nous l'a repré-

senté sous des noms multiples et des figures

variées : tantôt comme un royaume, tantôt

comme la maison du Père céleste et la vraie

patrie des âmes. Ici, c'est un banquet, un festin

de noces ; là un torrent de délices ; puis, c'est le

repos, la paix, la vie, la vie sans terme et sans

limite, la vie éternelle. Parcourons brièvement

ces diverses appellations, pour essayer d'en péné-

trer quelque peu la profonde signification.

 

Et d'abord, le ciel nous est représenté sous le

nom et la figure d'un royaume, le royaume de

Dieu promis à ceux qui l'aiment s. « Venez, dira

un jour Notre-Seigneur aux élus, venez, les bénis

de mon Père, prenez possession du royaume qui

vous a été préparé dès le commencement du

monde : Venite benedicti Patris mei, possidete para-

tum vobis regnam a consiituiione mandi^. »

 

 

 

1. n Cor., xn, a.

 

2. I Cor., II, 10.

 

3. « Haeredes regni quod repromisit diligentibus

f.Iac., II, 5.)

 

't. Matth.. XXV, 34.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 333

 

Qui dit royaume, dit richesses, puissance,

honneurs, gloire, affluence de tous les biens. Or,

tel est précisément le ciel, cette demeure opu-

lente, habitationem opulentam^, comme parle le

prophète, oii se trouvent réunis tous les biens

désirables du corps et de l'esprit, a Quelle féli-

cité, s'écrie saint Augustin, quand, tout mal ces-

sant, tout t)ien sortant de l'obscurité, on ne se

livrera plus qu'aux louanges de Dieu, qui sera

tout en tous!... C'est là que résidera la vraie

gloire, qui ne sera donnée ni par l'erreur, ni

par la flatterie. Là, le véritable honneur, qui ne

sera refusé à qui le mérite, ni déféré à Tindigne;

et il ne saurait y avoir de candidat indigne, là

où nul ne saurait être, s'il n'est digne. Là enfin,

la véritable paix, où l'on ne souffrira rien de con-

traire ni de soi ni des autres. L'auteur même de

la vertu en sera la récompense, et cette récom-

pense qu'il lui a promise, la plus grande et la

meilleure de toutes, c'est lui-même. Et quel autre

sens, en effet, peut avoir cette parole du pro-

phète : Je serai leur Dieu, et ils seront mon

peuple, sinon je serai ce dont ils pourront se ras-

sasier; je serai tout ce que les hommes peuvent

légitimement espérer : vie, santé, nourriture,

abondance et gloire, honneur et paix, tous biens

en un mot ! Et tel est le sens véritable de ce

mot de l'Apôtre : Afin que Dieu soit tout en

tous'^, »

 

 

 

1. Is., xxxm, 20.

 

2. « Quanta erit îlla félicitas, ubi nullum erit malum»

niillum latebit bonum, vacabitur Dei laudibus, qui erit

 

 

 

334 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

Si déjà dans cette vallée de larmes et pour

l'usage commun des bons et des méchants Dieu

fait non seulement luire son soleil, mais produit

des oeuvres^ vraiment admirables, semant avec

une sorte de profusion les fleurs et les fruits,

donnant aux vallées leur fraîcheur, aux plaines

leur fécondité, leur majesté aurx montagnes, aux

cieux leur harmonie, quelles merveilles tient-il

donc en réserve pour le paradis, puisque, au dire

du prophète, c'est là seulement qu'il est vrai-

ment magnifique? Solummodo ibi magniflcus est

Dominas^.

 

Si, dans l'ordre purement naturel, il se mon-

tre si large et si libéral, ouvrant sa main pour

emplir de ses bienfaits tout être vivant 2, que ne

fera-t-il pas, au grand jour des rétributions, en

 

 

 

omnia in omnibus... Vera îbî glofîâ efît, ubî laudantîs nec

errore quisquam, nec adulatione laudabitur. Verus honor,

qui nulli negabitur digno, nuUi deferetur Indigno : sed nec

ad eum ambiet uUus indignus, ubi nullus permittetup esse

nisi dignus. Vera pax, ubi nihil adversi, nec a seipso, nec

ab alio quisquam patietur. Praemiuni virtutis erit ipse qui

virtutem dédît, eique se Ipsum, quo melius et majus nihil

possit esse, promisit. Quid est enim alîud quod per Pro-

phetam dixit (Levit., xxti, 12) ; Ero illoram Deus, et ipsi

erunt mihi plebs , nisi : Ego ero unde satientur f ego ero

quaecumque ab hominibus honeste desiderantur, et vita,

et salas, et \ictus, et copia, et gloria, et honor, et pax, et

omnia bona? Sic enim et illud recte intelligitur, quod ait

Apostolus (I Cor., xv, 28) : Ut sit Deus omnia in omnibus. »

(S. Aug., De Civit. Dei, 1. XXII, cap. xxx, n. i, trad. Mo-

reau.)

 

I. Is., ixxni, ai.

 

?. « Ape^ tu mdfnini' tfiatt, et bnptés ottne atiimal be»

nedictione. » (?», cxuv, 16.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 335

 

faveur de ceux qui l'auront fidèlement servi et

persévéramment aimé ici-bas, de ces fils très

chers qui, après aAoir été humiliés, méprisés,

persécutés à cause de sou nom, se présenteront

enfin devant lui, les mains pleines de bonnes

œuvres, pour recevoir leur récompense ? Avec

quelle tendresse il les accueillera, les comblant

de caresses et de témoignages d'amour ! Avec

quelle joie il les introduira dans son royaume, et

les fera asseoir près de lui «ur des trônes où ils

régneront éternellement ! Et regnabunt in sœcula

sœculoram ' .

 

Qu'est-ce encore que le ciel? C'est Idi patrie, la

maison de famille, le rendez-vous de tous les

enfants de Dieu !

 

La patrie ! Quel doux nom ! quelle plus douce

chose I Comme son souvenir fait battre le cœur I

Comme on est heureux d'y revenir après une

^absence plus ou moins longue ! C'est là que se

trouve tout ce qu'on a aimé, tout ce qu'on aime

encore : parents, amis, connaissances, le toit pa-

ternel, la cendre des aïeux. Là, l'air est plus

pur, le soleil plus joyeux, la campagne plus

jiante, les fleurs plus belles, les fruits plus sa-

voureux. Là, au lieu d'être seul, inconnu, ou-

blié, on se voit entouré, on se sent aimé, on est

heureux.

 

Et pourtant, t;e que nous appelons présente-

ment notre patrie, n'est en réalité qu'un lieu de

passage; c'est l'hôtellerie où l'on va demander

mm gîte pour la nuit et que l'on abandonne le

 

 

 

I. Apoc, XXII, 5.

 

 

 

336 DROIT A l'héritage céleste

 

lendemain; c'est la tente du nomade, qui se

dresse le soir pour être repliée au matin. La pa-

trie véritable, c'est celle que les anciens patriar-

ches considéraient et saluaient de loin et qu'ils

faisaient profession de chercher , s'appelant

volontiers des exilés et des voyageurs' ; celle

après laquelle nous devons soupirer nous-mêmes,

car nous n'avons pas ici-bas de demeure perma-

nente : Non habemus hic manentem civitatem, sed

fuiuram inquirimus^', a c'est la cité du Dieu

vivant, la Jérusalem céleste, l'innombrable so-

ciété des anges, l'assemblée des premiers-nés

dont le nom est inscrit au livre de vie ' » . Quelle

incomparable famille ! quelle délicieuse société I

Là, nous trouverons l'aine de notre race, celui

qui a daigné nous adopter pour ses frères, et nous

appeler à partager avec lui son héritage, Notre-

Seigneur Jésus-Christ, dont les anges ne se las-

sent pas do contempler la beauté : In quem desi-

derant Angeli prospicere^. Nous pourrons, nous

aussi, considérer à loisir cette face adorable em-

preinte d'une si douce majesté, reposer notre tête

sur ce Cœur qui nous a tant aimés, coller nos

lèvres émues sur ces plaies trois fois saintes que

 

 

 

1. « A. longe aspicientes... et confltentes quia peregrini et

hospites sunt super terram. Qui enim haec dicunt, signiû-

cant se patriam inquirere. » (Hebr., xi, i3-i4.)

 

2. Hebr., xiii, i4.

 

3. « Accessistis ad Sion montem, et civilatem Dei viventîs^

Jérusalem cœlestem, et multorum millium Angelorum

frequentiam, et ecclesiam primitivorum, qui conscripti

sunt in cœlis. » (Hebr., xn, aa-a3./

 

4. I Petr., I, la.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE 7 ZZ'J

 

nos péchés ont creusées dans les mains et les

pieds du Sauveur. Gomme les apôtres sur le

Thabor, nous entendrons le divin Maître nous

redire les excès auxquels il s*est livré pour

nous* : excès d'humiliations et de souffrances,

endurés pour notre salut pendant sa sainte pas-

sion, ou plutôt pendant sa vie tout entière ; excès

de miséricorde, pour pardonner des fautes sans

cesse renaissantes ; excès de charité, que rien n'a

pu lasser : ni oublis, ni ingratitudes, ni trahi-

sons. Et notre âme se fondra de reconnaissance

et d'amour en entendant ce très doux Sauveur

nous faire le récit des merveilles opérées en

notre faveur, nous raconter les saintes indus-

tries de sa tendresse pour nous ramener à lui et

nous conserver dans l'état de grâce.

 

Là, nous verrons, nous aimerons, nous béni-

rons la très douce, très pure, très sainte Mère

de Dieu, la bienheureuse Vierge Marie, cette gra-

cieuse souveraine dont la beauté virginale ravira

les saints, cette mère très aimante et si digne

d'être aimée, dont la tendresse se traduira par

des témoignages capables d'enivrer le cœur de

ses enfants.

 

Là, nous jouirons de la société des anges,

contemplant d'un œil ravi ces hiérarchies céles-

tes qui forment un monde infiniment supérieur

en nombre et en beauté au monde matériel et

sensible.

 

Là enfin, tout ce qu'il y a eu sur la terre de

grandes âmes, d'âmes saintes, d'âmes virginales,

 

 

 

1. « Dicebant excessum ejus. » (Luc, ix, 3i.)

 

HAB. SAINT-KIPRIT. — 33

 

 

 

3.58 DROIT A l'héritage céleste

 

d'ârabs héroïques, sera notre société. Les patriar-

ches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les

confesseurs, les vierges, ne formeront plus qu'une

immense famille, dont tous les membres s'aime-

ront, se féliciteront mutuellement de leur bon-

heur, jouiront ensemble. Et point de voix discor-

dante, point de procédés pénibles ou indélicats,

point de spectacle attristant; une joie toujours

jeune, une allégresse que rien ne trouble, des

cantiques sans fin. Les pécheurs, les indignes

sont bannis de ce royaume, oii l'on ne voit que

des saints, louant d'une commune voix leur Créa-

teur et leur Rédempteur. beau ciel, éternelle

patrie, quand pourrons-nous te voir? On nous

raconte de toi des choses si glorieuses et si

belles I Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei^.

 

 

 

ly

 

 

 

Mais qu'est-ce encore que le ciel? C'est un

hanquet, un festin, donné par le Père de famille

à l'immense multitude de ses enfants réunis au-

tour de lui.

 

« T^'avez vous jamais réfléchi à l'importance

que les hommes ont toujours attachée aux repas

pris en commun?... Point de traités, point d'ac-

cords, point de fêtes, point de cérémonies d'au-

cune espèce sans repas... Les hommes n'ont pu

trouver de signe d'union et de joie plus expressif

 

 

 

I. Ps., LXXXT^, 3.

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 889

 

que de se rassembler pour prendre, ainsi rappro-

chés, une nourriture commune*. » Aussi, quand,

dans certaines circonstances solennelles, tous les

membres d'une même famille, convoqués au

foyer paternel, peuvent s'asseoir à la même table

et s'entretenir quelques instants ensemble, on

regarde ces réunions d'un jour comme une des

plus douces jouissances de la vie.

 

Et que se dit-on, que se eommunique-t-on mu-

tuellement dans ces sortes de rencontres? Ses

espérances et ses craintes, ses joies et ses peines,

ses peines surtout, car c'est là une plante qui

abonde sin* notre terre d'exil. Mais il est rare

qu'il ne se trouve pas là quelque membre de la

famille dont l'inconduite ou les malheurs font la

désolation des autres. Et puis, que de places

vides ! que d'absents qui ne paraîtront plus ï

Enfin, après de trop courtes heures d'un bon-

heur qui est loin d'être sans mélange, il faut se

séparer de nouveau. Là-haut, se fera la grande

réunion des enfants de Dieu. Nul des iuA^ités ne

manquera à Fappel, nul ne sera pour les autres

une source ou une occasion de tristesse, et la

perspective d'une prochaine séparation ne vien-

dra point assombrir la fête.

 

Mais de tous les festins, ïe plus splendide, le

plus solennel, et en même temps le plus joyeux,

c'est celui des noces. Or la béatitude céleste,

c^est le festin des noces de TAgneau. « Bienheu-

reux, est-îl dit dans FApocalypse,. ceux qui ont

 

 

 

r. De MAr^TR», Soirées de Saint-Pétersbourg, i(j« entre-

tien.

 

 

 

3^0 DROIT A l'héritage CELESTE

 

été invités au festin nuptial de l'Agneau : Beati

qui ad cœnam naptiarum Agni vocati sunt ^

 

Déjà, sur cette terre, Notre-Seigneur a dressé

pour ses fidèles une table somptueuse, la table

eucharistique, où il sert un pain vivant et vivi-

fiant, descendu des cieux et souverainement

délectable 2 ; mais s'il daigne se donner à nous

présentement, ce n'est que d'une manière impar-

faite; s'il se fait l'aliment de nos âmes, il ne les

rassasie cependant pas pleinement : Hic pascis,

sed non in saturitate^. « Je possède le Verbe, dit

saint Bernard, mais dans la chair; la vérité m'est

servie, mais dans le sacrement. Pendant que

l'ange se nourrit de la fleur du froment, je dois

me contenter présentement de l'écorce du sacre-

ment, du son de la chair, de la paille de la

lettre, du voile delà foi ^. »

 

Voilà pourquoi, avant de monter au cieî, le

Sauveur annonçait à ses apôtres qu'il allait leur

préparer un autre banquet dans son royaume,

011 il les inviterait à sa table ^. Inutile de faire

observer que le divin Maître n'entendait point

 

 

 

I. Apocal,, XIX, 9.

 

3. « Ego sum panis vivus, qui de caelo descendi. » (Joan.,

VI, 4i.)

 

3. S. Bern., in Cant., serm. xxxiii, n. 7.

 

4. « Habeo et ego Verbum, sed in carne; et mihi apponi-

tur Veritas, sed in sacramento. Angélus ex adipe frumenti

saginatur, et nudo saturatur grano ; me oportet intérim

quodam sacramenti cortice esse contentum, carnis furfure,

litterae palea, velamine fidei. » (S. Bern., ibid., n. 3.)

 

5. « Et ego dispono vobis, sicut disposuit mihi Pater

mtus, regnum, ut edatis et bibatis super mensam njeam

In regno meo. » (Luc, xxn, ag-So.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 34 1

 

parler de mets grossiers destinés à rentretien de

la vie corporelle; car dans le ciel nos corps

n'auront plus besoin de nourriture. Lors donc

qu'on dit des élus qu'ils mangent et boivent à la

table de Dieu, c'est pour signifier qu'ils jouissent

de la félicité même de Dieu, le voyant comme

il se voit lui-même 1. Voilà le grand banquet de

Dieu, auquel tous les élus sont invités. Venite, et

congregamini ad cœnam magnam Dei^. Là, ce ne

sera plus la chair et le sang du Christ qui nous

seront donnés en nourriture, mais la Divinité

elle-même se fera notre aliment. Quelle fête que

de voir Dieu, d'être avec Dieu, de vivre de Dieu^I

C'est alors que se consommera l'union très sainte

commencée ici-bas par la grâce entre Dieu et

les âmes; car le possédant parfaitement en tant

que vérité plénière et bien souverain, elles s'uni-

ront à lui d'une manière ineffable et jouiront

pour toujours de ses chastes embrassements.

 

« Bienheureux donc ceux qui sont invités aux

noces de l'Agneau : Beati, qui ad cœnam nuptia-

rum Agni vocati sunt^, » A tous, l'Epoux céleste

dira : « Mangez, mes amis, et buvez : buvez à

longs traits le vin de la sainte charité, et enivrez-

vous, mes très chers : Comedite, amicU et bibite,

 

 

 

I. « Super mensam Dei manducant et bibunt, quia

eadem felicitate fruuntur qua Deus felix est, videntes eum

illo modo quo ipse videt seipsum. » (S. Th., Contra Gent.,

1. m, cap. Li.)

 

a. Apocal., xix, 17.

 

3. « Praemium nostrum est videre Deum, esse cum Deo,

îvere de Deo. » (S. Bern.)

 

4. Apocal., XIX, 9.

 

 

 

3^2 DROIT A l'héritage CÉLESTE

 

et inebriamini, chartssimi^. » Il n'en est pas de la

béatitude comme d'nne lîgneur précieuse conte-

nue dans un vase et s'épuîsant rapidement; c'est

un fleuve inépuisable et qui ne tarit jamais,

c'est un torrent de délices, de gloire et de paix,

auquel les élus s'abreuveront éternellement jus-

qu'au plein rassasiement, jusqu'à l'ivresse. Ine-

briabuntur ab uhertate domus (uœ, et torrente volup-

tatis tuse potabis eos^. Et qu*on ne s'offense pas

de cette expression dictée par l'Esprit-Saint lui-

même. S'il est une ivresse honteuse et indigne

d'un être raisonnable, il en est ime autre légi-

time et sainte : il y a l'ivresse de la joie, l'ivresse

de l'amour. N'était-elle pas enivrée de l'amour

divin, cette bonne sainte Marie-Madeleine de

Pazzi, quand elle s'en allait jetant à tous les

échos de son monasfère ce cri passionné :

(( L'amour n'est pas connu, l'amour n'est pas

aimé » ? N'était-il pas, lui aussi, enivré de déli-

ces, l'illustre saint François Xavier, quand, au

milieu de ses labeurs apostoliques, écrasé pour

ainsi dire sous le poids des consolations célestes

qui inondaient son âme, il s'écriait : « Assez,

Seigneur, assez; épargnez mon pauvre cœur, je

n'en puis pas supporter davantage o ? Si, au sein

même de l'exil, l'homme est capable de goûter

de pareilles joies, que sera-ce dans la patrie?

 

 

 

I. Cant., V, I.

a. Ps., XXXV, 9.

 

 

 

43IJEL JEST CET HERITAGE? 343

 

 

 

Il est encore d'autres appellations riches de

promesses, pleines de mystères, qui achèveront

de nous édifier sur la grandeur de la félicité

future, et partant de l'héritage réservé aux

saints. Le ciel, c'est le repos, c'est la paix, c'est

la vie : le repos après le travail, la paix succé-

dant à la guerre, la vie sans fin. Qui n'aspire au

repos? qui ne souhaite la paix? qui ne désire la

vie? Mais le repos ne s'acquiert régulièrement

que par le travail; la guerre est souvent néces-

saire pour arriver à la paix; et l'apôtre saint

Paul nous invite « à porter constamment la mor-

tification de Jésus dans notre corps, si nous

voulons que la vie divine se manifeste dans

notre chair mortelle i ».

 

La vie présente est le temps du travail, des

labeurs féconds, de l'ensemencement spirituel 2.

Comme le laboureur obligé de porter le poids

du jour et de la chaleur, de subir les intempé-

ries des saisons, de fatiguer ses bras robustes à

déchirer le sein de la terre avant de lui confier

la semence, espoir de la future récolte, le chré-

 

 

 

1. « Semper mortifîeationem Jesu in corpore nostro cir-

cumferentes, ut et vita Jesu manifestetur in corporibus

nostris. » (Il Cor., iv, 10.)

 

a. « Quœ seminaverit homo, haec et metet. «(Gai., vi, 8.)

— « Qui parce seminat, parce et metet ; et qui seminat in

benedictionibus, de benedictionibus et metet. » (H Cor., ix»

6.)

 

 

 

344 DROIT A l'héritage CELESTE

 

tien doit, lui aussi, vaquer sans défaillance aux

œuvres qui constituent sa tâche de chaque jour;

il doit se livrer à la prière, se plier à l'obéis-

sance, courber ses épaules sous le joug de la

croix, supporter, sans se plaindre, les ennuis,

les tristesses, les tribulations qui sont le pain

quotidien de l'exil. Ajoutez à cela les privations,

les souffrances, la pauvreté, les contradictions,

les froissements douloureux, les ingratitudes,

tant de blessures secrètes du cœur, tant de dou-

leurs intimes d'autant plus amères et pénibles à

porter quelles sont souvent sans témoins et sans

consolateurs. Bref, suivant la parole de nos

saints Livres, le chrétien doit semer dans les lar-

mes : Euntes, ibant etflebant, mittentes semina sua^.

Et comme si tout cela n'était point assez pour

sa faiblesse , d'autres épreuves l'attendent

encore : c'est la maladie qui le guette, la mort

qui fauche impitoyablement autour de lui des

existences souvent bien chères ; c'est le spectacle

de l'injustice triomphante, la persécution organi-

sée contre quiconque veut être fidèle à son

devoir; ce sont les tentations qui l'assiègent, les

attaques incessantes des ennemis de son salut;

c'est le combat toujours renaissant contre les

mauvais instincts de la nature, la lutte de cha-

que jour contre ses passions ; combat si acharné,

lutte parfois si terrible, que le grand Apôtre lui-

même s'écriait : « Qui me délivrera de ce corps

de mort? Quis me liber abit de cor pore mortis

hajus^, »

 

 

 

I. Ps., cxxv, 6.

a. Rom., VII, a4.

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 3^5

 

Mais aussi quelle joie! quel bonheur! quels

transports d'allégresse! quand, délivrée de la

prison du corps, soustraite pour toujours aux

attaques de ses ennemis et pleinement purifiée,

son âme sera introduite dans le ciel et verra

Notre-Seigneur accourir à sa rencontre avec un

visage souriant et lui ouvrir ses bras ; quand elle

entendra tomber de ses lèvres ces consolantes

paroles : « Lève-toi, ma bien-aimée, viens sans

retard te reposer de tes fatigues. Surge, propera,

arnica mea... et veni. Déjà l'hiver, cette saison de

tristesse et de souffrance, est passé : Jam enim

hiems iransiit; le temps des larmes n'est plus, il

a fui pour toujours : imber ahiit et recessit. Les

fleurs, ces fleurs du ciel qui ne se fanent jamais,

se sont montrées dans notre terre : flores appa-

ruerunt in terra nostra. Plus douce que celle de

la tourterelle, la voix de Marie s'unissant à celle

des anges et des bienheureux va désormais ré-

sonner à ton oreille : vox turtaris audita est in

terra nostra^... Viens recevoir la couronne qui

t'est destinée : veni, coronaberis^. »

 

Alors, suivant la parole de nos saints Livres,

« Dieu lui-même essuiera toute larme sur le

visage des élus, et il n'y aura plus ni mort, ni

deuil, ni cri, ni douleur, car tout cela appartient

à un passé à jamais disparu. Absterget Deus

omnem lacrymam ab ocalis eorum; et mors ultra

non erit,^ neque luctus, neque clamor, neque dolor

erit ultra, quia prima abierunt^. » L'auteur sacré ne

 

 

 

I. Gant., II, lo-ia.

a. Gant., iv, 8.

3. À^pocal., XXI, 4.

 

 

 

346 DROIT À l'héritage céleste

 

dit pas simpïemenf que toute hrme sera s^chée,

ou que les élus essuieront eux-mêmes leur

visage; non, c'est Dieu, Dieu en personne, qui

se réserve cet office : Ahsterget Deus omnem la-

crymam. « C'est moi, dit-il ailleurs par son

prophète, c'est moi-même qui vous consolerai :

Ego, ego ipse consolahor vos^. Gomme une mère

qui caresse son enfant, je a^ous consolerai, et

vous serez consolés : Qaomodo si cui mater blan-

dîatur, ita ego consolahor vos, et in Jérusalem con-

solabiriini^ . » S'il est doux pour un malade de

sentir une main amie, la main d'une mère ou

d'une épouse, essuyer la sueur ou les larmes qui

inondent son visage, que sera-ce de sentir sur

son front la main d'un Dieu, main plus douce

et plus caressante mille fois que celle d'une

mère ?

 

Voilà ce qui soutient les justes au milieu de

leurs épreuves et les réconforte dans leurs afflic-

tions. Ils savent, à n'en pouvoir douter, que leurs

peines n'auront qu^un temps, tandis que la ré-

compense sera éternelle; et, en entendant l'Apô-

tre leur dire a qu'il n'y a aucune proportion

entre les souffrances de la vie présente et la

gloire future qui doit un jour leur être révélée^ »,

car « des tribulations légères et momentanées

opéreront en eux un poids immense et éternel

 

 

 

1. IS., LI, 13.

 

2. IS., LXVI, l3

 

3. « Existimo quod non sunt condignae passîones hujus

temporis ad futuram gloriam, quae revelabitur in nobis. »

(Rom., VIII, i8.)

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 347

 

de gloire! », ils se consolent dans cette espé-

rance; et, loin de se laisser abattre par les misè-

res de cette vie, ils s^en réjouissent plutôt, bien

convaincus que, s'ils souffrent ici-bas avec Jésus-

Christ, ils seront un jour associés à son triom-

plie *, et qu'après avoir été avec lui à la peine,

ils seront admis à partager son repos.

 

Mais quel sera ce repos? L'inaction? Timmo-

bilité? l'arrêt de la vie? un sommeil éternel?

Tîon, certes. Le repos qui nous est promis est

un repos animé, fécond, opulent, suivant la

parole du prophète : Sedebit popuîas meus... in

requie opalenta^. C'est un repos plein d'opéra-

tions merveilleuses, qu'aucune fatigue n'accom-

pagne, qu'aucune nécessité ne vient interrom-

pre, et qui procurent d'ineffables jouissances.

C'est l'activité généreuse, incessante, conti-

nuelle; l'activité, portée à sa plus haute puis-

sance, d'une âme arrivée à son terme et se repo-

sant en Dieu comme Dieu se repose en lui-même "i.

En cessant de créer. Dieu ne cesse pas d'agir^;

mais c'est au dedans principalement que se dé-

 

 

 

I. « Id cnîm qpuod in prœsenti est momentaneum et levt

tribulationis noslree, supra modum in sublimitate seternum

gloriae pondus operatur in nobis. » (II Cor., iv, 17.)

 

3. « Si tamen compatimur, ut et conglorifioemur. »

(Rom., vm, 17.)

 

3. Is., xxxn, 18.

 

4. « Relinquitur sabbatismus populo Dei. Qui enim in-

gressus est in requiem ejus, etiam ipse requievit ab operi-

bus suis, sicut a suis Deus. » (Hebr., iv, 9-10.)

 

5. « Pater meus usque modo operatur, et ego operor. »

(Joan., V, 17.)

 

 

 

348 DROIT A l'héritage CELESTE

 

ploie son activité : il se contemple, il s'aime, il

jouit de lui-même, il est heureux, il est la béati

tude subsistante. Or, dans le ciel, nous lui

serons semblables, le voyant et l'aimant comme

il se voit et s'aime lui-même, nous partagerons

sa félicité, nous vivrons de sa vie.

 

Et rien ne viendra troubler ou interrompre

notre contemplation : ni les occupations maté-

rielles qui absorbent une si grande partie de

notre existence terrestre, ni les œuvres de misé-

ricorde qui n'auront plus à s'exercer là où toute

misère est absente, ni la nécessité actuellement

si impérieuse du sommeil. Plus de combats au

dedans, plus de luttes au dehors contre les enne-

mis de notre salut; toutes nos frontières seront

désormais à l'abri de leurs incursions. La paix,

une paix glorieuse, une paix inaltérable, sera

désormais notre partage. Le peuple entier des

élus, n'ayant plus rien à craindre, se reposera,

suivant le mot du prophète, dans la beauté de

la paix. Sedebit popalus meus in pulchriiudine

pacis... et in requie opalenta ^ . Oh! le doux repos!

Oh ! les heureuses vacances, consacrées tout

entières au plus beau spectacle qui puisse être

offert à une créature raisonnable, puisqu'il cons-

titue le bonheur même de Dieu. Ibi vacabimus et

videbimus.

 

L'intelligence, la plus noble de nos facultés,

sera donc de la fête; mais le cœur y aura, lui

aussi, sa grande part, car la vision engendrera

 

 

 

I. Is., XXXII, il

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 3^9

 

l'amour. Videhimus et amabimus. C'est même

alors, et alors seulement, que le précepte de la

sainte charité sera accompli pleinement, car nous

aimerons Dieu de tout notre cœur, de toute notre

âme, de toutes nos forces, de tout notre esprit* ;

nous l'aimerons sans relâche, sans interruption,

sans défaillance, sans ces alternatives d'ardeur et

de refroidissement si humiliantes pour les âmes

saintes dont elles font la désolation ; nous l'aime-

rons, et l'amour débordant de notre cœur et

montant jusqu'à nos lèvres éclatera en actions

de grâces et en louanges : Amabimus et laudabi-

mus^. Au lieu de se traduire comme ici-bas par

des désirs'^, des gémissements^, des langueurs 5,

il s'épanchera sous forme de cantiques de joie

et de chants d'allégresse 6. « Bienheureux, dit le

Psalmiste, ceux qui habitent dans votre maison,

ô Seigneur, ils vous loueront dans les siècles

des siècles : Beati qui habitant in domo tua, Do-

mine : in sœcula sœculorum laudabunt te'^, »

 

 

 

1. « Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et

ex tota anima tua, et ex omnibus Airibus tuis, et ex omni

mente tua. » (Luc, x, 27.)

 

2. S. Aug., De Civit. Dei. 1. XXII, cap. xxx, n. 5.

 

3. « Sitivit anima mea ad Deum fortem vivum. Quando

veniam et apparebo ante faciem Dei ? » (Ps. xli, 3.)

 

4. « Ipsi intra nos gemimus adoptionem ûliorum Dei

expectantes. » (Rom., vni, 23.)

 

5. « Adjuro vos, filiae Jérusalem, si inveneritîs dilectum

meum, ut nuntietis ei quia amore langueo. » (Gant., v, 8.)

 

6. « Gaudium et laetitia invenietur in ea, gratiarum ac-

tio et vox laudis. » (Is., li, 3.)

 

7. Ps., Lxxxm, 5.

 

 

 

35© DROIT A l'héritage CELESTE

 

Mais n'€st-il pas à craimire que le repos n'en-

gendre l'ennui et que la louange perpétuelle ne

tourne en dégoût ? « Si vous cessez d'aimer,

répond saint Augustin, vous cesserez de louer.

Mais votre amour n'aura point de cesse, parce que

celui que vous contemplerez est une beauté si

^ande, qu'elle est incapable de produire la

«atiété et le dégoût i. » Si un simple rayon de la

-beauté divine tombant sur le front d'une créature

la rend tellement aimable qu'elle entraine et

captive les cœurs ; si plus on la contemple, plus on

en est épris, quel invincible attrait n'exercera pas

sur les élus la vue claire, la contemplation pro-

longée de la beauté infinie? S'il est si doux

daimer ou d'être aimé par une simple créature,

pauvre et chétive comme nous, quelle joie, quel

bonheur, quelle ivresse n'éprouvera pas une

âme qui se sentira incessamment aimée de toute

la puissance de la Trinité sainte ? Que pourrai1>-

elle souhaiter encore^ sinon la prolongation d'un

tel bonheur? et le sachant éternel, comment ne

serait-elle pas pleinement rassasiée? « Dieu sera

donc la fin de nos désirs, lui qu'on verra sans

fin, que l'on aimera sans dégoût, et qu'on glori-

fiera sans lassitude 2. »

 

Voilà, autant du moins qu'il nou€ a été possi-

 

 

 

1. « Desines laudare, si desines amare. Non aixtem desi-

nes amare, quia talis est quem M'des, qui nuilo te offendat

fastidio. » S. Aug., in Ps. lxxxv, n. 24.

 

2. « Ipse finis erit desideriorum nostrorum.fqui aiae jBne

videbitur, sine fastidio amabitur, sinefatigatioBelaudabitur. »

(S. Aug., De Civit. Dei, 1. XXII, c. xxx, n. i )

 

 

 

QUEL EST CET HERITAGE? 35 1

 

ble de le balbutier, en quoi consiste ITiéritage

des enfants de Dieu ; voilà ce que sera la béati-

tude promise par Notre-Seigneur, sous le nom

de vie éternelle, à ceux qu'il appelle ses brebis* :

la contemplation directe et immédiate de la

beauté infinie, une perpétuelle extase d'amour,

une louange incessante. « Voilà ce qui sera à la

fin sans fin : Ecce quod erit in fine sine fine*. » Si,

au jugement du Psalmiste ou plutôt de l'Esprit-

Saint qui l'a inspiré, « un seul jour passé ici-

bas dans la maison de Dieu vaut mieux que

mille parmi les plaisirs mondains^», que penser,

que dire de la vie qui nous attend au ciel, vie si

pleine, si sainte, si débordante d'allégresse, vie

qui n'est plus sujette aux alternances du jour et

de la nuit, ni aux vicissitudes de la tristesse et

de la joie, surtout quand on réfléchit qu'elle

n'aura point de terme? Mais ce n'est pas assez

dire que de la proclamer interminable ; comme

l'éternité divine, dont elle est une participation,

elle ne connaît ni chang^ement, ni succession, ni

passé, ni avenir, et consiste dans un indivisible

et immuable présent, dans la possession pleine,

parfaite et immuable du bien souverain*.

 

 

 

1. « Oves mese vocem meam audîunt... et sequnntur

me : et ego vitam aeternam do eis. » (Joan., x, 38.)

 

2. S. A.ug , loô. cit. n. 6.

 

3. « Melior est dies una in atriis tuis super millia. » (Ps.

 

LXXIlIl, II.)

 

4. <« iEternitas vereet proprie ia solo Deo est, quia »ter-

nitas immutabilitatem consequitur. Solus autem Deus est

omnino immutabilis. Secundum taïuen quod aiiqua ab

 

 

 

352 DROIT A l'héritage CELESTE

 

Comment, en songeant à un pareil bonheur,

l'âme sainte encore exilée sur la terre, ne s'é-

crierait-elle pas avec l'épouse des Cantiques :

 

(' mon bien-aimé, apprenez-moi oii vous

menez paître votre troupeau, où vous reposez à

l'heure de midi : Indica mihi, quem diligit anima

mea, ubi pascas, ubi cubes in mendie^. » — « Midi I

c'est la A^ue, c'est la contemplation de votre

visage. Valias tuus meridies est^... Ici-bas, hélas I

ni la lumière n'est limpide, ni la réfection com-

plète, et la sécurité n'existe nulle part; c'est

pourquoi je vous prie de m'indiquer le lieu où

vous reposez à l'heure de midi... midi véri-

table, ô plénitude d'ardeur et de lumière, où

tout est stable, où le soleil ne décline jamais, où

les ombres sont inconnues, l'eau bourbeuse de

la terre desséchée, et les exhalaisons fétides du

monde pleinement dissipées ! lumière du midi,

douceur du printemps, beauté de l'été, fécondité

de l'automne, et, pour ne rien omettre, ô repos

de l'hiver ! à moins que l'on ne préfère dire

qu'il n'y aura point d'hiver. Indiquez-moi, ô mon

 

 

 

ipso immutabilitatem percipiunt, secundum hoc aliqua

ej us ae terni tatem participant... Quaedam autem participant

de ratione aeternitatis, in quantum habent intransmutabi-

litatem vel secundum esse, vel ulterius secundum opera-

tionem, sicut Angeli, et Beati, qui Verbo fruuntur, quia

quantum ad illam visionem Verbi, non sunt in sanctis volubi-

les cogitationes, ut dicit Augustinus (xv de Trin., c. i6).

Unde et videntes Deum dicuntur habere vitam aeternam. »

(S. Tb., Summa TheoL, I, q. x, a. 3.)

 

1. Gant., I, 6.

 

2. S. Bern., in Cant., serm. xxxiii, n -

 

 

 

QUEL EST CET HÉRITAGE? 353

 

bien-aimé, ce lieu de clarté, de paix, de pléni-

tude, afin que, nrioi aussi, je mérite de vous y

contempler dans votre lumière et votre beautés »

 

 

 

I. « Heu 1 nec clara lux, nec plena refectio, nec mansio

tuta : et ideo indica mihi ubi pascas, ubi cubes in meridie...

Vultus tuus meridies est... vere meridies, plénitude fer-

voris et lucis, solis statio, umbrarum exterminatio, desicca-

tio paludum, fetorum depulsio 1 pereiwie solstitium,

quando jam non inclinabitur dies ! O lumen meridianum,

o vernalis temperies, o aestiva venustas, o autumnalis uber-

tas ; et, ne quid videar praeteriisse, o quies et feriatio hiema-

lis ! aut certe, si hoc magis probas, sola tune hiems abiit

et recessit. Hune locum, inquit, tantae claritatis et pacis et

plenitudinis indica mihi, ut... ego quoque te in luminetuo

et in décore tuo per mentis excessum merear conteraplari. »

(S. Bern., loc cit., n. 6-7.)

 

 

 

A». SAINT-ESriIT. — M

 

 

 

CHAPITRE V

Effets de l'habitation du Saint-Esprit

 

LES VERTUS INFUSES THÉOLOGALES ET MORALES

 

 

 

Si la béatitude se donnait uniquement à titre

d'héritage, nous n'aurions pas à nous préoccu-

per du soin de la mériter par nos œuvres ; il

suffirait pour l'obtenir de posséder, avec la grâce

sanctifiante et par elle, le titre et la qualité de

fils adoptif de Dieu. Tel est précisément le cas

des enfants baptisés, tant qu'ils n'ont pas atteint

l'âge de discrétion. Pour les adultes, il en va

autrement ; car, suivant la parole de saint

Augustin, celui qui nous a créés sans nous n'a

pas jugé bon de nous justifier et de nous sauver

sans nous ^

 

Il était, en effet, à tout le moins fort conve-

nable qu'après avoir été déifié, et élevé par un

don très sublime, jusqu'à la participation de

 

 

 

I. « Qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. •»

|S. Aug., De Verbis Apost., serm xv, cap. xi.)

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 355

 

l'être et de la vie de Dieu, l'homme fût mis en

demeure d'agir divinement, d'exercer les fonc-

tions de sa YÀe nouvelle et de devenir par là le

coopérateur de Dieu et Tartisan secondaire de

son propre salut. Aussi bien, le Concile de

Trente, interprète infaillible de la vérité révélée,

déclare-t-il ouvertement que « la vie éternelle

doit être proposée aux justifiés, non seulement

comme une grâce miséricoi^dieusement promise

aux enfants de Dieu par Notre-Seigneur, mais

^sicore comme la récompense de leurs bonnes

oeuvres et le salaire de leurs mérites, comme

mie couronne de justice que le juste juge tient

en réserve pour quiconque aura légitimement

combattu 1. »

 

C'est pourquoi l'apôtre saint Paul nous exhorte

à abonder en toute sorte d'actions saintes, avec

la ferme persuasion que, loin d'être stérile dans

le Seigneur, notre labeur doit au contraire rece-

voir une magnifique récompense '. Et pour

stimuler notre zèle et secouer notre apathie,

il nous rappelle que nous ne sommes sauvés

 

 

 

1 . « Proponenda est vita aeterna, et tanquam gratia filiis

Del per Christum Jesum misericorditer promissa; et tan-

quam merces ex ipsius Dei promissione bonis ipsorum

operibus et meritis fideliter reddenda. Hœc est enim illa

corona justitiae.quam post suum certamen et cursum repo-

sitam sibi esse aiebat Apostolus, a justo judice sibi redden-

dam : non solum autem sibi, sed et omnibus qui diligunt

adventum ejus. » {Conc. Trid., sess. vi, c. xvi.)

 

2. « Abundantes in opère Domini semper, scientes quod

labor vester non est inanis in Domino. » (I Cor., xv, 58.) —

« Nolite amittere confidentiam vestram, quay magnam

habet remunerationem. » (Hebr., x, 35.)

 

\

 

 

 

356 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

qu'en espérance, spe salvi facti samus^, et que

pouvant toujours, hélas ! perdre la grâce reçue,

nous devons opérer notre salut avec crainte et

tremblement*. Unissant sa grande voix à celle

de saint Paul, le chef du collège apostolique

nous crie de son côté : « Efforcez vous, mes

frères, d'assurer par les bonnes œuvres votre

vocation et votre élection. En agissant de la

sorte vous ne pécherez pas, et vous vous ména-

gerez une heureuse entrée dans le royaume

éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-

Christ'. ))

 

Mais pour mériter, pour produire des actes en

rapport avec notre élévation surnaturelle, pour

être en état de nous acheminer vers cette fin

d'ordre supérieur qui nous a été assignée par la

divine miséricorde et que la nature est incapable

d'atteindre par elle-même, pour agir divinement,

en un mot, des forces, des puissances, des éner-

gies divines, des secours spéciaux nous sont

nécessaires. Dieu ne nous les a point refusés; il

nous les accorde même avec une variété et une

surabondance vraiment merveilleuses. De même,

en effet, que dans l'ordre naturel nous possé-

dons tout un ensemble de facultés, intellectuelles

 

 

 

1. Rom., VIII, 24.

 

2. « Cum metu et tremore vestram salutem operamini. »

(Philip., II, 12.)

 

3. « Quapropter, fratres, magis satagite, ut per bona

opéra certain vestram vocationem et electionera faciatis;

hsec enim facientes, non peccabitis aliquando. Sic enim mi-

nistrabitur vobis introitus in seternum regnum Dei nostri

et Salvatoris Jesu Ghristi. » (II Petr., i, lo-ii.)

 

 

 

LES VERTUS THEOLOGALES Sbj

 

et sensibles, qui dérivent de l'essence de l'âme

et constituent autant de principes prochains

d'opération ; ainsi, dans Tordre surnaturel, nous

recevons avec l'être spirituel toute une série de

puissances nouvelles, qui découlent de la grâce

comme ses propriétés, perfectionnent, ennoblis-

sent, élèvent nos facultés au-dessus d'elles-mêmes

et les rendent capables de poser des actes supé-

rieurs aux forces de la nature i. Sans doute, la

grâce actuelle suffîriit à la rigueur pour ces

sortes d'opérations ; et, de fait, c'est par des

secours de ce genre, passagers et transitoires,

que Dieu vient en aide au pécheur non régénéré,

pour le mettre à même d'accomplir les actes pré-

paratoires à la justification.

 

Mais quand la vie surnaturelle est parvenue

dans une âme à l'état parfait, quand elle lui a

été communiquée d'une façon stable par le don

de la grâce sanctifiante, ce n'est plus seulement

par des secours transitoires que Dieu pourvoit à

ce que cette âme puisse exercer les fonctions de

sa nouvelle vie ; il lui infuse des principes d'acti-

vité proportionnés aux opérations qu'elle doit

émettre, il lui donne des forces, des qualités sur-

naturelles permanentes, tranchons le mot, des

habitudes, qui la mettent en état d'exercer d'une

manière comme naturelle, connaturaliier . des

 

 

 

I. « Sicut ab essentia animae effluunt ejus potentiae, quae

sunt ejus operumprincipia; ita etiam ab ipsa gratis effluunt

virtutes in potentias animae, par quas potentiae moventur

ad actus. » (S. Th., Summa TheoL, la II-, q. ex, a. 4, ad x.)

 

 

 

358 EFFETS DE l'haBITATION DU SAINI-ESPRIT

 

œuvres surnaturelles. Ces habitudes soiat les

vertus infuses et les dons du Saint-Esprit.

 

Cet organisme surnaturel a été admirablement

décrit, dans une page que nous nous reproche-

rions de ne pas mettre sous les yeux de nos

lecteurs. « C'est quelque chose d'ineffable, dit

Mg' Gay, que ce rayonnement actif et bienfaisant

de Dieu dans la créature qu'il habite... Avant

tout, Dieu rayonne et opère dans l'essence de

l'âme. 11 y verse cette grâce radicale qu'on appelle

sanctifiante, et qui, étant à la fois la condition

et l'effet premier de sa présence surnaturelle,

devient en nous un titre et comme un passage à

ses autres bienfaits, et livre l'âme tout entière à

ses opérations, du moins en droit, en puissance

et en principe. C'est par cette grâce qu'il la

délivre, qu'il l'innocente, qu'il la fait neuve,

jeune, candide, ouverte à toutes les influences

auxquelles il la soumet, docile à toutes les impul-

sions qu'il lui donne. C'est par cette grâce qu'il

tient, pour ainsi dire, les racines de cette âme,

et, la greffant sur lui, fait qu'elle boit sa sève

trois fois sainte, et devient capable de la projeter

dans toutes ces magnifiques puissances par les-

quelles elle s'étend elle-même comme l'arbre par

ses rameaux. Ces puissances naturelles, si nom-

breuses, si variées et déjà ii admirables, sont

divinement perfectionnées par cette diffusion

intérieure, chacune selon son ordre, sa fonction

et sa fin. Toutes en reçoivent des qualités nou-

velles, supérieures, essentiellement surnaturelles,

qui sont tout à la fois des souplesses et des

énergies, des docilités et des forces, des transpa-

rences et des foyers, rendant l'âme plus passive

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGiSLES 35g

 

SOUS la main de Dieu et en même temps plus

active à le servir et à faire ses œuvres. Ce sont

d'abord ces vertus souveraines qu'on nomme

théologales, la foi, l'espérance et la charité.

L'expérience nous fait voir que l'unique lumière

du soleil s'épanouit en plusieurs couleurs, et

d'abord en trois principales. Il semble que ces

trois grandes vertus soient l'épanouissement

immédiat de la grâce sanctifiante. Ce sont ensuite

les vertus infuses, soit intellectuelles, soit mora-

les. Ce sont les dons du Saint-Esprit qui ,

dérivant des trois vertus théologales comme de

leur source, mettent l'âme en état d'exercer divi-

nement les vertus secondaires et deviennent les

germes féconds des fruits que Dieu veut récolter

en nous. Sans doute le seul sacrement de la

confirmation donne d'office l'abondance de ces

dons sacrés; mais le simple état de grâce en

implicfue la présence dans l'âme, et il n'y a pas

un seul juste qui ne les possède tous dans telle ou

telle mesure ^ » L'enfant lui-même, baptisé à

l'aurore de la vie et incapable à cet âge d'acte

bon ou mauvais, reçoit néanmoins avec la grâce

tout cet ensemble de vertus surnaturelles, comme

autant de semences que TEsprit-Saint jette dans

son âme, afin que, au premier éveil de la raison,

elles soient là, prêtes à entrer en exercice et à

donner leurs fruit .

 

 

 

I. Mgr Gay, De la vie et des vertus chrclicnnes i*'^ traité.

 

 

 

36o EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

II

 

 

 

On peut déjà voir par ce qui vient d'être dit qu'un

quadruple élément constitue la vie surnaturelle

du juste : la grâce habituelle ou sanctifiante, les

vertus théologales, les vertus morales infuses et

les dons du Saint-Esprit. Il ne sera pas hors de

propos de consacrer ici quelques pages à l'expo-

sition sommaire de la nature, du rôle, du fonc-

tionnement de ces divers éléments. Si l'étude de

la vie organique et rationnelle offre au physio-

logiste et au philosophe an attrait non médiocre,

quel intérêt puissant ne doit pas avoir pour un

chrétien la connaissance des organes, des fonc-

tions, des phénomènes de la vie surnaturelle,

bref des moyens employés par l'Esprit-Saint

pour causer et promouvoir la sanctification de

son âme ? Nous ne dirons qu'un mot du rôle de

la grâce, dont nous avons suffisamment exposé

plus haut la nature et les effets.

 

Pour mettre l'homme en état d'exercer les

actes qui doivent le conduire à la vision béati-

fique, terme final de ses destinées, Dieu verse

d'abord en lui la grâce sanctifiante qui joue dans

Tordre surnaturel le rôle de l'âme dans celui de

la nature. De même, en effet, que par son union

avec le corps l'âme fait d'une matière vile et

inerte un être vivant et humain, ainsi la grâce,

véritable forme d'un ordre supérieur, commu-

nique à qui la reçoit un être nouveau, un être

spirituel et divin, qui fait de l'homme un chré-

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 301

 

tien et un enfant de Dieu*. Et parce que l'être

est la perfection propre de l'essence, tout ainsi

que l'opération est celle des puissances, la grâce

est reçue dans l'essence même de l'âme qu'elle

rend participante de la nature divine, tandis que

les vertus qui l'accompagnent ont pour sujet les

diverses facultés humaines qu'elles élèvent et

perfectionnent en ajoutant à leurs forces nati-

ves une énergie de surcroît, plus haute et plus

puissante 2.

 

Nul ne doit donc s'étonner que, à l'instar de

l'âme qui n'agit pas directement par sa sub-

stance, mais par l'intermédiaire de ses facultés,

la grâce sanctifiante n'opère pas non plus immé-

diatement par elle-même, mais par l'entremise

des vertus infuses et des dons qui lui tiennent

lieu de puissances 3. Elle est bien, il est vrai, un

principe de vie et d'opération, mais c'est un

 

 

 

I. « Infunditur divinitus homini ad peragendas actiones

ordinatas in finem vitae aeternae primo quidem gratia, per

quam habet anima quoddam spirituale esse. » (S. Th., De

virt. in comm., q. un., a. lo.)

 

a. « Oportet dicere quod gratia sit in essentia animae,

perficiens ipsam, in quantum dat ei quoddam esse spiri-

tuale, et facit eam per quamdam assimilationem consortem

naturae divinee, ut habetur a Petr., i, 4. sicut virtutes per-

ficiunt potentias ad recte operandum. » ( S. Th, De Verit.,

q. xxvn, a. 6 )

 

3. « Sicut essentia animse immédiate est essendi princi-

pium, opéra tionis vero principium est mediantibus poten-

tiis, ita immediatus effectus gratiae est conferre esse spiri-

tuale, quod pertinet ad informationem subjecti... Sed effec-

tus gratiae mediantibus virtutibus et donis est elicere actus

meritorios. » (S. Th., De Verit., q. xxvn, a. 5, ad 17.)

 

 

 

362 EFFETS DE l' HABITATION DU SALNT-ESPRIT

 

principe radical et éloigné, non un principe im-

médiat et prochain ; c'est la racine ou le tronc

de l'arbre, les vertus surnaturelles en sont les

branches ; or, comme chacun sait, ce sont les

branches qui d'ordinaire portent les fleurs et les

fruits.

 

Nous avons nommé les vertus surnaturelles et

infuses. On les appelle surnaturelles, parce

qu'elles surpassent la portée et les exigences de

la nature ; infuses, parce que, à l'inverse des ver-

tus naturelles ou acquises qui sont le résultat de

l'activité humaine et s'acquièrent par la répéti-

tion fréquente des mêmes actes i, elles ne peu-

vent provenir que de Dieu, qui les cause lui-

même en nous sans notre coopération effective,

mais non cependant sans notre consentement 2.

On les désigne encore sous le vocable de vertus

chrétiennes, parce qu'elles sont l'apanage exclusif

du parfait chrétien, c'est-à-dire du membre

 

 

 

1 . Les vertus naturelles s'acquièrent ordinairement par

la répétition fréquente des mêmes actes. Sans doute, Dieu

pourrait, s'il le jugeait bon, conférer à quelqu'un ces ver-

tus sans qu'il lui en coûtât ni peine ni effort, comme il

conféra aux apôtres le don des langues, dont ils auraient pu

acquérir la connaissance par l'étude; mais alors même

elles ne seraient infuses qu'accidentellement, per accidens,

comme dit l'Ecole, et demeureraient des vertus naturelles,

spécifiquement différentes des vertus chrétiennes, qui ne

peuvent s'acquérir que par infusion. — (Ad rem cf. S. Th.,

I' II", q. Li, a. II.)

 

2. « Virtus infusa causatur in nobis a Deo sine nobia

agentibus, non tamen sine nobis consentientibus; et sic est

întelligendum quod dicitur : Quam Deus in nobis sine nobis

operatur. » (S. Th., I»II", q. lv, a. 4, ad 6.)

 

 

 

LEB VERTUS THÉOLOGALES 365

 

vivant de Jésus-Christ ; venues avec laf grâce,

elles croissent, se développent et disparaissent

avec elle, sauf la foi et l'espérance, qui persévè-

rent dans le pécheur et ne sont détruites que

par une faute grave en opposition avec elles.

Les vertus infuses sont donc implantées en nous

pour élever et transformer les énergies de la

nature et les rendre capables d'opérations méri-

toires de la vie éternelle, comme on greffe sur

un sauvageon les rameaux d'une espèce plus

excellente et plus noble, et la sève naturelle de

l'arbuste, en passant à travers la greffe, se cor-

rige et s'épure au point de produire des fruits

qui ne sont plus comme auparavant âpres et

sauvages, mais doux et exquis.

 

Au nombre des vertus infuses il faut mettre

en première ligne les trois vertus théologales,

ainsi nommées parce qu'elles ont Dieu même

pour objet, que lui seul peut les répandre dans

les cœurs, et que c'est à la révélation divine que

nous sommes redevables de leur connaissance^.

Impossible de révoquer en doute l'existence de

ces vertus, dont saint Paul fait une mention

expresse dans sa première épître aux Corin-

thiens : « Maintenant, dit-il, demeurent ces

trois vertus, la foi, l'espérance et la charité;

mais la plus excellente des trois est la charité.

Nunc autem marient fides, spes, charitas : tria

hœc; major autem horum est charitas^. » Le Concile

de Trente n'est pas moins formel. Il enseigne^

 

 

 

I. S. Th., lallae, q. lxii, a. i.

9. I Cor., XIII, i'6.

 

 

 

364 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

en effet, que « dans la justification l'homme

reçoit, avec la rémission des péchés, les trois

vertus de foi, d'espérance et de charité, infuses

en même temps dans son âme par Jésus-Christ,

sur lequel il est greffé ^ ».

 

Ces preuves d'autorité deviennent encore plus

convaincantes quand on considère la fin vers

laquelle nous devons tendre et nous acheaiiner

par nos actes. Si cette fin n'était autre que la

béatitude proportionnée à la nature, les forces

naturelles, aidées du secours divin, nous suffi-

raient pour y parvenir. Mais parce que, dans sa

bonté infinie, Dieu a daigné nous appeler à une

fin surnaturelle, à la participation de sa propre

béatitude, à la possession de biens qui dépassent

absolument la portée de nos facultés, il est de

toute nécessité qu'il surajoute à nos forces nati-

ves d'autres principes d'agir plus puissants, des

énergies d'ordre divin en rapport avec le but

qu'il s'agit de poursuivre et d'atteindre. Ces

principes supérieurs sont, tout d'abord, les trois

vertus théologales de foi, d'espérance et de cha-

rité, qui nous ordonnent vers la fin dernière qui

est Dieu 2.

 

 

 

1. « In ipsa justificatione cum remissione peccatorum

haec omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum,

cui inseritur, fidem, spem et charitatem. » {Conc. Trid.y

sess. VI, c. 7.)

 

2. « Per virtutem perficitur homo ad actus quibus in

beatitudinem ordinatur. Est autem duplex hominis beati-

todo, sive félicitas. Una quidem proportionata humanae

naturae, ad quam scilicet homo pervenire potest per prin-

dpia suae naturae. Alia autem est beatitudo naturam ho-

 

 

 

LES VERTUS THÉOLOGALES 365

 

Que faut-il, en efîet, pour qu'un être raison-

nable soit en mesure de tendre d'une manière

droite et régulière à une fin déterminée? Qu'il

en ait la connaissance et le désir. La connais-

sance : comment s'y acheminer sans cela? Le

désir : autrement il ne se mettrait point en peine

de l'obtenir. Mais le désir efficace d'un bien

suppose la confiance qu'on pourra l'acquérir,

car le sage ne se met point en mouvement vers

un but qu'il estime hors d'atteinte; puis l'amour,

car on ne désire que ce qu'on aime. De là, pour

disposer notre âme et la rendre apte à s'achemi-

ner librement vers le terme de ses destinées sur-

naturelles, la nécessité des vertus théologales :

de la foi, qui nous montre en Dieu, vu et pos-

sédé tel qu'il est en lui-même, la fin suprême à

laquelle nous sommes appelés; de l'espéranr ,

par laquelle, confiants dans le secours qui nous

a été promis, nous attendons du Père céleste et

la béatitude éternelle et les moyens nécessaires

ou utiles pour y parvenir; de la charité enfin,

 

 

 

minis excedens, ad quam homo sola divina virtute perve-

nire potest secundum quamdam Divinitatis participatio-

nem. . . Et quia hujusmodi béatitude proportionem humanœ

naturae excedit, principia naturalia hominis, ex quibus

procedit ad bene agendum secundum suam proportionem,

non sufficiunt ad ordinandum hominem in beatitudinem

praedictam; unde oportet quod superaddantur homini

divinitus aliqua principia per quae ita ordinetur ad beatitu-

dinem supernaturalem, sicut per principia naturalia ordi-

natur ad flnem connaturalem ; non tamen absque adjutorio

divino : et hujusmodi principia, virtutes dicuntur theolo-

gicae. » (S. Th., l'U". q. Lxn, a. i.)

 

 

 

qui nous fait aimer par-dessus toutes choses

Celui qui est la bonté infinie i.

 

Telles sont les trois vertus maîtresses qui doi-

vent donner à notre vie sa véritable orientation

et exercer sur toute notre conduite leur salutaire

influence : la foi, que le Concile de Trente

appelle a le commencement du salut, le fonde-

ment et la racine de toute justification ; sans

laquelle il est impossible de plaire à Dieu et

d'arriver à la société de ses enfants 2 » ; l'espé-

rance, cette ancre solide et ferme que nous

jetons au ciel 3, afin que ni les orages ni les tem-

pêtes de la vie présente ne soient capables de

nous détacher de Dieu et de jeter loin du port

notre fragile nacelle ; la charité enfin, la plus

noble et la plus excellente des trois ; la charité,

cette reine incomparable qui donne aux autres

vertus leur forme et leur perfection dernière, en

 

 

 

I. « Ad hoc quod moveamur recte in finem, oportet

finem esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem

finis duo exigit : scilicet fiduciam de fine obtinendo, quia

nullus sapiens movetur ad id quod consequi non potest :

et amorem finis, quia non desideratur nisi amatum. Et

ideo victutes theologicae sunt très : scilicet fides, qua Deum

cognoscimus ; spes, qua ipsum nos obtenturos esse spera-

mus; et charitas, qua eum diligimus. » (S. Th., De Virt. in

comm., q. un., a. 12.)

 

3. « Fides est humanse salutis initium, fundamentum,

 

et radix omnîs justificationis : shie qua impossibile est pla-

 

cere Deo, et ad filiorum ejus consortium pervenire. » (Conc,

 

Trid., sess. vi, c. 8.)

 

3. <( Spem, quam slcut anchoram habemus animae tutam»

 

cafirmam, et incedentem usque ad interiora velaminis.

(Hebr., vi, 19.)

 

 

 

DES VERTUS MORALES INFUSES 867

 

faisant converger leurs actes vers son objet

propre, Dieu la bonté suprême, et en les rendant

méritoires de la vie éternelle.

 

 

 

111

 

 

 

Si précieuses et excellentes que soient les vertus

théologales, elles ne suffisent cependant pas pour

régler, à elles seules, toute la vie du chrétien;

d'autres vertus doivent prêter leur appoint et leur

concours à cette œuvre complexe ; nous avons

nommé les vertus morales. Sans doute, la pre-

mière et la plus indispensable condition du salut

consiste à être bien ordonné par rapport à la fin

dernière ; mais encore faut-il que cette bonne

disposition s'étende jusqu'aux moyens qui doi-

vent nous conduire au terme. Au surplus, ce

n'est pas seulement envers Dieu que nous avons

des devoirs à remplir, d'autres nous incombent

encore à l'égard du prochain et vis-à-vis de

nous-mêmes. Si donc pour incliner notre intel-

ligence à adhérer à Dieu comme à la vérité pre-

mière, si pour disposer notre volonté à se porter

vers lui en tant qu'objet de notre félicité suprême

et à l'aimer comme bonté infinie, nous avons

besoin des vertus théologales, pour l'accom-

plissement fidèle, prompt et facile de nos obli-

gations morales, d'autres vertus nous sont éga-

lement nécessaires : la prudence, pour éclairer

et diriger notre conduite, et nous apprendre à

discerner ce que nous devons faire et ce qu'il

faut éviter ; la justice, pour nous préparer à

 

 

 

368 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

rendre à chacun ce qui lui est dû ; la force, pour

nous faire triompher des difficultés qui se ren-

contrent dans la pratique du bien ; la tempé-

rance, enfin, pour modérer les plaisirs des sens

et les maintenir dans de justes limites.

 

A ces quatre vertus principales, communément

appelées cardinales, parce quelles sont comme

l'axe autour duquel roule toute notre vie morale,

se rattache une multitude de vertus secondaires

et annexes, qui toutes ont leur objet et leur fin

propres et contribuent, chacune dans sa sphère,

à Tordonnance et à la sanctification de notre

existence terrestre jusque dans ses moindres

détails.

 

Mais en est-il des vertus morales comme de la

foi, de l'espérance et de la charité ? Sont-elles

divinement infuses pour être les organes et les

instruments de la vie surnaturelle, ou devons-

nous les acquérir par nos actes? Sont-elles un

don de l'Esprit-Saint ou un produit de la nature?

Faut-il, en un mot, admettre dans le juste, en

outre des vertus morales naturelles qui consti-

tuent l'honnête homme et s'acquièrent par la

répétition fréquente des mêmes actes, d'autres

vertus analogues d'un ordre supérieur, des ver-

tus morales chrétiennes ou surnaturelles que

Dieu produirait directement et répandrait dans

les âmes avec la grâce et qui seraient l'apanage

exclusif de ses enfants adoptifs? Question vive-

ment débattue jadis, et oii la diversité des opi-

nions peut encore se donner libre carrière.

 

Un certain nombre de théologiens médiévistes,

considérant d'une part que l'influence de la

charité est suffisante pour rendre méritoires de

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 869

 

la vie éternelle des actes émanés de principes

naturels, ne voyaient pas la nécessité de ces

vertus infuses ; et, d'autre part, ils en contes-

taient l'existence comme contraire à l'expé-

rience, sous le prétexte qu'après leur justifica-

tion les hommes éprouvent les me; nés difficultés

peur le bien qu'auparavant. Or, le propre de la

vertu est d'incliner au bien qui la possède et de

lui en rendre la pratique facile.

 

Nonobstant ces raisons, plus spécieuses que

convaincantes, la grande majorité des docteurs a

toujours tenu et enseigné comme plus probable

l'opinion qui admet l'existence des vertus mora-

les infuses. Nous ne pouvons pas, il est vrai,

apporter ici en faveur de ce sentiment, comme

nous l'avons fait plus haut pour les vertus théolo-

gales, l'autorité du Concile de Trente; car il ne

fait aucune mention des vertus morales. Mais ce

serait se tromper étrangement que de vouloir

arguer de ce silence pour combattre un enseigne-

ment commun dans l'Ecole. Si le saint Concile

ne parle pas des vertus morales infuses, la raison

en est facile à donner ; c'est pour demeurer fidèle

à son programme et à la résolution prise dès le

principe de concentrer tous ses efforts sur les

vérités niées par l'hérésie et de ne pas dirimer

les questions controversées entre catholiques.

 

Et pour qu'on ne se méprît pas sur sa véri-

table pensée, le Catéchisme officiel entrepris par

ses ordres et approuvé par le grand pape saint

Pie Y énumère parmi les effets du baptême, a le

très noble cortège de toutes les vertus qui sont

divinement infusées dans l'âme avec la grâce :

Huic autem additur nobilissimus omnium virtutum

 

HA». lAiiiT-KsrRiT. — a4

 

 

 

370 EFFETS DE l'haBITATION DU SAli'» i -KhPRIT .

 

comiiatas, qaœ in animam cam graiia divinitas

infundanUir^. » Expressions bien singulières, si ce

cortège se composait uniquement des trois vertus

théologales.

 

Ce n'est pas la seule circonstance où l'Eglise

ait manifesté son sentiment sur le point qui nous

occupe. Déjà, au XIII^ siècle, à propos d'une

controverse relative aux effets du baptême dans

les enfants, question sur laquelle les théologiens

étaient partagés en deux camps, les uns soute-

nant que la vertu du sacrement remet simple-

ment aux enfants la faute originelle, sans leur

conférer ni la grâce, ni les vertus infuses, dont

ils ne voyaient pas la nécessité tant que Tenfant

est incapable d'en faire les actes, les autres étant

d'un a\is contraire, un illustre Pontife, Inno-

<ïent 111, sans se prononcer sur le fond du débat,

faisait pourtant remarquer que l'assertion de

ceux qui prétendent que « ni la foi, ni la cha-

rité, ni les autres vertus, ne sont conférées aux

enfants, faute de consentement, n'est pas admise

absolument par le plus grand nombre 2 ».

 

En effet, la majorité des théologiens tenaient

pour l'infusion de la grâce et des vertus à l'état

d'habitudes, non seulement dans les adultes,

mais dans les enfants eux-mêmes. Et de quelles

vertus s'agissait-il? Des vertus théologales? Sans

 

 

 

I. Catech. Conc, part. 11, de Baptismo, n. 5i.

 

a. <( Illud vero, quod opponentes inducunt, fidem aui

caritatem aliasque virtutes parvulis, utpote non consentien-

tibus, non infundi, a plerisque non conceditur absolute. n

(Innoc. III, e. Majores, de Baptismo.)

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 87 1

 

doute, mais aussi des autres, suivant l'expression

d'Innocent IIL Or, si les premières avaient été

seules en cause, quoi de plus simple et de plus

naturel que de compléter l'énumération en ajou-

tant l'espérance à la foi et à la charité déjà

nommées? Et pourquoi ce pluriel, les autre€ ver-

tus, pour n'en désigner qu'une seule?

 

 

 

IV

 

 

 

Un siècle plus tard, en i3i2, dans le Concile

œcuménique de Vienne, un autre Pontife, dé-

nient V, reprenant cette même question toujours

débattue entre scotistes et thomistes, se pronon-

çait cette fois nettement pour le sentiment de

saint Thomas, et, sans faire une définition de foi,

déclarait adopter, avec l'approbation du Concile,

a comme plus probable et plus conforme aux

enseignements des saints et des théologiens

modernes, l'opinion d'après laquelle la grâce

informante et les vertus sont conférées à tous

les baptisés, enfants où adultes' ».

 

 

 

I. « Nos autem attendentes generalem efficaciam mortis

Ghristi, quae per baptisma applicatur pariter omnibus bap-

tizatis, opinionem secundam, quae dicit tam parvulis quam

adultis conferri in baptismo informantem gratiam et vir-

tutes, tanquam probabiliorem, et dictis sanctorum et

doctorum modernorum theologiœ magis consonam et

concordem, sacro approbante concilio duximus eligen-

dam. )) (Clemens V, in Gonc. Vienn., De samma Trinit., et

CathoL Fide.)

 

 

 

372 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

En présence d'une telle autorité, les théolo-

giens se sont depuis communément rangés à

Topinion qui admet l'existence des vertus mora-

les infuses. Et l'Ecriture, ainsi que la Tradition,

viennent à l'appui de ce sentiment. Les saintes

Lettres nous parlent, en effet, de vertus cardi-

nales qui sont, non le résultat du travail humain,

mais le fruit de la sagesse divine. « Car c'est

elle qui enseigne la tempérance, la prudence, la

justice et la force, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus

utile en cette viei. » Saint Augustin déclare

pareillement que « les vertus qui doivent diriger

notre vie sont au nombre de quatre, selon la

doctrine des sages et les enseignements de l'Ecri-

ture. La première s'appelle la prudence ; elle

nous fait discerner le bien d'avec le mal. La

seconde est la justice, par laquelle nous rendons

à chacun ce qui lui appartient. La troisième est

la tempérance, au moyen de laquelle nous refré-

nons nos passions. La quatrième est la force, qui

nous rend capables de supporter tout ce qui est

pénible. Ces vertus nous son! données de Dieu

avec la grâce dans cette vallée de larmes : Isiœ

vir tûtes nunc in convalle plorationis per gratiam

Dei dantur nobis ». »

 

A l'appui de cette doctrine, saint Thomas

apporte une raison théologique de grand poids.

Il faut, dit-il, que les effets correspondent et

soient proportionnés à leurs causes ou principes.

Or toutes les vertus, tant intellectuelles que

 

 

 

I. Sap., VIII, 7.

 

a. S. Aug., in Ps. lxxiitt. n. 11.

 

 

 

LES VERTUS MORAI.ES INFUSES 378

 

morales, que nous pouvons acquérir par nos

actes, procèdent de certains principes déposés

dans le fond de notre être, de certains germes

naturels dont elles sont l'épanouissement. Au

lieu et place de ces principes. Dieu nous confère,

dans l'ordre de la grâce, les vertus théologales,

qui nous ordonnent vers notre fin surnaturelle,

n faut donc, pour qu'il y ait harmonie dans le

plan divin, qu'à ces vertus théologales divine-

ment infuses correspondent d'autres habitudes

surnaturelles, de même origine et du même

ordre qu'elles, qui aient pour but de surnatura-

liser notre vie morale et d'en rendre les actes

méritoires de la vie éternelle ; des habitudes qui

soient aux vertus théologales ce que les vertus

humaines, intellectuelles ou morales, sont aux

principes naturels d'où elles procèdent*.

 

Car, il ne faut pas se le dissimuler, les vertus

acquises ne sont pas proportionnées aux vertus

théologales : non sujit proportionatœ virtatibus

iheologicis^ ; issues de principes naturels, elles

ne sauraient étendre leur activité au delà des

bornes de la nature. Sans doute, en opérant sous

l'influence et l'empire de la charité, elles peuvent

accomplir des œuvres méritoires ; mais toute la

valeur de ces œuvres provient en définitive du

principe qui les inspire, et l'acte émané d'une

vertu naturelle demeure intrinsèquement un

acte naturel, sans proportion par lui-même avec

la récompense céleste.

 

 

 

I. S. Th., MI*% q.Lxm, a. 3.

a. Ibid., ad i.

 

 

 

3 74 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

Le chrétien peut donc posséder deux sortes de

vertus morales, spécifiquement différentes, les

unes naturelles et acquises, les autres surnatu-

relles et infuses : une prudence naturelle et

une prudence infuse, une justice naturelle et

une justice infuse, etc., ayant un même objet

matériel, mais se distinguant entre elles non

seulement par leur origine et leur mode d'ac-

croissement S mais encore par leur objet formel

et par leur règle. Ainsi, pendant que la tempé-

rance naturelle nous fait garder, dans l'usage

des aliments, une juste mesure fixée par la raison

et consistant à éviter tout excès capable de nuire

à la santé du corps ou d'entraver les opérations

de rinteliigence, la tempérance infuse ou chré-

tienne, s'élevant plus haut, nous incline, sous la

direction de la foi, à châtier notre corps et à le

réduire en servitude par le jeûne, l'abstinence,

 

 

 

I. Les vertus naturelles se développent, comme elles

s'engendrent, par la réitération fréquente des mêmes actes^

qui deviennent ainsi la cause efficiente de ces habitudes.

Quant aux vertus surnaturelles, par le fait même qu'elles

sont supérieures aux forces de la nature, leur infusion,

comme leur accroissement, est l'œuvre directe et immé-

diate de Dieu. Par conséquent, les actes même surna-

turels produits sous l'influence de la grâce actuelle avant

la justification, loin d'en être la cause efficiente, sont sim-

plement une disposition préalablement requise dans les

adultes à la réception de la grâce sanctifiante et des vertus

qui l'accompagnent. Après la justification, nos actes surna-

turels peuvent bien être et sont effectivement une cause

morale ou méritoire de l'accroissement de la grâce et des

vertus infuses, mais ils n'en sont point la cause physique

ou efficiente.

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES S'jb

 

les veilles, et autxes mortifications K On voit par

là combien diffèrent entre elles la tempérance

acquise et la tempérance infuse ; et il en est de

même des autres vertus morales, suivant qu'elles

sont un produit de la nature ou un don de Dieu.

Les unes peuvent se rencontrer dans le pécheur,

les autres sont le privilège exclusif des justes.

 

Mais alors, d'oii peuvent donc provenir les

difficultés et les répugnances qu'éprouvent dans

la pratique de certaines vertus des hommes pour-

tant justifiés, et qui devraient par conséquent

les posséder toutes ? Car enfin la meilleure

marque, le signe le plus authentique de la pré-

sence d'une habitude, c'est la facilité et le plaisir

qu'on éprouve à en faire les actes.

 

Saint Thomas, à qui nous avons emprunté

l'objection, nous fournira de même la réponse.

« Il n'est pas rare, dit-il, de trouver quelqu'un

possédant une habitude intellectuelle ou morale

et éprouvant . néanmoins de la difficulté à en

faire les actes, et n'y ressentant ni plaisir ni

satisfaction par suite de certains obstacles extrin-

 

 

 

I. « Manifestum est quod alterius rationis est modus qui

împonitur in hujusmodi concupiscentiis secundum regii-

lam rationis humanae, et secundum regulam divinam :

puta in sumptione ciborum ratione humana modus statui-

tur ut non noceat valetudini corporis, nec impediat rationis

actuni ; secundum autem regulam legis divinae requiritur

quod homo casiiget corpus suum et in servitutem redigat per

abstinentiam cibi et potus, et aliorum hujusmodi. Unde

manifestum est quod temperantia infusa et acquisita diffe-

runt specie ; et eadem ratio est de aliis virtutibus. » (S. Th.,

I* II", q. Lxni, a. 4.)

 

 

 

376 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

sèques qui viennent se mettre à la traverse.

Ainsi, un savant rencontre parfois une vraie

difficulté à s'occuper de la science qu'il a acquise,

quand le sommeil ou quelque autre indisposi-

tion vient entraver l'exercice de ses facultés.

Pareillement, quelqu'un qui possède les vertus

morales infuses pourra à l'occasion éprouver

une certaine difficulté dans la pratique des bonnes

œuvres, par suite d'une inclination mauvaise

contractée antérieurement et que ces vertus n'ont

point fait disparaître, parce qu'elles ne lui sont

pas directement opposées. 11 en va autrement

des vertus acquises ; car les actes qui les

engendrent, en se renouvelant fréquemment,

détruisent par le fait même les dispositions con

traires ^ . »

 

Ajoutons, pour être complet, qu'il n'est pas

universellement vrai que le pécheur justifié

ressente, après une sincère et généreuse conver-

sion, les mêmes répugnances pour le bien qu'au-

paravant. Combien de difficultés, qui semblaient

d'abord insurmontables, se trouvent soudaine-

ment aplanies par l'action de la grâce et dispa-

raissent comme par enchantement! Témoin

saint Augustin qui raconte de lui-même : « Que

soudain il me parut doux de renoncer aux

douceurs des vains amusements ! J'avais craint

de les perdre, ma joie était maintenant de les

quitter. Car vous les chassiez loin de moi ces

douceurs, vous, la véritable et souveraine dou-

 

 

 

I. S Th.. I' II", q. Lxv. a. 3. ad 2.

 

 

 

LES VERTUS MORALES INFUSES 877

 

ceur ; vous les chassiez et vous entriez à leur

place, VOUS qui êtes plus doux que toute volupté,

mais d'une douceur inconnue à la chair et au

sang... Déjà mon âme était libre des soins

cuisants qu'excitaient en moi l'ambition, la

cupidité, l'amour des voluptés grossières ; et

mon plaisir était de m'entretenir avec vous,

Seigneur mon Dieu, qui étiez désormais ma

gloire, mes richesses et mon salut i. »

 

 

 

I. « Quam suave mihi subito factum est carere suavita-

tibus nugarum 1 et quas amittere metus fuerat, jam dimit-

tere gaudium erat. Ejiciebas enim eas a me, vera tu et

summa suavitas : ejiciebas, et intrabas pro eis omni volup-

tate dulcior, sed non carni et sanguini... Jam liber erat

ànimus meus a curis mordacibus ambiendi, et acquirendi,

et Yolutandi atque scalpendi scabiem libidinum : et garde-

bam tibi claritati meae, et di\itiis meis, et saluti mes

Domino Dec meo. » (S. Aue.. Conf.^ 1. IX, c. i.)

 

 

 

CHAPITRE VI

Effets de l'habitation du Saint-Esprit

 

(Suite)

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

Avec la grâce et les vertus chrétiennes, TEs-

prit-Saint apporte encore dams l'âme où il vient

fixer sa demeure les dons divers qui portent

son nom, le h septénaire sacré », comme s'ex-

prime l'Eglise, sacram septenariarn. Que faut-il

entendre par ces dons ? Quel est leur rôle, leur

fonction, leur but, dans la vie surnaturelle?

Sont-ils réellement distincts des vertus infuses,

et faut-il les considérer comme nécessaires au

salut? Autant de questions qui sollicitent une

réponse.

 

Et d'abord, quelle est au juste la nature des

dons du Saint-Esprit? Ce sont, avant tout, des

bienfaits gratuits, comme l'indique le nom de

dons : appellation qui leur est commune avec les

autres biens de la grâce. Mais ce terme gêné-

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 679

 

rique a reçu dans le langage chrétien une signi-

fication précise, un sens parfaitement déterminé

et restreint à certaines perfections très relevées

que Dieu communique gratuitement à l'âme

juste dans le but de la rendre souple et docile à

ses inspirations 1.

 

Gomme la grâce sanctifiante, comme les ver-

tus infuses, avec lesquelles ils présentent beau-

coup d'analogies , les dons sont des habitudes ,

des dispositions au bien qui existent en nous à

l'état de qualités fixes et permanentes. Ce ne

sont donc pas des actes, mais des principes

d'opération ; ce ne sont pas davantage des mo-

tions actuelles, des secours passagers de la grâce

destinés à mettre en jeu nos facultés, mais bien

des qualités, des forces conférées à l'âme en vue

de certaines opérations surnaturelles.

 

L'Ecriture elle-même, parlant de ces dons,

nous les représente comme existant d'une ma-

nière stable, comme reposant dans le juste. Isaïe

dit du Verbe fait chair : « L'Esprit du Seigneur

se reposera sur lui : l'esprit de sagesse et d'in-

telligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit

de science et de piété ; et l'esprit de crainte du

Seigneur le remplira 2. » Et les docteurs ont ap-

 

 

 

1. « Istae perfectiones vocantur dona, non solum quia

infunduntur a Deo, sed quia secundum ea homo disponitur

ut effîciatur prompte mobilis ab inspiratione divina. » (S.

Th., M^^ q. Lxvm, a. i.)

 

2. « Et requiescet super eum Splritus Domini : spiritus

sapientiœ et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis ,

spiritus scientiae et pietatis ; et replebit eum spiritus timoris

Domini. » (Is., m, 3-3.)

 

 

 

38o EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

pliqué ces paroles aux membres vivants du

corps mystique de Notre-Seigneur, qui doivent

participer aux privilèges de leur chef.

 

Saint Grégoire le Grand nous dit également

que « par les dons, sans lesquels on ne peut arri-

ver à la vie, l'Esprit-Saint réside d'une façon

stable dans les élus, tandis que par la prophétie,

le don des miracles et autres grâces gratuites, il

ne s'établit pas à demeure en ceux auxquels il

les communique : In his igitur donis, sine qulbus

ad vitam perveniri non potest, Spirilas Sanctus in

electis omnibus semper manet ; sed in aliis non sem-

per manet^. » On pourrait, avec l'angélique Doc-

teur, définir les dons du Saint-Esprit : « des ha-

bitudes ou qualités permanentes essentiellement

surnaturelles, qui perfectionnent l'homme et le

disposent à obéir avec promptitude aux mouve-

ments de l'Esprit-Saint : Dona Spiritus Sancti

safd quidam habitus quibus homo perficitur ad

prompte obediendum Spiritui Sancio^. »

 

Il ne faudrait pas conclure de ces paroles que

les dons sont des dispositions purement passives,

une sorte d'onction spirituelle destinée exclusi-

vement à assouplir nos facultés pour qu'elles

n'opposent aucune résistance à l'action du céleste

moteur. « Ce sont tout à la fois des souplesses et

des énergies, des docilités et des forces, rendant

l'âme plus passive sous la main de Dieu et en

même temps plus active à le servir et à faire ses

 

 

 

I. S. Greg. M., 1. II, Moral, cap. ixviu,

a. S. Th., I' II", q. lxviii, a. 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 38 1

 

œuvres ^ » A l'instar des vertus morales, qui ont

pour but de soumettre et d'assujettir nos facultés

appétitives à l'empire de la raison, de les rendre

dociles à ses prescriptions, et qui n'en sont pas

moins des sources d'activité, les dons sont, eux

aussi, des énergies surnaturelles, des principes

d'opération. Témoin ces œuvres excellentes

connues sous le nom de béatitudes, qui, en rai-

son même de leur perfection, doivent être attri-

buées aux dons plutôt qu'aux vertus* et qui en

émanent comme l'opération procède de l'habi-

tude 3.

 

S'il en est ainsi, en quoi les dons diffèrent-ils

des vertus? Certains théologiens pensent qu'ils ne

s'en, distinguent pas réellement, et que dons et

vertus désignent, sous des noms différents, une

seule et même chose. Si l'on considère, disent-

ils, les habitudes surnaturelles comme des bien-

faits gratuits qui nous viennent de la divine

bonté, on les appelle dons ; si on les envisage

comme des principes d'opération, on les nomme

vertus.

 

Cette explication fort simple en apparence a le

grave inconvénient de se concilier difficilement

avec des vérités incontestables. Et de vrai, si les

dons s'identifient avec les vertus, comment se

 

 

 

1. Mgr Gat, De la Vie et des Vertus chrétiennes, i*' Traité.

 

2. « Beatitudines dicuntur solum perfecta opéra, quae

etiam ratione suae perfectionis magis attribuuntur donis

quam virtutibus. » (S. Th.. 1» II", q. lxx, a. 2.)

 

3. « Beatitudines sunt actiis donorum ; et ideo respondent

donis sicut opéra tiones habitibus. » (S. Th., Sent., III. d.

XXXIV, q. I, a. 4, ad i.)

 

 

 

382 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

fait-il que Notre-Seigneur, qui a certainement

possédé tous les dons, comme nous l'apprend

clairement Isaïe, n'ait pas eu de mêr^ic toutes les

vertus infuses : ni la foi, incompatible avec la

vision immédiate de l'essence divine, dont l'hu-

manité sainte du Sauveur n'a cessé de jouir ; ni

l'espérance, qu'excluaient son état et sa perfec-

tion de compréhenseur ; ni la pénitence, qui ne

va pas avec l'impeccabilité? De plus, si les dons

et les vertus ne sont pas choses distinctes, il reste-

rait à expliquer pourquoi certains dons, comme

la crainte, ne figurent pas au nombre des vertus,

et pourquoi certaines vertus ne sont point comp-

tées parmi les dons. Aussi, l'immense majorité

des théologiens tient-elle, avec saint Thomas,

pour la distinction réelle entre les dons et les

vertus, distinction fondée sur la diversité des

moteurs auxquels l'homme obéit dans la pratique

du bien.

 

Si Ion veut, dit l'angélique Docteur, distin-

guer nettement les dons d'avec les vertus, il faut

s'en tenir au langage de l'Ecriture, qui désigne

les premiers non sous l'appellation de dons, mais

sous le vocable d'esprits — l'esprit de sagesse et

d'intelligence, V esprit de conseil et de force, etc. —

nous donnant à entendre par là que, venus du

<iehors et infusés dans notre âme avec la grâce,

ils ont pour but et pour effet d'assouplir nos

puissances et de les disposer à suivre docilement

l'inspiration divine. Or, qui dit inspiration dit

motion venant du dehors, par opposition à la

motion provenant du moteur interne qui est la

raison.

 

11 y a effectivement en nous deux principes

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 383»

 

moteurs sous l'impulsion desquels s'accomplis-

sent les actes qui doivent nous conduire au salut :

l'un intérieur, qui est la raison, l'autre extérieur,

qui est Dieu. Pour mettre l'homme en état de

bien recevoir cette double impulsion, il lui faut

deux sortes de perfections : les unes plus hum-

bles, qui le disposent à suivre sans résistance,

dans toutes ses actions intérieures et extérieures,

le mouvement et la direction de la raison, c'est

le rôle des vertus; les autres plus hautes, et dis-

tinctes conséquemment des précédentes, ayant

pour but de le rendre souple et docile aux

inspirations de l'Esprit-Saint, c'est la fonction

des dons^.

 

 

 

I. « Ad distinguendum dona a virtutibus debemus sequi

modum loquendi Scripturae, in qua nobis traduntur, non

quidem sub nomine donorum, sed magis sub nomine spi-

rituum. Sic enim dicitur Is., xi, 2 : Reqaiescet saper eam

spiritus sapientiœ et intellectus, etc. Ex quibus verbis mani-

feste datur intelligi quod ista septem enumerantur ibi,

secundum quod sunt in nobis ab inspiratione divina. Inspi-

ratio autem significat quamdam motionem ab exteriori.

 

« Est enim considerandum quod in horaine est duplex

principium movens : unum quidem interius, quod est

ratio; aliud autem exterius, quod est Deus... Manifestum

est autem quod omne quod movetur, necesse est propor-

tionatum esse motori ; et haec est perfectio mobilis, in

quantum est mobile, dispositio qua disponitur ad hoc quod

bene moveatur a suo motore. Quanto igitur movens est

altior, tanto necesse est quod mobile perfection disposi-

tione ei proportionetur : sicut videmus quod perfectius

oportet esse discipulum dispositum ad hoc quod altiorem

doctrinam capiat a doctorç, Manifestum est autem quod

\irtutes humanae perficiunt hominem, secundum quod

homo natus est moveri per rationem in his quae interius

 

 

 

384 EFFETS DE l'haBITATION DU SMNT-ESPRIT

 

Mettons ces vérités dans tout leur jour. Et

d'abord, que Thomme possède en lui-même,

dans sa raison, laissée à ses propres lumières ou

éclairée par la foi, un principe d'activité par

lequel il se meut, il se détermine à faire ceci ou

cela, c'est chose manifeste. Dès là qu'il est un

être intelligent et libre, et partant maître de ses

actes, il peut, dans sa sphère propre, comme

agent secondaire et prochain — in sao ordine,

scilicet sicut agens proximum^, — se porter à telle

ou telle opération de son choix. Mais, pour que

les facultés humaines susceptibles d'émettre un

acte moral soient inclinées habituellement au

bien et disposées à le faire avec facilité, promp-

titude et constance, elles ont besoin d'être per-

fectionnées par certaines qualités ou habitudes,

ayant pour effet de les rendre dociles à la direc-

tion et à l'empire de la raison. Dans l'ordre na-

turel, ce rôle appartient aux vertus humaines ou

acquises; dans l'ordre surnaturel, cette fonction

revient aux vertus chrétiennes. Ainsi doté,

l'homme est en état d'agir, de faire le bien, d'ac-

complir des œuvres salutaires et méritoires,

celles du moins qui ne dépassent pas le niveau

ordinaire et commun.

 

Mais la raison n'est pas l'unique moteur, ni

le seul principe déterminant de nos actes ; elle

 

 

 

vel exterius agit. Oportet igitur inesse homîni altiores

perfectiones, secundum quas sit dispositus ad hoc quod

divinitus moveatur ; et istae perfectiones vocantur dona. »

(S. Th., I' II'% q. Lxvni, a. i.^

I. S. Th., 1' U«. q. IX, a. 4, ad 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 385

 

n'est même qu'un moteur subordonné et secon-

daire. Le moteur premier et principal est hors

de nous et n'est autre que Dieu. Or, c'est une

vérité confirmée par une expérience journalière

que, plus le moteur est élevé, plus parfaites doi-

vent être les dispositions qui préparent le mo-

bile à recevoir son action i. Ainsi, tandis qu'un

enfant est capable de comprendre et de suivre les

leçons d'un maître de grammaire élémentaire, il

faut, pour mettre un adulte même cultivé en état

de suivre le cours d'un professeur d'enseigne-

ment supérieur, une longue préparation, qui n'est

même pas à la portée de toutes les intelli-

gences.

 

Si donc, pour disposer nos puissances appéti-

tives à obéir avec promptitude aux injonctions

de la raison éclairée de sa propre lumière ou de

celle de la foi, nous avons besoin de toute une

série d'habitudes, acquises ou infuses, suivant

que le bien qu'il s'agit d'opérer est naturel ou

surnaturel; comment ne pas conclure, avec saint

Thomas, que pour nous mettre en état de rece-

voir fructueusement et de suivre avec docilité

les inspirations et la direction de l'Esprit-Saint,

moteur si fort élevé au-dessus de la raison

même habituellement illuminée par la foi, d'au-

tres perfections, d'autres habitudes supérieures

 

 

 

I. « Quanto movens est allior, tanto necesse est quod

mobile perfectiori dispositione ei proportionetur : siciit

videmus quod perfectius oportet esse discipulum disposi-

tum ad hoc quod altiorem doctrinam capiat a doctore. »

 

 

 

(S. Th., !• II'% q. Lxviu, a. i.)

 

BAB. lAINT-SSPKIT

 

 

 

386 EFFETS DE l' HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

aux vertus rao^rales, acquises ou infuses, sont ici

vraiment laécessaires' ? Nqu'S' avon-s nommé les

don&i, qud sont à Fhomme dans ses rapports à

l'Esprit-Saint ce que les vertus morales sont à

la volonté comparativement à la raison. Celles-

ci disposent ks puissances appétitives à obéir

avec pramptitfuclie à la raison ; eeux-là préparent

rbomme à se montrer diocile aux in^tincts^ de

l'Esprit-Saint 2'.

 

 

 

m

 

 

 

L'argument que nous venons de développer

prouve bien, il est vrai, que les dons et les ver-

tus^ sont des habitudes réellement distinctes;

mais il n'indique pas, au moins d'une façon

expresse, en quoi consiste cette différence. Aussi ^

 

 

 

!.. « Manifestum est autem quod >'irtutes humanœ perfi-

ciunt hominem, secundum quod homo natus est moveri

per rationem in his qi3s& înterius vel exterius a^t. Opor-

tet igitur inesse homàni altiores perfectiones, secundam

quas sit dispositus ad hoc q.uod divinitu^ naoveatur ; et

istae perfeetiones vocantur dona. » (S. Th., I* II", q. lxviii,

a. I.)

 

2. (( Dona Spiritus Sancti se habent ad homines in com-

paratione ad Spiritum Sanctum sicut virtutes morales se

habent ad vim appetitivam in comparati:)ne ad rationem.

Virtutes. autem moiraies habitas (jnidam simt, quibus vires

appetitivae dlsponiantuE ad prompte obediendum rationi.

Ijndei et dona SpirituS' Sanctii sunt quidam habitus quibus

homo perficitur ad prompte obediendum Spiritui Sancto. »

^;blid., a. 3.)

 

 

 

XES DONS DU SAINT-ESPRIT 887

 

«qnaand sawii Thomas se propose imniquement

 

d'établir comme 'toas la I^ Ilae, q. Lxvin, a. i,

 

— «qme les âma.s sont des perfectiouïs autres que

ies vertus, la raisoia qu'il met en avant, c'est la

diialité des moteurs auxquels rhomioae obéit

dans la pratique -du M'en : raisoofi .excelleaile, car

des moitescLTS formeUlenient différents supposent,

requièrent, exigent des dispositions diiTéa^entes

de la part d'u mobile, pour qu'il -soit &r état de

receroir connatuneUeaïieaflit des imptuisions doaat

les iMiies peuvent .être si fort élevées au-dessus

des autres : Mamfesiam e&t quod ad alliorem m&to-

rein oportet maj&ri perfectione mobile esse dhsposi-

tum^. Mais quaund le saint D-ooteur veut montrer

€« quai dons et vertus se différenoient, tout autre

-est sa réponse ; il en appelle alors à la diver-

gence dans le mode d'agir qui caractérise ces

deux sortes d'habiîtTaid'es, ©t à la diversité de règle

qui sert de ntesMre à leurs actes : DoFia a virtuti-

^U6 idisiinguuitiur in hoc quod mrtates perficiant

ad acÎMS modo huihano, sed dona iultra humanïum

 

MOIKIM^.

 

Le premier élément caractéristiqtue des dons,

celui par lequel ils se distinguent netteioaent des

vertus ; c'est îeizr mode d'agir.

 

Les vertus, en effet, 'quelles qu'elles soient,

naturelles ou surnaburelles, acquises mi infuses,

dispasen.t l'ibosmane à une a?ation de foime ration-

neile et tamaine : virtutes perjlcmnt ad actas

MODO HUMANO *, Ics dous , au contraire, le met-

 

 

 

I. S. Th., P 11'% q. Lxvm, a. 8.

 

a. S. Th.- Sent., III, di^. ntxxiv, q. î, a. 1.

 

 

 

388 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

tent en situation d'opérer d'une façon surhu-

maine et en quelque sorte divine : sed dona ultra

HUMANUM MODUM. G'est là leuF raison propre :

Donorum propria est ratio, ut per ea quis super

humanum modum opereiur^ : c'est ce qui consti-

tue leur supériorité sur les vertus : Donum in hoc

transcenda virtutem quod supra humanarn modum

operetur ^.

 

Laissons saint Thomas nous expliquer lui-

même, avec sa lucidité ordinaire, ce qu'il faut

entendre par le mode humain d'agir propre aux

vertus, et en quoi consiste le procédé supérieur

qui caractérise les dons. Dans ce but, il met en

parallèle la vertu de foi et le don d'intelligence

qui lui correspond, et montre par un exemple

qu'il déclare lui-même évident, la divergence de

leurs procédés.

 

Notre mode naturel de connaître les choses spi-

rituelles et divines, dit-il, consiste à nous élever

de ce monde matériel et visible jusqu'au monde

invisible par le miroir des créatures et Ténigme

des analogies, c'est-à-dire par des concepts im-

propres empruntés à Tordre sensible et partant

nécessairement imparfaits. Connaturalis enim mo-

dus hamanœ naturae est ut divina non nisiper spéculum

creaturarum et œnigmate similitudinum percipiat^.

Aussi la foi, qui est une vertu, a-t-elle recours à

ces mêmes notions pour nous initier aux vérités

surnaturelles. Et ad sic percipienda divina perficit

 

 

 

i. S. Th., Sent., Ul, dist. xxxv, q. ii, a. 3.

3. S. Th., Sent., III, dist. xxxvi, q. i, a. 3.

3. Ibid., dist., xxxiv, q. i, a. i.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 889

 

fîdes, qusB virtv^ diciliirK Sans cloute, elle élargit

le cercle de nos connaissances, elle nous fait

pénétrer jusque dans le sanctuaire de la Divinité

et nous révèle des mystères dont la contempla-

tion de Tunivers ne nous aurait jamais manifesté

l'existence ; mais elle ne change pas notre mode

naturel de connaître, aussi est-elle essentielle-

ment obscure. Vienne maintenant le don d^intel-

ligence ; au lieu du simple assentiment aux

dogmes révélés qu'implique la foi, il nous com-

munique une certaine perception de la vérité ~ ;

il nous fait saisir, pour ainsi dire à découvert, les

choses divines, nous élève au-dessus de notre mode

naturel de connaître, et, sans faire disparaître tous

les voiles, nous donne dès cette vie comme un

avant-goût des manifestations et des clartés

futures 5.

 

Quel sens profond des vérités de la foi ne ren-

contre-t-on pas de temps en temps dans certains

hommes sans culture et sans lettres, mais dociles

aux inspirations de TEsprit-Saint, parfois même

en de simples enfants ! Quelle perspicacité pour

 

 

 

I. S. Th., III, Sent., disl., xxxiv, q. i, a. i.

 

a. « Fides importât solum assensum ad ea quse propo-

nuntur; sed intellectus importât quamdam perceptionem

veritatis. » (S. Th., II' II", q. vm, a. 5, ad 3.)

 

3. « Sed intellectus donum, ut Gregoriusdicit, de audîtii

mentem illustrât, ut homo etiam in hac vita praelibationera

futurae manifestationis accipiat. » (S. Th., III Sent., dist

XXXIV, q. I, a. i.) — Et encore : « In his quae supra ratio-

nem sunt perficit fides quae est inspectio divinorum in spe-

culo et in aenigmate. Quod autem spiritualia quasi nuda

veritate capiantur, supra humanum modum est; et hoc facit

donum intellectus. » (Ibid., a. a.)

 

 

 

390 EFFETS DE l'hABITATïON DU SAIKT-ESPRIT

 

découvrir le venin de l'erreur I Peut-être seront-

ils incapables de réfuter, d'après les règles d;e la

dialectique, les sophismes de l'hérésie ou de

l'incrédulité; mais coMime ils sont pénétrés de

la vérité de renseignement catholique ! comme

ils comprennent qu'il ne faut s'en écarter en

rien 1 1 Doù provient en eux une telle certitude

sur les choses de la îoi ? Des moyens de connaî-

tre naturels à l'homme : l'étude, la réflexion?

Non, mais dn don d'intelligence.

 

On lit dans la vie de sainte Chantai qu'un jour,

à peine âgée de cinq ans, elle s'amusait dans le

cabinet de son père, lorsqu'une discussion s'en-

gagea entre le président Frémiot et un gen-

tilhomme protestant qui lui était venu faire

visite. Il s'agissait de la sainte Eucharistie. Le

seigneur protestant disait que ce qui lui plaisait

surtout dans la religion réformée, c'est qu'on y

niait la présence réelle de Notre-Seigneur au

Saint-Sacrement. A ces mots, la sainte enfant

n'y peut tenir: elle s'approche vivement du. pro-

testant, et arrêtant sur lui un regard ému :

u Monseigneur, lui dit-elle, il faut croire que

Jésus-Christ est au Saint-Sacrement parce qu'il

l'a dit ; quand vous ne le croyez pas, vous le faites

menteur. » Le ton avec lequel elle parlait étonna

le protestant, qui entreprit de discuter avec

elle; mais elle l'arrêta court par la sagesse de

 

 

 

I, « Etsi iKm omnes habentes fidem plene intelligant et

quae proponuntur credenda, inlelligunt tamen ea esse cre-

deoda, et quod ab eis nullo modo est dieviandum. » (S. Th.,

lia iiae, q. ym, a. 4, ad a.)

 

 

 

LUS DO]?PS IW SAÏKT-ESPRIT 3g P

 

ses réponses, en même terïïps que par rarrderar

de sa foi elle enchantait tous les^ assistants. Em-

barrassé de ses vives reparties-, le seigneur pro-

testant voulut teïTTïiner la discussion comme on»

termine tout avec les enfants : il lui présenta»

des dragées. Aussitôt elle les prend dans son

tablier, et, sans y toucher, les va jeter au feu en^

disant : a Voyez-vous, Mofiseigneur, voilà eom-

ment brûleront dans le fond de Fenfer tous les

hérétiques, parce qu'ils ne croient pas ce ques

Notre-Seigneur a dit i. m

 

 

 

m

 

 

 

Si maintenant passant à l'ordre pratique nous

demandons à Fangélique Docteur en quoi con-

siste le mode humain d'agir propre aux A^ertus^

par exemple à la prudence, et en quoi il se dis-

tingue du procédé surhumain qui caractérise les-

dons correspondants, ici le don de conseils

sa réponse ne sera ni moins nette ni moins pré»-

cise.

 

Qu'il s'agisse du choix d'^un état de vie ou de^

toute autre détermination importante à prendre,

voici comment procède la prudence. Elle s'en-

quiert des voies et moyens convenables pour

obtenir la fin proposée, elle juge quels sont les

meilleurs et en prescrit l'application. En fait

 

 

 

I. BouGAUD; Histoire de sainte Chantai, %. I, e. i.

 

 

 

Bga EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

d'enquête, le mode humain consiste à examiner

toutes choses à la lumière de la raison ou de la

foi, à peser le pour et le contre, à étudier ses

aptitudes, ses attraits, ses dispositions, à prévoir

l'avenir d'après ce qui arrive ordinairement en

semblables occurrences, à consulter des personnes

prudentes, à prier. In inventione, modus humanus

est quod procedatar inquirendo et conjecturando ex

his quae soient accidere^. Vient ensuite le tour du

jugement, et enfin celui du commandement qui

est l'acte principal de la prudence.

 

Mais il n'est pas rare que, par suite de cir-

constances exceptionnelles ou particulièrement

difficiles, la prudence humaine se trouve à court.

On a beau réfléchir, consulter, étudier la ques-

tion sous toutes ses faces, on ne parvient pas à

tirer la chose au clair, ni à pouvoir formuler une

réso' lion ferme et précise. Que faire en de telles

conjonctures, lorsque là prudence est muette et la

raison aux abois? Ce que fît le saint roi Josa-

phat quand, dans une circonstance analogue, se

trouvant en face d'une multitude de Moabites,

d'Ammonites et de Syriens coalisés contre lui,

et ne sachant quel parti prendre, il se tourna

vers le ciel et fît cette prière : « Seigneur, ne

sachant ce que nous devons faire, il ne nous

reste qu'à diriger nos regards vers vous : Cum

ignoremus quid agere debeamus, hoc solum habe-

mus résidai ut oculos nostros dirigamus ad te^, » Et

 

 

 

I. S. Th., m Sent., dist. xxxiv, q. i, a. a.

a. II Paralip., xx, la.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT SgS

 

voici que l'Esprit du Seigneur fondit soudain

sur un prophète qui vint dire au roi et à son

peuple de la part de Jéhovah : « Soyez sang

crainte et ne redoutez pas cette multitude ; le

combat n'est pas votre affaire, mais celle de

Dieu... Demain vous marcherez contre eux et le

Seigneur sera avec vous . Nolite timere, ne pa-

veaiis hanc multitudinem; non est enim vestra pugna,

sed Dei. . . Cras egrediemini contra eos, et Dominas

erit vobiscum * . »

 

Or, qu'en pareille rencontre un chrétien

recoure, lui aussi, avec confiance à Celui qui ne

refuse jamais son secours dans les choses néces-

saires ou utiles au salut, et qu'il en reçoive une

inspiration mettant fin à ses perplexités et lui

apprenant avec une sorte de certitude ce qu'il

doit faire, voiià qui est au-dessus du mode humain

et l'effet du don de conseil. Sed quod homo acci-

piat hoc quod agendam est, quasi per certitudinem a

SpiriVd Sancto edoctus, supra humanum modum

est; et ad hoc perjîcit donum consilii^.

 

Ainsi, dans les choses qui ne dépassent pas la

portée de la raison, c'est à la prudence acquise

ou infuse qu'il appartient de diriger l'homme

dans le choix et l'emploi des moyens 3. Négliger

alors d'examiner par soi-même ce qu'il est

opportun de dire ou de faire, sous prétexte

 

 

 

I. II Paralip., xx, 15-17.

 

a. S. Th., III Sent., dist. xxxiv, q. i, a. a.

 

3. « Prudentia vel eubulia, sive sit acquisita, sivc sit in-

fusa, dirigit hominem in inquisitione consilii, secundum

ea qu» ratio comprehendere potest. » (S. Th., II* II**, q. lu,

a. I. ad. I.

 

 

 

Sg^ EFFETS IXE l'hABITATIOIV DU SAIKT-ESPRIT

 

d^abândon à la PivoYideiice,'ce serait tenter Dieia^.

Mais, parce que la raison humaine est incapable

de comprcTidre tous les cas particuliers et con-

tingents qui peaiT^nt se présenlier, — d'où vient

que (( les pensées des mortels Bont timides et

leurs prévoyances incertaines « — pour n etr«

pas privé de conseil dans les choses relatives au

salut où la prudence ne suffît plus, l'homme a

besoin d'être guidé et dirigé par Celui qui sait

tout; de même que dans les choses humaines,

quand on n'a pas assez de lumières poui- Imiter

une affaire, on a recours au conseil de gens plus

éclairés 2.

 

Cette direction supérieure dans l'ordre du salut

s'accomplit par l'intermédiaire du don de con-

seil : de là cette parole du Psalmiste : « Le Sei-

gneur est mon guide, rien ne me manquera :

Dominas régit me, einihilmiki deeriP. » Mais dans

 

 

 

.1. a Dicendo Nolite eogitare quomodo aut quid loquamini,

Dominus non prohibet considerare ea quœ sunt agenda,

vel dicenda, quando homo habet opportunitatem... Alio-

quin si homo praeleimittat facere quod potest, solum

divinum auxilium expectans, viâetur tentare Deum. » (S.

Th., IMI", q.xiii, a. 4, ad i.)

 

2. <c Sed quia humana ratio non potest comprehendere

-singularia et contingenta, quse occurrere possunt, fit quod

 

cogitatlones mortaliiim sint timidœ, et incertœ providentiœ

noslrœ, ut dicitur Sap., ix, i/i. Et ideo indiget homo in

inquisitione consilii dirigi a Deo, qui omnia comprehendit ;

quod fit per donem eonsilii per quod homo dirigitur quasi

consilio a Deo acceprto; sicut etiam in rébus humanis, qui

sfbi ipsis non sufficiunt in inquisitione consilii, a sapientio-

Tibus consïlium requrrurtt. » (S. Th., II' n««, q. un, a. i.)

 

3. Ps., XXII, I.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 3 9 5^

 

ce cas, l'homme n'^a point à examiner et à juger

par lui-même ce qu'il est opportun de faire,

î'Esprit-Saint se charge de ce soin, et l'homme

n'a qu'à se prêter docilement à ses inspirations ;

car, suivant la remarque de saint Thomas, c'est

au moteur, non à l'instrument, qu'il appartient

de juger et de commander. Or, en matière de

dons, c'est l'Esprit-Saint, non la raison humaine,

qui est le moteur, l'homme étant plutôt passif

qu*actif\ instrument et non cause principale :

instrument, toutefois, qu'ion ne saurait considé-

rer comme inerte, car il est actif et libre, actif

en tant que 14bre, coopérant librement à la mo-

tion divine ^.

 

La différence dans le mode d'agir que nous

venons de constater entre la prudence et le don

de conseil, se retrouve pareillement entre les

autres vertus et les dons qu'ils perfectionnent ;

car à toute vertu correspond un don particulier

qui lui vient en aide et la fait opérer à l'occasion

d'une façon surhumaine. Ainsi en va-t-il notam-

ment pour la force et le don de même nom.

 

Le propre de la vertu de force est d'affermir

l'âme et de lui faire surmonter tous les obstacles

 

 

 

I. « Judicare et praecipere non est moti sed moventis. Et

quia in donis Spiritus Sancti mens humana non se habet

ut movens, sed magis ut mota, ut supra dictum est (art.

prrtic., et I' 2'*, q. lxviii, a. i.) înde est quod non fuit con-

veniens quod donum correspondens prudentiae prseceptum

dîceretur \eljudiciam, sed consilium; per quod potest signi-

fîcari motio mentis consillataî abalio consiliante. » (S. Th.,

II'-II»«, q. LU, a. 2, ad. t.)

 

a. S. Th., I* II", q. lxvui, a. 3, ad 2.

 

 

 

SgÔ EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

qui se rencontrent dans la pratique du bien, en

dépit des dangers et de la mort même. Si vous

me demandez quel est son mode naturel d'agir, je

vous répondrai avec saint Thomas qu'il consiste

à affronter les difficultés dans la mesure des

forces humaines, pensatis viribus propriis et

secundum earum mensuram^ ; aller au delà, entre-

prendre de son propre mouvement une œuvre

qui surpasse ses forces, ce ne serait plus de la

vertu, mais de la témérité, de même que rester

en deçà par défaut de courage serait un signe de

pusillanimité. Mais que, dans une rencontre par-

ticulière, poussé par un instinct supérieur,

l'homme prenne pour mesure de ses actes, non

plus ses propres forces, mais la puissance divine,

qu'il se porte à des choses manifestement supé-

rieures à ses énergies natives, qu'il affronte des

dangers qu'il n'est pas en son pouvoir de sur-

monter, en comptant sur le secours divin, vpilà

qui est au-dessus du mode humain et l'effet du don

de force '.

 

Il serait facile de poursuivre ce parallèle et de

montrer en détail ce qu'est le mode humain

d'agir propre aux différentes vertus, et en quoi

il se distingue de la façon d'opérer spéciale aux

dons ; mais peut-être vaudra-t-il mieux nous

 

 

 

1. S. Th., m Sent.., dist. xxxiv, q. i, a. a.

 

2. « Sed quod homo in omnibus hispro mensura accipiat

divinam \1rtutem, ut scilicet ad ardua virtulis opéra se

extendat, ad quae scit se suis viribus non sufflcere, et peri-

Gula quae >1res suas excédant, non formidel dinno auxilio

mnixus... sapra humanum modam est : et hoc totum efïîcitur

per donum fortitudinis. » (Ibid.)

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 897

 

borner à signaler en caractères généraux ce qui

constitue la divergence de procédé des unes et

des autres.

 

Dans les actes qui émanent des vertus, acquises

ou infuses, l'homme agit d'une manière con-

forme à sa condition humaine, c'est-à-dire de

son propre mouvement, en vertu de son initia-

tive personnelle. Après avoir réfléchi, délibéré,

et, au besoin, pris conseil, il se porte au bien par

son libre choix, par sa propre détermination,

sans exclure, bien entendu, la motion ordinaire

de Dieu qui opère intérieurement dans tout agent

libre ou naturel en qualité de cause première :

non tamen exclusa operatione Dei, qui in omni

naiura et voluniaie interius operaturK Agit-il, au

contraire, sous l'influence des dons, ce n'est plus

de lui-même qu'il opère, mais une impulsion

intérieure toute- puissante, à laquelle il se prête

néanmoins volontairement, le pousse à faire telle

ou telle chose dont la pensée lui a été soudaine-

ment inspirée. Ici l'homme est plutôt passif

qu'actif, bien que son activité personnelle, sous

forme de consentement et -de libre coopération,

ne soit point absente, car Dieu meut chaque être

d'une manière conforme à sa nature 2.

 

Saint Augustin a fort bien décrit ce second

mode d'agir quand, à propos des paroles de

l'Apôtre : « Tous ceux qui sont mus par l'Esprit

 

 

 

1. S. Th., !• Ilae, q. lxviii, a. a.

 

2. « In donis Spiritus Sancti mens humana non se habet

ut movens, sed magis ut mota. » (S. Th., II* Ilae, q. lu,

a. a, ad i.)

 

 

 

3g8 EFFETS ©"B I'haB-ÏTI^ïTIO'V DTJ ^AIWT-ESPRIT

 

de Diieu, ceiix-îà sont les enfamts die- Di^iï : Qai-

cumque Spirita Dei aguniur^ ix simt ftUi Dei i ))\ il £aèt

observer quel'Esprit-Saint u les meut poi^r les faire

agir, non pour qu'ils demieuTeirt inertes et pure-

ment passifs- : Agunlar enim> ut agard, non ut

ipsinihil agmtt^. » Ils agissent donc, mais pour bien

faire ressortiir rinstinct spécial qui les fait agir,

Tapôtre saint Paul dit quih sont mms ou action;-

nés par l'Esprit de Dieu. Or, (f être mû ou

actionné, c'est plus q^oie d'êtFe simplement con-

duit ou dirigé ; car celui que Fon dirige fait

quelque chose; ii est précisément dirig-é pour

qu'il agisse correctement. Mais celTad; qui est mû

ou actionna semble à pein>e fai^e quelque chose

de lui-même ; et cependant la grâce du Sauveu^r

agit si efficacement sur notre volonté que FApôtre

ne craint pas die dire : Tous ceax qui sont mus par

l'Esprit de Dieu, ceux-là soM les enfants de Dieu.

(Rom., vni, i4)'. E^ notre volonté ne saujrait faire

un meilleur usage de sa liberté qfu'en Tabandon-

nant à l'impulsion de Celui qui ne peut faire le

mais... »

 

 

 

1. Rom., VIII, i4.

 

2. S. AuG., De Corrept. et grat., c, ii, n. 4- — Saint Tho-

mas dit, lui aussi : « Quœ vero per nos aguntur, Deus in

nobis causât, non sine nobis agentibas : ipse enim operattir

in omni voluntate et natura. » (S. Th., I* II'", q. lv, a. 4>

ad 6.)

 

3. <( Procul dubio plus est agi, quam rcgi : qui enim

rcgitur aliquid agit; et ideo regitur. ut recte agaf; qui

autem agitur, agere aliquid vfas Intelhgitur : et tamen tan-

tum praeatat voluntatibus nostris gratia Salvatoris, ut non

dubitet A.postolus dicere : Quotquot Spiritu Dei aguntur, hi

 

 

 

LES DOMS 1>U SA'INJ-iESPIVIT .Sg^

 

L'Écrituce e* la «vie des Saints ccwa/tieiMient uan

gxand i40.mi)re de faits où l'on Yoit en exercice

cette imjpulsioa divime. C'est ainsi qu'il est dit

fdaas saiait Lue que « Jésus fut poussé au désept

.par l'Esjprit-Saint : Agehatur a S^piriiu in deser-

ium^. » De même le vieiUard Siméon, qui avait

jepu du Saint-vEsprit la proœaes&e qu'il ne mour-

soà^ point sans avoir vu le CJtirist du Seigneur,

se sentit inspiré de venir au Temple, n>eml m

Spirita ài -iemplam*, au aai ornent où Marie et

Joseph s'y présentaient pour accomplir dans la

personne de l'Enfant Jésus les prescriptions de

la loi.

 

Un fait va nous mon^trer d'une façon saisis-

sante la différence du mode d'agir qui distingue

les veiltis et les dons. Sous la persécution de

Septime- Sévère, une jeune esclave xiu nom.de

Félicité venait d'hêtre condamnée aux JDêtes avec

dlauties chrétiens. Elle était sur le point de

devenir mère. Mais comme le jour du supplice

approcliait, Félicité .se désolait à la pensée que

son état de grossesse ferait différer son supplice :

car la loi défendait l'exécution d'uaie fenxme

enceinte. Les autres martyrs s'affligeaient égale-

ment de la laisser en arrière. Trois jours avant

la date fixée pour le comhat, tous se mirent en

l>rière pour obtenir .sa prompte délivrance. A

 

 

 

Jilii sunt Dei. (Rom., viii, i4.) Nec aliquid in nobis libéra

voluntas melius agere potest, quam ut illi se agendam

coniaieiidet, qui maie agere non potest. » (S. Aug., De Gestis

Pelag., c. m, n. 5.)

 

1. Luc, IV, I.

 

a. Luc, II, 25.

 

 

 

400 EFFETS DE l' HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

peine avaient-ils achevé, que les douleurs la pri-

rent. Comme elle poussait des gémissements, un

des geôliers lui dit : « Si tu ne peux en ce mo-

ment supporter la souffrance, que sera-ce quand

tu seras déchirée par les bêtes ? Il eût donc bien

mieux valu sacrifier aux dieux. » A quoi cette

généreuse femme fit cette belle réponse : « Au-

jourd'hui, c'est moi qui souffre; mais alors il y

en aura un autre en moi qui souffrira pour moi,

parce que moi aussi je souffrirai pour lui. »

 

 

 

IV

 

 

 

Distincts des vertus par leur mode d'agir, les

dons le sont encore par la règle qui sert de mesure

à leurs actes.

 

La règle des vertus acquises, c'est l'humaine

raison perfectionnée par la prudence naturelle ;

celle des vertus infuses, la raison éclairée par la

foi et dirigée par la prudence surnaturelle ; voilà

pourquoi la vertu est définie : une habitude qui

nous incline à vivre avec droiture suivant la règle

de la raison : qua recte vivitur secundum régulant

raiionis^. Quant aux dons du Saint-Esprit, ces

perfections plus hautes, alliores perfecliones^, que

Dieu nous donne en vue de sa motion, in ordine

ad motionem ipsius', leurs actes n'ont d'autre

 

 

 

1. S. Th., I' Uae, q. lxtiii, a. i» ad 3.

 

2. Ibid., in corp. art.

 

3. Ibid.. ad 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 4oi

 

règle que l'inspiration divine et la sagesse de

Celui qui est l'Esprit de vérité i.

 

Aussi n'est-il pas rare « que l'inspiration divine

pousse l'homme à des œuvres qui dépassent les

limites ordinaires de la raison, même éclairée

par la foi. Ces œuvres sont bonnes d'une bonté

supérieure ; elles ne sont pas téméraires parce

qu'elles ont Dieu lui-même pour conseiller et

pour soutien; elles sont justifiées par cette raison

supérieure que Dieu, quand il agit ainsi, n'est

pas obligé de se tenir dans les limites que l'im-

perfection naturelle de l'homme oblige celui-ci

à respecter. Par toutes ces raisons elles satisfont

plus qu'il n'est absolument nécessaire aux don-

nées de la prudence. Néanmoins la prudence

ordinaire, même chrétienne, n'autoriserait pas à

les entreprendre ni à les conseiller. C'est dans

ces œuvres surtout que les dons du Saint-Esprit

sont mis enjeu». »

 

Ainsi quand sainte Dorothée, conduite au sup-

plice et interpellée par un avocat du nom de

Théophile qui, l'ayant entendue parler du para-

dis de son époux, lui dit par raillerie : o Allons,

épouse du Christ, envoie-moi du paradis de ton

époux des fleurs ou des roses » , répondit à l'ins-

tant : « Certainement je le ferai », d'où lui

 

 

 

I. « Cum dona sint ad operandum supra humanum mo-

dum, oportet quod donorum operationes mensurentur ex

altéra régula humanae virtutis, quae est ipsa Divinitas ab

homine participata suo modo, ut jam non humanitus, sed

quasi Deus factus participatione, operetur. » (S. Th., 111

Sent., dist. xxxiv, q. i, a. 3.)

 

a. L'Ami da Clergé, an. 1893, p. 891.

 

 

 

lAB. SAINT-BSPRIT.

 

 

 

402 EFFETS ©E L'haBITATION IW SAJNl-ESPllIT

 

venait une pareille assurance? Aurait-elle pEiPlé

de la sorte, en se conformant aux lois de la ,pru-

denoe chrétienne? Ne s'exposait-elle pajs ou à

tenter Dieu en comptant sur u© Miiracle qu'il

n'était pas tenu d'opérer, ou à jeter le discrédit

sur la religion cla<rétienne, si la prcMnesse qu'elle

venait de faire ne se réalisait pas? Et pour.taiut

la jeune vierge répond sans hésitation : « Certai-

nement je le ferai : Plane hoc faoiam. » Et l'évé-

nement lui donne promptement oraison. C'est

que l'Esprit-Saint lui avait suggéré sa réponse,

^t, sans hésiter, sans réfléekir davantage, elle

avait obéi docilement à l'inspiratkm divine, selon

ceftte parole du prophète : (( Le SeÂgneur m'a

ouvert l'oreille pour me faire entendre sa voix ;

quoi qu'il !!^e dise, je ne résiste point; quelque

-difficulté qui se présente^ je ne retourne pas en

arrière i. »

 

De même, quand le bienheurenax Henri Suso,

de l'Ordre de Saint-Dominique, gravait profon-

dément sur sa poitriine le nom de Jésfus ^t se

livrait à des macérations qui révoltent notre déli-

catesse; quand sainte ApoUonie, menacée paj

les païens d'être brûlée vive si eile ne renonçait

à Jésus-Christ, prévenait ses bofurreaux et se

}€^tait elle-même dans les flaratmes ; quand les

stylites et tant d'autres saints embrassaient un

genre de vie qui semblait un perpétuel défi jeté à

la nature, se oonduisaient^ls sekm les régies de

 

 

 

I . « Dominas Deus aperuit mihi auarem, ego autem non

•contradico : retrorsum non abii. » (Ts., l, 5.)

 

 

 

EEs. DOKs DU SitiWTHESPmarr 4o3

 

fe pmdeTiee' ckréfcnnie? Evideirmient non. Et

pourtamlj les' nMra(5l»es opérés en Gonfirmation dé

leur sainteté sonit là poiïr nsous; prouver ^'ils

avaient, en agissant die- la sortevobéi à une impul-

sion divine. Tous ces héroïsnnes die foi, de dou;-

ceur, de force, de patience, de chairité, domt

l'hagiographie chrétienne' contieiat l'émouvant

réerb ; les œuvres extraoaîdinaires enifereprises poxiT

la gloire de Diieu ou le salut, du piochain ; les

manifestations les plus, hautes et les plms exeelt-

len^es de k vi^e spirituelle, n-e sont autre chiose

que les effëfe des dons dju Safet-Espirit. Paartant

d'un principe supérieur aux vertlus, quoi dj'éton"-

nant qu'ils en dépassent lîa mesure ?

 

Voilà pourquoi certains théologiens disent que

les dons sont des perfections qui disposent

l'hoMiime à des a^ctes plus relevés, plus excellients,

que ne le sont général^ement les actes des vertus :

Ei hoc est quod quidam diemni quod doua perfi-

eiuùnt hominem ad aitiores mcias qaam sint actus

mrtutum^. Et, loin d'improtjver cette opinion,

sain* Thoîna^is déclare, dans; un autre; passage,

que c'est celle qui paraît la plus conforme à la

vérité : Et hœc opinic inier omnves ver a videtur^.

 

Est-ce à èire que tes donsr aisent un objet dis-

tiiict de celui des vertus, et qu'ils n^enlrent en

e>tercice que lorsqu'il s'agit d'œuvres héroïques

ou ext^^ao^dîn^ires? S'il en était ainsi, ils ne

con-Adendraient pour ainisi dire qu'aux grands?

saints, aux apôtres, aux martyrs, auit âmes géni-

 

 

 

I. S. Th., I' Ilae, q. lxviii, a. i.

 

a. S. Th., III Sent., ô.\?,i. îxxiv, q. i,. a. r*

 

 

 

Ixolx EFFETS DE l'haBITATION DU SAJNT-ESPRIT

 

reuses prêtes à tous les sacrifices pour avancer

dans le chemin de la perfection, tandis qu'ils

seraient à peu près inutiles à l'immense multi-

tude des chrétiens qui vivent dans la justice

sans faire une action éclatante. Combien, en

effet, se sauvent par la simple pratique des com-

mandements et par les œuvres ordinaires de la

vie chrétienne ! A quoi bon dès lors des habitas

n'ayant à s'exercer que rarement, dans des cas

exceptionnels, et qui demeureraient le plus sou-

vent à l'état de forces dormantes et oisives?

Or, c'est l'enseignement unanime des Docteurs

et des maîtres de la vie spirituelle que les dons

du Saint-Esprit sont le lot commun de tous les

justes, sans en excepter les plus humbles ; et

saint Thomas les déclare nécessaires au salut ^

Comment, dès lors, ne pas reconnaître que si

les actes héroïques et les œuvres éminentes de

la sainteté parfaite constituent le domaine prin-

cipal des dons, ils ne sauraient cependant être

considérés comme leur objet adéquat et comme la

limite extrême de leur sphère d'influence? Aussi,

tout en concédant que « les dons surpassent la

perfection commune des vertus, le saint Doc-

teur fait observer que ce n'est point quant au

genre des oeuvres, à la façon dont les conseils

l'emportent sur les préceptes, mais quant au

mode d'opérer, en ce qu'ils disposent l'homme à

recevoir la motion d'un agent supérieur : Dona

excédant commanem perfectionem virtatam, non

qaantam ad gênas operum, eo modo quo consilia

 

 

 

I. S. Th., I' II", q. Lxviii. a. a.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 4o5

 

praecedunt prsecepta, sed quantum ad modum ope-

randi, secundum quod movetur homo ah altiori prin-

cipio*. »

 

On ne pourrait donc, sans s'écarter de la pen-

sée du prince de la théologie, assigner aux vertus

et aux dons des domaines complètement séparés,

réserver à ceux-ci un genre d'oeuvres spéciales

qui surpasseraient en perfection l'objet matériel

de celles-là.. 11 n'est, au contraire, aucune ma-

tière des vertus sur laquelle l'un ou l'autre don

ne puisse être appelé à exercer à un moment

donné son mode suréminent d'opération ', de

même qu'il n'est pas de forces ou facultés humaines

susceptibles d'être le principe d'actes humains,

qui ne soient aptes à être actionnées par l'Esprit-

Saint et perfectionnées par ses dons 3. Bref, le

champ d'opération des dons s'étend aussi loin

que celui des vertus ; mais si les uns et les

autres ont une même matière, ils se différencient

néanmoins, comme nous l'avons dit, et par leur

mode d'agir et par la règle qui sert de mesure

à leurs actes ; c'est j>ourquoi leur objet formel

n'est pas le même.

 

 

 

1. S. Th., l' II", q. Lxvin, a. 2, ad i.

 

a. « Cum donum elevet ad operationem quae est supra

humanum modum, oportet quod circa materias omnium

virtutum sit aliquod donum quod habeat aliquem mo

dum excellentem in materia illa. » (S. Th., III Sent., dist.

XXXIV, q. I, a. a.)

 

3. « In omnibus viribus hominis, quae possunt esse

principia humanorum actuum, sicut sunt virtutes, ita

etiam sunt dona, scilicet in ratione pt in vi appetitiva. »

(S. Th., I" Ilae, q. Lxvin, a. 4.)

 

 

 

4o6 EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

Les considérations qui précèdent sur la nature

et fei distinction des dons et des vertus ont déjà

fait clairement pressentir leur rôle respectif dans

réconomie surnaturelle. La question toutefois

n'avait pas été jusqu'ici abordée directement ; le

moment est venu de le faire et de rechercher

quel est ce rôle. Au jugement de Tangélique

Docteur, il consisterait pour l'es vertus à iTiettre

nos puissances appétitîves en état d^obéir promp-

tement à la raison, et pour les dons à disposer

le juste à suivre docilement les inspirations de

TEsprit-Saint : Virlafes morales habitas quidam

sani, quitus vires appetilivae disponuntur ad prompte

ohediendum rationî. . . Dona Spirilus Sancti sunl qui-

dam habitus quibus homo perficitur ad prompte

obediendiim Splrllui Sancio^.

 

Réduite à ces termes et envisagée seulement

dans ses grandes lignes, la doctrine relative aux

fonctions particulières des vertus et des dons

rallie facilement tous les suffrages ; mais sitôt

qu'il s'agit de préciser davantage, l'accord s'éva-

nouit et les opinions appraraissent.

 

Ainsi certains théologiens prétendent que les

vertus disposent uniquement à obéir à la raison,

« à a^ir en conformité avec elle, et non à suivre

 

 

 

I. S. Th., !• Ilae, q. lxviii, a. 3

 

 

 

iLBS B0fiS DU SAINT-EEPBIT I^OJ

 

i'inspiratioja divine i » ; le rôle >des 4Gns serait de

perfectionner rhomme « en .tocBt ce qoa'.il doit

ffaire sous l'impulsion, sons rdnspii\ation de

l'Esprit-Saint ' ». Et ^comniîe il n'iest aucune

raction de la crëasture (m la naotion .divine ne soit

associée à l'aotivité humaine, ils eu €on€luen<t

que vertus et dons ^întrent en exercice chez les

justes dans tous et chacun des actes de leur vie

surnaturelle. Voici conament ils raisonnent .:

M Les vertus di6»j>osejQ't l'iiomme à suivre l'im-

pulsion de la droite raison ; les dons le dispo-

iseBbt à suivre celle de Dieu ou de i'Esprit-Saint.

Or cette double impulsion est néoessaire dans les

aotes orrdio>aires >des vertus, depms les plus éle-

vés jusqu'aux plus infimes 3. » Il faut doûc

reconnaitre en tout acie surnaturel même faoile

l'exercice des vertus et des dons.

 

Saint Thomas entend les choses différem.ment.

A' son avis, >tout (en .ayant pour oiïîae de pirépa-

rer l'âme à suivre sans résistance le mouvement

«t la direcitioia de la raison, les vertus la dispo-

sent encore, par voie de conséquence, à suivre

l'impulsion divine, au moins cette impulsion

Ki^rdinaire et commune que Dieu ne refuse à

aucune créature désireuse d'utiliser et de mettre

.en oeuvre les principes d'activité résidant en elle.

Car, suivant la remarque du saint Docteur, par

le fait même qiue Thomme est bien disposé au

regard de sa propre raison, il l'est également par

 

 

 

1. L'Ami du Clergé, n. dia ag décembre «ïSgS, p.. ii64.

 

2. Ibid., p. 1 166.

 

3. L'Ami du CHergé, n. du i*' septemTare 1898 , p. 774.

 

 

 

4o8 EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

rapport à Dieu : Quia per hoc quod komo bene se

habei circa rationem propriam, disponitur ad hoc

qaod se bene habeat in ordine ad Deum ' . Quant

aux dons, leur fonction propre, leur rôle parti-

culier est de préparer celui qui les possède à

recevoir d'une façon connaturelle non pas toute

espèce de motion divine, mais seulement cer-

taines impulsions spéciales désignées sous le

nom d'inspirations, d'instincts de l'Esprit-Saint,

et de faire accomplir à l'homme des actes qui

sortent de l'ordinaire, sinon par leur objet ma-

tériel, au moins par leur mode de production et

par la norme qui leur sert de mesure : Dona sunt

qusedam perfectiones hominis, quibus homo dispo-

nitur ad hoc quod bene sequatur instinctum Spiritus

Sancii^. — Cum dona sinl ad operandum supra

HUMANUM MODUM, oportct quod donorum operationes

mensurentur ex altéra régula quam sit régula

humanas virtutis, quae est ipsa Divinitas participata

suo modo^.

 

Pour mettre cette vérité dans tout son jour, il

ne sera pas hors de propos de rappeler qu'on

peut distinguer une triple motion divine : la pre-

mière, proportionnée à la nature, et donnée en

vue d'opérations naturelles ; c'est la motion par

laquelle Dieu opère en tout agent naturel ou

libre, qua Deus operatur in omni opérante, en qua-

lité de cause première, et dont saint Thomas

 

 

 

I. S. Th., !• II", q. XXXIV, a. 8, ad a.

 

a. S. Th., I' II", q. lxviii, a. 3.

 

3. S. Th., III Sent., dist. xxxiv, q. i, a. 3.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT ^0^

 

prouve la nécessité dans la Somme théologique

(I p., q. io5, a. 5).

 

La seconde, d'ordre surnaturel et proportionnée

à la grâce, nous est octroyée par Dieu pour nous

faire accomplir des œuvres salutaires; car, si

parfaite que soit ou que l'on suppose une créa-

ture, quand même elle posséderait à un degré

éminent la grâce sanctifiante et les vertus infuses,

elle est incapable de passer de la puissance à

l'acte, sinon par la vertu de la motion divine,

motion qui ne se distingue pas ici de la grâce

actuelle : Nulla res creata potest in quemcumque

actum prodire, nisi virfate motionis divinae^.

 

La troisième enfin est une motion toute spéciale

sous rinfluence de laquelle l'homme est plutôt

passif qu'actif, magis agitur quam agaty suivant

cette parole de l'Apôtre : « Tous ceux qui sont

mus et actionnés par l'Esprit-Saint, ceux-là sont

les enfants de Dieu : Quicumque Spirita Dei agun-

tur, a sunt filii Dei^. » Sur quoi saint Thomas fait

observer que, « être mû ou actionné, c'est être

mis en mouvement par une sorte d'instinct supé-

rieur : nia enim agi dicuniur, quse quodam saperiori

instinctu moveniar. Aussi dit-on des animaux non

pas qu'ils agissent, comme s'ils se portaient à

Faction de leur propre mouvement, mais qu'ils

y sont poussés par l'instinct de la nature : Unde

de brûlis dicimus quod non agunt, sed aguntur, quia

a natura moveniur, et non ex proprio motu, ad suas

actiones agendas. Or, quelque chose d'analogue se

 

 

 

I. S. Th., !• n*% q. cix, a. 9.

9. Rom., Yiii, i4.

 

 

 

4lO EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

passe dans rhomme spirituel qui est irrcKné à'

certains actes non par le mouvement de so-n libre

arbitre principalemeni, mais par rEsprit-Saint :

Simiîiter autem homo spirituails non quasi ex mota

propriœ volantatis principaliter, sed ex instinctu

Spiriius Sanctï incUnaiur ad aliquid^. »

 

Et de peur qn^^on abusai: de la comparaison

qu'il' vient d'apporter, l'angéTique Docteur s'em-

presse d^ ajouter que cette impul'sion de TEsprit-

Saint n'exclut nullement dans fes justes la spon-

tanéité, voire même la liberté de leurs a«tesv

mais elle est Tindice que Te mouvement même de-

leur volonté et de leur libre arbitre est carrsépar

le Saint-Esprit, suivant cette parole de TApôtre :

Cest Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire.

— Non^ iamen per hoc exchiditnv quin viri spirili^eh

les per volantaiem et liberum arhïirium operentar,

quia ipsum niotum voluntrttis et Uberi arbitrii Spiri-

ius Sanctus in eis causât, seaundum illuê PhMip,

II, i3 r Deus est qui operaiur in nobis veïïe et per^

ftcere^.

 

Le premier genre de motion divine acl^onne

nos forces naturelles, soil setrles, soit perfection-

nées par l'es vertus acquises', et devient avec elles

le principe d'actes moralement bons. Le second

met en exercice fes vertus iTafuaes, et nows fait

accompKr des actes sumatharePs, ceux dui m'oins

où se conserse notre mode naturel d'agir. Quant

au troisième, il est propre aux dons, et c'est tou-

jours une impulsion spéciale ayant pour term^^

 

 

 

S. Th., in Rom. viii, i4, lèct. 3.

Ibid

 

 

 

LES DO^^S DU SAJNT-ESPHIT 4ll

 

4des œuvres suréminentes par quelque ,endroit,

cam donum elevet ad operaiionem quœ est supra

hunuinum modum V, des œuvres où l'âme humaine

opère comme instrument de l'Esprit-Saint, ^et se

trouve dès lors plutôt passive qu'active : In donis

Spirilus Sancti mens humananonse habetutmovens,

sedmagis ut mota^.

 

Dans les deux premiers cas, la motion divine

se dissimule en quelque sorte derrière nos facul-

tés, dont elle provoque l'exercice, tout en respec-

tant leur jeu normal. Suivant l'h-eureose expres-

sion du pape Pie VI dans la huMe Aixciorem fidei^

elle nous fait fair« les actes auxquels nous nous

sommes librement déterminas : facit ut facia-

mus^. G'es.t la motion ordinaire et commune sous

l'influence de laquelle s'accompli&sent les actes

émanés des vertus.

 

Très différente est la motion propre aux dons,.

Celle-ci, en effet, prévient nos délibérations,

devance nos jugements^ et nous porte d'une façon

pour ainsi dire instinctive à des œuvres aux-

quelles nous n'avions pas songé et que l'on peut

vraiment appeler surbupiaines^ soit parce qu'elles

dépassent nos forces, soit parce qu'elles se pro-

duisent en dehors du mode et des procédés ordi-

naires de la nature et de la grâce. C'est l'impul-

?ion venant de Dieu comme agent supérieur, .sic a^

a quadam superiori potentia^t et qui, pour être

 

 

 

1. S. Th., III Sent., dist. xxxiv, q. i, a. a.

 

2. S. Th., IV II-, q. LU, a. 2, ad i.

 

3. Bulle Auctorem fidei, prop. ai.

 

4. S. Th., I' II", q. Lxviii, a. 4.

 

 

 

4l2 EFFETS DE l' HABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

bien reçue, exige des dispositions toutes spé-

ciales.

 

On comprend en effet que, pour préparer l'âme

à suivre promptement ces impulsions extraordi-

naires par lesquelles TEsprit-Saint pousse les

âmes à des actes qui relèvent de lui principale-

ment et qui se produisent en dehors des règles

communes, des perfections particulières, supé-

rieures aux vertus, aliiores perfectiones '^ , les dons,

en un mot, soient ici nécessaires. Ne faut-il pas

que le mobile se trouve dans un rapport harmo-

nieux avec son moteur? Manifestum est quod ad

altlorem motorem oportet majori perfectione mobile

esse dispositum^. Mais quand il s'agit d'œuvres

ordinaires et communes, auxquelles l'homme se

porte de lui-même, de son propre mouvement,

comment ne pas admettre avec saint Thomas que

la même habitude qui incline la volonté à suivre

l'impulsion de la droite raison la dispose pareil-

lement à recevoir la motion divine : par exemple,

que la même vertu de force ou de tempérance

qui assouplit notre volonté au joug et à l'empire

de la raison la rend en même temps docile à la

motion divine, Tinclinant à en faire les actes

dans les circonstances ordinaires de la vie?

 

N'est-ce pas de l'essence même de ïhabitus

opératif de disposer à l'acte la puissance qu'il

perfectionne, en sorte qu'il dépend de la volonté

d'en user à son gré, suivant cette parole de saint

Thomas : Habitas est quo guis atitur cum volae-

 

 

 

1. S. Th., 1» II", q. Lxviii, a. I.

a. [bid., a. 8.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 4l3

 

rit*? Aussi, quiconque possède une habitude

bonne, non seulement le juste en qui se rencon-

trent, avec les vertus infuses, les dons du Saint-

Esprit, mais le pécheur lui-même, celui du moins

qui a conservé la foi et l'espérance, peut en faire

les actes quand il le juge à propos, et d'une

façon connaturelle, même en l'absence des dons.

 

S'il en était autrement, si c'était pour préparer

Famé juste à recevoir fidèlement la motion divine

en tout ce qui est du domaine surnaturel que les

dons sont ordonnés, on ne voit pas pourquoi il

n'y aurait pas également, dans l'ordre purement

naturel, des perfections analogues aux dons du

Saint-Esprit et destinées à nous rendre dociles à

la motion divine, de même qu'il y a des vertus

acquises qui disposent les facultés appétitives à

obéir à la raison ; car enfin, dans l'ordre de la

nature comme dans celui de la grâce, nous obéis-

sons à un double moteur : la raison et Dieu. Or,

nul n'a jamais parlé, que nous sachions, de ces

sortes de perfections.

 

Concluons donc que Dieu nous meut et par les

vertus et par les dons, mais diversement : d'une

manière conforme à notre nature par les vertus,

d'une façon supérieure par les dons : Virtates

perficiunt ad actus modo humano, sed dona ultra

humanum modum*. Tant qu'il s'agit d'opérer le

bien d'une manière humaine, conformément aux

procédés et aux règles ordinaires de la nature et

de la grâce, l'action des dons n'est point requise.

 

 

 

1. S. Th., I' II-, q. L, a. 5.

 

a. S. Th., III Sent., dist. xxxiv, q. i. a. i.

 

 

 

4 14 EFFETS DE L HABITATION BU iSAlNff-ESPRIT

 

les vertus .suffisent : les yeilus acquises, s'il est

que&tion d'une œuvre rmoralement bonne de

l'ordre jntaturel ; les vertus chrétienneB ou infuses.,

s'il s'agit d'ujî acte salutaire. Ce n'est que dans

les (cas où riianime -doit se conduire d'une ffaooin

su^périeure .au mode ordinaire, pratiquer la vertu

à un degré héroïque ou dans des tconjoncLures

papticulièrement difficiles ; ou encore lorsqu'il

s'agit de correspondre comn^e u-q ijasftrument

libre mais docile à quelqu'une de oes imf>^ulsions

daisolites qui procèdent de Dieu en tanit.q.u' agent

supérieur, secundam quod movetur homo ab uUiori

principio'^, que les dons deviennedat néoessaii^es et

entrent en exercice.

 

Une comparaison achèvera d'éclaircir notre

pensée. Qu'un Lacojdaire ou ^u^n Montalembert,

se faisant maitres d'école^ s'abaissent jusqu'à

apprendre VA, 6, c à des enfants, faudra-t-il q^ue

ceux-ci ajient reçu une préparation spéciale pour

être en état de suivi'e leurs leçons? N^ullement.

Dès là que ces illustres maîtires., f&i fort au-dessus

d'un pédagogue ordinaire, fie bornent à enseigner

les rudiments de la laja^gue, tout le mtonde peut

les comprendre. Il en irait .autrement si, au lieu

de distribuer à leuir jeune .auditoire un enseigine-

•ment élémentaire., ces gjrands orateurs préten-

<iaient l'initier à tous les eeerets de l'éloqueflvoe 2.

 

 

 

1. S. Th., 1*11", q. Lxviii, a. a, ad i.

 

2. Voir sur cette question un article paru dans la Revue

thomiste, n° de novembre 1899, sous ce titre : Les dons du

Saint-Esprit, leur nature, leur rôle, leur -actiûn cUms da vie

chrétienne.

 

 

 

LES BONS' DU SAEHTJ-SSPRBr' 4l5»

 

 

 

VI

 

 

 

Si tel est le rôle des dons, si leur but propre e*.

spécial est de nous préparer à suiATe docilement

les inspirations divines, les impulsions spéciales

et extraordiTiaires d'eFEsprit-Saint dans tes choses

oii la motion de la raison est in suffi sainte, com-

ment prétendre qu'ils sont nécessaires au salut ?^

CoQiment démontrer que Ites fidèles, dont la> vie

se meut dans l'orbitte' d'une vertu commune, owt

vraiment? besoin des dons pour atteindire leur te

dernière? Il semble que, avec les vertiïs théo]vi>-

gales qui les disposent bien paor rapport aux

choses divines, avec les> vertus morales infuses

qui prod'uisent un efifët semblable am regard des^

choses humaine», ils possèdent tout ce* qm est

requis pour parvenir au salut. Ils connaissent lie-

terme vers lequel ils doivent orienter leur vie,

ils ont des forces surnaturelles pouT y tendare,

que faut-il dfe plus ? La» motion speci^lfe' et la di-

rection de celui àa^mï parliait le Psatmiste quand

iî disait : « Votre Esprit qui est bon, ô Seigneurr,

me conduira dans la terre de la véritable recti-

tude 1 )) . Nul, en effet, ne peut parveiîDir à Théri-

tage de la patrie céleste &'il' n'est dî<rigé et conxi^uiït:

par r Esprit-Saint : Qmœ saMicet irv kœredîtaiem Wmsr-

 

 

 

I . « Spiritus tuus bonus deducet me in terram reetam. )>

 

(Ps. CXLTl, lO.)

 

 

 

4l6 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

terrœ heatorum nullus potesi pervenire nisi moveaiur

et deducalur a Spiritu Sancto ' .

 

Si l'homme n'avait d'autre fin que celle qui

répond aux exigences de sa nature, il pourrait,

avec ses énergies natives et le secours ordinaire

que la Providence ne refuse jamais aux causes

secondes pour l'exercice de leur activité, s'ache-

miner de lui-même vers le terme de ses destinées.

Que si cependant Dieu daignait venir encore à

son aide par une motion et une impulsion spé-

ciale, per specialem insiincium 2, ce serait l'effet

d'une bonté vraiment surabondante qui va volon-

tiers au delà du nécessaire, et non le signe d'un

besoin auquel il est indispensable de pourvoir : Si

tamen etiam in hoc homo adjuvetur a Deo per spe-

cialem insiincium, hoc eril superabundantis bonila-

tis^. Mais parce qu'il a plu à Dieu de nous appeler

à une fin qui surpasse absolument les forces et

les exigences de la nature, et que la raison même

perfectionnée par la foi et les autres vertus théo-

logales est incapable de nous conduire à ce bien-

heureux terme, il nous faut la direction d'un

guide plus écJairé, l'assistance d'un moteur plus

puissant, et comme conséquence les dons divins

qui ont précisément pour but de nous rendre

souples et dociles aux inspirations d'en haut : Sed

in ordine ad finem ullimum supernaturalem... non

sufficil ipsa motio raiionis, nisi adsit inslinctus et

moiio Spiritus Sancti... El ideo ad illum finem con-

 

 

 

I. S. Th.. I* n-, q. XLViii, a. a.

«. Ibid.

3. Ibid.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT /jiy

 

sequendum necessarium est homini habere donum

Spiritas Sancti^.

 

D'où provient cette impuissance de la raison?

De la possession défectueuse des vertus théolo-

gales qui caractérise l'état de voie, et de l'insuffi-

sance des vertus morales pour résister en toute

occurrence aux attaques parfois si soudaines et si

vives du démon, du monde et de la chair.

 

Quiconque, en effet, remarque saint Thomas,

possède parfaitement une nature, une forme, une

vertu, bref, un principe quelconque d'opération,

peut, avec la motion ordinaire de Dieu qui opère

intérieurement en tout agent naturel ou libre,

agir par lui-même dans cette sphère ; mais celui

qui ne possède qu'imparfaitement une source

d'activité ne se suffit pas pour agir, il a besoin

d'un secours étranger, d'une direction, d'une

motion spéciale \ Ainsi un étudiant en médecine,

un interne des hôpitaux qui n'est pas encore

pleinement instruit, ne se hasarde point, s'il est

prudent, à entreprendre seul et sans l'assistance

de son maître une opération délicate et pouvant

entraîner de graves conséquences, tandis qu'un

médecin ou un chirurgien en titre, dès là qu'il

possède pleinement son art, peut opérer par lui-

 

 

 

1. S. Th., I" II", q. Lxvm, a. a. ,

 

2. « Manifestum est quod unumquodque quod perfecte

habet naturam, vel formam aliquam, aut virtutem, potest

per se secundum illam operari, non tamen exclusa opera-

tione Dei, qui in omni natura et voluntate interius opera-

lur ; sed id quod imperfecte habet naturam aUquam, vel

formam, aut virtutem, non potest per se operari, nisi ab

talero moveatur. » (S. Th., I» II**, q. lxvui, a. 2.)

 

HAB. SAIMT-StPIllT. — 93

 

 

 

4l8 EFFETS DE L'HABÎtAtlON DÛ SAINT-ESPRIT

 

même, sans avoir besoiù de direction ou d'assis-

tance i. Un capitaine de vaisseau, voyageant dans

des parages inconnus, ne s'aventure point à vou-

loir pénétrer de lui-même dans un port d'accès

difficile et dangereux, mais il fait monter à son

bord un pilote expérimenté et connaissant bien

les passes qui donnent etitrée dans la rade.

 

Or, telle est précisément la condition actuelle

de l'homme par rapport à sa fin ultime surnatu-

relle. Ne possédant qu'à l'état imparfait les prin-

cipes des opéraUjns surnaturelles, c'est-à-dire les

vertus chrétiennes, et notamment les trois vertus

théologales — car ce n'est qu'imparfaitement que

nous connaissons et que nous aimons Dieu — il

est hors d'état de pouvoir parvenir au port du

salut sans un secours spécial, sans une impulsion

et une assistance particulières de l'Esprit-Saint. In

ordine adfinem ulUmtimsupernataralem..., non saf-

ficii ipsà motio ralionis, nisi demper adsit inslinclus

et motio Spiritus Sancti. . ; quia scilicet in hœreditatem

illias terrœ beatôrutn nûllas potest pervenire nisi

moveatur et deducatur a Spirita Sancto. Et parce

que cette impulsion divine spéciale est néces-

saire, nécessaires conséquemment sont les dons

qui disposent à la recevoir. Et ideo ad illum jlnem

conseqaendum necessarium est homini liabere donum

Spiritus Sancti^,

 

 

 

1. « Medicus qui perfecte riovît artem medicinôe, pôlest

per se operari ; sed discipulus ejus, qui nondam est plene

instruclus, non potest per se operari, nisi ab eo instruatur. »

(Ibid.)

 

a. S. Th., I' ÏI", q. Lxvni, a. a.

 

 

 

LES DONS DU, SAÏNT-ESPIUT ^IQ

 

Ce n'est pas que, même dans l'ordre de la

grâce, l'homme soit incapable d'agir par lui-

même et de son propre mouvement, en toute

rencontre. En tant qu'informée, quoique d'une

façon défeçtueu^^, par les vertus théologales, sa

raison peut bien, il est vrai, lui permettre d'ac-

complir, avec le secours ordinaire de la grâce,

plus d'un acte salutaire ; elle peut commencer à

l'acheminer vers les rivages éternels; mais parce

q,u'il n'est en son pouvoir ni de connaître tout

ce qu'il importerait de savoir, ni d'accomplir

tout ce qu'il serait utile ou nécessaire de faire ^ ;

parce qu'elle ne possède, dans les vertus acquises

ou infuses, qu'un remède insufii^ant contre l'igno-

rance, l'hébétude, la dureté de cœur et les autres

misères de notre nature, elle n'est pas en mesure

de surmonter efficacement tous les obstacles, de

vaincre toutes les difficultés qui peuvent sç ren-

contrer, et de nous conduire définitivement au

ciel sans une assistance spéciale, et partant sans

les dons du Saint-Esprit.

 

Que de fois, en effet, dans le cours de son exis-

tence, un chrétien se trouve en face de certaines

éventualités graves, de résolutions importantes à

prendre, d'un choix de vie à faire, de la conduite

à tenir en telle ou telle occurrence, sans qu'il

puisse savoir au juste ce qui est expédient pour

son éternité ! Il est donc nécessaire que celui qui

 

 

 

I. « Rationi humanse non sunt omnia cognita neque

omnia possibilia, sive accipiatur ut perfecta perfectione

naturaU, sive accipiatur ut perfecta theologici^ yirtutibus, »

(U)ia.. ^d 3.)

 

 

 

420 EFFETS DE l'haBITATION DU SAINT-ESPRIT

 

sait tout et qui peut tout se charge lui-même de

nous diriger et de nous protéger i.

 

En outre, le salut exige parfois des œuvres dif-

ficiles. C'est un fonctionnaire qui ne peut rem-

plir ses devoirs religieux sans être mal vu de ses

chefs et s'exposer à encourir leur disgrâce. S'il

était seul, il affronterait plus courageusement le

danger ; mais il est chargé de famille, et sa

fonction est son unique ressource. Ce sont des

époux qui, pour ne pas se laisser aller à la dérive

et entraîner par le courant qui en emporte tant

d'autres, ont besoin d'une énergie peu commune

pour être fidèles jusqu'au bout aux graves devoirs

qu'impose le mariage. Même en supposant que

ces chrétiens possèdent avec la grâce, l'un la vertu

de force, les autres la chasteté conjugale, souvent

leur vertu est faible et leur force chancelante.

Où trouver le secours spécial, le surcroît d'éner-

gie nécessaire dans des conjonctures si critiques,

sinon dans une prière incessante et les dons du

Saint-Esprit? En effet, le don de force est là pour

perfectionner la vertu qui porte son nom ; et

celui de crainte viendra fort à propos au secours

de la chasteté conjugale pour lui faciliter son

triomphe en inspirant aux époux une sainte

horreur pour le péché. Voilà pourquoi saint Tho-

 

 

 

I. « Propter varios rerum eventus. et quia nos ipsos non

perfecte cognoscimus, non possumus ad plénum scire quid

nobis expédiât, secundum illud Sap. ix, i4 : Cogitationes

mortalium timidœ, et incertœ providentiœ nostrœ. Et ideo

necesse est nobis ut a Deo dirigamur et protegamur, qui

omnia novit et omnia potest. » (S. Th., I' U", q. cix, a. 9 )

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT 421

 

mas nous dit, à la suite de saint Grégoire le

Grand, que les dons sont conférés pour venir en

aide aux vertus, in adjutorium virtutum^.

 

Quoique inférieurs en excellence aux vertus

théologales qui nous unissent directement à

Dieu, les dons leur prêtent néanmoins un utile

concours : ils avivent notre foi, animent notre

espérance, enflamment notre charité, nous don-

nent le goût de Dieu et des choses divines Ils

sont surtout les auxiliaires précieux des vertus

morales, dont ils perfectionnent l'action, sup-

pléant même au besoin à leur impuissance : Dona

dantur in adjutorium virtuium contra defectus ; et

sic videtur quod perjiciant illud quod virtutes per-

fîcere non possunt^, La prudence reçoit du don de

conseil les lumières qui lui manquent; la justice,

qui rend à chacun ce qui lui est dû, est perfec-

tionnée par le don de piété, qui nous inspire

des sentiments de tendresse filiale pour Dieu et

nous donne des entrailles de miséricorde pour

nos frères. Le don de force nous fait surmonter

avec intrépidité tous les obstacles qui pourraient

nous détourner du bien, il nous affermit contre

l'horreur des difficultés, et nous inspire le cou-

rage nécessaire pour entreprendre les plus rudes

travaux. Enfin, le don de crainte soutient la

vertu de tempérance contre les rudes assauts de

la chair révoltée. Une action plus énergique, de

plus héroïques efforts dans la pratique du bien,

 

 

 

I. S. Th., in Is. xi, a.

 

a. S. Th., I' II", q. lxviii, a. 8, arg. Sed contra.

 

 

 

42.2 EFFETS DE L HABITATION? DU SAINT-ESPRIT

 

ti'ls sont les effets des dons du Saint-Esprit. Par

eux, l'âme que les vertus infuses avaient déjà

mise en possession de la sainteté commune et

rendue capable d'accomplir les œuvres ordinaires

de la vie chrétienne, sélève facilement jusqu'aux

plus hautes cimes de la perfection. De là ces

paroles de Tangélique Docteur : « Les dons per-

fectionnent les vertus en les élevant au-dessus du

mode humain : Dona perficiunt virtates, elevando

eas supra inodum humanum^. » Aussi les maîtres

de la vie spirituelle les ont-ils comparés aux

ailes de l'oiseau ou aux voiles du navire. L'oiseau

vole plus vite qu'il ne marche; et tandis que le

navire muni de simples rames n'avance qu'avec

peine et lenteur, celui dont le vent enfle les

voiles ou dont la vapeur presse les flancs court

rapide sur les flots.

 

Ce qui ressort des explications précédentes,

ce qui en découle, nous semble-t-il, avec la

clarté de Tévidence, c'est que les dons du Saint-

Esprit sont vraiment nécessaires partout où la

motion de la raison même perfectionnée par les

vertus infuses étant insuffisante, une impulsion

divine spéciale s'impose. Or, c'est un fait que,

même avec l'appoint des vertus chrétiennes,

l'humaine raison est incapable de nous conduire

efficacement à notre fin dernière et de nous faire

surmonter tous les obstacles qui se rencontrent

sur la voie, si elle n'est aidée, secourue, assistée

par une inspiration particulière d'en haut, par

 

 

 

I, S. Th , De charit., q. unie, a. a. ad T7.

 

 

 

LES DONS DU SAINT-ESPRIT ^23

 

une sorte d'instinct supérieur de l'Esprit-Saint,

qiwdam superiori instincia Spiritus Sancti ^ .

 

Nous avons donc besoin de cette impulsion

divine spéciale, et par conséquent des dons, non

pas constamment, mais de temps en temps dans

le cours de notre existence, plus ou moins souvent

suivant les difficultés qui se présentent, les actes

éminents qu'il s'agit d'accomplir, le degré de per-

fection auquel nous sommes appelés, et aussi selon

le bon plaisir de Celui qui, maître de ses dons,

les distribue comme il lui plaît. Il n'est aucune

époque de la vie, aucun état, aucune condition

humaine qui puisse se passer des dons et de leur

divine influence.

 

Ils ne sont pourtant pas nécessaires pour tous

et chacun des actes surnaturels, mais seulement

pour les œuvres émanées du juste sous la pous-

sée de l'Esprit-Saint, et dans lesquelles l'homme

est plutôt passif qu'actif. In donis Spiritas Sancti

mens humana non se habet ut movens, sed magis ut

motà*. C'est avec cette restriction qu'il faut

entendre le toujours de la réponse opposée par

saint Thomas à l'objection suivante contre la

nécessité des dons : Il semble qu'avec les vertus

théologales et morales l'homme est suffisamment

outillé pour arriver au salut, même sans les

dons. A quoi le saint Docteur répond : « Les

vertus théologales et morales ne perfectionnent

pas tellement l'homme par rapport à la fin der-

 

 

 

1. S. Th., I* 11", q. Lxviii, a. 2, ad a.

 

2. S. Th., 11^ IP*^, q. LU, a. 2, ad i.

 

 

 

4 2 5 EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT

 

nière qu'il n'ait toujours besoin d'être mû par un

instinct supérieur de l'Esprit-Saint : Per virtutes

theologicas et morales non ita perficitur homo in

ordine ad ultimum Jinem, quin semper indigeat mo-

veri quodam superiori instinctu Spiritus Sancti,

raiione jam dicta in corpore articali^.

 

 

 

I. S, Th., I^ II", q. Lxviii, a. a ad a.

 

 

 

CHAPITRE VII

 

Derniers effets de Thabitation de Dieu

en nous :

 

LES FRUITS DU SAINT-ESPRIT ET LES BÉATITUDES.

 

 

 

Nous connaissons maintenant, sinon dans le

détail, au moins par une vue d'ensemble, les

principes d'activité conférés aux justes par l'Es-

prit-Saint, magnifique et complexe organisme de

sainteté qui, suivant la belle expression d'un Père

de l'Eglise, fait de l'homme un instrument de

musique admirablement disposé pour chanter la

gloire et la puissance divines : Instrumenium

musicam a Spiritu pulsalum, divinamque gloriam

et potentiam canens^. Et quand il a ainsi tout

préparé, l'Esprit-Saint, artiste incomparable, se

met lui-même au clavier, et pourvu qu'il ne

rencontre pas de résistance, il tire de cet instru-

ment spirituel des accords merveilleux qui ravis-

sent le cœur de Dieu et ne laissent pas que de

plaire au monde lui-même, captivé malgré lui

par cette sainte harmonie.

 

C'est la douce et chaste Agnès entonnant sur

 

 

 

1. S. Grec. Naz., Orat. ad popal., xim, n. 67.

 

 

 

^26 DERNIERS EFFETS DE l'iIABITATION DIVINE

 

la terre, pour le continuer au ciel, le cantique

des vierges : « J'aime le Christ, dont je vais

bientôt devenir l'épouse ; le Christ, dont la Mère

est vierge et que le Père céleste engendre sans

corruption... Je suis fiancé à celui que servent

les anges, et dont la beauté fait l'admiration du

soleil et de la lune ^ » C'est le martyr Ignace,

exposé dans l'amphithéâtre et qui, entendant les

rugissements des lions, s'écrie dans son impa-

tience de souffrir : « Je suis le froment du

Christ ; je serai moulu par la dent des bêtes pour

devenir un pain vraiment pur. » C'est le grand

apôtre Paul jetant à toutes les puissances enne-

mies ce fier défi : « Qui me séparera de l'amour

du Christ? La tribulation? l'angoisse? la faim?

la nudité? le péril? la persécution? le glaive?...

Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les

anges, ni les principautés, ni les vertus, ni

aucune autre créature ne pourra jamais me

séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ

Notre-Seigneur2. »

 

C'est l'innombrable multitude des saints et

des saintes répandue sur la terre entière et for-

mant un concert immense, où chacun fait sa

partie et chante sur un mode spécial le triomphe

de la grâce sur la nature : symphonie ravissante,

où toutes les voix se réunissent et se fondent

 

 

 

I. « Amo Ghristum in cujus thalamum introibo, cujua

Mater virgo est, cujus Pater feminam nescit... Ipsi sum de-

sponsata, cui angeli serviunt, cujus pulchriludinem sol et

luna mirantur. » (Ex. offic. S. Agnetis.)

 

a. Rom., Tiii, 35*39.

 

 

 

LES FRUITS ET LES BÉATITUDES 4^7

 

dans un merveilleux accord. Voix d'enfants et

de vieillards, de vierges et d'adolescents, d'hom-

mes et de femmes, s'élevant de la terre au ciel.

Voix de l'innocence conservée ou laborieusement

reconquise. Voix de la charité miséricordieuse

faisant appel par la bouche de Vincent de Paul

à toutes les misères afin de les soulager. Voix

de la foi triomphante dans la personne de Pierre

de Vérone frappé à mort par l'hérésie, et trou-

vant encore la force de tracer avec la pourpre

de son sang ce mot sublime : Credo, Je crois.

Voix de Ihumilité proférant par l'organe de

Jean de la Croix une des paroles les plus belles

et les plus héroïques qui soient sorties d'une

bouche humaine, lorsque, interrogé par le

Christ : quelle récompense il demandait pour

tant de travaux, il fit cette réponse : « Seigneur,

souffrir et être méprisé pour vous. »

 

Quelle admirable floraison de vertus le souffle

de l'Esprit-Saint fait éclore dans les unies dociles

à son action! Ou plutôt quels fruits aussi déli-

cieux que variés il leur fait produire ! Ce sont

ceux dont parlait Notre-Seigneur, quand il disait

à ses apôtres : « Je vous ai choisis et vous ai

établis pour que aous alliez sans cesse de l'avant,

que vous portiez des fruits et que ces fruits demeu-

rent : Ego elegi vos, et posai vos ut eatis, etfruc-

tum ajferatis, et fructus vester maneat^. » Le juste,

en effet, est comparé, dans nos saints Livres, h

un arbre planté sur le bord des eaux et qui

 

 

 

I. Joan., XV, i6.

 

 

 

428 DERNIERS EFFETS DE l' HABITATION DIVINE

 

donne ses fruits en son temps i. Quels sont ces

fruits? L'apôtre saint Paul nous les fait connaître

dans cette belle énumération que nous lisons au

chapitre Y de l'Epître aux Galates : « Les fruits

de l'Esprit-Saint, dit-il, sont la charité, la joie,

la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la

longanimité, la douceur, la foi, la modestie, la

continence et la chasteté 2. »

 

Que faut-il entendre par ces fruits du Saint-

Esprit? Pourquoi sont-ils ainsi nommés? En

quoi diffèrent-ils des vertus et des dons? Quel

est leur nombre?

 

 

 

Et d'abord, que faut-il entendre par les fruits

du Saint-Esprit? On entend par là, dit saint

Thomas, « tous les actes de vertu arrivés à une

certaine perfection et dans lesquels Thomme

se délecte : Suni enim fructus quœcumque virtuosa

opéra in quïbus homo deleclatur s. » On les

appelle fruits, dit saint Ambroise, parce qu'ils

remplissent l'âme d'une délectation pure et

sainte.

 

 

 

I. « Erit tanquam lignum, quod plantatum est secus

decursus aquarum, quod fructum suum dabit in tempore

suo. » (Ps., 1, 3.)

 

a. « Fructus autem Spiritus est, . charitas, gaudium, pax,

patientia, benignitas, bonitas, looganimitas, mansuetudo.

fides, modestia, continentia, castitas. » (Gai., v, aa-a3.)

 

3. S. Th., I' II'% q. Lxx, a. a.

 

 

 

LES FRUITS ET LES BEATITUDES l^2g

 

Pris dans son acception naturelle, le fruit

désigne le produit final et savoureux d'une

plante ou d'un arbre parvenu à la perfection qui

convient à son espèce i ; c'est le terme régulier

de la végétation, le résultat définitif de ce mer-

veilleux travail auquel s'emploie la vie de la

plante. Aussi variés que les arbres sur lesquels

ils ont été cueillis, les fruits ont cela de com-

mun qu'ils sont le dernier produit de la plante,

et qu'ils possèdent tous, une fois arrivés à matu-

rité, une certaine saveur, différente suivant les

espèces. Fractus sensibilis est id quod ultimum ex

arbore expeclatur, et cam quadam suavitate perci-

pitur^. Lors même qu'elles réjouissent la vue par

l'éclat de leurs couleurs et délectent l'odorat par

la douceur et la finesse de leur parfum, ni les

feuilles ni les fleurs ne méritent ce beau nom

de fruits ; car ce n'est pas ce qu'on attend défi-

nitivement de l'arbre : quod ultimum ex arbore

expectatur.

 

Le fruit n'est pas seulement l'ornement et la

perfection de l'arbre, il en est la raison d'être, le

but, la fin; c'est lui qui donne à l'arbre toute sa

valeur et qui dédommage du soin consacré à sa

culture. C'est pourquoi, parlant en parabole d'un

figuier qui avait cessé depuis plusieurs années

de donner des fruits, le Sauveur disait : « Cou-

pez-le ; pourquoi occupe -t- il inutilement la

 

 

 

ï. « Dicitur in corporalibus /rucf «s id quod ex planta

producitur, cum ad perfectionem pervenerit, et quamdam

in se suavitalem habet. >; (Ibid., a. i.)

 

a. S. Th., MI-, q. xi, a. i.

 

 

 

^3o DERNIERS EFFETS DE l'hABITATION DIVINE

 

place? Succide ergo illam; ut qaid etiam férram

occupât^? » Grande leçon pour le chrétien, qui,

sous peine d'être retranché comme un sarment

inutile et jeté au feu, ne doit point laisser inac-

tives les énergies divines qui lui ont été confé-

rées comme autant de germes destinés à éclore

sous le souffle de l'Esprit de Dieu et à produire

ces œuvres saintes et dignes de la vie éternelle

que l'Ecriture désigne sous le nom de fruits

du Saint-Esprit.

 

On donne, en effet, par analogie, dans l'ordre

spirituel, ce nom de fruits au produit final

de la grâce dans les âmes, c'est-à-dire aux

actes de vertu, sinon à tous indistinctement, au

moins à ceux qui possèdent un certain degré

de perfection et de saveur.

 

Les fruits du Saint-Esprit ne sont donc pas des

habitudes, des qualités permanentes, mais des

actes ; ils ne sauraient dès lors être confondus

avec les vertus et les dons, mais ils s'en distin-

guent comme l'effet se distingue de sa cause, le

ruisseau de sa source. Et bien que l'apôtre saint

Paul énumère parmi ces fruits la charité, la

patience, la douceur, etc., il ne faut point enten-

dre ces expressions des vertus elles-mêmes, mais

de leurs opérations ; car, si parfaites que puis-

sent être les vertus, elles ne sauraient être con-

sidérées comme le dernier produit de la grâce,

étant ordonnées elles-mêmes, en qualité de prin-

cipes, à des produits ultérieurs, c'est-à-dire à

leurs actes.

 

 

 

I. Luc, XIII, 7.

 

 

 

l.E^ FÇIUITS ET LES B^ATÏTUPES 43ï

 

Toutefois, pour mériter le nom de fruits, 1§8

actes des vertus doivent être accompagnés d'une

certaine suavité. Au commencement, ces actes

ne s'accomplissent qu'avec peine, ils exigent des

efforts, d'aucuns même sont âpres à la natura

comme un fruit qui n'est pa3 mur. Mais, observa

un pieux auteur, « quand on s'est longtemps

exercé avec ferveur dans la pratique des vertus,

l'on acquiert la facilité d'en produire les actes.

On ne sent plus les répugnances qu'on resseiitait

au commencement. Il ne faut plus comt)attre ni

se faire violence. On fait avec plaisir ce que l'on

ne faisait auparavant qu'avec peine, Il arriva

alors aux vertus ce qui arrive aux arbres. Gomma

ceux-ci portent des fruits qui, quand ils sont

venus à leur maturité, n'ont plus d'aigreur, mais

sont doux et d'une agréable saveur ; de même

quand les actes de vertu en sont venus à une

certaine maturité, ils se font avec plaisir, et l'on

y trouve un goût délicieux i. »

 

Le monde ne comprend rien à ces sortes de

délices ; car, suivant la remarque de saint Ber-

uard, il voit la croix, mais non l'onction : Çru-

cem qizidem vident, sed Jion etiam unctionem^\

les afflictions de la chair, la mortification des

sens, les labeurs de la pénitence ne frappent son

regard que par leur côté pénible, et il les a en

horreur, les consolatious de l'Esprit-Saint lui

échappent. Les âmes saintes, au contraire, disent

 

 

 

i.Lallemant, Doctrine spiriL

a. S. Bern., serra, i, de Dedicat.

 

 

 

432 DERNIERS EFFETS DE l'hABITATION DIVINE

 

volontiers avec l'épouse des Cantiques : « Je me

suis assise à l'ombre de celui que j'avais désiré,

et son fruit est doux à mon palais '. »

 

Les fruits de l'Esprit-Saint sont-ils nombreux?

Saint Paul en compte douze, comme nous l'avons

vu plus haut. Pourquoi ce nombre duodénaire ?

Il semble que l'on devrait en admettre autant

que d'actes vertueux. C'est, en effet, la conclu-

sion de saint Thomas : « Les fruits, dit-il, ce

sont tous les actes de vertu dans lesquels

l'homme trouve du plaisir : Sunt fructus quœ-

cumque virtuosa opéra in quibus homo delectatur^. »

L'Apôtre aurait donc pu en faire entrer un plus

ou moins grand nombre dans son énumération,

car il n'avait pas la prétention de les énoncer

tous. S'il s'est arrêté au nombre de douze, c'est

d'abord parce que ce nombre, dans le style de

TEcriture, désigne l'universalité ; puis, parce

que tous les actes de vertu peuvent assez conve-

nablement se ramener à ceux que nomme

l'Apôtre, attendu qu'ils embrassent la vie chré-

tienne tout entière ^.

 

Nous parlons de fruits ; nous pourrions tout

aussi bien les appeler des fleurs, si, au lieu de

considérer nos bonnes œuvres comme le dernier

produit de la grâce ici-bas, nous les envisagions

par rapport à la vie éternelle, dont ils sont

comme l'annonce et le gage. Car, de même

 

 

 

1 . « Sub umbra illius quem desideraverarn sedi, et fruc-

tus ejus dulcis gutturi meo. » (Gant., ii, 3.)

 

2. S. Th., I* II»% q. Lxx, a. a.

 

3. Ibid.. a. 3, ad 4.

 

 

 

LES FRUITS ET LES BEATITUDES 433

 

qu'en voyant apparaître la fleur, on conçoit

l'espoir de cueillir un fruit, jouer ainsi la pra-

tique des œuvres saintes et méritoires nous

donne l'espérance de parvenir à la vie et à la

béatitude éternelles i.

 

 

 

II

 

 

 

Au sommet de la vie spirituelle, au-dessus par

conséquent des actes de vertu ordinaire, au-

dessus des fruits du Saint-Esprit, se placent les

béatitudes, couronnement de l'œuvre divine en

nous, le dernier et le plus sublime effet de la

présence de celui que le Père a daigné nous en-

voyer pour notre sanctification, l'avant-goût du

bonheur céleste.

 

Que faut-il entendre par les béatitudes? Quel

en est le nombre? Se distinguent-elles des fruits,

des vertus et des dons?

 

On désigne sous le nom de béatitudes certains

actes de la vie présente qui, par suite de leur

 

 

 

I. « Opéra nostra, in quantum sunt effectus quidam Spi-

ritus Sancti in nobis operantis, habent rationem fructus ;

sed in quantum ordinantur ad finem vitae seternae, sic ma-

gis habent rationem florum ; unde dicitur (Eccli., xxiv,

23) : Flores mei fructus honoris et honestatis. » (Ibid., a. i,

ad I.) — Et iterum : « Opéra virtutum dicuntur fructus...

Dicuntur etiam flores respectu futurse beatitudinis, quia

sicut ex floribus accipitur spes fructus, ita ex operibus vir-

tutum habetur spes vitae œternae et beatitudinis. » (S. Th.,

.in Gai, v, lect6.)

 

HJLB.SAINT-K8PBIT. — sS

 

 

 

434 DERMER5 EFFETS DE Ih*HAPITATION DIVINE

 

perfection toute particulière, conduisent direc-

tement et sûrement à la félicité éternelle. On les

appelle par métonymie béatitudes, parce qu'ils

sont tout à la fois le gage, la cause méritoire,

et, dans une certaine mesure, les prémices de la

vraie et parfaite béatitude.

 

La béatitude proprement dite est essentielle-

ment une ; elle consiste dans la possession de

Dieu. Il est clair, en effet, que Dieu étant le

bien souverain, infmi, seul capable de rassasier

tous les désirs, nul n'est heureux que dans la

mesure où il le possède. Dès ce monde, il est

vrai, nous le possédons par la grâce, mais im-

parfaitement ; nous le portons en nous, mais

voilé aux regards; nous l'aimons, nous jouissons

de lui, mais avec la possibilité de le perdre.

(f Donc, s'il est question de béatitude ici-bas, on

ne le peut entendre évidemment que d'une

béatitude imparfaite, d'une béatitude espérée,

méritée, tout au plus commencée i. »

 

Les béatitudes dont il est fait mention dans le

saint Évangile et dont nous nous occupons pré-

sentement ne désignent donc pas le bonheur

absolu, la félicité proprement dite. N'est-il pas

manifeste que la pauvreté, les larmes, la faim

et la soif, fut-ce même de la justice, les persécu-

tions souffertes pour la cause de Dieu, ne sauraient

constituer la béatitude vraie et parfaite? Mais

Notre-Seigneur affirme que ce sont des moyens,

des degrés, des ascensions pour arriver à la

béatitude absolue : moyens si puissants, si efii-

 

 

 

Mk' Gat, Sermons d'Avent.

 

 

 

i

 

 

 

LES Fruits et les béatitudes 435

 

caces, si assurés, que quiconque les emploie per-

sévéramment peut répéter à la suite de TApôtre :

« Je suis sauvé en espérance ^ )> Ne dit-on pas

de quelqu'un qu'il est arrivé au terme de ses

vœux, lorsqu'il a l'espoir fondé d'y parvenir?

Or, comment ne pas concevoir l'espérance d'ob-

tenir une fin déterminée, quand on s'y achemine

d'une façon constante et régulière, qu'on en

approche, quand surtout on commence déjà à

goûter la douceur du bien attendu-? Lors donc

qu'un chrétien, docile aux inspirations de l'Es-

prit-Saint, avance chaque jour dans le sentier du

bien par les actes des vertus et des dons, lors-

qu'on le voit réaliser, peu à peu, ces ascensions

admirables dont parle le Psalmiste^, et se rap-

procher de plus en plus du terme, comment ne

pas éprouver la confiance qu'il parviendra à la

perfection de la voie et à celle de la patrie, et ne

pas le proclamer bienheureux par anticipation^?

 

 

 

1. « Spe salvifacti siimus. » (Rom., vrii, 3^.)

 

2. « Dicitur enim âliquis jam finem habere propterspem

finis obtinendi. Unde et Apostolus dicit : Spesalvifacti&umus.

Spes autcm de fine consequendo insurgit ex hoc quod ali-

quid convenienter movetur ad finem^ et appropinquat ad

Ipsum; quod quidem fît per aliquam actionem. Ad finem

autem beatitudinis movetur aliquis, et appropinquat per

operationes virtutum, et preecipue per operationes dono-

rum, si loquamur de beatitudine aeterna, ad quam ratio

non sufflcit, sed in eum inducit Spiritus Sanctus. » (S. Th.,

I* II", q. LXix, a. I.)

 

3. «. Ascensiones in corde suo disposuit. » {Ps. lxxxiii, 6.)

 

4. « Gum aliquis incipit proficere in actibus virtutum et

doTiOrum, potes t sperari de eo quod perveniet ad perfec-

tionem viae et ad perfectionem patriae. » (S. Th., 1* 11"%

q. Lxix, a. 2.)

 

 

 

436 DERNIERS EFFETS DE l'hABITATION DIVINE

 

Mais quels sont ces moyens qui conduisent si

sûrement au terme du salut éternel, ces actes

si pleins de suavité qu'on peut les considérer

comme un commencement de béatitude?

 

Le Sauveur lui-même nous les a fait connaître

dans ce fameux sermon de la montagne qui

ouvre la période de sa vie publique. « Bienheu-

reux, dit-il, les pauvres d'esprit, parce que le

royaume des cieux est à eux. Bienheureux les

doux, parce qu'ils posséderont la terre. Bienheu-

reux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront conso-

lés... » Huit fois de suite il répète, avec des

variantes, la même expression a Bienheureux »,

proclamant ainsi devant le monde étonné ce que

le langage chrétien a nommé les huit béatitudes.

Elles sont huit : la pauvreté d'esprit, la douceur,

les larmes, la faim et la soif de la justice, la

miséricorde, la pureté du cœur, l'amour de la

paix, les persécutions souffertes pour la cause

de Dieu; mais la huitième n'est que la confir-

mation et la manifestation des autres i. En effet,

du moment où l'homme est affermi dans la

pauvreté spirituelle, la douceur, et les autres

béatitudes, la persécution est impuissante à le

détacher de ces biens.

 

 

 

1. « Octava béatitude est quaedam conflrmatio et mani-

festatio omnium praecedentium. Ex hoc enim quod aliquis

est confirmatus in paupertate spiritus et mititate, et aliis

sequentibus, provenit quod ab bis bonis propter aliquam

persecutionem non recedit. Unde octava beatitudo quo-

dammodo ad septem prsecedentes pertinet. » (S. Th., I'

II", q. Lxrx, a. 3, ad 5.)

 

 

 

LES FRUITS ET LES BEATITUDES 437

 

Les béatitudes ne sont ni des vertus ni des

dons du Saint-Esprit, mais des actes que ces

habitudes nous amènent à produire ^ Toutefois,

€n raison même de leur excellence et de leur

perfection, ces actes doivent être considérés plu-

tôt comme un produit des dons que comme une

cmanation des vertus. En effet, la vertu de pau-

vreté peut bien inspirer ce détachement qui fait

user avec modération des biens terrestres, mais

c'est le don de crainte qui en inspire le mépris.

La vertu de douceur donne à l'homme l'énergie

nécessaire pour surmonter l'impétuosité de la

colère et se tenir dans les limites de la droite

raison ; mais c'est le don de piété qui lui assure

le calme, la sérénité de l'âme, la parfaite posses-

sion de soi-même et l'entière soumission à la

volonté de Dieu. La tempérance met un frein

aux passions qui se portent vers le plaisir sen-

sible et les maintient dans de justes bornes ; le

ion de science élève l'âme plus haut, et en

l'éclairant sur la fragilité, la vanité, le peu de

durée de ces plaisirs, lui apprend à les rejeter

entièrement, si c'est nécessaire, pour embrasser

volontairement le deuil et les larmes 2.

 

Les béatitudes se distinguent également des

fruits du Saint-Esprit ; car, tout en délectant

comme eux, elles ont de plus l'avantage de per-

 

 

 

1. « Beatitudines distinguuntur quîdem a virtutibus et

donis, non sicut habitus ab eis distincti, sed sicut actus

distinguuntur ab habitibus. » (Ibid., a. i.)

 

2. Ibid., a. 3.

 

 

 

438 DERIVIERS EFFETS DE "L'HABITATION DIVINE

 

fectionner qui les possède i. Ce sont, si l'on

veut, des fruits, mais les plus excellents, les plus

beaux, les plus exquis ; des fruits arrivés par les

dernières touches du Soleil divin à une maturité

parfaite ; aussi renferment-ils une suavité et une

perfection telles, qu'ils font pressentir et goûter

par avance quelque chose de la félicité céleste.

Ainsi se couronne par des œuvres parfaites,

signes précurseurs de la béatitude et de la pleine

possession de Dieu, cette série de merveilles que

l'Esprit-Saint accomplit dans les âmes où il a

fixé sa demeure.

 

 

 

m

 

 

 

Avant de clore cette étude déjà longue, jetons

un dernier et rapide regard sur les vérités qui

en ont fait l'objet, de même que, avant de fran-

chir le seuil d'un édifice parcouru et examiné en

détail, on l'embrasse d'un coup d'oeil d'ensem

ble pour en bien saisir les grandes lignes et en

admirer la savante harmonie.

 

 

 

I. <c Plus requiritur ad rationem beatitudinis quam ad

ralionem fructus. Nam ad rationem fructus suffîcit quod

sit aliquid habens rationem ultimi et delectabilis. Sed ad

ralionem beatitudinis ulterius requiritur quod sit aiiquid

{>eifectum et excellens. Unde omnes beatitudines possunt

dici fructus, sed non convertitur. Sunt enim fructus quae-

cumqiie virtuosa opéra in quibus homo delectatur ; sed

beatitudines dicuntur sokun pcrfecta opéra, qufs etiarr.

ratione suae perfectior^is magis attribuuntur donis quam

virtutibus. » (S. y^ ja jl", q- lxx, a. a.)

 

 

 

LES FRUITS ET LES BÉATITUDES 439

 

Dieu est partout, en tout être et en tout lieu,

comme cause immédiate de tout ce qui existe

hors de lui ; mais il n'habite que dans les justes,

auxquels il s'unit d'une façon singulière, comme

objet de connaissance et d'amour. Et ce n'est pas

seulement par son image, son souvenir, ou ses

dons, qu'il est ainsi présent en eux ; il y vient

lui-même personnellement, inaugurant dès ici-

bas cette vie d'union et de jouissance qui doit se

consommer au ciel. Sitôt, en effet, qu'une créa-

ture jusque-là pécheresse rentre en grâce avec

son Créateur, celui qui est en Dieu l'Amour sub-

sistant, l'Esprit-Saint, lui est envoyé pour sceller

en quelque sorte par sa présence le pacte de la

réconciliation, travailler au grand œuvre de sa

sanctification, et devenir en ell^- le principe effi-

cient d'une vie nouvelle, incomparablement

supérieure à celle de la nature. Aussi n'est-ce

point une visite passagère, si précieuse qu'elle

puisse être, qu'il daigne lui faire, mais il vient

s'établir dans son âme avec le Père et le Fils, et

y fixer sa demeure.

 

En y entrant, il se donne lui-même, et c'est là

son grand don. Il s'agit ensuite d'embellir et

d'orner le temple vivant où il lui plaît de résider.

Dans ce but, il y verse cette grâce d'un prix infini

qu'on appelle sanctifiante, et qui a pour effet de

purifier toute souillure, d'effacer le péché, de

justifier, de transformer, de déifier qui la reçoit,

d'en faire un enfant de Dieu et l'objet de ses com-

plaisances, avec droit à l'héritage céleste. Ce

n'est pas tout, car la grâce ne va jamais seule ;

toujours elle a pour cortège une foule de vertus

et de qualités suréminentes qui sont tout à la

 

 

 

k^O DERNIERS EFFETS DE l'hABITATION DIVINE

 

fois une parure pour nos puissances et une

source d'activité surnaturelle. Ce sont les vertus

théologales, la foi, l'espérance et la charité; les

vertus morales infuses et les dons du Saint-Es-

prit : germes féconds des fruits que Dieu veut

récolter en nous; énergies divines, source de ces

actes excellents qui portent le nom de béatitudes

parce qu'ils sont la cause méritoire et une sorte

d'avant-goût de la félicité que nous espérons.

 

Ainsi pourvus, nous pouvons aller de l'avant;

et, pour nous acheminer efficacement et sûre-

ment vers les rivages éternels, nous n'avons plus

qu'à recevoir cette impulsion de l'Esprit-Saint qui

est le partage des enfants de Dieu ^ Elle ne se

fait pas attendre. Du fond de l'âme où il réside,

ce divin Esprit éclaire notre intelligence, échauffe

notre cœur, nous excite et nous pousse au bien.

Qui comptera toutes les saintes pensées qu'il

suscite, les bons mouvements qu'il provoque,

les inspirations salutaires dont il est la source?

Pourquoi faut-il que de malheureuses et trop

fréquentes résistances viennent paralyser plus ou

moins son action bienfaisante et en entraver les

effets? C'est ce qui explique pourquoi tant de

chrétiens en possession habituelle de la grâce et

des énergies divines qui l'accompagnent, demeu-

rent néanmoins si faibles et si lâches dans le

service de Dieu, si peu zélés pour leur perfec-

tion, si inclinés vers la terre, si oublieux des

 

 

 

1. « Quicumque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii

Dei. » (Rom., viii, i4.)

 

 

 

LES FRUITS ET LES BEATITUDES 44 1

 

choses du ciel, si faciles à entraîner au mal. Aussi

l'Apôtre nous exhorte-t-il « à ne pas contrister

l'Esprit-Saint » par notre infidélité à la grâce :

Nolite contristare Spiritum sancium Dei^, et sur-

tout « à ne pas l'éteindre dans nos cœurs :

Spiritum nolite extinguere^. »

 

Il est une autre cause qui achève d'expliquer

pourquoi une semence si abondante de grâces ne

produit souvent qu'une si chétive moisson. C'est

que, ne connaissant que très imparfaitement le

trésor dont ils sont les dépositaires, nombre de

gens n'en ont qu'une faible estime et se mettent

peu en peine de le faire fructifier. Et pourtant,

quelle force, quelle générosité, quel respect

d'eux-mêmes, quelle vigilance, et aussi quelle

consolation et quelle joie ne leur inspirerait pas

cette pensée constamment entretenue et pieuse-

ment méditée : l'Esprit-Saint habite dans mon

cœur! Il est là, protecteur puissant, toujours

prêt à me défendre contre mes ennemis, à me

soutenir dans mes combats, à m'assurer la vic-

toire. Ami fidèle, toujours il est disposé à me

donner audience, et, « loin d'être une source

d'amertume et d'ennui, sa conversation apporte

Tallégresse et la joie : Non enim habet amaritu-

dinem conversalio illias, nec iœdium convictus illius,

sed lœtitiam et gaudium^. » Il est là, témoin tou-

jours veillant de mes efforts et de mes sacrifices,

comptant, pour les récompenser un jour, chacun

 

 

 

I. Ephes., IV, 3o.

a. I Thess., v, 19.

3. Sap., VIII, 16.

 

 

 

:U2 DERNIERS EFFETS DE l'hABITATION DIVINE

 

de mes pas, suivant toutes mes démarches, n'ou-

bliant rien de ce que je fais pour son amour et

sa gloire.

 

L'Esprit-Saint habite dans mon cœur ! Je suis

son temple, le temple de la sainteté par essence ;

il faut donc que je devienne saint moi-même, car

le premier caractère de la maison de Dieu, c'est

la sainteté. Domam taam, Domine, decet sancii-

tudo^. Je dirai donc avec le Psalmiste, par ma

conduite plus encore que par mes paroles : a O

Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et

le lieu oii habite votre gloire : Domine, dilexi

decorem domus iuœ, et locum hahitationis gioriœ

tuœ\ »

 

Quoi de plus efficace que ces réflexions pour

nous déterminer à vivre, suivant la parole de

saint Paul, « d'une manière digne de Dieu, nous

efforçant de lui plaire en toutes choses et de por-

ter toutes sortes de fruits de bonnes œuvres?

Ut amhuletis digne Deo per omnia placentes, inomni

opère bono Jruciificanies '^. » Travaillons donc à

croître dans la science de Dieu, crescentes in

scientia Dei'^, nous appliquant chaque jour à

mieux connaître, afin de les apprécier davan-

tage, les dons divins. Aimons, honorons, invo-

quons souvent l'Esprit-Saint, soyons dociles à ses

inspirations ; et si nous voulons occuper un jour

le trône de gloire qui nous a été préparé dans le

 

 

 

1. Ps., xcii, 5.

 

2. Ps., XXV, 8.

 

'6 Col., 1, lo.

k. ïbld.

 

 

 

LES FRUITS ET LES BEATITUDES 443

 

€iel, commençons par glorifier ici-bas et dans

notre âme et dans notre corps cette Trinité sainte

dont nous sommes le séjour et le temple. Glori-

Jîcate et porlate Deum in corpore vestro i.

 

 

 

I Cor., Ti, ao.

 

 

 

APPENDICE

 

 

 

APPENDICE

 

 

 

Exposition et réfutation de l'opinion de Petau

 

RELATIVE A

 

L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT

dans les âmes justes

 

 

 

Petau n'a pas été le premier à soutenir que l'habitation

divine par la grâce est propre au Saint-Esprit, et à se cons-

tituer le champion d'une union avec les âmes justes parti-

culière à la troisième personne de la sainte Trinité, et ana-

logue à celle du Verbe avec l'humanité dans la personne de

Jésus-Christ. Déjà, au XIP siècle, Pierre Lombard, sur-

nommé le Maître des Sentences, croyant lui aussi pouvoir

s'appuyer sur l'autorité des Pères, avait enseigné une union

spéciale de l'Esprit-Saint avec nos âmes, sous le prétexte

que la charité par laquelle nous aimons Dieu et le pro-

chain n'est pas quelque chose de créé, mais la personne

même de ce divin Esprit habitant au fond de nos cœurs ^

 

Voici en quels termes il proposait son opinion sur ce

pbint : « Nous avons dit plus haut, et montré par l'autorité

des saints, que le Saint-Esprit est l'amour du Père et du

Fils, l'amour par lequel ils s'aiment mutuellement, et nous

 

 

 

1. a Magister poûit qnod chantas non est aliquid creatum in anima, sed

e«t ipse Spiritus sanclns mentem inhabitàns. » (S. Tii., II-Il. q \i\i,

a. 2.)

 

 

 

448 APPENDICS

 

avec eux. Il faut ajouter que ce même Esprit est aussi

l'amour, ou la charité par laquelle nous aimons Dieu et le

prochain K » Et pour qu'on ne se méprît pas sur sa pensée,

le Maître des Sentences avait soin de déclarer que ce n'est

point par métonymie, en mettant la cause pour l'effet, que

i'Esprit-Saint est appelé notre charité, comme lorsque

nous disons de Dieu qu'il est notre patience ou notre espé-

rance, c'est-à-dire l'auteur de ces vertus, mais dans le sens

propre et réel, en sorte que nous aimons Dieu avec le cœur

même de Dieu.

 

Il ne prétend pas assurément que l'acte de charité émis

par la créature soit la personne de l'Esprit-Saint ; mais il

soutient que ce di\1n Esprit, habitant au fond de nos

cœurs, nous fait produire cet acte directement et par lui-

même, sans l'intermédiaire d'aucune habitude créée, tandis

que les actes des autres vertus, de la foi, par exemple, ou

de l'espérance, s'accomplissent bien aussi sous la motion du

Saint-Esprit, mais par le moyen de ces vertus*. C'est l'ex-

cellence de la charité qui portait le Maître des Sentences à

faire cette exception en sa faveur ' ; et il ne s'apercevait pas

que sa doctrine tournait, en réalité, au détriment de la

plus éminente des vertus théologales ; car, pour produire

un acte d'amour d'une manière parfaite, promptement, fa-

cilement, avec plaisir, et d'une façon connaturelle, la vo-

lonté humaine a besoin, en outre de la motion divine,

d'une vertu surnaturelle et infuse qui perfectionne sa puis-

sance opérative*.

 

Des disciples de Pierre Lombard, théologiens sans noto-

 

 

 

1. P. Lomb., 1. 1 Sent., dist. xtii.

 

2. u Alios actus atque motus rirtntam operatnr charitas.id est Spiritns tanc-

tas, medianlibug firtutibas, quaram actes sant, utpote actom fidei, id est cre-

dere, fide média ; et actom spei, id est sperare, média spe. Per fidem enim et

gpem praedictos operatur actus ; diligendi Tcro actum per se tantum sine alicu-

jus virtutis mcdio operatur, id est, diligere. Aliter ergc hune actum operatur

quam alios virlutum actus. » (Ibid.)

 

3. tt Et hoc dicebat propter excellentiam charitaiis. » (S. Th., IMI,

q. XXIII, a. S.)

 

4. c Nullus autem actus perfecte prodacitur ab aiiqua poteotia activa, oisi

tit ei conuatoraiis per aliquam formam, qnae sit priocipium actionis... Unde

maxime necesse est quod ad actum cbaritatis io nobis existât aiiqua habitualis

forma snperaddita potentiae naturali, inclioans ipsam ad cbaritatis actum, «t

(aciens eam prompt« et delectabiiiter operari. » (S. Th., ibid.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU 449

 

riété, dont les théories sont parvenues jusqu'à nous grâce

aux commentateurs des Sentences, mais dont le nom n'a

point échappé à l'oubli, voulant mettre en lumière l'opi-

nion singulière de leur maître sur la nature de la charité,

disaient, au rapport de saint Bonaventure, que « le Saint-

Esprit peut être considéré sous un triple aspect : en lui-

même d'abord, et, à ce point de vue, il est l'amour du Père

et du Fils ; puis en tant qu'il habite en nous, et comme

tel il est désigné sous le nom de grâce ; enfin en tant qu'il

est uni à notre volonté, et, dans ce cas, il est la charité par

laquelle nous aimons Dieu. Ainsi, disaient-ils, l'Esprit- Saint

est notre charité, non par appropriation, mais par son

union avec notre volonté. Car de même que le Fils seul

s'est incarné, s'est fait homme, et s'est uni à l'humaine na-

ture, quoique toute la Trinité ait opéré le mystère de l'In-

carnation ; ainsi toute la Trinité opère l'union de l'Esprit-

Saint avec notre volonté, mais ce divin Esprit est seul uni à

elle; et c'est pourquoi lui seul est charité*. » Ce qui avait

déterminé ces théologiens à proposer cette hypothèse,

c'était la parole de l'Apôtre : Celai qui est uni à Dieu ne

forme qu'an même esprit avec lui ^

 

Telle est bien, en substance, l'opinion ressuscitée par

Petau. Si le docte jésuite se sépare sur un point du Maître

des Sentences et de ses partisans, en admettant une grâce

et une charité créées, il est d'accord avec eux pour recon-

naître une union spéciale de l'Esprit-Saint avec les justes,

union qui lui est propre et personnelle, et où la substance

de ce divin Esprit est directement et sans intermédiaire

non pas la cause efficiente immédiate de nos actes

d'amour, comme le voulait Pierre Lombard, mais, ce

qui est plus grave, le principe formel de notre sanctifica-

tion.

 

Dans l'ordre actuel, dit-il, un double élément intervient

dans l'œuvre de notre justification : l'Esprit-Saint, qui

nous rend justes et enfants de Dieu par l'application de sa

propre substance ; et la charité ou la grâce, qui est le lien

par lequel nous sommes unis à lui. Mais, lors même qu'au-

 

 

 

1. S. Bonav., in Sent., I, dist. xvii, p. 1, a. 1, q. i,

 

2. 1 Cor., Ti, 17.

 

HAB . SAINT-««PHIT. — 29

 

 

 

45o A?PÈHï>rCi«

 

ciine qualité créée ne sei*âH vôtsée dans notre âme, lâ seule

présence de rE?prit sanctificateur et son union avec elle

suffiraient pour la rendre sainte ' . Proposition dangereuse

et diffîciiemefit conciliable avec la doctrine du Concile de

Trente, lequel a défini contre les novateurs que l'unique

cause formelle de la justification n'est autre que la justice dfr

Dieu, non pas cette justice substantielle et incréée par

laquelle Dieu est juste, mais une justice accidentelle et

créée, inhérente à notre âme, la grâce sanctifiante en un

mot, qui, en renouvelant l'homme intérieur et en nous

purifiant de nos péchés, nous rend vraiment justes et saints,

agtéables à Dieu et héritiers de la vie éternelle*. Si la

cause formelle de notre justification consiste dans un don

créé, comment la confondre avec la personne de l'Esprit-

Saint ? Et si, au jugement du concile, elle est unique,

de quel droit un simple théologien peut-il se permettre

d'en assigtier une seconde ? Le Saint-Esprit ne saurait

donc être considéré, à aucun titre, comme la cause for-

melle de notre justification et de notre adoption divine, il

en est simplement, de concert avec le Père et le Fils, la

cause efficiente.

 

 

 

1. « Quamobrem jure Patres eosdem asseverantes andivirnns, cdfii nullo

inlerjeclo medio sanctos nos fieri per ipsam Spiritus sobstantiam, tum nullam

id creaturam posse perficere ; tanietsi substanlia Dei, qua saaclificamur, corne»

sit infusa qualitas, quara vel gratiara, vel charilalem dicimas... Quamobrem

eatenus ille (Magister Senlentiaram) oobis audieudos est, quoad Spiritum sanc-

tuin doceat, ipsom pe* sese comraunicari infufidique juglis, ac veluli formam

esse, qua sancti Deoque grati, et adoptivi ftlii sunt ; quo tit, ut « Deo nos

Denm diligere, » Fulgenlius affirmet ; quod aulem nullum praeter (praeterea)

charitalis habitum in^sse putal, vehementer errât, et communi theologornm,

imo vero fidei decreto nolalur. Utrumqne enim intervenu; et Spiritus ipëe

sanctus, qui filios facit, adeo ut, si nuîla infunderetur creata qualitas, sua nos

ippe substantia adopkivos filios efDceret; et charitalis habitas ipse, sive

gratiae, quae est viaculum quoddam, sive nexus, quo cum anirais nostri»

iila Spiritus sancU substantia copulalur. * (Petav., de Trin., I. VIII, cap. ri,

n. 3.)

 

2. c Justifîcationis causse «ont : Snalis quidem, gloria I>ei, et Cbristi, ae Ttta

aeterna; efficiens vero, misericors Deus; meritoria aulem, dilectissimus unige-

nitns 8UU8, Dominus noster JesilsChriStns... ; demiMU unica formalis causa est

jnstitia Dei : non qua ipse justus est, wi qua nos justos facit; qua videlicet

ab eo donati, renovamur spiritu mentis noslrae ; et non modo reputamur, sed

Tcre justi nominamur, et sumus, justitiam iu nobis recipientes, unusquisque

(Dam secundum mensuram, qaam Spiritus sauctus partitur singulis prout vult,

et secaudum propriam cujusque dispositionem, et cooperationem. » (Trid., ses».

VI, cap. vil.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATÏO» DE L'oPINION DE PETAU 45 1

 

 

 

En laissant de côté, dans la théorie de Petau, ce qui est

relatif au principe formel de notre sainteté et de notre fi-

liation adoptive, ne pourrait-on pas du moin? admettre

avec lui que l'inUabitation di\ine par la grâfce est propre au

Saint-Esprit, et qu'il existe çonséquemment entre la troi-

sième personne de la Trinité et les âmes justes des rap-

ports spéciaux, une union particulière, analogue à celle

du Verbe avec l'humanité dans la personne de Jésus-Christ ?

Le célèbre jésuite soutient que tel est le sentiment de l'an-

tiquité, et il en appelle également aux Livres saints pour

établir et corroborer son opinion. Que faut-il penser de ces

prétentions ?

 

D'après le sentiment commun des Docteurs, loin d'être

l'expression fidèle de la vérité révélée, la doctrine de l'inha

bitation personnelle de l'Esprit- Saint dans les justes est, au

contraire, en opposition manifeste avec l'enseignement tra-

ditionnel, et ne repose que sur une interprétation erronée

de l'Ecriture et des Pères. On ne saurait, en effet, attribuer

à la personne du Saint-Esprit, dans l'œuvre de notre sanc-

tification, le rôle du Verbe dans l'Incarnation, sans se

mettre en contradiction avec les principes théologiques les

plus incontestables, introduire une nouveauté, et affirmer,

bon gré mal gré, entre l'Esprit-Saint et chacune des

âmes justes, une sorte d'union hypostatique contraire à

toutes les données de la foi, Il suffît, pour s'en convaincre,

de se rappeler que, en Dieu, tout est commun aux troia

personnes, la nature, les attributs, les opérations extérieu-

res, les rapports qui en résultent, tout, hormis les relations

opposées d'origine qui constituent et distinguent les per-

sonnes, et ce qui au dehors peut être qualifié de fonction

hypostatique K

 

Aussi, quand les partisans du Maître des Sentences, vou-

 

 

 

1. (( OmwA saut nnam, obi aon ol^mt r^1iK>ni« oppositio. » (Ex. Cooc.

 

 

 

{Florent., D.e*retum pro Jacobitis,)

 

 

 

45a APPENDICE

 

lant expliquer comment, à leur avis, l'Esprit-Saînt était

personnellement, à l'exclusion du Père et du Fils, notre

charité, ou le principe de nos actes d'amour, en appelaient

au mystère de l'Incarnation, et disaient que l'union de notre

volonté avec Dieu, quoique effectuée par la Trinité entière,

est néanmoins l'apanage exclusif de la troisième personne,

de même que, en Jésus-Christ, l'union des deux natures,

divine et humaine, quoique accomplie par toute la

Trinité, s'est faite cependant dans la seule personne du

Verbe, saint Thomas leur répondait sans hésitation qu'une

pareille théorie était insoutenable : Sed hoc non potest

stare.

 

Et il en administrait immédiatement la preuve. « En

Jésus-Christ, disait-il, l'union de la nature humaine s'est

terminée en l'unité de la personne divine... Mais la vo-

lonté des justes n'est pas élevée à l'unité de personne avec

le Saint-Esprit*. ^> C'était dire équivalemment ; Si er.

Notre-Seigneur, la nat'ir» humaine avec ses puissances, ses

actes, ses mérites, ses L^wsfactions. appartient uniquemenf

à la seconde personne i e ia Trinité, c'est que le Verbe seul

s'est incarné et fait houme- Or. l'Esprit-Saînt n'a point

assumé la volonté hum^iTie. il ne s est point uni hyposta-

tiquement à elle ; comment dès lors lui attribuer en propre

les actes de cette faculté sans \1oler le dogme catholique,

d'après lequel toutes les œuvres produites en dehors de la

Trinité sont communes aux trois personnes? On ne peut

donc admettre une présence spéciale de l'Esprit-Saint, pas

plus qu'on ne peut regarder comme son œuvre personnelle

la motion divine exercée sur notre volonté en vue de lui

faire produire des actes d'amour ; le même dogme de l'unité

d'opération ad extra s'oppose à cette double prétention

Tout ce qu'une saine doctrine autorise ici, c'est l'appropria-

tion faite à la troisième personne d'une œurre qui lui est

commune avec le Père et le Fils.

 

 

 

1. c Dicant qnod sicat Filias anivit «ibi n&tarAB hnmanam solas, qnamvis

ibi sit operatio totius Trinitatis ; ita Spiritussanctassolusunitsibi Toluotateni,

quamTig ibi sit operatio totio Triaitatit. Sed hoc dod potest stare ; quia enio

humanae natarae in Christo tenniData ert ad uuam esïc personae divinae... Sed

TûiiiDtas alicujus sancti non assomitor io unitatem sappositi Spiritas sancti. s

(S. Th., lib. I, Sent., dist. xtrii, q. i, a. 1.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PFTAU i^SS

 

Dans un autre passage, l'angélique Docteur se montre

l'adversaire sinon plus résolu, du moins plus formel encore,

de l'habitation personnelle du Saint-Esprit; car il y déclare

en propres termes que la venue ou l'inhabitation divine par

la grâce convient à toute la Trinité : Et ideo adventus vel

inhabitatio convenit toti Trinitati^. Si elle est commune aux

trois personnes, elle n'est donc pas la propriété, l'apanage

exclusif de l'Esprit-Saint.

 

Cette conclusion, dont la clarté ne laisse rien à désirer,

est formulée par le saint Docteur à propos de la question

suivante : Toutes les personnes divines sont-elles suscepti-

bles de mission? Ufrum mlssio conveniat omnibus personis.

La réponse de saint Thomas est négative, et la raison qu'il

donne péremptoire. Voici comment nous pouvons proposer

son raisonnement. La mission d'une personne divine sup-

pose deux choses : en premier lieu, son origine éternelle

d'-^iï. autre personne ; puis, un nouveau mode de présence

atî V^rme de sa mission, et, comme fondement de cette

Xirestiice, un effet produit, un don conféré à la créature à

1 '.«TOlie elle est envoyée '. Cet effet n'est autre que la grâce

sanctifiante ; car seule, avec les dons qui l'accompagnent,

elle est capable de nous unir immédiatement à Dieu comme

à l'objet de notre connaissance et de notre amour.

 

La mission d'une personne divine est donc le signe au-

thentique, la preuve irrécusable que cette personne procède

d'une autre. Aussi le Fils et le Saint-Esprit peuvent bien

être envoyés, mais non le Père, ni la sainte Trinité ^ Il en

va autrement de l'inhabitation qui convient à toutes et à

chacune des personnes divines, voire à la Trinité elle-même;

 

 

 

1. S. Th., lib. I, Sent., dist. xv, q. ii, a. l, ad 4.

 

2. « In missiooe non tantum est effectus doni creati creatarae collati, sed

eliam ponitur auctoritas alicujus principii respecta ipsius missi. »

 

« In omni missione oportet quod ponatur aliqua auctoritas alicujus ad

ipsum missura. In divinis aatem personis non est auctoritas nisi secundum ori-

ginem; et ideo nulli peraonae divinœ convenit mitti, nisi ei qui est ab alio,

respeclu cujus polest in alio designari auctoritas; et ideo Spiritus Sanctus et

Filius dir:untur mitli, et non Pater vel Trinitas ipsa. » (S. Th., lib. I, Sent.,

dist. XV, q. Il, a. 1.)

 

3. « Uude in missione peraonae coguoscitur persona ab alla esse. Et quia

hoc non convenilr toti Trinitati nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater vel

Trinitas mitti. » Ibid., ad i.

 

 

 

^54 APPENDICE

 

car si elle suppose un nouveau mode de présence, elle n'im-

plique pas nécessaii'ement mission.

 

 

 

m

 

 

 

Mais, objecte ici saint Thomas, puisque le Père se trouve

partout où est le Fils ou le Saint-Esprit, et qu'on dit de

ceux-ci qu'ils sont envoyés à cause du nouveau mode de

présence qu'ils ont dans la créature, il semble que le Père

est envoyé avec eux et comme eux, et que la mission con-

vient ainsi h toute la Trinité.

 

A. quoi il répond : 11 est très vrai que le Père est partout

où se trouvent le Fils et le Saint-Esprit ; car, à cause de la

mutuelle existence des personnes divines les unes dans les

autres, chaque fois que le Fils est envoyé, qu'il s'agisse de

son avènement dans la chair ou de sa venue spirituelle

dans les âmes, le Père vient également, ainsi que l'Esprit-

Saint. Et par conséquent la venue ou l'inhabitation con-

vient à la Trinité tout entière : Et idso adventas vel inha-

bitaiio convenu toti Trinitati. Mais comme la mission ajoute à

cette présence particulière quelque chose de plus, savoir la

procession de la personne envoyée, elle ne peut convenir

qu'à celles des personnes divines qui tirent d'une autre leur

origine. La mission n'apparti<înt donc qu'au Fils et au

Saint-Esprit et ne convient point au Père ui à la sainte

Trinité ; l'inhabitation, par contre, est commune aux trois

personnes *.

 

Et pour qu'on ne soit pas tenté de dire, avec Petau, que

si la grâce nous vaut la présence effective des trois per-

 

 

 

1. « Cum Paler sit ic F ilio, et Filius in Patra, et nterqne in Spiritn sancto,

quandû Filius mitlitur, simul et venit Pater et Spiritus sanclus. sive intelliga-

tur de advenlu Filii in carnem, cum ipse dicat (Joan., yiu, 16) ; Solus non

sum, sed ego, et qui misil me Pater ; sive intelligalur de adveutu in men-

tem, cum ipse dioat (Joan, xiv, 23) : Ad eum veniemus, et mansionem apud

eum faciemus. El ideo adventus vel iuliabitatio couvenii toti ïrinilati... Sed

mifsio super hoc addit aucloritatem alicujus respectu personae quœ lurtli dici-

lar ; et ideo non poLest convenire nisi persons quie e«t aL alio principio. »

Ibid., ad 4.

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE L'OPINION DE PETAU 455

 

sonnes, seul pourtant le Saint-Esprit est le terme direct et

immédiat de l'union, le Père et le Fils n'étant en nous que

par concomitance et indirectement, saint Thomas se hâte de

faire observer que la venue et la présence en nous de l'hôte

divin s^ produisent en raison d'un effet qui nous unit non

pas au Saint-Esprit, ou à telle autre personne en parti-

culier, mais à la Trinité elle-même : Et ideo adventus vei

inhabitatio convenit toti Trinitati : quœ non dicuntur nisi ra

tione ejfectus conjangentis ipsi Trinitati ^ .

 

Pour bien comprendre le sens de ces paroles, il faut se

rappeler que, d'après la doctrine de saint Thomas, la pré-

sence de Dieu dans les choses créées est fondée sur son opé-

ration, et suppose par conséquent dans la créature un effet

qui requiert pour sa production et sa conservation l'action

immédiate du Créateur, l'application de son activité, et

partant le contact de sa substance. Et s'il s'agit non pas

simplement de la présence ordinaire de Dieu à titre d'agent,

mais de sa présence spéciale comme objet de connaissance

et d'amour, en d'autres termes, de son inhabitation dans

une âme, aucune perfection créée autre que la grâce sanc-

tifiante avec les dons qui l'accompagnent n'est capable de

produire en elle un si précieux résultat. Or la grâce, comme

toute œuvre extérieure, procède de la Trinité tout entière,

de Dieu en tant qu'un, et c'est à Dieu un et trine, à Dieu

en tant que souverain bien et fin dernière de tout être

qu'elle nous unit : quœ non dicuntar nisi raiione effedus

conjangentis ipsi Trinitati. Que conclure de là, sinon que

l'union de Dieu avec nos âmes, qui est le fruit de la grâce,

l'inhabitation divine en un mot, appartient indistinctement

aux trois personnes, à la différence de Tunion opérée en

Jésus-Christ entre l'humanité et la divinité, union qui est

propre à la personne du Verbe ?

 

S'il en est ainsi, pourquoi attribuer à une personne

plutôt qu'à une autre certains effets de la grâce et la pré-

sence de la Divinité qui en est la conséquence ? Pourquoi,

par exemple, attribuer au Fils la collation des dons qui

perfectionnent l'intelligence et dire qu'il vient en nous

quand nous recevons le don de sagesse ? Pourquoi répéter,

 

 

 

1. Ibid., ad 4.

 

 

 

456 APPENDICE

 

à la suite de l'Apôtre, que la charité a été répandue dans

nos cœurs par le Saint-Esprit, et que le donateur accom-

pagne lui-même ses dons * ? Saint Thomas nous en donne

la raison. C'est, dit-il, parce que, en vertu de la loi d'appro-

priation, ces différents effets sont de nature à nous amener

à la connaissance d'une personne plutôt que d'une autre,

par suite des rapports de similitude qui existent entre tel

don créé et les propriétés de telle personne : Qaamvis itle

effedus (conjungens toti Trinitati) ratione appropriationis

possit dacere magis in unam personam quam in aliam *.

 

Lors donc que l'Écriture ou les Pères nous représentent

l'Esprit- Saint comme l'auteur de la grâce et de la charité

et l'hôte de nos âmes, au lieu de vouloir trouver dans ces

expressions le signe manifeste d'une causalité particulière à

ce divin Esprit, ou l'indice d'une union directe et immé-

diate avec nos âmes qui lui serait personnelle, il n'y faut

voir qu'une appropriation fondée sur le rapport d'analogie

qui existe entre les dons de la grâce et la caractéristique de

l'Esprit-Saint. il est, en effet, tout naturel d'attrihuer les

effets de l'amour, comme la grâce, la charité, l'inhabitation

divine, à celle des personnes divines qui procède en qualité

d'amour.

 

Tel est l'enseignement de tous les scolastiques, telle l'in-

terprétation qu'ils ont constamment donnée aux textes mis

en avant par les tenants de l'habitation propre au Saint-

Esprit. Tous enseignent formellement qu'il n'y a pas d'union

plus réelle, plus immédiate avec la troisième personne de la

sainte Trinité qu'avec le Père et le Fils.

 

 

 

IV

 

 

 

Cette considération n'a point arrêté Petau. À l'encontre

de saint Thomas, à l'encontre des représentants les plus

autorisés de l'exégèse scripturaire et de la science théolo-

gique, il prétend que la loi d'appropriation est insuffisante

 

 

 

i. Rom., y, 5.

 

2. S. Th., /^enr, dist. xt, q. ii, a. i, ad i.

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU 457

 

à expliquer les paroles de TEcriture et des Pères, et que,

pour conserver leur enseignement dans toute son intégrité,

il est nécessaire d'admettre un mode de présence divine,

dans les justes, qui soit vraiment personnel au Saint-Esprit.

Ne lui demandez pas en quoi consiste cette présence par-

ticulière, il vous répondrait que sa pensée sur ce point

n'est pas encore définitivement arrêtée, que la nature de

cette union n'a pas été suffisamment explorée et mise en

lumière, et que les saints Pères n'en ont pas déterminé clai-

rement les conditions ^ Ce n'est pas, en tout cas, une

union substantielle, ni hypostatique, aboutissant à une unité

de nature ou de personne ^ Mais ce qui lui paraît certain,

c'est que la présence de la Divinité et son habitation dans

les âmes justes n'appartiennent pas également, et au même

titre, ex œquo, aux trois personnes ; et que l'union se fai-

sant non pas directement avec la nature divine, mais avec

la personne du Saint-Esprit, ou, pour employer ses expres-

sions, avec la nature divine en tant qu'elle subsiste dans

l'Esprit-Saint \ est en réalité l'apanage de ce divin Esprit,

 

 

 

1. « Patrura illa leslimonia, qnae in antecedenti capiledescripta8unt... pecu-

liarem esse sancto Spiritui modum illura nescio quem ostendere videnlur; quo

justificando formatur a Dee j'usti mens, ut loquitur Augustinus (I. III, de

Trin., cap. viii), et quo cum illis copulatur in iisque rersatur, alque habilal,

non commun! illa ratione, qua creata omnia immensitate sua permeat, sed

propria, necdam salis explorata ; qualem esse aliquam tanta illa sacroruic

Toluminum, ac sanctorum Patrum auctoritas evincit ; non tamen liquide nobis,

et aperte rim ejus, et condilionem edisseruut. » (Petav., de Trin., 1. VIII,

cap. VI, n. 6.)

 

2. « Oslendimus non semel, conjunctionem i!lam Spiritus sancti, nequ»

(puaixi|v, neque oiioCTaTixfjv esse, hoc est, neque naturalem, neque

personalem : quasi una fiât ex ambobus natura vel persona. » {Ibid. cap.

Tiii; n. 12.)

 

3. Dans le compte renda du présent oarrage, qu'il eut l'obligeance de pu-

blier dans la Semaine religieuse de Nancy et Toul (n. du 28 janvier, 4,

11 et 18 février 1899), M. le chanoine Mangenol, professeur d'Ecriture sainte

an grand séminaire de Nancy, crut devoir prendre la défense de l'opinion de

Pelau — c'était son droit — et, pour en montrer la parfaite orthodoxie, il

s'efforça d'établir que l'union de la Divinité avec l'âme juste peut être propre

au Saint-Esprit sans être hypostatique. Voici ses paroles :

 

K Cette union de la Divinité avec l'âme juste n'est pas substantielle, puis-

qu'elle survient à cette âme déjà constituée dans son essence propre et que

tout ce qui se surajoute à une essence n'est qu'un accident. Elle est encore

moins hypoëtatique, car ce n'est pas la personne du Saint-Esprit dans ce

qn'elle a de propre et de distinctif, qui s'unit à l'âme régénérée. Cependant

 

 

 

458 APPENDICE

 

auquel elle appartient en propre, tandis qu'elle ne convient

au Père et au Fils que d'une manière indirecte et par con-

 

 

 

c'est le Saint-Esprit qoi s'onil directement à e«tt« âme, mais par Vessenee di-

vine, commune aux trois personnes, en tant qu'elle subsiste en luL Seul, il

nous est ainsi uni physiquemeal, immédialemenl, quoique accidentellement ;

et les deux antre» personnes de la sainte Trinité, le Père et le Fils, ne sont

en nos âmes que médiatemenl, par concomitance, en vertu de leur inséparabi-

lité d'avec l'Elsp rit-Saint. C'est pourquoi elles ne nous sont pas unies ; elles

habitent seulement en nous. » (Semaine religieuse de Nancy, a. da 4 fé-

vrier 1899, p. 115.)

 

M. Mangenot a parfaitement raison de déclarer, à la suite de Petan, qne

l'union de la Divinité arec les âmes justes n'est pa» nnc union substantielle,

ni hypostatique ; on ne pourrait, en effet, soutenir le contraire sans tomber

dans nne grave erreur. Mais quand il prétend que cette union est propre au

Saint-Esprit, à l'exclusion d«s antres personnes, sans être néanmoins kypo-

siatigue, U affirme deux choses qui paraissent vraiment contradictoires. En

eiiet, ou l'union se fait directement avec l'essence commune, et dans ce cas

elle appartient indistinctement aux trois personnes ; ou bien elle se fait dans

ce qui est propre à l'une d'entre elles, dans son hypostase, et alors elle lui

appartient à un titre particulier, elle lui est personnelle, mais elle est en

même temps bvpostaliqne.

 

Voilà pourquoi Petau, ne sachant comment expliquer ce mode particulier de pré-

sence qu'il disait propre au Saint-Esprit, et non hypotastique, se plaignait que

les Pères ne l'eussent pas suffisamment exploré et mis en lumière et n'en eussent

pas clairement déterminé les conditions : Non tamen liquida nobis, et aperte

vim ejus, et conditionem edisserunL (De Trin., 1. VIII, cap. vi, n. 6.) Voilà

pourquoi il refusait, dans son embarras, de faire connaître son propre senti-

ment, et qu'il en remettait à plus tard la manifestation, sa pensée n'étant pas

encore, disait-il, assez fixée sur ce point : Nostram igitur quœ privatim sit

opinio, vel non dico, quia rem nondum compertam salis habeo ; vel hoc

loco non dico. (îbid.) En même temps, il recommandait d'user de prudence et

de circonspection, pour ne pas restreindre à l'excès ou étendre outre mesure

la grandeur de ce bienfait.

 

M. Mangenot croit posséder la solution qui avait échappé à calai dont il se

déclare le disciple fidèle. Voici l'explication qu'il nous donne. L'union de la

Divinité avec l'âme juste est vraiment propre à la troisième personne ; « car

c'est le Saint-Esprit qni s'unit directement à celte âme par ressence divine,

commune aux trois personnes, en tant qu'elle subsiste en lui. « Elle n'est

pas hypostatique, « car ce n'est pas la personne du Saint-Esprit, dans et

qu'elle a de propre et de distinctif, qui l'rrait à l'âme regénérée ».

 

Une simple observation. Comme en Dieu l'essence on la nature ne se dis-

tingue pas réellement de la personne, on ne peut employer l'expression rédu-

plicalive snivante : Vessenee divine, en tant qu'elle subsiste dans le Saint-

Esprit, sans désigner par le fait même la subsistance on la personne de ce

même Esprit. Par conséquent, dire que l'uoion se fait « entre l'âme régénérée

et l'essence divine, commune aux trois personnes, mais en tant qu'elle subsiste

dans le Saint-Esprit », c'est dire bon gré mal gré qu'elle se fait dans ce que

ce divin Esprit a de propr* et de distinctif, en on mot dans m personne ei

éans son hypo»tase.

 

Péthn l'avait bien compris. Aassi, aprè« aroir employé la formule reprodait«

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU ^Sg

 

comitance *. Et pour doniier une certaine idée de ce qu'est,

à son avis, ce mode particulier d'union, il déclaTe que TEs-

prit-Saint informe en quelque sorte les âmes des fidèles, les

 

 

 

par M. MaBfMiot, après atoir dédnré qae « ronron dn Saint-fîgprit avec les

àmos justes convienl à l'essMic* divine commune ans trois p*;rî;u^iu«s, mais en

tact qu'elle subsiste dans l'Esprit-Saint, en sorte qu'il y a entre les justes et

l'Espnit-Saint une union qui ne convient pas de la même manière aux autres

personnes », (De Trin., 1. VIII, c. n, n. 6) le docte jésuite s'enipresse-t-il

d'ajouter, pour bien expliquer sa pensée ; « L'Esprit-Saint est doue uni aux

justes par un mode d'union vraiment singulier et lui appartenant en pj-opre :

Proprie ergo et singulari modo Spiritus sanetus cum iis quos sanctos jacil,

conjungitur, et inest ipsis. Par conséquent, c'est suivant ITiypostase, et non pas

genlement selon la nature que cela lui convient : Proinde secundum hypo-

stasim, non secundum essentiam dumtaxat hoc illi convenit. n Et il en

donne immédiatement une preuve péremploire, à savoir que « tout ce qui est

propre à une personne lui convienl à raison de son hypostase et non de

l'essence divine : Nam quidquid proprium est personœ cujuspiam, hoc ra-

tionem hypostAsis, non essentUs sequitur. » (Ibid.)

 

M. Mangenot uous permettra de lui faire observer respectueusement qu'en

parlant comme il l'a fait, en disant que l'union de la DivlDité avec l'àme juste,

quoique propre au Saint-Esprit, n'est cependant pas hypostalique, « car ce

n'est pas la personne du Saint-Esprit, dans ee qu'elle a de proprs et de dis-

tinciif, qui s'unit à l'âme régénérée, c'<€st l'essence divi7ie, commune aux trois

personnes, en tant qu'elle subsiste en lui » (Semaine religieuse de Naiicy,

du 4 février), il s'est tout à la fois mis en contradiction avec Petau, dont il

interprèle mal la pensée, et en apposition avec la Térité.

 

Et p^is, que peut bien être cette uuion accidentelle de la Divinrié avec nés

imes que l'on attribue en propre à l'Esprit-Saint, et que l'on oi>pose à la

simple habitation ? « Seul, dit-on, l'Esprit-Saint nous est ainsi uni physique-

ment, immédiatement, quoique accidentellement ; et les deux antres personnes

de la sainte Trinité, le Père et le Fi^s, ne sont en nos imes qne médiatement,

par concomitance, en Terlu de leur iaséparabiliié d'avec l'Esprit-Saïut, c'est

pourquoi elles ne nous sont pas unies, elles habitent seulement en nous. »

(ibid.)

 

Mais dès lors qu'elles habitent en nous, elles nous sont réellement unies

d'une union qui peut être, il est vrai, plus ou moins intime, et qui comporte

bien des degrés, mais enfin d'une union véritable. Aussi l'Ecriture et la Tradi-

tion se servent-elles indifféremment des termes d'union et d' inhabitation, pour

désigner la présence de Dieu en nous par la grâce. Bien plus, Léon XIII. dans

son Encyclique Divinum illud munus, va jusqu'à déclarer que « cette admirable

union est appelée de son vrai nom inhabitation : ffœc autem mira conjunctio,

qucB suo nomine inhabitatio dicitur... »

 

1. « Quod ex antiquorum... testimoniis sequi videtur, id est ejnsmodi : Illam

cum justorum animis conjunctionem Spiritus sancli, sive statum adoptivorum

filiorum. communi quidem personis tribus convenire divinitali, sed quatenns in

h^po'stasi, sive persona inest Spiritus sancti adeo, ut cerla quaedam ratio sit,

qua se Spiritus sancti persoaa sanctorum jastoruraque mentibus applicat, quœ

céleris personis eodem modo non competit. » (Petav., de Tinn., 1. VIJil, c. ti,

n. 6.)

 

 

 

460 APPENDICE

 

rendant justes, saints, enfants de Dieu, par l'application de

sa substance.

 

Le docte jésuite n'ignore pas que, en parlant de la sorte,

il s'écarte du sentiment commun, il en fait même l'aveu

très loyal. « Les théologiens, dit-il, enseignent généralement

que cette union ou habitation de Dieu dans les justes est

attribuée au Saint-Esprit par une sorte d'accommodation,

mais qu'elle con\1ent en réalité aux trois personnes, de même

que la puissance est attribuée au Père, la sagesse au Fils, la

sainteté et la charité à l'Esprit-Saint, bien que ces attributs

appartiennent indistinctement aux trois personnes. Mais,

ajoute-t-il, les témoignages des Pères indiquent quelque

chose de plus, plus aliquid significant, et désignent je ne sais

quel mode de présence personnel au Saint-Esprit, et distinct

de la présence d'immensité*. »

 

Qu'est-ce qui a pu entraîner un homme aussi éminent en

dehors des sentiers battus, et lui persuader qu'il ne faisait

pas fausse route en abandonnant sur un point de cette im-

portance la doctrine traditionnelle? Serait-ce une étude plus

approfondie des divines Écritures, ou une connaissance plus

ample, plus sérieuse, plus complète des enseignements des

saints Pères? Nous ne le pensons pas. Saint Thomas avait

étudié et scruté, lui aussi, nos saints Livres; il avait com-

pulsé les écrits des Pères. Il suffît de jeter un coup d'œil sur

sa Chaîne d'or pour se faire une idée de l'immense érudition

qu'il s'était acquise; et cependant, loin de trouver insuffi-

sante l'interprétation commune, il l'avait non seulement

adoptée pour son propre compte, mais encore défendue,

avec les lumières de son génie, contre les innovations du

Maitre des Sentences et de ses partisans. Quelle est donc

alors l'origine véritable, la vraie cause de l'opinion singulière

de Petau? Voici, sauf meilleur avis, ce qui nous paraît res-

sortir de ses propres paroles.

 

Petau avait doctement établi le fait de la présence subs-

 

 

 

1. (( Vulgo fere theologi qnad&m aeeommodatioDe pntant illam ivcoçiv, et

babitationem in juslis assignari Spiritai sancto, eom rêvera in omnes personas

compelat, sicut poteulia Patri, Filio sapientia, Spiritai sancio saactitas et cha>

ritas allribuitur, cum haec omnia promiscoe ad très persooas applicealur. Sed

enim Palrum illa teslimouia, quae in anteccdenti capile descripla sunt, plu»

aliq lid significant. » (Petar., de Trin., 1. VIII, c. vi, n. 5.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE L'OPINIOR DE PETAU 46 1

 

tantielle de l'Esprit-Saint dans l'âme juste; il avait prouvé,

avec une érudition de bonaloi, que ce n'est point seulement

par son opération et par ses dons que ce divin Esprit réside

en ceux qui ont la grâce, mais qu'il habite réellement et

substantiellement en eux, et qu'il y possède un mode de

présence spéciale, absolument distincte de celle par laquelle

il est en toutes choses. Il pouvait donc, sans crainte d'être

démenti, déclarer que ceux-là seuls refusent d'admettre

cette vérité qui sont moins versés dans l'étude et la connais-

sance de l'antiquité. Jusque-là il était dans le vrai.

 

Mais quand il est question d'expliquer ce mode particulier

de présence, et d'en bien préciser la nature, il hésite, il se

trouble, e) , ne comprenant pas ce que peut bien être l'inha-

bitation divine par la grâce, si c'est par cette même substance

qui remplit tout, que Dieu se trouve dans les justes*, il est

amené, en désespoir de cause, à préconiser une union qui

.se ferait non plus dans la nature commune aux trois per-

wnnes de l'adorable Trinité, mais dans la subsistance même,

dans l'hypostase du Saint-Esprit ; une union qui appartien-

drait par conséquent d'une manière spéciale à ce divin

Esprit et constituerait une propriété personnelle ^ Nous

osons croire que si Petau avait connu et compris l'ensei-

gnement de saint Thomas sur les différents modes de pré-

sence divine, il ne se serait pas jeté, sous le vain prétexte

de revenir à l'antiquité, dans d'aussi malencontreuses inno-

vations. Mais nous avons eu beau parcourir les différents

chapitres relatifs à l'habitation du Saint-Esprit dans les justes,

nous n'y avons pas trouvé la moindre allusion aux doctri-

nes de l'angélique Docteur sur cette question ; partout il se

contente d'opposer son opinion personnelle, qu'il attribue

aux anciens Pères, au sentiment commun de l'École.

 

 

 

1. « ExplJcari aon potest, qaae sit illa tandem o\)Çi03hj\ç, praesentia, vel

«xistentia propna jastornm, et ab natarali, commaniqae diversa. Namsi jostos

istos eadem jam qui creatas res omaes occapat, snbstantia sua Deus implet,

quae potest esse nova illa praesentiae altarias accessio? » (Petav., de Trin.,

l. VIII, c. Y, n. 21.)

 

2. « Proprie ergo, et singulari modo Spiritas sanctus cum iis qnos saoctos

faeit, conjuDgitur, et inest ipsis. Proinde secnndam hypostasim, noD secnndam

essentiam damtaxat hoc illi conrenit. Nam qaidquid proprinm est persons

«ajQspiam, hoc ratiooem hypostasis, aon essentiae seqoitar. » (Ibid., c. ti, q. 6.)

 

 

 

kBr 4P^Nmcfi

 

 

 

Abordons maintenant les raisons sur lesquelles le célèbre

jésuite a basé sa théorie de l'union particulière de l'Esprit-

Saint avec les justes, union propre a la troisième personne

et qui ne convient pas de la même manière aux deux au-

tres : qûdê ceteris personis eodem modo non competit^. Après

les avoir clairement et loyalement exposées, il sera plus

facile d'en montrer l'inanité et l'inconsistance.

 

Ces raisons peuvent se ramener à trois : à savoir, que

l'Esprit-Saint est personnellement le don de Dieu, la puis-

sance sanctificatrice, le lien entre la Trinité et nos âmes.

"Voici comment raisonne le docte théologien.

 

C'est une propriété personnelle du Saint-Esprit d'être

Don, c'est-à-dire, suivant l'explication de saint Augustin,

de pouvoir être donné. Si lui seul, à l'exclusion des autres

personnes, est susceptible de pouvoir être donné, lui seul

aussi sera effectivement donné. Or, en quoi consiste celte

donation, sinon à venir dans les âmes par suite de la mis-

sion invisible reçue du Père et du Fils, à habiter en elles, à

les informer en quelque sorte par l'application de sa propre

substance et à les rendre par là justes et saintes? Donc ce

mode de présence est propre à l'Esprit- Saint, et ne saurait

être attribué à une autre personne*.

 

 

 

1. « Certa quaedam ratio est, qua se Spiritas saacti persona eaDctorum jus-

tornmque mentibas applicat, qn» céleris personis eodem modo ood compelit. »

(Pelav., de Trin., 1. VIII, c. ti, n. 6.)

 

2. u DoDum esse, personalis est Spiritas saocti proprietas, id est, ut Âu^us*

tious explicat, donabile esse... Si dooari posse, singulare est Spirilui sancio,

neque aîleri personae congruat; erit actu donari propiium ejusdem. Hocautem

est iaformare veluti fidelium aaimos^ et sanctos justosque facere. Pro-

prius est ergo saacti Spiritus iste ipse modus ; neque persouae alteri potest

adscribi. Nam si eodem modo daH potest sâltem Filius, ut oraittam modo

Patrem, période donabitis est Filins, ac Spiritus sanctiis, et idciï'co non minus,

qaam hic, erit ille Spiritus sanctus, quoniam idem est donabile esse, quod est

«ftse Spiritum sanctom. Hoc Tero falsum est, et impium dicta. Igitur noii est

•olum donabile, sed etiam donum, vel potius daium, eo modo, qûo non est

Pater, aut Filius. Porro datum esse, nihil aliud est, quam missum et applica-

tam esse, et in justis habitare. Propfie ergo et singulari modo Spiritus sanctus

cum iis quos sanctos facit, conjungitur, et inest ipsis. y> (Petav., de Trin^

1. VIII. c. Tï, n. 6.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATIQK DE L'OPINION DE PETAU 463

 

Même concli^ision est tirée des paroles 4e quelques Pères

attribuant à l'Jîsprit- Saint la vertu sanctificatrice d«s âmes.

Ce qui donne, dit Petau, à nos conjecture^ sur le sentiment

des anciens uji appui très solide, c'est qu'un certain nombre

de Pèreg greç«, et les plus recommandables par l'autorité et

le savoir, saint Basile, saint Cyrille, Kuloge, saint Jean Da-

mascène, considèrent cpramie une propriété personnelle du

Saint-Espdt la puissance qu'il ^ de sfti>ctiQ£r les créatures.

Au jugement de saint Basile, cette vertu samctificatrice

serait un des caractères distinçtifs de I4 troisièrjoe personne

et lui appartiendrait aussi spécialement que la paternité au

Père, et la fili^tiou au Fils. S'il en egt ainsi, ajoute-t-il, que

conclure, sinon que, d'après la pensée de ces Pères, le Saint-

Esprit doit avoir, dans l'oeuvre de notre sanctification, un

rôle particulier, une part spéciale, que l'on ne saurait attri-

buer aux deux autres personnes? Et comme l'état de gr^ce

et d'union à Dieu est constitué non par up.e simple opéra-

tion, mais par une sorte d'application de la substance même

de l'Esprit-SaJi^t aux âmes justifiées, il est évident que ce

divin JEsprit leur est Ufii non seulemcut par La nature

divine qui lui est commune avec Je Père et le Fils, maisencor*

par ce qui lui appartient en propre, par sop hypostase • .

 

Vn dernier argument apporté par Petau, et sur lequel

certains théologiens modernes, Scbeeben entre autres,

insistent de préférence pour étabUr que l'inhabitatio» divijie

 

 

 

1. « PrsBterea raliiTissiine ex ee nestra d« Teteram seasa conjectara fulcitar,

quod.., Ç.rseci aliquot Patres, iique auctoritaste acéactrioa primarii, utBasilina,

Cyrillus, Eulogias, Jpaonçâ D^wa^ceaus, pejrsofl^ilera S^ûus sancti propjiei^r

tem..., qua videlicet ab duabus rel iquis discernitnr, constituunt in sancti ficationt,

sive sanctificatrice ac perfectrice vi et virtute...,qn3i angeli hominesque sancti

fiuntac justi. Basilius enim ibioojia Tf\(; à^\ac,x\'Kr\ç, bvvàneai<i, proprietatem

virtutis sancti ficatricis, tam peculiarem personae dicit esse Spirilas wncti,

qaam m p<ittemiUis Patrie, fiU&tas Fiiii... Q»oiù vernm est, quid aliad con-

cludi potest, juisi id, quod suspicione nostE^ perMrjnxUnus, e^ illorjuai, qui it*

locuti sunt, meate, Spifitvim sanctppi pwpriag qi^s^sd^jm bfiere partes iû sano

Hficandi, çt âd<>pt4vi A>rwaodi status pegoti^, qtise «etiquis duaiMis pe^onu

BeaU^uam triJ>u«Bltor, utpoie quajp illi pftrsonalaip ejsse qatam existimant'?

Clam autem applicatione quadam Spiritas sancti, id est «abstaotise ipàas, non

aal£(B «fficifiiiti» soiius coo^taw staitue» iïïxm ja&tiliae, *c propinquitatis com

Deosaoetorum... ; eyidea» est «on naturae sdlufii diri»» sjijfijlijs sancti, sed

«tiAm pflfsopae, yei nat^içae^ ut «si taU alfecta persouaU proprietate, conjuuc-

tionem illam impatari ab antiquis Patribus. 9 (Ibid., n. 7.)

 

 

 

464 APPEISDiiVB

 

par la grâce est propre au Saint-Esprit, c'est que, au témoi-

gnage d'un certain nombre de Pères, l'union de nos âmes

avec Dieu se fait par l'intermédiaire de ce divin Esprit.

Écoutons saint Cyrille d'Alexandrie, celui de tous les Pères

qui, au dire de Petau, a été le plus particulièrement suscité

de Dieu pour développer ce grand mystère : « Jésus-Christ,

dit-il. nous a envoyé du ciel le Paraclet par lequel et dans

lequel il est avec nous et il habite en nous ' . » Et encore :

« Comme le Sauveur habite en nous par l'Esprit-Saint, le

Père ne peut manquer d'être lui aussi avec nous ; car l'Es-

prit du Christ est en même temps celui du Père... .Te poserai

donc à ceux qui après avoir, dans leur profonde ignorance»

embrassé l'hérésie, aiguisent leurs langues contre l'Esprit-

Saint, la question suivante : Si le Saint-Esprit est une créa-

ture, comment se fait-il que ce soit par lui que Dieu habite

en nous? Quomodo habitat in nobis per ipsum Deus *? »

 

Ces paroles, et une multitude d'autres semblables qu'il

serait facile d'apporter, n'indiquent-elles pas clairement

que l'Esprit-Saint est, suivant une expression significative

employée par l'antiquité, le lien qui relie nos âmes à la Tri-

nité sainte, et que notre union à Dieu s'opère directement

et immédiatement avec la troisième personne et, par elle,

en vertu de l'identité de nature, avec les deux autres?

Toute la Trinité habite donc en nous, grâce à la présence

de l'Esprit-Saint, de même qu'en Jésus-Christ habitent le

Père et le Saint-Esprit. Mais de même que, dans le mys-

tère de l'Incarnation, il y a une union propre au Verbe qui

seul s'est incarné; ainsi, dans l'œuvre de notre sanctification,

il y a une union exclusivement propre au Saint-Esprit, car

c'est lui qui est la cause prochaine et pour ainsi dire for-

melle de l'habitation des deux autres personnes '.

 

 

 

1. S. Cyrill., Dialog., tii.

 

2. « Habitante in nobis Seryatore nostro Christo per Spiritnm laactnm, erir

qnoque oranino nobiscum et Genitor ; nam SpiritasChristi idem est et Palris...

Libenter autem interrogaverim eos, qui prae multa inscitia hôeresim complexi

adversus glomm Spiritus lingnam armant... : Si creatus est Spiritus et a Dei

•ubstantia, ut Tuilis, aliénas, quomodo habitat in nobis per ipsum Deus? »

(S. Cynl., inJoan., xiv, 23.)

 

3. « Releganiur omnia veterum Patnum testimonia, qnae sopenns exposit»

funt..., invcniemns eorum pleraqne teslari, per Spintura sanctum hoc fieri,

telut proximam causam, et ut ita dixerim, formalem. » (Petar., de Trin.y

l VIII, cap. Ti, n. 8.)

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE L'OPINION DE PETAU ^65

 

Voilà, brièvement mais fidèlement résumées, les preuves

sur lesquelles les tenants de l'inhabitation personnelle du

Saint-Esprit ont tenté d'étayer leur opinion. Voyons quelle

en OBt la valeur.

 

 

 

Yl

 

 

 

Et d'abord, de ce que le Saint-Esprit est, en vertu même

de son mode de procession, le don de Dieu — Altissimi

donam Dei, comme chante l'Eglise, — faut-il conclure avec

Petau qu'il soit seul donné et qu'il ait avec nos âmes un

mode d'union, de présence, d'habitation qui lui soit vrai-

ment personnel? ISullement.

 

Ce nom de don est du genre de ceux qui ont une double

signification : l'une, absolue et essentielle, par laquelle il

convient aux trois personnes ; l'autre, relative et notionnelle,

par laquelle il désigne une personne en particulier comme

ayant un titre spécial à cette dénomination. Pris dans son

acception absolue, il convient à Dieu considéré dans sa

nature et sans distinction de personnes ; car, suivant la

remarque de saint Thomas : « le don est, à proprement par-

ler, une donation faite par pure libéralité et sans espérance

de retour, par conséquent une donation gratuite. Et comme

la raison d'une donation gratuite n'est autre que l'amour,

car, si nous donnons quelque chose à quelqu'un, c'est que

nous lui voulons du bien, il en résulte que l'amour par

lequel nous voulons du bien est la première chose que nous

donnons *. » Don et amour sont donc deux expressions cor-

rélatives et en quelque sorte synonymes. Or, Dieu est

amour, Deus charitas est^, c'est le fond de sa nature ; est-il

étonnant qu'il nous aime et que, non content de déverser

en nous, comme autant de témoignages de dilection, des

 

 

 

1. « Sciendum est qnod donnm proprie estdatio irredibilis, id est, qaod non

datur intentione retribntionis, et sic importât gratuitam donationem. Ratio

autem gratuitae donationis est amor ; ideo enim damus gratis alicui aliquid,

/^nia volumus ei bonum. Primum ergo qnod damus ei, est amor quo volumuf-

«i bonum. » (S. Th., Summa theolog., 1, q. ixxyiii, a. 2.)

 

%. I Joaa., iT, 16.

 

HAB. SAINT-BSPRIT. — 3o

 

 

 

4fi6 APPENPICB

 

bienfaits sans nombre, il veuille être lui-niême notre bien,

le don p^v excellence, dont la pleine possession doit faire un

jour notre béatitude, ego meroes tua magna nimis ^ et dont

la communication réelle, quoique imparfaite, constitue

dès ici-bas comme un avant-goùt de la félicité future?

 

Le Père, lui aussi, est amour, et, comme tel, suscep-

tible d'être donné ; et, de fait, en venant dans les âmes jus-

tes, il se donne à elles comme objet de connaissance et de

fruition commencée. Le Fils est amour comme le Père, et,

après avoir été donné aux hommes dans l'incarnation, sui-

vant cette parole de saint Jean : « Dieu a tant aimé le

monde qu'il lui adonné son Fils unique' », il leur est

donné encore chaque jour dans la mission inAi^ible qui a

pour but l'illumination et la sanctification des âmes. Le

Saint-Esprit, ayant une seule et même nature avec le Père

et le Fils, est conjointement avec eux amour et don : il est

donné et il se donne aux justes.

 

Mais, en outre de cet amour essentiel et de cette aptitude

à être donné, qui lui sont communs avec les deux autres

personnes, l'Esprit-Saint est don â un titre spécial, qu'il ne

partage ni avec le Père ni avec le Fils. La raison en est que

procédant par amour, il procède en qualité de premier

don : Cum Spiritas Sondas procédât ut amor, procedit in

ratione primi dont ^; c'est là son caractère personnel et dis-

tinctif. Si le Père peut être donné, non par un autre, il est

vrai, car il ne procède de personne, mais par lui-même, ce

n'est point parce qu'il est don à un titre personnel, mais

parce qu'il s'appartient et peut, en conséquence, librement

disposer de soi. Quant au Fils, il peut être donné par le Père,

parce qu'il tire de lui son origine, et il est effectivement

donné aussi réellement que l'Esprit- Saint ; mais, comme il

procède non par amour, à l'instar de la troisième personne,

mais par voie d'intelligence et de génération, il est, en vertu

de son mode d'origine, "Y^ibe et Fils, et non amour ou

don.

 

 

 

1. Gen., XT, 1.

 

t. « Sic Dons dilexit mosdam,^t flthun sonm ntAieûiivm dar(>U > ^0)n.

m. iB.

3. S, Th., I, q. ixmn, a. 1

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATlOÏT DÉ l'oPINION DE PETAU ^Qj'

 

Sèiilé là troisième personne, procédant des deux autres

par voie de volonté et comme terme de leur amour, procède

en qualité de don, c*est-à-dire comme apte à être donnée.

De là cette parole de saint Atigustin : (( L'Esprit-Saint pro-

cède non comme né, mais comme donné, c'est pourquoi il

n'est pas Fils : Exiilnon quomodo natus, sed qnomodo datas:

et ideo non est Filins ^ . » Cette aptitude à être donné constitue

la propriété particulière de l'Esprit-Saint, sa note caractéris-

tique. Mais, si cette propriété est une raison qui autorise

les représentants de la science théologiqne à lui attribuer,

par une sorte d'accommodation, le grand don de Dieu aux

hommes et le principal effet de son amour, c'est-à-dire le

don de lui-même qui accompagne la grâce et qui en est

comme le couronnement, elle n'est point un motif suffisant

pour affirmer l'existence d'une union spéciale de ce divin

Esprit avec les justes, laquelle n'appartiendrait ni au Père ni

au Fils; car, si la donabilité implique un mode de proces-

sion qui est l'apanage exclusif delà troisième personne, elle

n'entraîne aucune relation spéciale, aucun rapport de par-

ticulière appartenance de TEsprit-Saint aux créatures. Quand

ce divin Esprit nous est donné avec la grâce et la charité, le

Fils nous est également donné, et le Père se donne lui-

même; les trois personnes viennent en nous, habitent en

nous et nous appartiennent au même titre.

 

 

 

VU

 

 

 

Cen*est pareillement que par appropriation que les Pères

donnent à l'Esprit-Saint le nom de vertu sanctificatrice, et

l'Eglise celui d'Esprit viviflcateur : Credo in Spiritum sanc-

tum, Dominum et vivificantem 'K Vouloir faire de la puissance

de sanctifier et de vivifier les âmes une propriété person-

nelle de l'Esprit-Saint, ce serait s'écarter manifestement de

l'enseignement catholique, qui ne reconnaît dans les trois

 

 

 

1. S. Aug., de Trin., 1. V, cap. xiT.

 

2. Êx Symb. Nicaeno-Conslant.

 

 

 

468 APPEXDICE

 

personnes de l'adorable Trinité qu'une seule nature, une

seule puissance, une seule opération *.

 

En vain, pour échapper à cette conséquence, Petau a-t-il

soin de déclarer que le Saint-Esprit est en nous non pas la

cause efficiente, mais la cause formelle de notre sainteté et

de notre filiation adoptive ' ; en vain pour donner une idée

de ce qu'est, suivant lui, l'union particulière de ce divin

Esprit avec les justes, tente- t-il de l'assimilera celle du Verbe

avec l'humanité en Jésus-Christ ^ ; en vain fait-il appel à

l'antiquité pour établir que, si l'Esprit-Saint ne vient pas

seul dans nos cœurs, seul du moins il est le terme direct et

immédiat de l'union*; l'antiquité lui répond, par l'organe

du Concile de Trente, que la cause formelle de notre justice

et de notre sainteté n'est point le Saint-Esprit, mais la

grâce sanctifiante ' ; elle lui déclare par la voix de saint

 

 

 

1. « Si qnis secundam sanctos Patres non eonfitetur... unam Denm in tribus

subsistentiis consubstantialibus et aequalis gloriae, unam eamdeoique trium dei-

tatem, naturam, substanliam, virtutem, potentiam..., operationem, condemna-

tus sit. » (Es Conc Later., an. 649, sub Martino I, can. 1.)

 

2. « Persa=pe Deus cnm in nobis manere, et habitare dicitur, peculiaris intel-

ligenda est persona Spiritus sancti, tanquam citima, ut sic loquar, adoptionis

causa, et forma sanciificans. » (Petav., de Trin., i. VIII, cap. vi, n. 9.)

 

3. « Pater ecce, atque Spiritus sanctus in horaine Christo non minus manel,

qaam Verbum ; sed dissimilis est Tt\(; èvuTiàp^ecoç modns. Verbum enim,

pr<eter commuoem ilîum, qnem cum reliquis eumdem habet, peculiarem alte-

rum obtinel, ut sit forma iustar, divinum, vel Deum potius facientii, et hune

Filiura. Sic in homine justo très utique person» habitant, sed solus Spiritus

sanctus quasi forma est sanciificans, et adoplivum reddens sui communicatione

filium. » (Ibid., n. 8.)

 

4. « Quod ex antiquornm... testimoniis sequi yidetur, id est ejusmodi : Illam

^nm justorum animis conjunctionem Spiritus sancti... communi quidem per-

•sonis tribus convenire divinitati, sed qnatenus in hypostasi, sire persona inest

Spiritus sancti adeo, ut certa quaedam ratio sit, qua se Spiritus sancti per-

sona sanctorum justorumqne mentibns applicat, qnae ceteris personis eodem

modo non convenit. » (Ibid., n. 6.)

 

5. u Justifîcationis causse snnt : Qnalis quidem, gloria Dei, et Christi, ac

vita seterna; effldens vero misericors Dens... Demum unica causa formalis

«st jostitia Dei, non qua ipsejustus est. sed qua nos j'ustos facit\ qna ride-

licet ab eo donati, renovamur spiritu mentis nostrae ; et non modo reputamur

sed Tere josti nominamur, et sumns, jastitiam in nobis recipientes, nnns-

qnisqne suam secundum mensnram, qnam Spiritus sanctus parlitur singnlis

proot valt, et secundum propriam cujusqne dispositionem, et cooperationem. »

{Conc. Trid.,sesi. VI, cap. vu. — Cf. etiam can.xi.)

 

Trois siècles avant le Concile de Trente, saint Thomas arait formulé cette

même doctrine arec sa netteté ordinaire. A l'objection tirée des saints Pères,

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU ^69

 

Thomas que, contrairement à ce qui se passe dans le mystère

de l'Incarnation, où le rapprochement des deux natures,

divine et humaine, quoique effectué par la Trinité entière,

se termine à la seule personne du Verbe, l'union établie par

la grâce entre Dieu et l'homme est commune aux trois per-

sonnes, non seulement dans son principe effectif, mais

encore dans son terme' ; et l'Ecole tout entière ajoute, par

la bouche de ses plus grands docteurs, qu'aucune union

réelle de la Divinité avec les créatures ne saurait appartenir

en propre à une personne divine sans être par le fait une

union hypostatique.

 

Car de deux choses l'une : ou l'union se fait directement

avec l'essence commune, et dans ce cas elle appartient éga-

lement aux trois personnes ; ou elle se fait dans ce qui est

propre à l'une d'entre elles, dans son hypostase, et alors

elle est hypostatique. Or, la doctrine catholique ne connaît,

en fait, d'autre union hypostatique entre Dieu et la créa-

ture que celle du Verbe avec l'humanité dans la personne

de Jésus-Christ. Sans doute, TEsprit-Saint aurait pu s'in-

carner, lui aussi, il aurait pu s'unir personnellement à

toutes les âmes ornées de la grâce, mais alors les justes ne

seraient pas seulement des hommes spiritualisés et divinisés,

ils seraient Dieu, ils seraient le Saint-Esprit. Concluons

donc que l'usage adopté par les Pères d'attribuer à la troi-

sième personne de la Trinité la vertu sanctificatrice est

uniquement basé sur la loi d'appropriation et ne suppose

ni propriété d'opération, ni propriété d'habitation, appar-

tenant exclusivement à l'Esprit-Saint.

 

 

 

d'après un certain nombre desquels Dieu sera il spuiiueiiement la vie de notre

âme, comme l'âme elle-même est la vie du corps, le saint Doctear répondait

que Dieu est, en effet, le principe de notre vie surnaturelle, la source de

notre perfection, comme l'âme est la source de la rie naturelle du corps, avec

cette différence toutefois, que l'âme est directement et par elle-même la vie du

corps en qualité de cause formelle, tandis que Dieu est la cause efficiente de la

rie surnaturelle dont la grâce et la charité sont le principe formel : « Dens est

vita effective et anime per charitatem, et corporis per animam ; sed formali-

ter charitas est vita animœ, sicutet anima vita corporis. Unde per hoc potest

concludi quod sicut anima immédiate nnitur corpori, Ua charitas anime. »

(II» n", q. XXIII, a. 2, ad 2.)

 

1. « Assumptio quae fit per gratiam adoptionis..., commonis est tribus per-

sonis et ex parte principii, et ex parte termini. Sed assumptio quae est per gra-

tiam unionis (hypostaticse), est communis ex parte principii, non autem ex

parte termini. » (III, q. m, a. 4, ad 3.)

 

 

 

470 APPENDICE

 

Le Père Ramière n*est pourtant pas de cet avis. A l'en-

tendre, le Saint-Esprit aurait une part spéciale dans l'œuvre

de notre sanctification, il posséderait avec notre âme un

mode d'union qui serait son apanage exclusif. « Il n'est,

dit*il, dans cette grande question qu'un seul point sur

lequel plane encore quelque obscurité. C'est la part spé-

ciale du Saint-Esprit dans cette œuvre de sanctification qui

lui est partout attribuée dans les saintes Ecritures.... Ce

n'est certainement pas sans motif que la mission qui a pour

objet la sanctification des âmes est attribuée au Saint-

Esprit et non au Fils. Si, dans cette mission, il n'y avait

rien de propre au Saint-Esprit, s'il ne faisait rien que le

Père et le Fils ne fissent également, il ne serait donc pa»

réellement envoyé par le Père et le Fils, et les assurances si

positives que Jésus-Christ nous donne dans le discours après

la Gène, qu'il nous enverra ce divin Esprit..., ne seraient

que de vaines paroles. Il faut donc admettre nécessairement

qu'il y a entre l'âme juste et ITisprit-Saint une union qui

ne s'étend pas de la même manière aux autres personnes ^ »

 

Ce n'est effectivement pas sans motif que la mission invi -

sible qui a pour objet la sanctification des âmes et l'union

à Dieu par la charité est attribuée au Saint-Esprit. La rai-

son de cette attribution, c'est de nous faire connaître ce

qu'on pourrait appeler la caractéristique de la troisième

personne, sa notion distinctive, au moyen de l'analogie qui

existe entre ses propriétés personnelles et les noms, les effets-

ou les œuvres qui lui sont appropriés. Or la sanctification

étant par excellence l'œuvre de Tamour et une émanation

de la sainteté substantielle, comment s'étonner de la voir

attribuée à celle des personnes divines qui, procédant par

mode d'amour, est, en vertu même de son origine, la cha-

rité subsistante ; à celle que l'usage de l'Ecriture et de la

Tradition désigne sous le nom d'Esprit-Saint?

 

Mais partir de là pour affirmer une union stpéciale entre

ce divin Esprit et nos âmes, et surtout pour lui attribuer en

propre la production d'un effet quelconque dans les créa-

tures, c'est se méprendre étrangement sur le sens et la

portée des paroles de l'Ecriture et des Pères, c'est scinder

 

 

 

Ramibre, Les espérances de l'Église, Append., n. xih

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU ^71

 

l'unité d'opération en Dieu, contrairement au dogme catho-

lique qui attribue toutes les œuvres extérieures à la Trinité

entière ' . En subordonnant la mission du Saint-Esprit à la

production d'un effet dont il serait personnellement la

cause, en prétendant que, « s'il ne faisait rien que le Père

et le Fils ne fissent également, il ne serait pas réellement

envoyé », le Père Ramière s'est laissé entraîner, à son insu,

au delà des limites de l'orthodoxie. On ne peut, en effet,

sans s'écarter de la vérité catholique et sans aller contre les

définitions des Conciles, attribuer une action extérieure

quelconque à l'une des personnes divines, sinon par appro-

priation ; car, suivant l'expression du Xle Concile de

Tolède, dans son symbole de la foi, les œuvres de la Trinité

«ont inséparables : Qaia inseparabilia sunt opéra Trimtatis*.

Quoique réellement distincts, le Père, le Fils et le Saint-

Esprit ne constituent pas trois principes différents, mais un

seul et unique principe de toutes choses, unum universorum

principiam^, à cause de l'unité de leur nature*. Et, de

même qu'ils n'ont qu'une seule déité et une seule sub-

stance, ils n'ont également qu'une seule vertu, une seule

puissance, une seule volonté, une seule opération : Unam

eamdemque trium deitatem, nataram, sabstaniiam, virtutenif

potentiam.,. voluntatem, operationem^.

 

 

 

4. f Cam eadem Tirtus sit Patris et Filii et SpiritHS «ancti, sicnt et eadem

essenîia, oportet quod omne id quod Dexis in nobis efficit sit, sieut a causa

efficiente, simul a Pâtre et Filio et Spiritu sancio. i> (S. Th., Contr. Gent.,

I. IV, c, XXI.) — El iterum : « Facere quemcumque effecfum in creaturis est com-

mmie toti Trinilati propter unitatem naturae, quia ubi est nna natura, oportet

qaod sit una virtus et uaa operatio. Unde Dominus dicit (Joaa., t, 19) : Qua-

^omque Pater facit, baee et Filins simiiiter facit. » (S. Th., III, q, xxiii, a. 2.)

 

2. « IttcamatioDem quoque hujas Filii Dei tota Trinitas opérasse credenda

, st, quia inseparabilia sunt opéra Trinilatis. Solus tamen Filius formara lerTÎ

 

ccepit in singularitate personae, non ia nnitate dirinae naturae, in id quod est

ropriam Filii, non quod commune Trinitati. » (Ex symbolo fldei Conc. Tolet.,

I, an. 675.)

 

3. « Firmiter credimui et simpliciter confitemur, quod unus solus est verui

Deus... Patei et Filius et Spiritus sanctus : très quidem personae, sed una

 

«sentia... unum universorum principium. » (Conc. Later., it, cap. Firmiter.)

 

4. a Hsd très personae sunt unus Deos et non très dii, quia triam est uoa

substantia, una essentia... Omniague sunt unum, ubi non obviât relationis

oppositio. Propter banc anitatem... Pater et Filius et Spiritus sanctus non

tria principia creaturae, sed unum principium. n (Conc. Florent., Ex décret*

pro Jacobitis.)

 

5. Ex Conc. Later., an, 649, sub Martino I, can. i.

 

 

 

473 APPENDICE

 

Ce qui a sans doute trompé le Père Ramière et induit en

erreur les autres partisans de l'habitation personnelle du

Saint-Esprit, c'est qu'ils n'ont pas pris en son véritable sens

la loi de l'appropriation. Ils se sont imaginé qu'elle est

opposée à la présence vraie, réelle, substantielle de Dieu en

nous, telle que l'enseignent l'Ecriture et la Tradition ;

qu'elle réduit l'effet de la mission invisible à des dons créés,

et détruit par conséquent le principal titre de gloire du

chrétien justifié, la possession véritable et la fruition com-

mencée du bien souverain. Or rien n'est moins exact, comme

il est facile au lecteur de s'en convaincre en se reportant aux

preuves que nous avons données plus haut ' pour établir la

présence substantielle de Dieu dans les justes.

 

 

 

Vin

 

 

 

Il est un dernier argument, tiré de certaines locutions

employées par les Pères, sur lequel quelques théologiens

modernes paraissent faire grand fonds pour étayer leur

système d'une union propre à la troisième personne de la

sainte Trinité.

 

11 n'est pas rare, nous dit-on, de rencontrer dans les écrits

des anciens les expressions suivantes : C'est par l'Esprit-

Saint que le Père et le Fils habitent en nous ; ce divin Esprit

est le lien qui nous unit aux deux autres personnes. Or, de

telles expressions n'indiquent-elles pas ouvertement que

l'habitation de Dieu en nous se fait par l'intermédiaire du

Saint-Esprit, en qui et par qui nous possédons le Père et le

Fils? Si l'on refuse de voir dans ces paroles la preuve d'une

union contractée directement avec la troisième personne,

et, par elle, avec les deux autres, quel autre sens peut-on

légitimement leur donner ?

 

Le sens que tout le monde s'accorde à attribuer à des

formules analogues employées fréquemment par l'Ecriture

 

 

 

1. Cf t* partie, c. n.

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE L'OPINION DE PETAU 478

 

OU les Pères. Ainsi, quand saint Jean nous dit, dans son

Evangile, que tout a été fait par le Verbe, Omnia per ipswn

fada sunt\ nul ne songe à voir dans cette expression l'indice

d'une opération ou d'un mode d'agir exclusivement propre

au Verbe; nul ne prétend que le Verbe soit ou l'instrument

du Père dans la production du monde, ou la cause for-

melle par laquelle il agit, ou le principe direct et immédiat

des choses à l'exclusion des autres personnes ; chacun com-

prend que la préposition dont se sert l'apôtre désigne sim-

plement l'ordre des personnes divines et la procession du

Fils ; chacun se rend facilement compte que cette façon de

parler a été employée pour nous faire entendre que la

puissance active par laquelle tout a été fait, quoique com-

mune aux trois personnes, leur appartient cependant,

comme la nature divine elle-même, dans un certain ordre :

au Père, comme à sa source primordiale, au Fils par com-

munication du Père, au Saint-Esprit comme à celui qui la

tient des deux autres personnes. L'unité d'opération n'est

donc pas détruite par cette formule qui semble rattacher le

monde à Dieu par l'intermédiaire du Verbe; il n'y a là

qu'une appropriation fondée sur la procession de la seconde

personne et sur la propriété qui lui appartient, en qualité

de Verbe, d'être l'expression, la cause, et, d'une manière

spéciale, le type et l'exemplaire de toutes choses * .

 

De même, quand nous lisons, dans les écrits des docteurs,

-que le Père et le Fils aiment par l'Esprit-Saint, nous nous

écarterions manifestement de la vérité en faisant du Saint-

Esprit le principe formel de l'amour du Père et du Fils, et

en lui attribuant en propre un acte qui est en réalité com-

mun aux trois personnes. A parler rigoureusement, le Père

et le Fils aiment formellement par la nature divine, ou

par la volonté qui s'identifie avec cette nature ; on peut dire

néanmoins qu'ils aiment par l'Esprit-Saint, comme par le

terme intrinsèque de leur amour, parce que, en s'aimant

 

 

 

i. Joan., 1, 3.

 

2. c Verbum Dei, ejus quod in Deo Pâtre est, est expressimm lantom, crea-

tnrarnm vero est expressivum et operativum ». (S. Th., I, q. xxxiv, a. 3.) —

« Verbam Dei comparatnr ad rea alias intellectas a Deo sicut exemplar, (et)

ad ipsam Deam, cujns est Verbum, sicut ejus imago. » S. Th., 1. IV, Contra

Gentes, cap. h.)

 

 

 

474 APPENDICE

 

l'un l'autre, ils produisent le Saint-Esprit, et que, de leur

mutuelle dilection, jaillit la charité personnelle, comme la

fleur de sa tige. Pater et Filius dicuntar diligentes Spiritu

sancto, vel amore procedente, et se, et nosK

 

C'est dans le même sens qu'ils habitent en nous par

l'Esprit-Saint. Sans doute, l'inhabitation par la grâce appar-

tient proprement à la Trinité entière : Inhabilatio convenit

loti Trinitati - : mais parce que, en nous aimant, en nous

voulant ce bien infiniment précieux qui est la possession

de Dieu même, le Père et le Fils produisent l'Esprit-Saint,

on peut dire qu'ils habitent en nous par le Saint-Esprit,

comme par le terme intrinsèque de leur dilection : Recte

Pater et Filais dicantar inhabitare nos Spirita sancto^.

 

Mais, ajoute-t-on, FEsprit-Saint est encore appelé le lien

qui nous unit au Père et au Fils; n'est-ce pas une preuve

manifeste que, dans la pensée de ceux qui parlent ainsi,

notre union à Dieu se fait d'abord avec la personne du

Saint-Esprit, et, par elle, avec les deux autres? Nullement.

Car il est appelé aussi le nœud qui rapproche le Père et le

Fils, nexus Patris et Filii*, leur baiser mutuel, leur indivi-

 

 

 

1. c Sciendum est quod cnm res communiter denorainetnr a suis formis...,

iitiid a quo aliquid deacminatur, q>jiantDm ad hoc habet habiladinem

formae... Conlingil antem aliquid denominari per id quod ab ipso procedit, noo

«oloin siciil agens actione, sed eliara sicot ipso leriaino actionis, qui est effec-

lus, quando ipse effectus in inlellectu actionis includitur.DicImaseDim quodigni»

est calcfaciens calefactione, quaniTis calefactio non sit calor, qni est forma ignis,

led actio ab igné proceden» ; et dicimus quod arbor est florens floribus, qnamvia

flores non sint forma arboris, sed quidam efTectus ab ipsa procedentes. S«cuudum

hoc ergo dicendum quod cum diligere in divinis dnpiiciter sumatur, esseniialiter

scilicet, et notionaliter : secundnm quod esseniialiter sumitur, sic Pater et

Pilius non diligunt se Spiritu Sancto, sed est^eutia sua...; secnndum TCro quod

oetionaliter sumitur, sic diligere nibil est aliud quam spirare amorem, sicut

dicere est producere verbum et florere est producere ûores. Sicut ergo dicitur

arbor florens floribus, ita dicitur Pater dicens Verbo vel Filio, se et creatu-

ram; et Pater el Filius dicoiilur diligentes Spiritu sancto, vel amore proce-

deute, el se, et nos. » (S. Th., I, q. xxxvii, a. 2.)

 

•2. S. Th. iû i Sent., dist. xv, q. ii, a. 1, ad 4.

 

3. « Pater et Filius... diligendo necessario producnnl Spiritnm sanctom. Recte

igilur dicuntar... diligere Spirilu sancto. Cum aulem inhabilatio sit opus dilec-

lionii, ergo recte Pater et Filius dicuntur inhabitare nos Spiritu sancto...

Hoc lamen non sigiiiûcat Spiritom sanctum speciali modo nos inhabitare pra&

ceteris personis. » (E. P. Pesch, S. J. Prœleet.dogwiat., de Deo trioo, sect. t,

û. 689.)

 

4. S. Th., I, q. ixxvii, a. 1, ad 3.

 

 

 

EXPOSITION ET RÉFUTATION DE l'oPINION DE PETAU ^75

 

«ible unité*; ce qui semblerait, à première vue, indiquer

qu'il tient le milieu entre le Père et le Fils; et cependant,

nul ne 83 base sur ces expressions pour soutenir que le

Saint-Esprit est la seconde personne de la sainte Trinité,

mais chacun comprend qu'il est ainsi nommé parce que,

«tant le terme de la dilection mutuelle du Père et du Fils,

il procède des deux comme d'un seul principe et d'un spi-

rateur unique, et qu'il les unit par l'amour-. De même,

quand les Pères le représentent comme le lien entre les deux

premières personnes et les âmes justes, leur but n'est autre

que d'indiquer sa subordination d'origine vis-à-vis du Père

et du Fils et son mode de procession par voie d'amour.

 

Tel est l'enseignement de toute la scolastique, telle l'in-

terprétation qu'elle a toujours donnée des textes de l'Ecri-

ture et des Pères mis en avant par les tenants de l'habita-

tion personnelle du Saint-Esprit. La conséquence qui en

découle, c'est que la grâce n'établit pas de rapports spéciaux,

d'union particulière avec ce divin Esprit, et que l'habita-

tion, dont parlent si fréquemment les Livres saints, appar-

tient à toute la Trinité et n'est attribuée à la troisième per-

sonne que par appropriation.

 

 

 

1. a Insufaavit Jésus apostolis>et dixit(Joan., xx, 22) : Accipite Spiritum

sanctum... qui propterea in illo doininico flatu datus est, ut per hoc iuteliige-

retur et ab i{>so î)anter lanquam a Paire procedere, tanquam vere osculum,

quod osculauli osculaloque commune est... Si recte Pater osculans, Filins

osculatus, non erit abs re osculum Spiritum sanctura iuleiligi, utpotoqui Patris

Filiique iraperlurbabilis pax sit, gluten firmum, incUviduus amor, indivisibilis

unitas. » (S. BfiaN., in Caiit. serm. viii, n. 3.)

 

2. « Spirilus sanctus dicitur esse nexus Patris et Filii, in quantum est amor,

quia cum Pater amet unica dilectione se, et Fiiium, et e converso; importatur

in Spiritu sancto, prout est amor, habitudo Patris ad Filium, et e converso, al

amantis ad amatum. Sed ex hoc ipso quod Pater et Filius se mutuo amant,

oportet quod mutuus amor, qui est Spiritus sanctus, ab utroque procédât.

Secundura igitur originem Spiritus sanctus non est médius, sed terlia in Trini-

tate persona; secuudum vero praediclam habitudinem est médius nexus ab

ntroque procedens. » (S. Th., I, q. xixvu, a. i, ad 3.)

 

 

 

FIN

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE COMMUNE ET ORDINAIRE DE DIEU

EN TOUTE CRÉATURE.

 

CHAPITRE PREMIER

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU EN TOUTES CHOSES

EN QUALITÉ d'aGENT OU DE CAUSE EFFICIENTE.

 

Dieu est partout, en toutes choses et en tous lieux, par

puissance, par présence et par essence. — Gomment faut-il

entendre cette omniprésence ? — Ne pas la concevoir sous

forme de diffusion actuelle et d'expansion infinie de la

substance divine, comme un océan sans rivages. — Un con-

cept de l'immensité di%ine improuvé par saint Augustin. —

Vraie notion de l'immensité donnée par saint Thomas. —

D'après l'angélique Docteur, la raison fondamentale de la

présence substantielle de Dieu dans ses créatures n'est au-

tre que l'action immédiate qu'il exerce en toutes et cha-

cune d'elles pour produire et conserver leur être et les

mouvoir à leurs opérations. — Et de vrai, Dieu étant un

pur esprit, ne saurait être présent dans le lieu à la façon

des corps, per qaantitatem dimensivam, mais bien suivant le

mode propre aux esprits, c'est-à-dire en y exerçant son

activité, per contactum virtutis, comme disent les scolasti-

ques. — Pour bien caractériser ce premier mode de pré-

sence, saint Thomas l'appelle : présence à titre d'agent ou

par mode de cause efficiente, per modum causas agentis. 7

 

 

 

47^ TABLE ANALYTIQUE

 

 

 

CHAPITRE n

 

COMBIEN CBTTB PRÉSENCE EST ESTIME» PROFONDE, UNIVERSELLE.

— SES DIFFÉRENTS DEGRÉS.

 

 

 

Combien cette présence est intime, profonde, univer-

selle. — Quoique substantiellement la même partout, elle

comporte néanmoins bien des degrés, suivant que les

choses participent plus ou moins à la bonté divine. — Com-

ment concevoir ces divers degrés de présence? — Saint

Thomas donne la solution de ce problème quand il dit que

Dieu est en toutes choses comme la cause est dans les effets

qui participent à sa bonté. — En quoi consiste cette parti-

cipation des créatures à la bonté divine ? — Quoique Dieu

soit partout, et tout entier partout, il n'est cependant pas

également partout, mais il est plus ici que là. — Analogie

tirée de notre âme. — Il y a certains lieux où Dieu réside

d'une manière si particulière, qu'on peut les appeler la

demeure de Dieu. — Quels sont ces lieux? — Ceux où

l'opération divine est plus manifeste 3o

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU OU DE

l'habitation du saint-esprit dans les AMES JUSTES.

 

CHAPITRE PREMIER

 

'LE FAIT DE LA PRÉSENCE SPÉCIALE DE DIEU DANS LES JUSTES.

MISSION, DONATION, HABITATION DU SAINT-ESPRIT.

 

Réalité de cette présence spéciale ou de rhai>itation du

Saint-Esprit dans les âmes justes. — L'Ecriture déclare

fréquemment que l'Esprit-Saint est envoyé, donné aux

'àmcs av^ la grâce, qu'il habite en elles, conjointement avec

 

 

 

TABLÉ AKALtTIQUÊ 479'

 

le Père et le Fils. — Or les concepts de mission, de donation^

d'habitation, impliquent un mode particulier de présence,

distinct de la présence commune. — Aussi, d'après saint

Augustin, Dieu, qui est partout, n'habite cependant pas dans

tous les hommes, notamment dans les pécheurs. — Seuls,

les justes sont le temple de l'Esprit-Saint. — Ce nouveau

mode de présence divine n'exclut pas celui dont il a été

question au chapitre précédent, mais il s'y surajoute. —

11 n'emporte aucun changement en Dieu, mais il suppose

dans la créature un effet nouveau, la grâce sanctifiante, qui

devient le principe de rapports nouveaux entre elle et Dieu .

— Au lieu d'une vulgaire relation de causalité qu'il avait

auparavant avec sa créature. Dieu entre avec elle dans un

rapport d'appartenance et de possession ; il devient son

bien, l'objet de sa connaissance et de son amour . . 53-

 

 

 

CHAPITRE II

 

NATURE DE CETTE PRÉSENCE.

 

C'est une présence vraie, réelle, substantielle. — Ce n'est

donc pas seulement par ses effets et par ses dons que l'Es-

prit-Saint est dans les justes, il y vient en personne, en

sorte que nous possédons à la fois le don et le donateur. —

Témoignages de l'Ecriture et des Pères sur ce point. —

Belle réponse de sainte Lucie. — Il n'y a pourtant pas

union substantielle entre l'âme et le Saint-Esprit, mais une

union purement accidentelle 79.

 

 

 

CHAPITRE m

 

MODE DE CETTE PRÉSENCE.

 

Ce n'est plus seulement en qualité d'agent que Dieu est dans

l'âme juste, c'est à titre d'hôte et d'ami, comme objet de con-

naissance et d'amoar.

 

L'Esprit-Saint, âvons-nous dit, habite dans les justes. —

Reîiè3 à expliquer le mode de cette présence spéciale. -«

 

 

 

/i8o TABLE ANALTTTQUB

 

Critérium pour discerner, entre les difFcrentes opinions

qui ont été émises sur ce point, celle qui est la plus plau-

sible. — Explications défectueuses ou insuffisantes appor-

tées par divers auteurs : le docteur Oberdoerffer, Verani,

Petau et Ramière, S. J. — Explication donnée par saint

Thomas. — D'après l'angélique Docteur, Dieu peut être

substantiellement présent à une créature de trois manières

différentes : i'* à titre d'agent ou de cause efficiente ; c'est le

mode ordinaire commun à tous les êtres sans exception ;

3" comme objet de connaissance et d'amour; c'est la présence

spéciale aux justes de la terre et aux saints du ciel ; 3" en

vertu d'une union hypostatique ; c'est ainsi que le Verbe s'est

uni à notre humanité en N.-S. — Entre ces divers modes

de présence il n'y a pas une simple différence de degré, de

plus et de moins, mais une différence essentielle et vrai-

ment spécifique. — Ces trois sortes de présence se trouvent

réunies en N.-S. — Que faut-il pour qu'il y ait \Taiment

habitation du Saint-Esprit dans une âme? . . . . io4

 

 

 

CHAPITRE IV

 

EXPLICATION DU MODE DE PRÉSENCE DONT DIEU HONORE

LES JUSTES DE LA TERRE ET LES SAINTS DU CIEL.

 

Si. — Comment Dieu est présent par sa substance à l'intel-

ligence et à la volonté des bienheureux en tant que vérité

première et bien souverain.

 

 

 

L'admirable union de Dieu avec les justes, appelée inha-

bitation, ne diffère que par la condition ou l'état de celle

qui fait le bonheur des saints dans le ciel. — Pour avoir

une idée nette et précise de ce genre de présence et d'union,

il faut la considérer non pas telle qu'elle s'offre à nous dans

la personne des justes de la terre, où elle n'est encore qu'à

l'état rudimentaire, mais telle qu'elle existe dans les élus,

en qui elle est parvenue à son plein épanouissement. —

Or, dans le ciel, l'essence divine s'unit directement et im-

médiatement à l'intelligence des bienheureux, pour être,

avec elle, co-principe de la vision béatifique, de même

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE 48 1

 

qu'elle en est l'objet et le terme. — Possibilité de cette

union. — Sa nécessité pour qu'une créature intelligente

soit capable de voir Dieu tel qu'il est en lui-même. — Con-

dition préalablement requise : la lumière de gloire.

 

Présent par sa substance à l'intelligence des bienheureux,

Dieu ne peut être absent de leur volonté. — Car la vision

de Dieu ne va pas sans l'amour, et l'amour est plus unitif

que la connaissance. — Et suivant que l'union est réelle

ou seulement affective, il y a deux manières d'aimer : l'une

de jouissance, l'autre de désir. r~ Or, c'est l'amour de jouis-

sance qui règne au ciel. — 11 faut donc que Dieu soit pré-

sent par sa substance et uni effectivement à leur volonté,

pour que les élus puissent jouir pleinement de lui, en

tant que bien souverain, de même qu'il est uni à leur

intelligence comme vérité première et objet de leur

vision 187

 

 

 

CHAPITRE V

 

EXPLICATION DU MODE DE PRÉSENCE DONT DIEU HONORE

LES JUSTES DE LA TERRE ET LES SAINTS DU CIEL (sUITE).

 

S II. — Comment la grâce produit dans les justes de la terre

une présence de Dieu analogue à celle dont jouissent les saints

du ciel.

 

 

 

Pouvons-nous en dire autant des saints d'ici-bas, et affir-

mer légitimement que la grâce produit en eux une pré-

sence, à la fois réelle et spéciale, de Dieu comme objet de

connaissance et d'amour ? — Assurément, l'essence divine

n'est point unie à leur intelligence en qualité de forme in-

telligible pour être le principe et le terme d'une connais-

sance intuitive ; car nous n'avons pas en ce monde la vue

de Dieu. — Mais pourtant, dès cette vie, le juste atteint,

par son opération, la substance divine, il entre en contact

avec elle par la connaissance et l'amour, et commence vrai-

ment à jouir de Dieu. — Comment cela ? — Par la con-

naissance expérimentale et savoureuse qui est le fruit du

don de sagesse, et surtout par l'amour de charité : connais- <

 

BAB. SAIMT-BSPRIT. — 3l

 

 

 

48a iable analytique

 

«ance et amour qui supposent non pas la vue et la pleine

Jouissance, mais la présence réelle et sentie de l'objet

aimé.

 

Et d'abord, la charité demande la présence effective de

Dieu dans l'âme et une union de jouissance. — Car la cha-

rité réalise toutes les conditions d'une vraie et parfaite ami-

tié entre Dieu et l'homme. — Or, ce que l'amitié désire,

convoite,, et effectue quand elle le peut, c'est l'union réelle

et intime, c'est la vie en commun, c'est la jouissance réci-

proque des deux êtres qui s'aiment. Puis donc que rien n'est

impossible à Dieu, ne pouvons-nous pas légitimement

conclure que la dilection qu'il porte à l'âme juste lui ira-

pose une sorte de nécessité de venir personnellement en

elle, et de ne pas la priver de la consolation de sa présence ?

— Au reste, la charité de la voie étant la même que celle

de la patrie, quoi d'étonnant qu'elle exige la présence du

bien-aimé, afin de commencer à jouir de lui ? — Dieu est

donc réellement présent dans les justes comme objet de

leur amour, sicut amatum in amante.

 

Il leur est aussi uni effectivement en tant qu'objet de

leur connaissance, sicat cognitum in cognoscente. — La con-

naissance de Dieu dont la nature est le principe, celle

même que donne la foi informe, ne suffisent pas pour le

faire habiter dans une âme. — Il faut pour cela une con-

naissance expérimentale, qui ne s'acquiert que par une

intime union avec Dieu. — Ce qu'est cette connaissance

expérimentale. — Analogie empruntée à la manière dont

nous connaissons notre âme. — A quels signes reconnaître

la présence de l'Esprit-Saint en nous ?

 

Dieu habite donc véritablemeni dans tonte àme qui a la

grâce ; il lui est uni non point d'une simple union objec-

tive et morale, mais d'une union effective et réelle. — Di-

vers degrés de cette union. — Toujours actuelle dans les

bienheureux, purement habitaelle dans les enfants baptisés

dont l'intelligence n'est point encore éveillée, elle tient

dans les adultes justifiés le milieu entre la perfection de

celle des premiers et l'imperfection de celle des seconds. —

L'union à Dieu, l'union actuelle par la contemplation et

l'amour, tel doit être l'objet de nos vœux, le but de nos

efforts ; car c'est en elle que consiste la perfection de la

voie et celle de la patrie, i5&

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE 5SS

 

 

 

TROISIÈME PARTIE

 

l'iNHABITATION divine par la GRACE n'eST PAS LA

PROPRIÉTÉ PERSONNELLE DU SAINT-ESPRIT, MAIS LE

PATRIMOINE COMMUN DE TOUTE LA SAINTE TRINITÉ.

 

ELLE EST l'apanage DE TOUS LES JUSTES,

 

TANT DE l'ancien QUE DU NOUVEAU TESTAMENT.

 

CHAPITRE PREMIER

 

QUOIQUE ATTRIBUÉE ORDINAIREMENT A l'ESPRIT-SAINT, l'iNHA-

BITATION DIVINE PAR LA GRACE NE LUI EST PAS EXCLUSI-

VEMENT PROPRE, MAIS COMMUNE AUX TROIS PERSONNES.

 

 

 

L'habitation de Dieu dans les âmes justes est ordinaire-

ment attribuée à l'Esprit- Saint. — Pourquoi cela ? —

Serait-ce un signe que ce divin Esprit possède avec elles un

m.ode d'union qu'il ne partagerait pas avec les autres per-

sonnes ? — Quelques théologiens, Petau entre autres, l'ont

pensé. — D'après eux, la Trinité entière habite, il est vrai,

dans le juste ; mais c'est le Saint-Esprit qui est le terme

direct et immédiat de l'union ; le Père et le Fils ne rési-

dent en lui que d'une manière indirecte, par concomitance,

en vertu de la communauté de nature qui les rend insépa-

rables. — L'union du Saint-Esprit avec nos âmes serait

donc analogue à celle du Verbe avec la nature humaine en

Jésus-Christ.

 

Suivant le sentiment commun de l'Ecole, il n'en est

point ainsi. Au lieu d'être une propriété personnelle du

Saint-Esprit, l'habitation divine par la grâce est le patri-

moine commun de toute la Trinité. — Si l'Ecriture et les

Pères l'attribuent fréquemment à la troisième i)ersonne,

c'«st uniquement en vertu de la loi d'appropriation. — Ce

que c'est que l'appropriation. — Pourquoi attribuer à une

personne en particulier ce qui appartient en commun

Si\i3L trois personnes ? — Réponse de saint Thomas : Pour

 

 

 

484 TABLE ANALYTIQUE

 

la manifestation de la foi, c'est-à-dire pour faire mieux

connaître le caractère propre de chaque personne. — Et

parce que le Saint-Esprit est en Dieu l'amour subsistant, il

est tout naturel de lui attribuer les œuvres de l'amour,

comme la grâce sanctifiante, les autres dons gratuits, et en

particulier l'habitation de Dieu en nous igS

 

 

 

CHAPITRE II

 

l'habitation de DIBU dans les AMES PAR LA «RACE H'BST

 

PAS l'apanage exclusif des saints de la nouvelle

 

ALLIANCE, MAIS LA DOT COMMUNE DES JUSTES DE TOUS LSI

TEMPS.

 

Non content de regarder l'habitation divine par la grâce

comme une propriété de l'Esprit-Saint, Petau prétendait

encore que la présence spéciale de Dieu dans les cœurs est

non pas la dot commune de tous les justes, mais Tapanage

exclusif des saints de la nouvelle Alliance. — A l'en croire,

l'Esprit-Saint n'était dans les anciens justes que par son

opération et ses dons, et nullement par sa substance. — Ici

encore, tout en faisant appel à l'antiquité et à l'autorité des

Ecritures, il se met en opposition manifeste avec elles. — Il

est, en effet, hors de doute que le Saint-Esprit habitait réelle-

ment dans les justes qui ont précédé Jésus-Christ. — S'il y

eut, relativement à l'inhabitation divine par la grâce, une

différence entre les saints de l'Ancien et du ^ouveau Testa-

ment, ce fut une simple différence de degré, de mesure et

de manifestation extérieure. — Les patriarches de l'anti-

quité possédaient le même genre de sainteté que nous ; la

grâce qui les justifiait les rendait comme nous enfants

de Dieu, héritiers de la vie éternelle, et les temples de l'Es-

prit-Saint, — Ils ne vivaient cependant pas dans la condi-

tion de fils, mais plutôt dans celle de serviteurs ; et la

grâce ne leur était pas accordée par la vertu même de la

loi, vi legis, mais par la foi au Messie k venir. — Etaient-ils

inférieurs en sainteté aux justes de la Loi nouvelle? — A

parler en général, il semble qu'il en ait été ainsi ; car les

moyens de sanctification mis à leur disposition étaient

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE 4S5

 

incomparablement moins puissants que les nôtres. — Rien

n'empêche cependant de croire que certains personnages

antiques se soient élevés à une perfection supérieure à celle

d'un grand nombre de chrétiens de nos jours . • . aai

 

 

 

QUATRIÈME PARTIE

 

BUT ET EFFETS DE LA MISSION INVISIBLE DE LESPRIT-

SAINT ET DE SON HABITATION DANS LES AMES.

 

CHAPITRE PREMIER

 

BUT DE LA MISSION INVISIBLE DE l'ESPRIT-SAINT ET DE SA

VENUE DANS LES AMES : LA SANCTIFICATION DE LA CRÉATURE.

— PARDON DES PÉCHÉS, JUSTIFICATION.

 

Pourquoi le Saint-Esprit nous est envoyé et vient fixer en

nous sa demeure. — Importance d'une telle mission. —

Conséquences de cette habitation. — Loin d'être stérile et

infructueuse, la présence en nous de l'Esprit sanctificateur

est souverainement féconde. — Multiples effets de cette

présence. — Tous tendent à la sanctification de la créature.

 

Le pardon des péchés. Le premier fruit de la venue de

l'Esprit-Saint dans une âme où il ne résidait pas enccre.

c'est un entier et généreux pardon. — Grandeur de ce

bienfait. — En perdant la grâce, le pécheur avait tout

perdu et il avait encouru la cclè;e divine. — En recevant

le Saint-Esprit, il rentre en possession des biens dont il

avait été dépouillé ; Dieu lui rend ses bonnes grâces, lui

pardonne ses offenses, lui fait remise de la dette contrac-

tée envers la justice divine.

 

La justification. Là ne se bornent pas les largesses de

l'Hôte divin. — Non content d'apporter à l'âme qu'il dai-

gne honorer de sa visite une grâce de pardon, il s'empresse

de la purifier de ses fautes, de la guérir de ses plaies, de la

revêtir d'une robe d'innocence, de lui accorder un don

souverainement précieux qui, en la justifiant, la rend toute

 

 

 

486 TABI^ ANALYTIQUE

 

beile, toute sainte, l'objet des divines complaisances, la

fîille adoptive de Dieu et l'héritière de ses promesses . a45

 

 

 

CHAPITRE II

 

ROTRE JUSTIFICATION PAR LA GRACE EST UNE VÉRITABLE DÉI-

FICATION. — COMMENT LA. (JRA.CE SANCTIFIANTE EST UNB

PARTICIPATION PHYSIQUE ET FORMELLE DE LA NATURE DI-

VINE.

 

La déification de l'âme par la grâce. C'est là le chef-

d'œu^Te de la puissance di>ine. — Comment s'opère cette

déification. — En quoi consiste l'élément divin qui fait de

nous des êtres déiformes? Et puisque ce don n'est autre

que la grâce qui nous justifie, qu'est-ce que la grâce ? —

Kotre-Seigneur lui-même daigna s'en expliqiier un jowp

en faveur d'une pécheresse : « Si vous connaissiez, lui

dit-il, le don de Dieu !» — Et pour se mettre à sa portée,

il lui parle de la grâce sous l'emblème d'une eau vive qui

rejaillit jusqu'à la vie éternelle. — La grâce, en effet, pro-

duit spirituelLeraent tous les effets de l'eau ; elle purifie,

rafraîchit, désaltère et féconde. — Grâce médicinale, grâce

élevante.

 

Nature intrinsèque de la grâce. — Elle est un don surna-

turel permanent, une qualité d'ordre divin inhérente à

notre âme, une participation créée, physique et formelle

de la nature divine. Sens précis de cette formule. — Elle

est une disposition à une autre participation de la nature

divine, terme et but de la première, et qui consiste dans

une intime union de notre âme avec Dieu, union com-

parée dans rÉcriture à celle de l'époux et de l'épouse. 268

 

CHAPITRE m

 

NOTRE FILIATION DIVINE ADOPTIVE. — ANALOGIES ET DISSEM-

BLANCES ENTRE l'adoption DTVTNE ET LES ADOPTION!

HUMAINES. — INCOMPARABLE GRANDEUR ET DIGNITÉ DO

CHRÉTIEN.

 

L'adoption divine. — Devenus par la grâce participants

de la nature divine, novia sommes, par le fait même, élô-

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE 4^7

 

vés à l« dignité de fils adoptifs de Dieu avec droit à l'héri-

tage paternel. — Et il ne s'agit point ici d'une dénomina-

tion extrinsèque, d'un titre purement honorifique, mais

d'une filiation très réelle. — Les saints Pères célèbrent à

ren\i ce glorieux titre d'enfants de Dieu. Analogies et dis-

semblances entre l'adoption divine et les adoptions humai-

nes. — Triple condition de l'adoption réalisée par la grâce.

— Incomparable grandeur et dignité du chrétien . . 3oo

 

 

 

CHAPITRE rv

 

DROIT A L'HéftITAGB CÉLESTE, COMSÉQUEIfCE DE NOTBB

ADOPTION. — QfïBL EST CET HÉRITAGE?

 

Le droit à l'héritage céleste. Fils adoptifs de Dieu, nou»

sommes dès lors ses héritiers ; car le droit à l'héritage de

qui nous adopte est la conséquence nécessaire de notre

adoption. — Quel est cet héritage? Ce sont les biens noé-

mes de Dieu, biens infinis dont la possession et la jouis-

sance constituent sa propre béatitude. — Bref, c'est Dieu

lui-même vu face à face et aimé d'un amour béatifique. —

Richesses de cet héritage, c'est le plein rassasiement de tous

les désirs. — Pour en donner une idée précise, il faudrait

dire ce qu'est le ciel. Mais qui oserait tenter une pareille

entreprise, pour laquelle saint Paul lui-même se déclare

impuissant? — Heureusement pour nous, l'Esprit- Saint &

daigné nous fournir sur ce point des données précieuses

qu'il importe de ne pas laisser dans l'ombre. — Afin' de

nous aider à concevoir quelque peu les ineffables délices du

ciel, il nous Ta représenté sous des noms multiples et des

figures variées. — Tantôt c'est un royaume, le royaume de

Dieu promis à ceux qui l'aiment. — Tantôt c'est la patrie^

la maison dti père de famille, le rendez -vous de tous le»

enfknts de Dieu. — Ici c'est un banquet, un festin donné

par le Père céleste à l'innombrable multitude de ses enfants

réunis autour de lui ; c'est le festin des noces de l'Agneau.

— Là c'est un torrent de délices, où les élus s'abreuvent jus-

qu'à Tivresse. — Qu'est-ce encore que le ciel? — C'est le

repos, la paix, la vie : le repos après le travail, la paix suc-

cédant à la guerre, la vie sans limites et sans fin, la vie

éternelle 3.ia

 

 

 

488 TABLE ANALYTIQUE

 

 

 

CHAPITRE V

 

 

 

EFFETS DE L HABITATION DU SAINT-ESPRIT :

LES VERTUS INFUSES THÉOLOGALES ET MORALES.

 

 

 

La béatitude nous étant proposée à la fois comme un

héritage et comme la récompense de nos mérites, nous

devons travailler à nous en assurer la possession par nos

bonnes œuvres. — De là, la nécessité de forces, de puis-

sances, de principes d'activité surnaturelle, de tout un

ensemble de facultés nouvelles nous rendant capables de

poser des actes supérieurs aux forces de la nature et pro-

portionnés à la fin très sublime qu'il s'agit d'atteindre.

 

— Quadruple élément constituant la vie surnaturelle

du juste : i* la grâce sanctifiante; 2° les vertus théolo-

gales ; 3» les vertus morales infuses ; 4° les dons du Saint-

Esprit.

 

1° La grâce sanctifiante. Pour mettre l'homme en état

d'exercer les actes qui doivent le conduire à la béatitude

suprême, Dieu verse d'abord en lui la grâce sanctifiante,

qui joue dans l'ordre surnaturel le rôle de l'âme dans celui

de la nature. — C'est elle qui donne l'être spirituel et la

vie di\1ne. — Reçue dans l'essence même de l'âme, la grâce

est comme celle-ci un principe de vie et d'opérations sur-

naturelles, mais un principe radical et éloigné, non un

principe immédiat et prochain. — De même que l'âme

agit non par sa substance, mais par ses facultés, ainsi la

grâce opère par l'entremise des vertus et des dons.

 

2° Les vertus théologales. Les vertus qui correspondent à

la grâce, devant être de même ordre qu'elle, c'est-à-dire

surnaturelles, ont aussi la même origine, et proviennent

immédiatement de Dieu, qui les cause en nous sans nous.

 

— Au nombre de ces vertus viennent en première ligne les

vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité. — Leur

existence prouvée par l'Écriture. — Leur nécessité pour

ordonner l'homme vers sa fin dernière.

 

3° Les vertus morales infuses. Pour excellentes que soient

les vertu: théologales, elles ne suffisent cependant pas pour

régler, à elles seules, la vie du chrétien ; d'autres vertus

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE ^89

 

doivent prêter leur concours à cette œuvre complexe. Ce

sont les vertus morales infuses. Existence et nécessité de

ces vertus. — Sentiment de l'Église et des théologiens sco-

lastiques sur ce point. Opinion contraire de quelques théo-

logiens médiévistes s'appuyant sur les répugnances qu'é-

prouvent les néo-convertis dans la pratique du bien, pour

nier l'existence des vertus morales infuses. — Explication

de ce phénomène. — Le chrétien peut donc posséder deux

sortes de vertus morales spécifiquement différentes : les

unes naturelles et acquises, les autres surnaturelles et

infuses 354

 

 

 

CHAPITRE VI

 

EFFETS DE l'hABITATION DU SAINT-ESPRIT (sUITE)

LES DONS DU SAINT-ESPRIT.

 

 

 

4° Les dons du Saint-Esprit. Avec la grâce et les vertus

infuses, le juste reçoit encore les dons du Saint-Esprit. —

Nature de ces dons. — Leur distinction d'avec les vertus.

— Ils en diffèrent à un double chef : i° par leur mode

d'agir ; 2® par la règle de leurs actes. — Rôle des dons :

mettre notre âme en état de recevoir avec promptitude et

docilité la motion spéciale et extraordinaire de l'Esprit-

Saint. — Leur nécessité 878

 

 

 

CHAPITRE VII

 

DERNIERS EFFETS DE l'HABITATION DU SAINT-ESPRIT :

LES FRUITS DU SAINT-ESPRIT ET LES BÉATITUDES.

 

 

 

Les fruits et les béatitudes. Après avoir ainsi doté l'âme

de ce magnifique et complexe organisme de sainteté qui

fait de l'homme un instrument de musique admirable-

ment disposé pour chanter la gloire et la puissance divines,

i'Esprit-Saint lui-même se met au clavier et tire de cet ins-

trument vivant et docile de merveilleux accords. — Le

 

 

 

490 TABLE ANALYTIQUE

 

juste comparé encore à un arbre planté sur le bord des

eaux et qui donne des fruits en son temps. C'est ce que

l'apôtre saint Paul appelle les fruits da Saint-Esprit. — Leur

nature. — Leur nombre.

 

Au-dessus des fruits se placent les béatitudes, couronne-

ment de l'œuvre di\ine en nous, le dernier et le plus

sublime effet de la présence de l'Esprit-Saint dans nos

âmes, l'avant-goût du bonheur céleste. — Nature des béati-

tudes. — Leur nombre. — Leur distinction d'avec les ver-

tus infuses, les dons et les fruits du Saint-Esprit. — Pour-

quoi tant de chrétiens, en possession habituelle de la grâce

et des énergies divines qui l'accompagnent, se montrent si

faibles et font si peu de progrès dans le bien. — Travailler

à mieux connaître l'Esprit-Saint, pour l'aimer davantage.

— Le prier souvent, se montrer docile à ses inspirations,

c'est le moyen infaillible pour arriver àu ciel. . . . 425

 

 

 

APPENDICE

 

EXPOSÏTIOM ET RÉFUTATICW

 

DE l'OPIUION de PETAU RELATIVE A l'haBITATION DO

 

BALST-ESPRrr DANS LES AMES JUSTES.

 

 

 

L'inhabitation divine par la grâce, au dire de Petau,

serait propre à la troisième personne de la sainte Trmité.

— Par conséquent l'union du Saint-Esprit avec les âmes

justes serait analogue à celle du Verbe avec la nature hu-

maine en Jésus-Christ. — Au Xll" siècle, le Maître des Sen-

tences avait déjà enseigné, lui aussi, une union spéciale

de l'Esprit-Saint avec nos âmes, sous le prétexte que la

charité par laquelle nous aimons I>i€u et le prochain

n'est pas une vertu créée, mais la personne même dn Saint-

Esprit 447

 

 

 

TABLB ÀNALTEIQUE igi

 

 

 

11

 

 

 

D'après le sentiment commun des Docteurs, au lieu

d'être une propriété personnelle de l'Esprit- Saint, Tinhabi-

tation divine par la grâce est le patrimoine commun de

tonte la Trinité. — Preuve de cette vérité donnée par saint

Thomas 45i

 

 

 

III

 

 

 

Comment, d'après l'angélique Docteur, l'inhabitatioii

divine convient au même titre aux trois personnes de la

sainte Trinité. — Si l'Écriture et les Pères l'attribuent fré-

quemment au Saint-Esprit, c'est uniquement en vertu de

la loi d'appropriation 454

 

 

 

rv

 

 

 

A rencontre des représentants les plus autorisés de la

science théologique, Petau prétend que la loi d'appropria-

tion est insuffisante pour expliquer les paroles de l'Ecriture

et des Pères, et que l'on ne peut, sans amoindrir leur en-

seignement, refuser d'admettre un mode de présence dans

les justes, qui soit >Taiment propre au Saint-Esprit. — En quoi

consisterait alors cette présence particulière ? Petau répond

que la question n'a pas été suffisamment élucidée par les

Pères. — Ce qui est certain, ajoute-t-il, c'est que l'union du

Saint-Esprit et de l'âme juste n'aboutit ni à l'unité de

nature, ni à l'unité de personne. — Défense de la théorie

de Petau par M. Mangenot. — Réfutation de ce dernier. —

Origine de l'opinion singulière de Petau 456

 

 

 

Raisons sur lesquelles; se fonde Petau pour établir sa

théorie de l'habitation propre au Saint-Esprit. — Elles

 

 

 

492 TABLE ANALYTIQUE

 

peuvent se ramener à trois : l'Esprit-Saint est personnelle-

ment le don de Dieu, la puissance sanctificatrice, le lien

entre la Trinité et nos âmes.

 

Premier argument. L'Esprit-Saint est le don de Dieu,

c'est-à-dire que seul parmi les personnes divines, il est sus-

ceptible d'être donné. — Or cette donation n'est autre

chose qu'une mission, une habitation dans les âmes aux-

quelles il est donné, et partant un mode de présence en

elles qui lui est propre.

 

a* Arg. De plus, la vertu sanctificatrice est, au jugement

des Pères grecs, un des caractères distinctifs de l'Esprit-

Saint ; elle lui appartient aussi spécialement que la pater-

nité à la première personne^ et la filiation à la seconde. —

Gomment dès lors ne pas conclure que le Saint-Esprit doit

avoir, dans l'œuvre de notre sanctification, une part spé-

ciale que Ton ne saurait attribuer ni au Père ni au Fils ?

— Et puisque l'état de grâce et d'union est constitué par

une sorte d'application de la substance divine aux âmes

justifiées, il faut en conclure que l'Esprit-Saint leur est uni

non seulement par la nature divine qui lui est commune

avec le Père et le Fils, mais encore par ce qui lui est propre,

par son hypostase.

 

3' Arg. Suivant une expression significative employée par

l'antiquité, l'Esprit-Saint est le lien qui relie nos âmes à la

sainte Trinité. — N'est-ce pas dire clairement que notre

union à Dieu s'opère par l'intermédiaire de l'Esprit-Saint,

qu'elle se fait directement et immédiatement avec la troi-

sième personne, et, par elle, en vertu de l'identité ae na-

ture, avec les deux autres ? 462

 

 

 

VI

 

 

 

Réponse. Ad i". Il n'est pas exact de dire que le Saint-

Esprit seul est donné, et qu'il a partant avec nos âmes un

mode d'union, de présence et d'habitation qui lui soit

vraiment personnel. — Le Fils est donné, lui aussi, par le

Père, et celui-ci se donne lui-même. — Toutefois, parce

que le Saint-Esprit procède comme amour, et en qualité de

premier don, on peut légitimement lui attribuer, par ap-

 

 

 

TABLE ANALYTIQUE ^gS

 

proprîation, le grand don de Dieu aux hommes, le don de

lui-même qui accompagne la grâce, et l'habitation di\ine

qui en est la suite 465

 

 

 

VII

 

 

 

Réponse Ad 2". C'est aussi uniquement par appropria-

tion que l'Esprit-Saint est appelé la vertu sanctificatrice. —

On ne saurait, en effet, considérer la puissance de sancti-

fier et de vivifier les âmes comme une propriété de l'Esprit-

Saint, sans s'écarter de l'enseignement catholique» qui ne

reconnaît dans les trois personnes divines qu'une seule

nature, une seule puissance, une seule opération. . . 467

 

 

 

VIII

 

 

 

Réponse Ad 3". En appelant l'Esprit-Saînt le lien qui

relie nos âmes à la sainte Trinité, en disant que c'est par

lui que les deux autres personnes habitent en nous, les

Pères ne prétendaient nullement faire du Saint-Esprit l'in-

termédiaire de notre union avec les autres personnes, mais

simplement indiquer sa subordination d'origine vis-à-vis

du Père et du Fils et son mode de procession en tant

qu'amour. Ce n'était encore qu'une appropriation. . 472

 

 

 

Société Nouvelle d Impressions, 9 et H, rue des Ursulines — PARIS- V'

 

11)26

 

 

 

p. LETHIELLEUX. Éditeur, lo, rue Cassette. PARIS

 

LA GRACE ET LA GLOIRE, ou la Filiation adoptive

des enfants de Dieu étudiée dans sa réalité, ses

principes, son perfectionnement et son couron-

nement final, par le R. P. J.-B. Terrien, S. J., ancien

professeur de dogme à l'Institut Catholique de Paris. —

Deux volumes in-8° écu.

 

C'est tout plaisir pour nous de présenter aujourd'hui à nos

lecteurs dans un compte rendu détaillé le nouvel ouvrage du

Père Terrien : La Grâce et la Gloire.

 

Disons tout de suite que, s'il s'agit de la grâce, ce n'est point,

Dieu merci 1 de la grâce actuelle 1 Qu'on nous pardonne ce (( Dieu

merci I » : il échappe instinctivement à la plume du critique qui a

tremblé, un instant, devant le spectre terrifiant des éternelles

disputes sur la prédétermination physique et la science moyenne,

la grâce efficace ab intrinseco des uns et la grâce plus ou moins

« congrue » de leurs adversaires.

 

Le Père Terrien ne nous parle dans son œuvre x— car c'est là

une œuvre théologique nouvelle et de haute importance — que

de la grâce habituelle ou sanctifiante, ainsi que de son prolon-

gement, disons de sa con«ommation céleste future, dans la

lumière de gloire.

 

Toute la théorie fondamentale du surnaturel est là, et combien

ignorée ou superficiellement connue de nos catholiques contem-

porains, voire même des prêtres 1

 

Méditations pieuses, rêveries ascétiques sur la transcendance de

l'union mystique de l'âme avec Dieu?.,. Point! C'est de bonne et

forte théologie, tout simplement, et delà meilleure, de la mieux

fouillée, de la plus solidement établie et développée. Le sujet était

difficile, et, en plus d'un point, malaisé à aborder, à traiter surtout

en langage clair, tel que l'exige le tempérament de l'esprit français.

 

Le Père Terrien a triomphé de toutes les difficultés. Il fallait

jadis, pour les curieux de métaphysique surnaturelle, chercher

loin dans nos bons vieux théologiens scolastiques, plus ou moins

zélés et fidèles commentateurs de la Somme théologique, pour

arriver à pénétrer un peu les mystères de la sublime participatio

naturx divinse, qui est proprement la source, la profonde et der-

nière raison d'être actuelle, comme la consommation future et

étemelle, de tout l'ordre surnaturel. Et encore ne réussissaient-ils

qu'à soulever péniblement les premiers voiles, quand ils soule-

vaient quelque chose, dans cette chasse à la lumière en sujet si

profond.

 

Grâce au Père Terrien, nous avons, en bonne langue française,

un traité suffisamment complet, très détaillé, subtil à l'occasion

là où il doit l'être, toujours clair cependant et facile à suivre,

fortement nourri dje bons textes et de solides arguments, sur tout

ce que la théologie peut nous apprendre de la nature et des

propriétés de la grâce sanctifiante et de la gloire.

 

Concluons que ceux qui étudieront les deux volumes du Père

Terrien sauront certainement y trouver des sujets d'excellentes

instructions.

 

(Ami du Clergé,)

 

 

 

p. LETHIELLEUX. Éditeur, 10, Rue Cassette, PARIS (6-)

 

TRAITÉ DE LA VÉRITABLE ORAISON

 

D'APRÈS LES PRINCIPES DE SAINT-THOMAS

 

Par le R. P. A. MASSOULIÉ, 0. P.

 

Suivi des ÉTA TS DE L'ORAISOX

 

Par le R. P. ROUSSEAU, 0. P.

 

Nouvelle édition revue et complétée

 

Par le R P. ROUSSET, 0. P.

2 vol. in-18 de xxiv-252 et 330 pages

 

LA DOCTRINE SPIRITUELLE

 

D'APRÈS LA TRADITION ET L'ESPRIT DES SAINTS

 

1. La vie spirituelle. - II. L'union à Dieu ou la perfection spirituelle

 

Par le R. P. ROUSSET, 0. P.

 

2 vol. in-18 de xvi-350 et xii-436 pages

 

DIRECTIONS PRATIQUES

 

Dans les différents ÉTATS de L'ORAISONetdela VIE INTÉRIEURE

Par le R. P. J.-B. ROUSSEAU, 0. P.

 

Nouvelle édition revue et complétée par le R. P. ROUSSET, 0. P.

In-18 de viii-286 pages

 

TRAITÉS DE LA VIE et PERFECTION SPIRITUELLE

 

DE SAINT VINCENT FERRIER ET DU B. ALBERT LEGRAIfD

 

TRADUITS ET EXPLIQUÉS D'aPKKS LA DOCTRINE DE SAINT-THOMAS

EN RÉPONSE AUX ERR.EURS MODERNES

 

Par le R. P. M.-J. ROUSSET, 0. P.

 

I. La Vie spirituelle. - II. La perfection spirituelle.

 

2 vol. in-18 de xvi-2G0 et 290 pages

 

 

 

TRAITE DE LA VIE INTERIEURE

 

ou PETITE SOMME de THÉOLOGIE ASCÉTIQUE

 

et MYSTIQUE

 

D'APRÈS L'ESPRIT ET LES PRINCIPES DE St-THOMAS D'AQUIN

 

Par le R. P. F. MEYKARÛ, 0. P.

 

Nouvelle édition, par le R. P. Régis G. GEREST, du même ordre

 

!'• partie : THÉOLOGIE ASCÉTIQUE

 

In-8 cour, de xvi-584 pages et 6 tableaux dépliants.

 

2« partie : THÉOLOGIE MYSTIQUE

In-8 cour, de xxi-572 pages et 4 tableaux dépliants

 

 

 

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justes # 1023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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10 ELMSLEY PLACE

; JRONTO 5, CANADA.

 

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